Accueil > Médias & Audiovisuel > Transformation & Innovations > Commercialisation publicitaire au temps passé : premier bilan en Angleterre et projets en France Commercialisation publicitaire au temps passé : premier bilan en Angleterre et projets en France Deux éditeurs, le Financial Times à l’automne 2014 et The Economist début novembre 2015, ont officiellement lancé des offres de commercialisation de leurs inventaires publicitaires au coût par heure (CPH). L’initiative, très observée par les éditeurs français, doit permettre de réévaluer à la hausse les inventaires publicitaires en ligne des régies ‘’premium’’. Si les premiers résultats sont encourageants, ces offres semblent réservées à un profil particulier d’éditeurs et d’annonceurs. Pour quels éditeurs le CPH est-il taillé ? Quelles sont leurs premières offres publicitaires ? Quels résultats pour les marques ? Où en sont les éditeurs français ? mind/Satellinet a interrogé le Financial Times, The Economist, Le Monde, L’Express, l’Udecam, Chartbeat et Admesher pour mieux comprendre cette nouvelle tendance qui pourrait se développer sur le marché. Par Aymeric Marolleau. Publié le 27 novembre 2015 à 18h41 - Mis à jour le 27 novembre 2015 à 18h41 Ressources S ur internet, l’attention est une denrée rare. Selon le Danois Jakob Nielsen, spécialiste reconnu de l’ergonomie des sites web, seuls 16 % des internautes pratiquent la lecture mot à mot sur un site : la plupart privilégient plutôt un déchiffrage en forme de F, concentrant leur attention sur le titre, le chapeau et le premier paragraphe, avant de descendre à toute vitesse vers le bas de l’article, en “scannant” les mots qui pourraient éveiller leur intérêt. Et selon une large étude menée par Chartbeat, société qui fournit des indicateurs liés à l’attention (pour Le Monde, le New York Times, Forbes ou encore Time), 55 % des internautes passent ainsi, en moyenne, moins de 15 secondes à lire le contenu d’une page web. Du coup, certains éditeurs, confiants dans leur capacité à mieux retenir l’attention de leurs lecteurs que leurs confrères, explorent de nouvelles voix de commercialisation publicitaire. Ainsi, le Financial Times (lire sur mind/Satellinet.fr) et The Economist (lire sur mind/Satellinet.fr), tous deux propriétés du groupe Pearson jusqu’à l’été 2015, proposent aux annonceurs d’acheter l’attention de leurs internautes sur une base horaire, plutôt qu’aux clics. La commercialisation au temps passé des campagnes en ligne peutelle constituer une alternative crédible aux traditionnels CPM et CPC ? Hausse des revenus pour les éditeurs The Economist a annoncé le lancement de son offre “Attention Buy” il y a quelques semaines. Dès le 4 novembre, le titre a mis en place une première campagne utilisant cette offre, avec une grande marque de luxe – qui préfère rester discrète. En pratique, il commence à facturer l’annonceur à partir de 5 secondes d’affichage de la publicité sur l’écran de l’internaute. Et encore, seulement à condition que celui-ci ait été actif, c’est-à-dire qu’il ait bougé sa souris ou fait défiler son écran. L’éditeur s’en assure grâce aux technologies de Chartbeat et MOAT Analytics, et interrompt toujours son compteur au bout de 30 secondes. Le journal n’a pas encore établi de grille tarifaire pour “Attention Buy”. “Nous mettrons en place des packages regroupant des sections du site et des formats particuliers. Les CPH diffèreront selon la qualité des packages achetés par les annonceurs”, précise le Français Nicolas Sennegon, chief revenue officer de The Economist. S’il manque encore de recul, l’hebdomadaire économique affirme que les premiers signaux sont encourageants : “les performances des campagnes sont bonnes, puisque le taux de clic est trois à quatre fois supérieur à une campagne classique”, assure Nicolas Sennegon. Un résultat qui sera nivelé avec le temps, notamment en prenant en compte les week-ends. Le chief revenue officer assure que l’intérêt est grand de la part des annonceurs. “Aux Etats-Unis, plusieurs ont déjà fait part de leur souhait de basculer dans ce mode d’achat. Et 20 à 25 % de nos conversations clients évoquent Attention Buy”, affirme-t-il. L’expérience du Financial Times est plus riche d’enseignements. Un an après avoir lancé son offre “Cost-per-hour”, le quotidien britannique assure qu’elle constitue déjà une réussite : elle aurait généré 2,2 millions de dollars de revenus qu’il n’aurait pas obtenus autrement, à travers 22 campagnes menées pour 17 annonceurs, dont BP et Microsoft. Le journal britannique leur a vendu des packages de 2 500 heures d’attention, à raison de 20 £ à 25 £ l’heure, selon la qualité et la rareté de l’audience choisie. Car le FT leur permet de trier ses 600 000 abonnés selon leur titre, leur secteur d’activité et leurs responsabilités. Comme The Economist, il ne commence à déduire leurs crédits qu’à partir du moment où une publicité a été visible pendant 5 secondes. Selon Alistair Smith, senior digital commercial strategy & insight manager du Financial Times, interrogé par mind/Satellinet, ces marques “ont pu constater par elles-mêmes que le temps d’exposition d’un internaute à une publicité a un impact significatif sur son attention et sa compréhension du message de l’annonceur”. De fait, selon une analyse menée en interne par le FT, sur six de ces campagnes, elles ont augmenté la mémorisation des publicités de 79 % et la notoriété de la marque de 71 % par rapport à des annonces visibles moins de cinq secondes. En outre, quatre annonceurs sur cinq ont renouvelé l’expérience. Si bien qu’en volume, le CPH compte déjà pour une part non négligeable de son activité publicitaire : 12 % de son inventaire vendu en octobre 2015. Le quotidien, propriété du japonais Nikkei depuis cet été, espère pousser cette proportion à 30 % en 2016. “””Le taux de clic est trois à quatre fois supérieur à une campagne classique.” Nicolas Sennegon The Economist” Pour des annonceurs “branding” Les CPH seuls peuvent-ils se généraliser ? Cela semble cependant difficile à envisager. Car ils se prêtent mieux au profil de certains éditeurs qu’à d’autres. “Ce mouvement concernera principalement les grandes marques médias qui veulent revaloriser leur inventaire display”, juge Raphaël Grandemange, président de la commission Digital de l’UDECAM. Les deux anciens titres du groupe Pearson ont effectivement en commun d’être des éditeurs de niche, avec des inventaires bien plus limités que certains concurrents de grande envergure. Par exemple, The Economist parvient à commercialiser 85 % de son inventaire pendant 7 à 8 mois de l’année. Sa problématique consiste donc à mieux valoriser l’inventaire vendu. En outre, leur audience, qualitative et engagée, se prête bien aux annonceurs “branding”, soucieux du temps d’exposition, plutôt qu’à la performance. Digiday rapporte ainsi que près de 85 % des publicités du Financial Times relèvent d’une démarche de branding, contre 41 % pour la publicité en ligne globale. Chez The Economist, le “branding” représente 75 % à 85 % des campagnes. “””Ce mouvement concernera principalement les grandes marques médias qui veulent revaloriser leur display.” Raphaël Grandemange, UDECAM et Starcom MediaVest Group” Temps de consultation élevé Par ailleurs, les deux éditeurs anglo-saxons revendiquent des temps moyens de consultation élevés sur leurs supports digitaux. Les utilisateurs du Financial Times passent ainsi 16 minutes par jour sur desktop, 20 minutes sur tablette, et 11 minutes sur mobile. Or, le FT vend entre 20 £ et 25 £ chaque heure de lecture. Ceux de The Economist ont un temps moyen de lecture de 7 minutes par visite sur son site internet, desktop et mobile (un tiers du trafic de TheEconomist.com) compris. Pour le FT, ces performances s’expliquent par la qualité de son contenu et son modèle par abonnement : “Si nous sommes en mesure de proposer une commercialisation au temps passé, c’est avant tout grâce à la qualité de notre journalisme. Le contenu est roi. Cela nous permet de retenir l’attention et l’engagement de nos lecteurs bien plus longtemps que la plupart des éditeurs”, souligne Alistair Smith. Pour les tenants de “l’économie de l’attention” – par opposition à l’économie du clic – sa raison d’être est justement de revaloriser le contenu dans une toile où le meilleur côtoie souvent le pire à quelques URL de distance. Lauryn Bennett est la directrice de marque de Chartbeat, qui fournit aux éditeurs des indicateurs pour mesurer l’attention de leurs lecteurs : “Nous aidons les éditeurs à identifier, comprendre et mieux monétiser les contenus que leurs visiteurs lisent vraiment, et ne se contentent pas de juste cliquer dessus. Les clics ne disent rien de l’engagement des lecteurs, or la réelle valeur d’un contenu réside dans l’attention qu’il a suscitée. Nos études montrent que plus une personne lit, plus elle est susceptible de revenir sur le site, avec sur elle un impact plus fort des publicités qui y figurent.” “””La valeur d’un contenu réside dans l’attention qu’il a suscité, pas dans le nombre de clics qu’il a généré.” Lauryn Bennett, Chartbeat” Les agences restent à convaincre Mais le Financial Times et The Economist peinent à convaincre les agences médias de la pertinence du CPH. “Cela fait plus de vingt ans qu’elles achètent leurs campagnes en ligne par la méthode du CPM. Pourtant, cette méthode n’est efficace que pour faire en sorte qu’un maximum de personnes cliquent sur une publicité, dans une démarche de reach et d’acquisition. Ce que le CPH offre aux annonceurs, c’est une plus grande notoriété, une plus grande mémorisation, et une meilleure prise en compte des publicités par des internautes qui y sont soumis plus longtemps. Or, ce sont ces bénéfices que les annonceurs “branding” attendent vraiment, pas des clics sur leurs bannières”, fait valoir Alistair Smith. Nicolas Ollier, cofondateur d’Admesher, société technologique qui applique des indicateurs d’attention aux contenus natifs – brand content, native advertising – partage ce constat. “Les annonceurs sont réceptifs, mais les agences sont plus frileuses car cette approche est très différente de celle à laquelle ils sont habitués”. Raphaël Grandemange, président de la commission Digital de l’UDECAM, association qui représente les agences médias en France, et directeur général de Starcom MediaVest Group, s’en défend : “C’est peut-être vrai pour les agences anglo-saxonnes, mais le marché hexagonal est plus mature, avec une plus grande sophistication. Les agences françaises ont une meilleure acceptation des nouvelles méthodologies et des nouvelles metrics.” Et en France ? Ce type d’offres basées sur l’attention peuvent-elles être utilisées par les éditeurs français ? Cela semble aujourd’hui peu évident. The Economist et le Financial Times peuvent se le permettre car ils ont des annonceurs captifs, rassemblent beaucoup d’abonnés et génèrent déjà beaucoup de revenus. Leurs contenus sont très particuliers, très documentés, très longs à lire. Il n’est pas certain que les contenus des médias français soient du même niveau. Du moins en nombre suffisant pour des campagnes puissantes. “En France, tout le monde regarde, mais personne ne travaille activement sur ce sujet. Aujourd’hui, je ne vois d’ailleurs pas qui pourrait le faire de manière efficace. Mais pour les sites avec beaucoup d’abonnés et dont les contenus sont très qualitatifs, ça reste une piste à explorer”, estime Arthur Millet, ex-directeur digital d’Amaury Media et actuel managing director de La Place Media. De fait, le Syndicat des régies internet (SRI), interrogé par mind/Satellinet, confirme que les éditeurs observent avec attention les initiatives de leurs confrères britanniques, mais n’ont pas encore testé de commercialisation au CPH. Quelques éditeurs ont néanmoins fait un premier pas dans ce sens, en amorçant des réflexions pour intégrer à leurs offres des indicateurs de temps. L’Express veut mieux valoriser le mobile C’est le cas de L’Express sur mobile. Le titre d’Altice Media Groupe regrette que les marques ne tiennent pas mieux compte de l’évolution des usages des lecteurs, qui adoptent de plus en plus les smartphones et tablettes. “Les annonceurs continuent de sous-estimer la publicité sur mobile, au profit de l’ordinateur, sous prétexte que les emplacements y sont plus petits, regrette Maude Menant, directrice commerciale Digital au sein du groupe Altice Média. Pourtant, les indicateurs de visibilité et de performance sont souvent meilleurs”. Pour mieux valoriser son inventaire web mobile, pour lequel L’Express a réalisé d’importants efforts – tous les sites ont adopté le responsive design cette année et la rédaction travaille 24h/24 – sa régie fait valoir la fidélité et l’engagement de son audience sur ce support, où le temps d’attention quotidien est supérieur à l’ordinateur. Le web mobile apporte en effet 56 % de l’audience de L’Express.fr, qui enregistre aussi deux fois plus de visites quotidiennes sur web mobile que sur ordinateur. Et 30 % de son audience mobile lui rend plus de quatre visites par jour, avec un temps passé moyen par page de huit minutes. “Une partie de notre audience mobile est très fidèle et captive, et notre DMP nous permet de l’identifier précisément”, fait valoir Maude Menant. Si bien que L’Express espère pouvoir proposer, au cours du premier semestre 2016, une offre publicitaire mobile qui intègre des critères d’attention – par exemple le temps passé à lire le contenu associé à une publicité, ou la récurrence des visites -, en plus de critères plus classiques comme le nombre de clics sur une bannière ou sa visibilité. Les annonceurs sondés par Maude Menant y sont plutôt favorables, mais “ils attendent de nous que l’on soit en mesure de leur apporter un maximum de garanties sur la transparence et le tracking de l’attention de nos lecteurs. Cela implique de trouver le bon partenaire certifié, de préciser l’inventaire concerné, et d’intégrer des indicateurs pertinents dans les bilans de campagnes. Nous y travaillons.” Le Monde débute par le native advertising Chez Le Monde aussi, on suit avec beaucoup d’intérêt les expériences anglo-saxonnes en faveur du coût par heure. “Nous croyons beaucoup à l’économie de l’attention ; cela peut évidemment nous permettre de mieux valoriser l’engagement sur nos emplacements publicitaires”, indique Arnauld de Saint Pastou, directeur des activités digitales de M Publicité. La première initiative de la régie du groupe a été de mettre en place des indicateurs d’attention au sein de ses dispositifs de native advertising. “Certaines agences nous demandent de nous engager non seulement sur le nombre de visites, mais aussi sur le temps passé sur la page par les internautes”, précise-t-il. Par exemple, à l’occasion du lancement par Netflix de la série Narcos, la régie a développé un “grand format”, c’est-à-dire un reportage multimédia immersif sur l’histoire du narcotrafiquant Pablo Escobar. Elle a mesuré, dans les premières semaines de diffusion, 70 000 visites, avec un temps de consultation moyen de 4 minutes. Elle peut atteindre 7 minutes sur les longs formats du site. Le Monde réfléchit aussi à mettre en place un mode de commercialisation au CPMV, où la lettre “V” renvoie à une visibilité réellement consentie, au temps d’exposition à la publicité. En pratique, un format vu 100 % pendant 5 secondes coûterait plus cher à l’annonceur qu’une publicité vue seulement à 50 % pendant 2 secondes. D’autres acteurs proposent depuis peu des offres de visibilité, comme Millenial Media, Widespace, AppNexus Viewable Deals ou encore Orange Advertising. Côté éditorial, pour accroître la récurrence des visites de ses lecteurs et le temps qu’ils consacrent à ses contenus, Le Monde mise sur la personnalisation de l’expérience. Via l’option “suivi d’actu”, les lecteurs de ses applications Le Monde et La Matinale lui font savoir les sujets qui les intéressent particulièrement, afin que la rédaction leur pousse ceux qui sont en lien. “””L’économie de l’attention peut nous permettre de mieux valoriser l’engagement sur nos emplacements publicitaires.” Arnauld de Saint Pastou,” Aymeric Marolleau CPH Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind À lire Comment Le Financial Times met en place le « coût par heure » pour mieux monétiser son site The Economist lance une offre publicitaire basée sur l'attention des internautes Economie de l'attention : le New York Times met en avant ses articles selon le temps passé à les lire Comment le Financial Times teste le temps de chargement de ses pages Comment le Financial Times met les données au service de ses newsletters The Economist : les annonceurs encore frileux sur ses offres publicitaires basées sur l’attention Stéphane Père présente la stratégie d'acquisition d'abonnés de The Economist Commercialisation au temps passé : The Economist satisfait essentiels Nos synthèses et chiffres sur les principales thématiques du marché Les mutations du search à l'ère de l'IA générative L'application inaboutie de la loi sur les droits voisins Google vs DOJ : tout ce qu'il faut savoir sur le procès qui pourrait redéfinir l'adtech L’essentiel sur les identifiants publicitaires La transformation du marché publicitaire en 2024 2023 : le marché publicitaire doit se préparer à la fin du tracking utilisateur Comment l’intelligence artificielle générative bouleverse les médias Les enjeux réglementaires des médias en 2023 analyses Les articles d'approfondissement réalisés par la rédaction Adtech : pourquoi la Commission européenne sanctionne Google de près de 3 milliards d’euros Retail media : une consolidation indispensable des régies pour répondre aux attentes des acheteurs publicitaires IA et monétisation des contenus : comment l’IAB Tech Lab veut contrôler les robots crawlers Droits voisins : l’Apig veut introduire une plainte contre Meta devant l'Autorité de la concurrence Paul Boulangé (Starcom France) : "Nous sommes en train de déployer Captiv8 en France, notre solution d'automatisation du marketing d'influence" Claire Léost devient DG de CMA Média, WPP Media promeut Stéphanie Robelus… Comment les SSP généralistes investissent le secteur du retail media Bénédicte Wautelet (Le Figaro) : “Toute solution qui utilise de l’IA en rapport avec nos contenus doit y être autorisée et nous rémunérer” Aides à la presse : combien les éditeurs ont-ils perçu en 2024 ? 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