Frédéric Daruty (Cerise) : “Le groupe est en train de réorienter son modèle”

La fermeture annoncée de Buzzfeed France signe-t-elle la fin des pure players basés sur la viralité sur les réseaux sociaux avec un modèle essentiellement publicitaire ?

Je ne connais pas l’organisation, le mode de production et la commercialisation publicitaire qu’avait déployé Buzzfeed en France et cette décision doit aussi correspondre à des choix financiers. Certes à côté de Ohmymag et Gentside, il y a beaucoup d’offres sociales qui s’adressent aux jeunes (On peut citer Melty, Demotivateur, Topito, Minutebuzz, Kombini, Vice, etc, ndlr) et de nouveaux médias qui arrivent, comme Brut ou Loopsider, mais je ne crois pas qu’on puisse généraliser à tous les pure players gratuits car les modèles sont différents les uns des autres. En revanche, l’annonce met en relief les conséquences de la décision de Facebook de faire évoluer son algorithme fin 2017. Il ne faut pas en être trop dépendant.

Depuis fin 2017, Facebook rend effectivement moins visible les publications des pages d’entreprise. Quel est l’impact pour le Groupe Cerise ?

Nous avons du revoir notre stratégie de distribution des contenus via Facebook. L’évolution de son algorithme a entrainé une baisse sensible du trafic en provenance de sa plateforme ; Facebook n’est plus une source de trafic majoritaire pour nos titres (Facebook génère environ 40 % de visites sur les différents sites du groupe Cerise, contre 60 à 80 % il y a un an, ndlr). Cela conduit à faire évoluer les stratégies d’acquisition d’audience. Nous ne communiquons pas les chiffres précis, mais le SEO redevient très important via Google, la syndication et les portails aussi.

Nous arrivons à maintenir nos audiences au même niveau qu’il y a un an : de l’ordre de 80 à 100 millions de visites mensuelles selon l’ACPM sur nos 12 sites (Gentside et Ohmymag sont déclinés en six langues, nldr). En France, Médiamétrie//NetRatings nous attribue 8 millions de VU mensuels sur l’internet global pour Ohmymag et 8,8 millions pour Gentside, soit 13 millions de VU mensuels dédupliqués au total.

“Le SEO retrouve un grand intérêt car l’audience apportée par Google redevient importante”.

 

Comment utiliser la puissance des plateformes sans en être dépendant, que ce soit pour la distribution des contenus ou leur monétisation ?

Il faut y être présent mais diversifier le plus possible les canaux utilisés, appliquer une stratégie la plus fine possible et l’ajuster rapidement si besoin. En bref en être le moins dépendant possible. Nous diversifions les sources en utilisant de plus en plus Pinterest et LinkedIn. Prochainement nous allons être sur Youtube, pas pour du renvoi de trafic mais pour des questions d’image et pour toucher des communautés, par exemple autour du e-sport. Je le disais précédemment, le SEO retrouve un grand intérêt car l’audience apportée par Google redevient importante. Nous développons également nos newsletters. L’audience est maintenant stabilisée. Mais au-delà de ces leviers d’acquisition, Cerise est en train de réorienter son modèle : nous voulons augmenter la qualité de l’expérience et placer l’internaute au cœur de nos préoccupations.

Comment se concrétise l’évolution de votre modèle ?

Entre avril et mai, nous avons mis en place des refontes importantes pour tous nos sites. Ils sont pensés d’abord pour le mobile. L’infrastructure technique, le parcours utilisateurs et les emplacements publicitaires ont été modifiés pour privilégier le temps de chargement des pages et l’expérience de l’internaute : quand un lecteur vient sur nos sites, il ne doit plus seulement regarder une vidéo et repartir. L’objectif est qu’il consulte d’autres contenus. Ces dernières semaines, le temps passé moyen a déjà été multiplié entre deux et trois selon les sites. Pour mettre en évidence notre réorientation auprès du marché publicitaire, nous venons de candidater à la troisième session de l’ACPM pour faire labéliser nos sites avec le Digital Ad Trust. D’ailleurs, le taux de visibilité de nos publicités est maintenant de 85 % en moyenne.

Quelles sont vos offres de contenus qui génèrent le plus d’audience ? Quel est votre modèle de production ?

Ohmymag et Gentside sont déclinés chacun en 6 langues. 55 % de 80 à 100 millions de visites mensuelles sont réalisées en France et entre 70 à 80 % via le mobile, voire 90 % en Amérique du Sud. L’Allemagne, l’Espagne et Les pays d’Amérique latine sont les pays où nous générons le plus d’audience derrière la France, mais l’Amérique latine est pour l’instant difficile à monétiser, les spécificités locales sont fortes. Nos dernières déclinaisons, pour le Brésil, l’Italie et le Royaume-Uni, sont en très forte croissance. Tous nos contenus sont réalisés en France, depuis nos bureaux de Paris et Lille. Sur Ohmymag, qui s’adresse aux jeunes femmes, les rubriques qui ont le plus de visites sont celles sur le lifestyle, la cuisine, le maquillage, les animaux de compagnie et les voyages. Pour Gentside, dédié aux jeunes hommes, ce sont les rubriques de sport et de e-sport, sur les sciences et plus original, sur l’Apéro.

“L’activité est toujours rentable. Nos revenus étaient d’un peu plus de 15 millions d’euros en 2017, contre 11,5 millions d’euros en 2016. Nous visons une progression d’au moins 20 % en 2018.”

Le marché publicitaire en ligne est difficile et la dépendance des médias envers Google et Facebook est réelle. Quel est l’impact sur les revenus de Cerise ? Comment faites-vous évoluer votre modèle économique ?

Notre chiffre d’affaires continue de progresser et l’activité est toujours rentable. Nos revenus étaient d’un peu plus de 15 millions d’euros en 2017, contre 11,5 millions d’euros en 2016. Nous visons une progression d’au moins 20 % en 2018. Maintenant que nos audiences ont été stabilisées, nous tentons d’optimiser nos activités publicitaires autour de trois axes : le header bidding pour accroître les revenus programmatiques, le brand content et de nouvelles offres.

Dans le détails, 10 % de nos revenus proviennent de partenariats globaux de long terme et incluent différentes offres (prestation de community management, production de contenus, brand content, publicités…), par exemple avec PMU et Yahoo, et 10 % via du brand content et des opérations spéciales : une quarantaine en 2017, notamment pour Netflix, Adidas et Braun. Les tickets varient beaucoup, de 10 000 à 20 000 euros pour des dispositifs ponctuels, et de 100 000 à 200 000 euros pour des dispositifs plus ambitieux et annuels. On vise la barre des 18 à 20 % de notre activité sur ce seul levier cette année ; le développement et la mise à disposition de notre nouveau studio vidéo va nous y aider.

Environ 80 % de nos revenus sont constitués par la publicité vidéo instream, le display classique, le native advertising et les newsletters. 90 % de nos inventaires publicitaires sont commercialisés sous forme programmatique – contre 70 % avant le rachat par Prisma Media au printemps 2016 – mais les deals ID sont importants. L’installation du header bidding nous permet de privilégier les meilleures sources de demande.

Parmi les nouvelles offres, vous avez lancé des podcasts et êtes présents sur l’enceinte connectée d’Amazon. Les éditeurs de presse doivent investir sur ce format au risque d’entraîner une nouvelle dépendance vis-à-vis des GAFA ?

Il y aura à moyen terme un risque sur ce point, c’est vrai, et sans doute la nécessité pour les producteurs de contenus qui souhaitent émerger de s’intégrer dans les écosystèmes qui seront créés par les plateformes, par exemple en payant pour bénéficier d’une promotion des contenus, mais y être présent est à mon sens un passage obligé tant l’usage de l’audio et du vocal prend une place importance chez les plus jeunes. Les dispositifs des GAFA restent ici incontournables.

Nous avons testé depuis l’automne des offres de podcasts sur la science (via notre rubrique MaxiSciences), disponibles sur tous les canaux audio, ainsi que sur Alexa d’Amazon et Google Home, sur le football et sur les sports de combats. Ce ne sont pas des choix anecdotiques, les investissements sont réels et il faudra les monétiser rapidement. Une première campagne est d’ailleurs commercialisée auprès de la MAIF sur certains programmes. C’est l’agence StayTuned qui s’est chargée de promouvoir cette audience.

Le e-sport a été mis en avant comme diversification possible ces deux dernières années. Que représente l’activité Gentside Esport Club pour Cerise ?

Nos deux équipes se portent bien, particulièrement celle sur le jeu de League of legends puisque le club est en haut du classement. Ce n’est pas encore une activité rentable ; c’est un nouveau modèle de revenus publicitaires, au sein d’événements physiques, qui doit encore se développer. Sans commercial dédié, elle a généré moins de 100 000 euros de revenus publicitaires en 2017 via des tickets de quelques milliers d’euros. Nous venons de recruter un responsable commercial (Maxime Oisée, ex-Audience Square, ndlr) et visons 200 000 euros de revenus cette année.