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Emmanuel Crego
Directeur général Values Media
Pour commencer, il est important de faire la distinction entre la télévision linéaire (consommée à un moment précis, “en direct”) et non linéaire (dite de “rattrapage”). Les contraintes juridiques et techniques sont alors très différentes, tout comme les modes de diffusion. En France, pour le moment, est achetable en “mode programmatique” uniquement la TV non linéaire. Le marché y achète déjà des vidéos autour des programmes proposés en rattrapage, sur les 5 écrans : PC, mobile, tablette, consoles de jeux et télévision IPTV (via les portails des chaînes disponibles sur les boxes). La question principale concerne donc l’évolution, possible ou non, de la télévision linéaire en “programmatique”, marché de plus de 3 milliards d’euros selon l’IREP. Le développement de la consommation de la TV linéaire par IPTV (via les boxes) influence cette réflexion, ouvrant un nouveau champ des possibles grâce à la technologie.
De quel “programmatique” parle-t-on ?
Les avantages majeurs du programma¬tique sont l’automatisation des achats, les en¬chères en temps réel, la capacité de cibler l’individu (ou à minima un terminal), et la possibilité de personnaliser le message.Le premier avantage, l’automatisation du flux achat/vente, même si elle peut être améliorée, existe déjà en télévision. Les régies ont en ef¬fet développé des outils d’optimisation au¬tomatisée, reliés aux logiciels des acheteurs par échange de données Informatisées.En revanche, la capacité de cibler un indivi¬du ou un foyer, c’est-à-dire “l’adressabilité”, est pour le moment interdite. Depuis 1992, une chaîne nationale ne peut pas changer le flux de diffusion (à l’exception des décrochages pour les éditions locales de France 3). Si, dans cer¬tains pays, il est aujourd’hui possible de diffuser deux publicités différentes en même temps en fonction de critères géographiques, sociodémo¬graphiques ou comportementaux, une telle évo¬lution paraît peu envisageable à court et moyen terme dans l’hexagone, en dépit du lobbying exercé par différents acteurs. Le décret a notamment été mis en place, dans le but de protéger les médias locaux. Une évolu¬tion sur ce point paraît aujourd’hui incertaine. La personnalisation du message, qui découle de cette adressabilité, est donc au¬jourd’hui impossible. Puisque nous recev¬ons tous le même flux, y compris la public¬ité, nous voyons alors tous les mêmes spots. Enfin, en ce qui concerne les enchères en temps réel, il paraît peu probable que ce mode de com¬mercialisation soit un jour la norme, pour des rai¬sons d’optimisation du yield par les régies. L’espace publicitaire TV reste relativement restreint et les revenus sont très concentrés sur le prime time (de 20h à la fin de la première partie de soirée). L’absence de visibilité sur la demande et donc l’in¬ventaire à déployer avec un système d’enchères en temps réel et le risque technique de se retrouver avec un écran noir si l’insertion en temps réel ne fonctionne pas, ont des chances de dissuader les régies de déployer un modèle RTB en télévi¬sion… Ce qui n’empêche pas de mettre en place un système d’enchères plus en amont de la diffu¬sion, et non plus en temps réel. France Télévisions Publicité avait été précurseur, en lançant début des années 2000 ce type d’offre (Mediaexchange). En raison du cadre juridique, technologique et stratégique actuel, je ne pense pas que la télévi¬sion programmatique, selon une définition digi¬tale, soit réaliste même à moyen terme.
« » »En publicité TV, cibler un individu ou un foyer est interdit.” »
La technologie au service d’une meilleure segmentation de la télévision : la “TV avancée”
Avant que le contexte juridique évolue en faveur d’un plus grand ciblage par individus, nous pouvons d’ores et déjà apporter de la valeur ajoutée au marché publicitaire TV, à travers le concept de la “TV avancée”. Cette innovation consiste à disposer d’un échantillon statistique suffisamment robuste pour permettre de croiser des données d’audience avec des données tierces (données on/off line) et ainsi créer des cibles comportementales et intentionistes, donc autres que les socio-démographiques actuelles. Au-delà de pouvoir créer une grande quantité de cibles, la promesse se fait également sur la quantité des sources de données tierces disponibles, la fraicheur de ces données, et le fait de regrouper toutes ces analyses et optimisations sur le même outil. Nous observons déjà de très bonnes initiatives de certaines régies TV pour dépasser la cible socio-démographique et aller davantage vers des cibles “marketing”. Mais les sources sont limitées, externes aux outils d’achat, et rendent l’optimisation, toujours faîte manuellement, complexe et coûteuse… La technologie doit donc être capable d’intégrer ces différentes données et automatiser les optimisations des plans TV. Le flux d’achat ne peut être qu’automatisé pour pouvoir optimiser plusieurs KPI et critères en même temps, quasiment en temps réel et avec des outils d’analyses poussés.
La “TV avancée” peut déjà apporter de la valeur ajoutée au marché publicitaire TV.”
L’exemple Australien
d’affiner le ROI des campagnes sur d’autres critères que le GRP socio-démo. Donc analyser davantage l’impact de la TV à court et long terme dans l’ensemble du mix media. Evidemment, les acheteurs australiens peuvent opérer leurs achats digitaux sur la même plateforme. La télévision est un formidable levier, pas uniquement pour la notoriété et la préférence de marque, auxquelles on la limite souvent. Il est temps de prouver encore mieux son efficacité et ne pas la cantonner à « un média de masse », où le prix de la déperdition peut être parfois élevé… Si des possibilités d’évolution de la publicité sur TV sont possibles, il est inexact aujourd’hui de parler de télévision programmatique, surtout lorsque l’on se réfère à des modes de télévisions non linéaires. Il existe des possibilités pour les chaînes de télévision de mieux valoriser leurs inventaires. De même, il existe une véritable opportunité pour les annonceurs de mieux cibler leurs publics. Cette idée nécessite néanmoins de trouver un bon modèle économique entre divers acteurs : les régies, les fournisseurs de box, de technologies, les annonceurs et leurs agences, et également la mise en place d’un organisme tiers dont le rôle serait de collecter les données consommateurs, de façon indépendante, et les croiser avec les panels de box afin d’affiner la segmentation. Les conditions de marché sont cependant réunies ; nous n’en sommes donc plus très loin…
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