Armand Heslot (CNIL) : « De nombreuses CMP ne permettent pas d’obtenir un consentement de l’utilisateur »

Image à la une de l'article Armand Heslot (CNIL) : « De nombreuses CMP ne permettent pas d’obtenir un consentement de l’utilisateur »
La plupart des éditeurs et acteurs qui collectent des données personnelles tardent à se mettre en conformité avec le RGPD et profitent d'un moratoire accordé par la CNIL. L'un des points épineux concerne la mise en place des consent managements plateform (CMP) pour recueillir et traiter le consentement internaute : une CMP revêt-elle des critères UX design pour être compliante ? Comment déterminer un consentement "libre" et "éclairé" ? Une CMP peut-elle faire accepter ou refuser d’un bloc l’ensemble des cookies ? Armand Heslot, ingénieur au service de l’expertise technologique de la CNIL, livre quelques réponses.
Cet article vous est proposé gratuitement par la rédaction.
Lancez votre essai gratuit de 15 jours pour découvrir l’ensemble de nos contenus

Une CMP est-elle obligatoire pour un éditeur média ou un vendeur publicitaire qui collecte des données ?

Non, mettre en place une CMP n’est pas une obligation légale. En revanche, tout éditeur d’un site web a l’obligation légale d’obtenir le consentement des internautes avant le dépôt de cookies ou l’utilisation d’autres techniques couvertes par l’article 32-2 de la loi Informatique et Libertés. La loi n’impose aucune solution technique aux éditeurs, que ce soit une CMP, un tag manager ou une solution développée en interne ; l’essentiel est que le consentement des internautes soit obtenu, et qu’en cas de refus aucun cookies ne soit lu ou écrit.

L’action positive comme le scroll après un bandeau d’information à la pose de cookies suffit-elle à recueillir valablement un consentement internaute ?

Oui, sous réserve que les cookies ne soient pas déposés avant cette action positive et que l’éditeur du site web fournisse aux internautes un moyen d’opposition efficace. Cette position est propre à la CNIL en France et pourrait être amenée à changer dans les mois qui viennent, par le biais d’une uniformisation de notre doctrine avec nos homologues européens et des évolutions à venir sur ePrivacy. Nous travaillons activement sur le sujet mais nous ne pouvons pas donner de calendrier précis pour le moment. Sur le fond, la définition de consentement devra à terme être totalement alignée sur celle de nos homologues.

Les CMP que l’on voit se développer actuellement sont-elles « compliantes » ? Avez-vous déjà initié des enquêtes liées aux CMP ?

La CNIL ne communique pas sur les enquêtes en cours. Nous n’avons pas réalisé d’analyse exhaustive des CMP. Mais on constate de très grandes disparités au niveau des modalités de mise en œuvre des CMP et notamment de leur interface utilisateur. Ce qui est certain, c’est que de nombreuses CMP ne permettent pas d’obtenir un consentement de l’utilisateur.

De plus, il ne faut pas oublier que les CMP ne sont pas des tag manager, c’est-à-dire que pour que le mécanisme soit effectivement conforme, il faut que les régies publicitaires prennent effectivement en compte le signal de consentement. Concrètement, cela signifie que si un internaute refuse de donner son consentement sur le site d’un éditeur, mais que les autres régies présentes sur le site ignorent ce refus, les traitements réalisés ne pourront pas être considérés comme licites.

Une CMP revêt-elle des critères d’UX design pour être « compliante » ?

Le design et l’UX des CMP doit permettre de garantir que le consentement est libre, spécifique, informé, univoque, et résulte d’un acte positif clair de la personne. Le RGPD et les lignes directrices du G29, endossées par l’EDPB (European Data Protection Board, ou en français, Comité Européen de la Protection des Données, l’organe européen indépendant qui contribue à l’application cohérente des règles en matière de protection des données au sein de l’Union européenne, ndlr) précisent quels sont les critères applicables.

Quels sont ces critères pour déterminer que le consentement est « libre » et « éclairé » ? Comment allez-vous évaluer la « privacy by design » ?

Concernant le caractère libre, cela signifie que le fait de consentir doit être un choix réel et non contraint de l’internaute, c’est-à-dire qu’il doit pouvoir accéder au site ou au service même s’il ne consent pas. De plus, donner son consentement doit être aussi facile que de ne pas le donner ou le retirer.

« Avant de consentir, l’internaute doit être informé notamment de l’identité du ou des responsables de traitement, de la finalité, de la possibilité de retirer son consentement et d’un éventuel transfert de données »

Par ailleurs ce consentement doit être indépendant d’une éventuelle acceptation de conditions générales. Concernant le caractère éclairé du consentement, cela signifie qu’avant de consentir – et j’insiste sur ce point – la personne doit être informée de l’identité du ou des responsables de traitement, de la finalité, des catégories de données traitées, de sa possibilité de retirer son consentement, d’une éventuelle prise de décision automatisée et d’un éventuel transfert de données vers des pays ne disposant pas d’une législation reconnue comme équivalente au RGPD.

Une CMP peut-elle tenter de faire accepter ou refuser d’un bloc par l’internaute l’ensemble des cookies ?

Une CMP peut proposer une acceptation ou un refus global, mais elle doit permettre à l’utilisateur de choisir individuellement les responsables de traitement auxquels il souhaite consentir. En effet, les lignes directrices sur le consentement précisent bien que le consentement doit être donné par responsable de traitement, précédé d’une information suffisante pour assurer la transparence sur les traitements.

Besoin d’accompagnement sur un sujet stratégique ?
mind Research vous accompagne dans vos enjeux stratégiques ou opérationnels liés au digital et à l'évolution de votre modèle, en vous fournissant rapidement des insights pour éclairer vos décisions et réduire les risques.

Dans sa recommandation de décembre 2013, la CNIL a indiqué que le consentement devait être obtenu par finalité. Notre compréhension à ce stade est que les traitements couverts par les CMP sont tous des traitements qui ont une finalité publicitaire. Dans ces conditions, demander un consentement global pour tous les destinataires est en ligne avec notre recommandation. Par contre, bien évidemment, l’utilisateur doit pouvoir refuser de façon globale aussi facilement qu’il peut consentir.

Avez-vous une analyse particulière voire différente sur la collecte et la gestion du consentement dans l’univers des applications mobiles ? Suffit-il pour un éditeur d’application de modifier ses conditions d’utilisation lors du téléchargement ?

Les règles applicables sont les mêmes pour les applications mobiles et les sites web, ce qui signifie donc que la modification des conditions d’utilisation ne permet pas d’obtenir un consentement. Les règles étant les mêmes, nos recommandations pour les acteurs de cet écosystème sont les mêmes que pour les éditeurs de site web.

La CNIL a mis en demeure les quatre principaux fournisseurs français de SDK dédié à la collecte de données mobiles géolocalisées à usage publicitaire. Avez-vous identifié d’autres techniques ou d’autres types d’acteurs publicitaires pour lesquels vous allez être particulièrement attentifs ?

La CNIL est attentive à l’ensemble des traitements publicitaires (dans sa dernière décision de mise en demeure de Vectaury le 8 novembre, la CNIL soulignait vouloir “sensibiliser les professionnels du secteur sur le manque de transparence dans les techniques de géolocalisation par le mobile » (…) “alors que la collecte de données à caractère personnel à des fins de profilage et de ciblage publicitaire, notamment à partir des lieux fréquentés par les personnes, connaît une forte croissance », ndlr).

« Concernant les plaintes déposées au Royaume-Uni par l’association Privacy International contre des acteurs publicitaires, certaines ont été déposées auprès de la CNIL qui va donc les traiter en coopération avec ses homologues »​

Quelle regard la CNIL porte-elle sur la mise en demeure de Facebook par l’Internet Society France pour manque de protection des données personnelles (lire ici), et sur les plaintes qui viennent d’être déposées au Royaume-Uni contre des acteurs des données publicitaires comme Criteo, Quantcast et Axciom (lire ici) ?

La mise en demeure adressée à Facebook est de la compétence des tribunaux civils. La CNIL a été informée de cette mise en demeure et nous suivons ce dossier, mais nous ne sommes pas compétents pour la traiter. Concernant les plaintes déposées par l’association Privacy International au Royaume-Uni contre des acteurs publicitaires, certaines ont été déposées auprès de la CNIL qui va donc les traiter en coopération avec ses homologues.

Le marché du marketing direct (l’emailing) repose beaucoup sur la prospection commerciale, dont la notion peut être élastique. Comment concilier la prospection avec le consentement préalable que suppose le RGPD ? Quelles vont être les critères de la CNIL ?

Ce sujet est assez éloigné des CMP. La CNIL travaille sur cet aspect et a récemment rencontré les associations professionnelles du secteur pour leur rappeler leurs obligations et présenter des solutions pratiques. La nécessité de se mettre en conformité avec la définition précisée du consentement et de veiller à disposer d’une base légale a été réaffirmée à cette occasion.

Comment gérer la collecte du consentement et la possibilité pour l’internaute de le modifier dans le cadre d’alliances entre propriétaires de données, par exemple pour le projet au sein du Geste pour un login unique commun à plusieurs éditeurs (lire ici) ?

Les règles pour le consentement sont les mêmes quels que soient les traitements concernés. Nous savons que certains éditeurs travaillent à un projet de login commun mais nous n’avons aucune information précise sur ce projet.

Allez-vous diffuser des guidelines pour aider les éditeurs et le marché publicitaire à se mettre en conformité avec le RGPD ?

Cela a déjà été fait. La CNIL et ses homologues ont réalisé plusieurs lignes directrices (consentement, transparence, prise de décision automatisée, droit à la portabilité, étude d’impact sur la vie privée…) dans le cadre du G29 puis de l’EDPB afin d’aider les entreprises à se mettre en conformité (par exemple ici).

Ces lignes directrices ont fait l’objet d’une traduction en français et d’une communication sur notre site (les lignes directrices d’application du RGPD sont disponibles ici, celles liées spécifiquement au consentement ici, ndlr). La CNIL continue de dialoguer avec les associations professionnelles, mais à ce stade, c’est bien aux responsables de traitement d’agir et de se mettre en conformité avec les guidelines de l’EDPB.

Armand Heslot
2017 Ingénieur au service de l’expertise technologique de la CNIL
2013 Ingénieur privacy puis responsable du pôle Privacy chez Solocal
2010 Ingénieur au service de l’expertise technologique de la CNIL ?
2008 Consultant chez Capgemini Consulting
Pour aller plus loin
RGPD : 11 éditeurs français ont créé leur propre consent management platform (CMP)
L’entrée en vigueur du RGPD a provoqué une multiplication du nombre de consent management platforms (CMP), ces outils qui permettent aux éditeurs de transmettre le…
17 octobre 2018
RGPD : 48 % des sites médias français disposent d’une CMP présumée valide
L’IAB France a publié jeudi 7 novembre une étude pour quantifier la mise en place des CMP par les éditeurs en France. Elle a été réalisée par…
7 novembre 2018

Voir tous les articles à ce sujet3

Nina Gosse (De Gaulle Fleurance & Associés) : « Le fondement de l’intérêt légitime n’est pas moins valide que le consentement »
Pour respecter le RGPD, une alternative au recueil du consentement est possible : l'intérêt légitime des sociétés. Elle est mise en avant par de nombreux…
Consentement au recueil des données personnelles : le marché français déjà dans la zone grise
Consentement ou intérêt légitime ? Le recueil de l’accord de l’internaute pour collecter et utiliser ses données personnelles est…
14 septembre 2018
RGPD : une grande partie du trafic français toujours sans information de consentement internaute
Quatre mois après l'entrée en vigueur du RGPD, seule la moitié du trafic français traité par Teads et Smart est accompagné d'une information…
Vous avez une information à nous partager ?
Article à retrouver dans La lettre mind Media n°404
Chaque mois, retrouvez l'essentiel de nos articles
Lundi 19 novembre 2018
Nos autres services
Research
La réalisation d'études sur-mesure : benchmark, panorama, newsletter personnalisée, contenus en marque blanche.
En savoir plus
Formations
Nos formations & masterclass : des formats courts pour le management, le coaching de dirigeants, la montée en compétence de profils junior.
En savoir plus
Events
Des conférences d'une demie journée dédiées aux problématiques du secteur et ouvertes à l'ensemble de l'écosystème.
En savoir plus
Ce que vous devez absolument lire cette semaine
Les contenus essentiels de la semaine sélectionnés par la rédaction.
Voir tout
Leboncoin contre Google : le tribunal a-t-il eu raison d’écarter les préjudices réclamés par Leboncoin à l’étranger ? 
Le Tribunal des activités économiques de Paris vient une nouvelle fois d’écarter sa compétence pour juger des préjudices publicitaires allégués hors de France par une entreprise française contre...
7 novembre 2025
Margarita Zlatkova arrive chez Seedtag, Adrien Masson nouveau DG d’Amazon Ads France…
Chaque semaine, suivez les mouvements et les nominations de l'écosystème.
Micropaiement : 200 000 transactions en septembre sur la plateforme vidéo TF1+
La fonctionnalité de micro-paiement déployée début septembre sur la plateforme de streaming vidéo TF1+ pour acheter des contenus supplémentaires, a...
7 novembre 2025
Marketing d’influence : l’UMICC et le CPA lancent un baromètre du marché
Selon une étude sur le marché de l’influence commerciale réalisée par l’Union des métiers de l’influence et des créateurs de contenus...
7 novembre 2025
Les articles les plus consultés du mois sur mind Media
Ce sur quoi les lecteurs cliquent le plus le mois dernier.
Ce sur quoi les lecteurs cliquent le plus le mois dernier.
1
Procès Google dans l’adtech : dernière ligne droite avant le verdict final
Lundi 3 novembre, Google et le DOJ ont déposé leurs conclusions écrites post-procès (“post-trial briefs”), dans le cadre de l’affaire opposant Google...
5 novembre 2025
2
Amazon Ads lance Amazon Publisher Cloud en France, avec les régies de M6 et TF1
Dans le cadre de sa stratégie d'enrichissement de son offre data, Amazon lance Amazon Publisher Cloud en France. M6 Unlimited et TF1 Pub sont ses premiers partenaires.
3
IA agentique : Dailymotion Advertising crée sa plateforme de marketing vidéo
Jeudi 6 novembre, Dailymotion Advertising a annoncé le lancement de sa plateforme agentique de marketing vidéo, baptisée “Ray”. Conçue pour transformer un...
6 novembre 2025
4
Identifiants alternatifs : ID5 acquiert TrueData aux États-Unis
L’adtech française ID5 a annoncé, mardi 4 novembre, l’acquisition de TrueData, société américaine spécialisée dans les graphs...
5 novembre 2025
5
NouveauMises à jour quotidiennes
Ads.txt : la liste des relations établies entre les éditeurs français et les vendeurs et revendeurs programmatiques
Depuis 2017, mind Media décrypte régulièrement les fichiers ads.txt des principaux éditeurs français. Nous les avons croisés avec les fichiers sellers.json des prestataires qui y figurent, pour...
4 novembre 2025
6
TV linéaire : comment Addside veut unifier le mediaplanning
Créée en 2022, Addside réunit les inventaires de la TV linéaire sur une unique plateforme, pour offrir aux agences une vision globale de leurs stratégies d’achat. Affirmant avoir presque atteint...
31 octobre 2025