Accueil > Médias & Audiovisuel > Droits voisins : l’Autorité de la concurrence impose à Google de négocier la rémunération des éditeurs Droits voisins : l’Autorité de la concurrence impose à Google de négocier la rémunération des éditeurs L'Autorité de la concurrence a ordonné jeudi 9 avril à Google d'ouvrir des négociations "de bonne foi" avec les éditeurs de presse et l'AFP pour la rémunération de la reprise de leurs contenus. Le groupe américain a annoncé vouloir se conformer à cette décision. Plusieurs modalités de gestion collective des revenus étaient envisagés par les éditeurs. Par Jean-Michel De Marchi. Publié le 09 avril 2020 à 12h04 - Mis à jour le 21 juin 2022 à 12h29 Ressources L’Autorité de la concurrence, qui avait été saisie en novembre 2019 par les principaux syndicats d’éditeurs de presse français (l’Alliance de la presse d’information générale APIG et le Syndicat des éditeurs de la presse magazine SEMP) et par l’AFP, vient de rendre sa décision jeudi 9 avril : Google va devoir ouvrir des négociations avec eux pour la reprise de leurs “contenus protégés” et leur verser “la rémunération qui leur est due”, en application de la loi relative aux droits voisins du 24 juillet 2019. L’Autorité estime que les pratiques de Google à l’occasion de l’entrée en vigueur de la loi sur les droits voisins sont “susceptibles de constituer un abus de position dominante”, et portent “une atteinte grave et immédiate au secteur de la presse.” COMMENT GOOGLE INTERPRÉTAIT JUSQUE-LÀ LA LOI SUR LE DROIT D’AUTEUR Depuis le jeudi 24 octobre, Google interprète la loi sur le droit d’auteur en n’affichant plus dans ses résultats de recherche que le titre des articles des médias en ligne considérés comme “publications de presse”. A moins qu’ils n’ajoutent trois balises dans leur code HTML pour exprimer l’étendue de l’indexation souhaitée pour leurs contenus et sans être rémunérés en contrepartie. La grande majorité des éditeurs médias ont ouvert au maximum l’indexation de leurs contenus par Google. Retrouvez dans notre base de données le détail des choix effectués par plus de 1 000 sites d’information en date d’octobre 2019 (SPEL, acteurs de l’audiovisuel et du divertissement). En réponse à la loi française et européenne sur les droits voisins, Google avait donc modifié en octobre 2019 l’affichage des contenus sur le search classique, Google Actualités et Explore : seuls les titres sont affichés par défaut et c’est aux médias d’indiquer à Google – via des balises dans leur code HTML – s’ils souhaitent, comme avant, qu’une vignette et/ou un résumé l’accompagnent et si oui leur taille. Les éditeurs européens qui ne se sont pas manifestés n’ont donc par défaut plus d’aperçu de leurs articles autre que le titre sur les espaces de Google. Les éditeurs ont très largement accepté en bloc ces conditions, mais à regret, estimant n’avoir pas le choix et que le dispositif était contraire à la nouvelle loi, comme l’expliquait à mind Media en décembre Louis Dreyfus, président du Groupe Le Monde et l’un des principaux responsables du SPQN. “Des négociations de bonne foi” En parallèle, les syndicats d’éditeurs et les agences ont agi en justice : trois plaintes ont été déposées auprès de l’Autorité de la concurrence à en octobre – donc par l’APIG, le SEPM et l’AFP -, sur un abus de position dominante de Google et un abus de situation de dépendance économique, avec une demande de mise en place de mesures conservatoires, en imposant à Google de revenir à la situation antérieure et de faire une proposition de tarification dans un délai réduit. La FNPS a effectué un appui des saisines. L’Autorité de la concurrence leur donne totalement raison ce jeudi 9 avril. Elle ordonne des mesures d’urgence dans le cadre de la procédure de mesures conservatoires : dans un délai de trois mois, Google doit “conduire des négociations de bonne foi avec les éditeurs et agences de presse sur la rémunération de la reprise de leurs contenus protégés. Cette négociation devra couvrir, de façon rétroactive, les droits dûs à compter de l’entrée en vigueur de la loi le 24 octobre 2019.” Les injonctions faites par l’autorité de la concurrence à Google Dans le cadre des mesures d’urgence ordonnées par l’Autorité, Google devra négocier de bonne foi avec les éditeurs et agences de presse qui en feraient la demande, et selon des critères transparents, objectifs et non discriminatoires, la rémunération due à ces derniers pour toute reprise des contenus protégés. Cette négociation devra aussi couvrir, de façon rétroactive, la période commençant dès l’entrée en vigueur de la loi sur les droits voisins, soit le 24 octobre 2019. Cette injonction impose que les négociations aboutissent effectivement à une proposition de rémunération de la part de Google. – Google devra conduire les négociations dans un délai de 3 mois à partir de la demande d’ouverture de négociation émanant d’un éditeur de presse ou d’une agence de presse – Ni l’indexation, ni le classement, ni la présentation des contenus protégés repris par Google sur ses services ne devront en particulier être affectés par les négociations. -Google devra fournir à l’Autorité des rapports mensuels sur la manière dont elle se conforme à la décision. Ces injonctions demeureront en vigueur jusqu’à la publication de la décision au fond de l’Autorité. Interrogé jeudi 9 avril par mind Media, Marc Feuillée, directeur général du Groupe Figaro, vice-président de l’Alliance de la presse d’information générale (APIG) et président du SPQN, se félicite que les dirigeants des médias d’information et des agences aient été entendus : “C’est une formidable décision, très claire, qu’on attendait et qui fait droit à toutes nos demandes. Nous souhaitions depuis le début – notre combat pour défendre nos droits a débuté il y a huit ans – des discussions et un accord. Une loi a été nécessaire et elle doit à être respectée. L’information et l’actualité représentent un usage essentiel des internautes sur les plateformes. Google et Facebook disent régulièrement vouloir “aider le journalisme de qualité”. Soit ! Mais nous ne voulons pas des “aides”, nous voulons des partenariats, avec la rémunération de notre travail et de la valeur qu’on crée par nos contenus, qui sont repris par les plateformes et à partir desquels une valeur est créée et accaparée sans partage. C’est ce que nous allons pouvoir enfin commencer à discuter avec Google et toutes les autres plateformes”. Google se conformera à la décision interrogé par mind Media, Google a indiqué dès jeudi 9 avril qu’il se conformera à cette décision. “Depuis la transposition en France de l’article 15 de la directive européenne sur le droit d’auteur, nous discutons avec un grand nombre d’éditeurs de presse afin d’accroître notre soutien et nos investissements au profit du secteur de la presse. Nous nous conformerons à la décision de l’Autorité de la concurrence que nous sommes en train d’analyser, tout en poursuivant ces négociations”, souligne Richard Gingras, vice président news de Google. Les éditeurs de presse ont donc entièrement obtenu satisfaction. C’est une décision prise en urgence afin de faire cesser un préjudice qui a été reconnu : l’instruction au fond par l’Autorité de la concurrence de la plainte déposée par les éditeurs et agences de presse va se poursuivre afin de déterminer si ces pratiques relèvent également d’un abus de position dominante. C’est un tournant dans les relations entre Google et les médias français. Rappelons que Facebook avait adopté la même position que Google. Les éditeurs de presse avaient affiché leur intention d’agir d’abord contre Google et ensuite contre toutes les autres plateformes. A RELIRE Notre synthèse sur les positions des acteurs et sur la gestion des éventuelles indemnités Deux organismes de gestion des droits envisagés Ce sont au moins plusieurs centaines de millions d’euros qui sont en jeu par an. Le plus difficile commence désormais, avec deux enjeux. D’abord quantifier la “rémunération” pour la reprise des contenus à laquelle les éditeurs et agences ont droit. Il faudra trouver des éléments objectifs pour quantifier la valeur des contenus créés par les éditeurs et agences puis captée par les plateformes, avant de parvenir à des accords avec elles (Google, Facebook, Microsoft/Bing, Yahoo, Twitter, LinkedIn, etc). La loi du 24 juillet 2019 sur les droits d’auteurs impose sur ce point une gestion collective des discussions et des fonds qui en découleront. Sur ce dossier, Pierre Louette, PDG des Echos et du Parisien, a reçu mandat depuis l’automne 2019 pour représenter les éditeurs de presse dans les discussions avec les plateformes, en lien avec l’APIG. Le dossier est suiv de manière opérationnelle par Pierre Petillault, directeur général de l’APIG depuis janvier (sa fiche LinkedIn), et Samir Ouachtati, directeur adjoint (sa fiche LinkedIn). Dans le cadre d’une session de travail avec les membres du Geste, fin janvier, Laurent Bérard-Quélin, président du FNPS, la fédération de la presse spécialisée et professionnelle, et par ailleurs directeur général délégué de la Société Générale de Presse (sa fiche LinkedIn), avait rappelé le consensus des éditeurs de presse pour ce principe d’une gestion collective des droits. Il avait aussi présenté un point d’étape sur la mise en application envisagée de la loi. Deux organismes de gestion collective peuvent être utilisés : le CFC, qui travaille déjà avec les éditeurs, ou la SACEM, voire une collaboration des deux (un compte-rendu de cette séance est disponible sur le site du Geste). Un partage des revenus à négocier entre éditeurs Deuxième enjeu : la question du partage des revenus entre les médias et agences. Les éditeurs et agences ont fait front commun jusque-là et la création de l’APIG, à l’automne 2018, pour fédérer tous les éditeurs de presse quotidienne et régionale d’information, a été une avancée notable pour mettre en sourdine les intérêts divergents et être plus audible. Mais le point pourrait redevenir épineux. Quels sont les structures concernées par les droits voisins ? La loi sur les droits d’auteurs du 24 juillet 2019 a prévu un périmètre : le dispositif concerne les agences de presse et les éditeurs de presse qui éditent une publication de presse ou un service de presse en ligne. Donc avoir un numéro CCPAP est un pré-requis indispensable pour entrer dans le champ d’application de la loi. La loi fixe également les critères de rémunération, via l’article 218-4 : “La fixation du montant de cette rémunération prend en compte des éléments tels que les investissements humains, matériels et financiers réalisés par les éditeurs et les agences de presse, la contribution des publications de presse à l’information politique et générale et l’importance de l’utilisation des publications de presse par les services de communication au public en ligne.” La répartition des nouveaux revenus qui seront versés par les plateformes est un enjeu crucial et sensible. Certains éditeurs soupçonnent les éditeurs les plus puissants – ceux à la tête des titres quotidiens – de vouloir orienter les critères en faveur de leurs groupes. Marc Feuillée nous indiquait dans un long entretien en décembre 2019 qu’une disctinction lui semblait naturelle, basée sur le type de contenus publiés, les effectifs des médias pour les produire et le volume d’audience, et basée sur le texte de loi : “Je vois trois critères clairement établis par la loi. Premièrement, un critère de valorisation des contenus et de leur contribution à l’intérêt général, aux enjeux démocratiques. Le caractère IPG d’une publication ouvre donc des droits supérieurs aux publications qui ne possèdent pas ce caractère IPG. Toutes les informations publiées n’ont pas la même valeur et le même intérêt pour la société. Le deuxième critère que pose la loi est celui des investissements, donc des efforts réalisés par l’éditeur ou l’agence pour produire ses contenus éditoriaux. Le nombre de journalistes salariés par la publication ou l’agence me semble ici un élément naturel de distinction. Enfin, troisième critère posé par la loi : l’audience des contenus diffusés sur les plateformes. Il me semble logique que le rémunération des médias puisse être proportionnelle aux audiences touchées. Ce ne sont pas des critères rédhibitoires pour les éditeurs et agences CCPAP, mais ce sont des éléments d’appréciation pour fixer le niveau de rémunération.” (lire l’entretien complet ici sur mind Media). Jean-Michel De Marchi Alliances éditeursDroits voisinsDuopoleFinancementGoogleLobbyingRéglementation Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind À lire Droits voisins : les éditeurs fustigent la position de Facebook, identique à Google Entretiens gratuit Marc Feuillée (Groupe Le Figaro) : "Il faudra une adaptation de la loi sur les droits voisins si nous n'arrivons à rien de concret avec les plateformes" Google veut rémunérer certains éditeurs français pour leurs contenus Droits voisins : l’Autorité de la concurrence envisage de contraindre Google à négocier essentiels Nos synthèses et chiffres sur les principales thématiques du marché Les mutations du search à l'ère de l'IA générative L'application inaboutie de la loi sur les droits voisins Google vs DOJ : tout ce qu'il faut savoir sur le procès qui pourrait redéfinir l'adtech L’essentiel sur les identifiants publicitaires La transformation du marché publicitaire en 2024 2023 : le marché publicitaire doit se préparer à la fin du tracking utilisateur Comment l’intelligence artificielle générative bouleverse les médias Les enjeux réglementaires des médias en 2023 analyses Les articles d'approfondissement réalisés par la rédaction Adtech : pourquoi la Commission européenne sanctionne Google de près de 3 milliards d’euros Retail media : une consolidation indispensable des régies pour répondre aux attentes des acheteurs publicitaires IA et monétisation des contenus : comment l’IAB Tech Lab veut contrôler les robots crawlers Droits voisins : l’Apig veut introduire une plainte contre Meta devant l'Autorité de la concurrence Paul Boulangé (Starcom France) : "Nous sommes en train de déployer Captiv8 en France, notre solution d'automatisation du marketing d'influence" Claire Léost devient DG de CMA Média, WPP Media promeut Stéphanie Robelus… Comment les SSP généralistes investissent le secteur du retail media Bénédicte Wautelet (Le Figaro) : “Toute solution qui utilise de l’IA en rapport avec nos contenus doit y être autorisée et nous rémunérer” Aides à la presse : combien les éditeurs ont-ils perçu en 2024 ? 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