Accueil > Médias & Audiovisuel > Transformation & Innovations > Les paywalls en France : stratégies, mise en place et premier bilan Les paywalls en France : stratégies, mise en place et premier bilan Dans la lignée des expériences menées depuis 2011 - 2012 par plusieurs éditeurs américains et anglais (USA Today, Los Angeles Times, Financial Times, Wall Street Journal, New York Times...), de plus en plus de groupes médias français font le choix, depuis le début d’année, d’installer un paywall au compteur sur leur site. Ils suivent en cela l’exemple de La Voix du Nord et des Echos, pionniers, dès 2012, dans cette nouvelle stratégie en France. Le mécanisme implique pour l’internaute la souscription d’un abonnement après la consultation gratuite d’un nombre de contenus dans le mois (5, 10, 20...). Comment le passage au paywall a-t-il été mis en place par les éditeurs français ? Quel est l’impact sur leurs abonnements, les audiences et revenus publicitaires ? Quelle stratégie marketing et commerciales mettent-ils en oeuvre pour accompagner ce dispositif ? Satellinet a interrogé Les Echos, Le Groupe La Voix (Rossel), Le Télégramme, Atlantico et La Dépêche du Midi, pour dresser un premier bilan de ces modèles économiques. Par . Publié le 29 septembre 2014 à 6h15 - Mis à jour le 29 septembre 2014 à 6h15 Ressources Selon l’Observatoire de l’e-Pub du SRI, la publicité en ligne a généré 1,44 milliard d’euros de chiffre d’affaires net au 1er semestre 2014 en France, en hausse de 3 % par rapport au 1er semestre 2013. Une progression trop faible pour couvrir à elle seule l’ensemble des besoins de financement des éditeurs et qui cache d’importantes disparités. Ainsi, le tarif du CPM pour le display traditionnel stagne à un niveau très bas ou diminue quand les opérations spéciales génèrent plus de chiffre d’affaires. Pour développer de nouveaux revenus, les éditeurs tentent donc de mettre en place d’autres modèles, basés sur des offres payantes. Si le freemium – qui associe des contenus gratuits à d’autres réservés aux abonnés – peut être adapté à des sites produisant une grande quantité d’articles et bénéficiant d’audiences conséquentes (leMonde.fr, LeFigaro.fr…), d’autres éditeurs préfèrent le paywall au compteur. « Le passage au paywall suppose un changement de modèle économique et éditorial à long terme. C’est une stratégie d’entreprise globale qui ne peut être validée que sur plusieurs années », indique cependant Samuel Petit, rédacteur en chef du Télégramme. Coûteux à mettre en place en termes de développement, le paywall au compteur doit également s’accompagner d’une refonte de l’offre éditoriale et commerciale. Il implique alors une stratégie poussée autour de la collecte, de la qualification et de l’utilisation des données pour mener des campagnes ciblées et augmenter la conversion – qui reste faible – des internautes réguliers en abonnés payants. Dans une optique de “test and learn” et d’optimisation continue des dispositifs pour ne pas impacter durement les revenus publicitaires, les éditeurs procèdent encore, pour la plupart, à des ajustements, notamment sur le nombre et la nature des contenus laissés en accès gratuit. DES DISPOSITIFS VARIÉS QUI DEMANDENT UNE GRANDE PRÉPARATION Pour tous les éditeurs interrogés, la mise en place du paywall a été un processus relativement long (entre six mois et un an), nécessitant la mise en place d’équipes dédiées. Outre le développement du dispositif, le paywall implique un travail d’analyse des audiences, effectué pendant plusieurs mois en amont, afin d’identifier les paliers de consommation les plus pertinents et surtout évaluer le nombre d’internautes les plus susceptibles d’être convertis en abonnés. Cette phase s’accompagne souvent d’une analyse comparative de sites ayant déjà opté pour ce modèle. Ce fut par exemple le cas en 2012 par Les Echos avant la mise en place de son paywall en octobre. « Il est très délicat d’isoler une partie du site pour évaluer le paywall par des tests A/B. Nous avions donc réalisé une étude de marché sur plusieurs sites de contenus payants anglo-saxons, avec une attention particulière pour le Financial Times – dont notre modèle est assez proche – avant de décider de quitter le modèle freemium pour un paywall au compteur », explique Sophie Gourmelen, directrice de la diffusion, du marketing et de la communication du groupe Les Échos. Sur LesEchos.fr, le dispositif a été mis en place avec un compteur d’abord fixé à 20 articles accessibles gratuitement chaque mois (15 articles gratuits, les cinq suivants nécessitant de remplir un formulaire, et le 21e devenant payant), avant d’être progressivement réduit jusqu’au dispositif actuel : 5 articles gratuits avant un formulaire à remplir, qui donne accès à trois contenus gratuits supplémentaires, l’abonnement étant requis à partir du 8e contenu. De son côté, LaDepeche.fr a averti et préparé ses internautes quelques mois avant l’installation de son paywall, en février 2014. « Dès septembre 2013, nous avons introduit un “register wall” (mécanisme bloquant tout ou partie de l’accès gratuit à un site web par un formulaire d’inscription à remplir, ndlr) avec lequel nous demandions à l’internaute son mail, son sexe et son code postal. Sur les 120 000 internautes identifiés comme étant notre coeur de cible, près de 80 000 personnes se sont inscrites », indique Michaël Bourguignon, président de la Dépêche Interactive. Cette phase a nécessité un important travail d’information et de suivi avec les internautes. « Nous avons fait appel à une société de modération, Atchik Services, pour répondre aux internautes en temps réel et leur expliquer pourquoi nous mettions fin à dix ans de gratuité sur le site », poursuit-il. Le paywall de LaDepeche.fr est uniquement appliqué sur les articles locaux, considérés comme « la seule valeur ajoutée exclusive du site » par ses responsables et dont la consultation est limitée à 20 contenus par mois. Les articles portant sur l’actualité nationale et internationale, ainsi que les articles consultés via Google.fr et les réseaux sociaux ne sont pas inclus dans le dispositif, afin de faire découvrir le site à une audience non captive. Une stratégie également mise en place par Les Echos durant les premiers mois après le lancement de son paywall, en 2012 et 2013. Sur Ladepeche.fr, un compteur visuel a par ailleurs été mis en place pour informer l’internaute de sa consommation en temps réel. Au contraire, pour ne pas rendre son offre trop complexe, le Groupe La Voix (Rossel) – dont le paywall a été installé sur lavoixdunord.fr durant l’été 2012 par Audaxis, agence web du groupe Rossel -, a fait le choix d’inclure la totalité des contenus au sein du dispositif. Le seuil a été fixé dès l’origine à cinq articles gratuits, puis cinq nécessitant une inscription (e-mail, mot de passe, nom, sexe, adresse complète, et deux opt-in pour accepter de recevoir les offres du groupe et de ses partenaires). L’abonnement devient obligatoire à partir du onzième contenu consulté le premier mois, et dès le sixième les mois suivants. Outre son offre phare lavoixdunord.fr, le groupe mène des tests sur d’autres sites édités (nordeclair.fr, nordlittoral.fr, courrierpicard.fr), avec des paywalls dont les modalités sont différentes. L’objectif est ensuite de pouvoir comparer les résultats d’un site à l’autre. « Sur courrierpicard.fr, nous venons de limiter le dispositif à un seul article gratuit, dans une logique d’expérimentation, après avoir initialement opté pour dix articles gratuits, et dix après inscription. Pour lavoixdunord.fr, une réflexion porte désormais sur la pertinence d’intégrer les pages d’accueil des villes dans le compteur. Car de nombreux d’internautes se contentent de lire les titres des articles agrégés sur ces pages sans cliquer sur les articles », indique Bruno Jauffret, directeur du développement numérique du Groupe La Voix du Nord. Au Télégramme, la mise en place du paywall, fin janvier 2014, a été couplée avec une refonte du site en responsive design et le lancement d’une nouvelle formule papier. Le dispositif se déclenche après la lecture de trois contenus gratuits, à l’issue de laquelle l’internaute doit remplir un formulaire (mail, mot de passe, téléphone, commune, date de naissance) ou s’inscrire via son compte Facebook, pour bénéficier de trois articles supplémentaires. En mai dernier, le pure player Atlantico, basé jusqu’ici sur un modèle entièrement gratuit, a lui aussi installé un paywall limité à cinq articles, en s’inspirant du site américain The Dish, lancé en 2013 par Andrew Sullivan (ex-The Atlantic et The Daily Beast). « Le paywall nous semblait le modèle plus adapté à notre structure, car le freemium nécessite la production d’un grand nombre de contenus, et un modèle tout-payant nous aurait totalement privés de revenus publicitaires et aurait rendu plus complexe la conversion de nouveaux internautes, alors que nous sommes encore dans une phase de construction », estime Jean-Sébastien Ferjou, cofondateur et directeur de la publication d’Atlantico. Dans la mise en place et le suivi de son paywall, le site – qui est peu dissert sur ses objectifs chiffrés – est accompagné par son agence de conseil et développement habituelle, Palpix. PAS DE PERTE D’AUDIENCE Concernant les sites et applications mobiles, les éditeurs interrogés ont globalement fait le choix aujourd’hui d’y appliquer les mêmes paramètres du paywall que ceux de leurs sites. Cela n’a pas toujours été le cas : lors de son lancement à l’automne 2012, le paywall des Echos n’était pas activé sur son écosystème mobile (sites et applications) afin de ne pas freiner la croissance des audiences. Ses mobinautes désormais sensibilisés au payant, cela a changé depuis : le site mobile intègre un paywall, tandis que l’application LesEchos.fr a disparu au printemps dernier au profit du payant d’une part, du direct d’autre part. Une nouvelle application (« Les Echos Journal ») propose en effet uniquement l’achat des éditions du quotidien, et une nouvelle application dédiée à l’information en direct a été lancée (Les Echos Live). Quel que soit le nombre de contenus laissés librement accessibles, les premiers bilans réalisés par les éditeurs semblent indiquer que les paywalls correctement ajustés n’ont pas d’impact négatif sur le nombre de visiteurs uniques. « Nous craignions initialement une baisse des audiences et des revenus publicitaires, mais notre audience a au contraire progressé, en passant de 3,2 millions de VU en juin 2013, selon Médiamétrie//NetRatings, à près de 3,8 millions aujourd’hui. Sans doute grâce au développement éditorial et marketing du site », indique Sophie Gourmelen (Les Échos). Bruno Jauffret, du Groupe La Voix (7,6 millions de VU mensuels revendiqués pour l’ensemble des sites) estime également que le paywall n’a pas freiné la progression de l’audience, qu’il attribue aux investissements numériques du groupe mis en place il y a deux ans, et notamment au caractère « réellement bimédias des rédactions, avec des journalistes mieux formés, produisant plus de contenus et bénéficiant de nouveaux outils ». Le groupe envisage de générer 4 millions d’euros de revenus publicitaires en 2014, contre 3 millions d’euros en 2012. En revanche, un léger recul du nombre de pages vues est parfois constaté par les éditeurs. Pour ladepeche.fr, elle serait de l’ordre de 5 % depuis la mise en place du paywall. « Cela ne remet pas en question l’installation du paywall et la coexistence du payant et du gratuit. Le modèle est viable si on compense la baisse des pages vues par une meilleure commercialisation. Par exemple il existe aujourd’hui une quantité d’espaces publicitaires invendus non négligeables, que nous cherchons à mieux vendre grâce au RTB en travaillant avec La Place Media », indique Michaël Bourguignon. De son côté, Le Télégramme, qui fait face à la concurrence directe de Ouest France, s’attend à une baisse de ses audiences à moyen terme. « Mais le repli est pour l’instant en dessous de ce qui était attendu », selon Samuel Petit. « Cette baisse est largement compensée par la hausse des abonnements numériques, qui a globalement doublé depuis le début de l’année. D’autant plus que les recettes publicitaires continuent de progresser, sous l’effet de la meilleure qualification des audiences », poursuit-il. Il reste en revanche discret sur le nombre exact d’abonnés aux sites et sur son évolution. DÉVELOPPEMENT DES ABONNEMENTS EN LIGNE Comme au Télégramme, l’ensemble des éditeurs interrogés affirment que la mise en place du paywall a entraîné une augmentation assez marquée du nombre d’abonnés. La Voix du Nord totalise ainsi 6 000 abonnés numériques (dont la moitié environ ayant souscrit à l’offre 100 % numérique à 14,9 euros par mois, 59 euros par trimestre ou 219 euros par an et l’autre moitié à la formule « 3 jours + web », à 24,9 euros par mois). Le chiffre était de 2 200 en août 2013. S’y ajoutent 15 000 abonnés papier ayant activé leur abonnement numérique. Une augmentation encourageante, mais pas assez rapide, estime de son côté Bruno Jauffret, (Groupe La Voix). Selon lui, le taux de conversion des internautes réguliers (entre 50 000 et 100 000 personnes selon les critères) en abonnés payants demeure faible. Le groupe envisage de réaliser un million d’euros de ventes numériques en 2014, avec un objectif de 7 500 abonnés numériques en décembre. Les ventes au numéro ou les accès au site pendant 24 heures affichent des résultats jugés par ailleurs « très décevants ». « Le paywall doit être accompagné d’un système de tracking et d’une analyse de l’audience poussée et centrée sur la vente, et plus uniquement sur la publicité. La réflexion autour du e-CRM représente un grand chantier, centralisé au niveau du Groupe Rossel », indique également Bruno Jauffret. Un constat partagé par Les Échos, pour qui le nombre d’abonnés numériques a progressé de 70 % lors de la première année de son lancement, en octobre 2012, et de 40 % la deuxième, pour atteindre 22 000 abonnés numériques aujourd’hui, à15 euros mensuels. « La viabilité des paywalls dépend aussi de l’efficacité du marketing déployé pour qualifier les internautes et mettre ensuite en place un programme CRM pour les fidéliser et les convertir en abonnés », indique Sophie Gourmelen. Pour la collecte et la qualification des données, qui repose sur un système de cookies, le groupe travaille avec Ezakus, par ailleurs partenaire technologique pour la commercialisation des espaces publicitaires en RTB sur Audience Square. Des tests A/B sont menés pour évaluer différentes façons de présenter les offres payantes, en faisant évaluer la longueur du formulaire et les différentes questions posées, afin d’observer les différents taux de conversion. Deux ans après sa mise en place, le dispositif du site d’information économique est toujours en phase d’optimisation. Pour sa part, La Dépêche du Midi totalise 3 800 abonnés numériques uniquement pour cette offre (1,99 euro par semaine). Son objectif, qui était de réaliser 300 000 euros de revenus issus du paywall en 2014, a été atteint dès cet été, mais le rythme des abonnements se stabilise. « Nous allons donc lancer une nouvelle offre en fin d’année et éventuellement revoir les paramètres du paywall à la baisse. Le modèle économique se construit au fur et à mesure, en concertation étroite avec notre régie publicitaire, notamment en matière de stratégie liée aux données, qui est centralisée au niveau du groupe en partenariat avec Cabestan (plate-forme SaaS de gestion des campagnes marketing, ndlr) », indique Michaël Bourguignon (La Dépêche Interactive). De son côté, Atlantico (qui propose une offre mensuelle à 4,90 euros, et annuelle à 49 euros) vise 20 000 abonnés fin 2015, soit entre 7 et 10 % de son coeur de cible, composé de 200 000 à 300 000 internautes. Pour cela, le site mise principalement sur la qualité et l’enrichissement de ses contenus. « L’objectif à long terme est de générer la moitié de nos revenus de la publicité et l’autre moitié des solutions payantes », indique Jean-Sébastien Ferjou. Pour Atlantico et pour les autres sites, pour transformer leur audience en abonnés fidèles et valider leur expérience du paywall, les éditeurs devront continuer leurs efforts en marketing et proposer des contenus de qualité. Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind essentiels Nos synthèses et chiffres sur les principales thématiques du marché Les mutations du search à l'ère de l'IA générative L'application inaboutie de la loi sur les droits voisins Google vs DOJ : tout ce qu'il faut savoir sur le procès qui pourrait redéfinir l'adtech L’essentiel sur les identifiants publicitaires La transformation du marché publicitaire en 2024 2023 : le marché publicitaire doit se préparer à la fin du tracking utilisateur Comment l’intelligence artificielle générative bouleverse les médias Les enjeux réglementaires des médias en 2023 analyses Les articles d'approfondissement réalisés par la rédaction Adtech : pourquoi la Commission européenne sanctionne Google de près de 3 milliards d’euros Retail media : une consolidation indispensable des régies pour répondre aux attentes des acheteurs publicitaires IA et monétisation des contenus : comment l’IAB Tech Lab veut contrôler les robots crawlers Droits voisins : l’Apig veut introduire une plainte contre Meta devant l'Autorité de la concurrence Paul Boulangé (Starcom France) : "Nous sommes en train de déployer Captiv8 en France, notre solution d'automatisation du marketing d'influence" Claire Léost devient DG de CMA Média, WPP Media promeut Stéphanie Robelus… Comment les SSP généralistes investissent le secteur du retail media Bénédicte Wautelet (Le Figaro) : “Toute solution qui utilise de l’IA en rapport avec nos contenus doit y être autorisée et nous rémunérer” Aides à la presse : combien les éditeurs ont-ils perçu en 2024 ? 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