Google DNI : quel bilan pour les premiers grands projets financés ?

Lancé début 2016 pour soutenir l’innovation dans les médias européens, Google DNI a distribué 93,6 millions d’euros au total en quatre phase, entre février 2016 et décembre 2017. Sur les 461 projets lauréats, 40 étaient français (soit 8,6 % du total). Ces 40 projets se sont partagés 10 millions d’euros, soit un peu plus de 10 % du total du fonds.

Quatre groupes ont concentré 27 % des projets financés en France

Quatre groupes médias ont été sélectionnés plus d’une fois par Google DNI. Quatre fois pour le groupe Figaro, toujours dans la catégorie intermédiaire : un projet data de CCM Benchmark en février 2016, Weather Dialog en novembre 2016, Figaro Voice en juillet 2017, et un projet d’analyse des intentions d’achat des lecteurs en décembre 2017. Trois fois pour le groupe Les Echos – Le Parisien, à chaque fois dans la plus grande catégorie, où les projets sont financés à 70 % par Google DNI, avec un budget plafonné à un million d’euros : Le Parisien Data Hub, en novembre 2016, Smarter Paywall en décembre 2017, et un projet autour de l’abonnement en ligne pour Les Echos en décembre 2017. L’AFP a été sélectionné deux fois dans la catégorie d’envergure, pour AFP Interactive en février 2016 et AFP Data en juillet 2017. Le Monde deux fois : Decodex (fact-checking) dans la catégorie intermédiaire, en février 2016, et un projet d’envergure autour de la personnalisation de contenus, en décembre 2017.

mind Media a cherché à savoir comment se sont déroulés les six projets d’envergure français (financés à 70 % par Google DNI, avec un budget plafonné à un million d’euros) sélectionnés lors des deux premières éditions du fonds, et leurs résultats. Au moins trois d’entre eux ont déjà aboutis : AFP Interactive, Euronews Vidéo 360 et The Enemy, de la société de production audiovisuelle Camera Lucida. Le Parisien Data Hub est encore en cours de développement. Slatedata a été abandonné, et Meltygroup live-cast semble au mieux au point mort.

AFP Interactive

En février 2016, l’AFP a obtenu un financement pour développer AFP Interactive, afin de créer une plateforme d’infographies interactives. “Le service infographie de l’AFP existe depuis 1988. Nous avons repensé l’offre pour l’adapter aux nouveaux supports, en particulier le mobile, explique Sophie Huet, ajointe à la directrice de l’information. L’une des contraintes vient du fait que ces infographies doivent être intégrées de manière responsive sur les plateformes de nos clients éditeurs. Les outils proposés sur le marché à l’époque ne répondaient pas à ce besoin, il fallait donc que nous en développions un.”

La vidéo constituait ces dernières années la priorité de l’AFP. “C’est elle qui mobilisait le plus de ressources. Sans le financement de Google, nous n’aurions pas pu lancer cette offre aussi rapidement. Oute l’aspect financier, DNI a le mérite de contraindre les équipes à un calendrier, avec des jalons précis et contraignants à respecter, dont on doit justifier l’atteinte auprès de PwC”.

Le projet a été lancé en juin 2016. L’AFP a créé une équipe dédiée, comprenant un data journaliste, un développeur, un web designer, et un administrateur de bases de données. La première grande infographie interactive issue du projet a été réalisée à l’occasion des élections présidentielles américaines, en novembre 2016, et l’offre a été lancée au printemps 2017.

“Le bilan est positif. Du point de vue fonctionnel, nous disposons désormais d’une boîte à outils solide, qui nous permet de décliner nos sujets sous de nombreux formats, avec des quizz, des vidéos courtes et longues… Les clients sont satisfaits du produit.

AFP Data

L’AFP a de nouveau présenté un projet, auprès de Google DNI au printemps 2017, et a été sélectionné début juillet 2017. Baptisé AFP Data, il a démarré en octobre 2017. “C’est la suite logique d’AFP Interactive, puisque pour faire des infographies interactives, il faut des données de qualité. L’objectif était donc de produire et présenter des données qui soient intéressantes pour un usage éditorial”, explique Sophie Huet. Le projet, entamé en octobre 2017, comprend notamment des formations en data journalisme et la création de jeux de données présentant un intérêt éditorial. Par exemple les accidents d’avion depuis l’après-guerre ou les séismes depuis le début du XXème siècle. “Cela transforme notre travail internet et nous permet d’exposer ces données sur une plateforme”.

L’AFP a trois partenaires pour ce projet. Open Data Soft construit la plateforme qui lui permet d’exposer ses données en interne et à des clients bêta testeurs. Un groupement de designers, le Laptop, l’aide à comprendre les attentes de ses utilisateurs dans les rédactions. Syllabs, spécialisé dans les robots-rédacteurs, l’aide à concevoir de premiers tests dans les données sportives. Le projet doit se terminer en mars 2019.

Le Parisien Data Hub

En novembre 2016, Google DNI a accordé un financement pour Le Parisien Data Hub, un projet qui visait à offrir des services à ses lecteurs – dans des domaines comme les transports, l’environnement, la santé, l’économie circulaire – en réunissant les données disponibles à Paris et dans sa région dans un tableau de bord dédié. “La vision qui sous-tend ce projet, c’est que le rôle d’un éditeur local, dans quelques années, sera d’être multiprise de données locales dans son bassin de vie”, explique Stanislas de Livonnière, responsable data & innovation du Parisien. A terme, le média souhaite d’ailleurs collaborer avec d’autres médias locaux. “A terme, nous pourrions même syndiquer des données locales harmonisées auprès de Gafa, d’institutions ou d’opérateurs télécom.”

Après avoir consulté des spécialistes et mené des études de marché, le groupe a lancé le développement de l’outil à la fin du printemps 2017. “Proposer l’outil en B2C nécessiterait un an de développement, c’est pourquoi nous avons choisi de commencer par se tourner vers le marché B2B”, explique Stanislas de Livonnière.

Le média va donc agréger des données professionnelles (cours de bourse, effectif, chiffre d’affaires…) issues de différentes sources d’information pour proposer à des entreprises de les consulter sur une application mobile. “Nous voulons reproduire le même type de plateforme que celle que nous utilisons pour permettre à notre rédaction de visualiser en un seul endroit des bilans d’audience, les sujets les plus populaires sur les réseaux sociaux et le net, via Crowdtangle par exemple, précise Stanislas de Livonnière. De même, alors que notre régie publicitaire doit jongler entre une dizaine de systèmes d’information, nous avons mis en place un tableau de bord pour permettre à ses commerciaux de sélectionner les indicateurs qui les intéressent”. En février 2018, l’équipe en charge du produit était composée de cinq personnes : un chef de projet et quatre développeurs. Une dizaine de personnes y participaient indirectement dans les départements événements, mobile, syndication, marketing, juridique… Area Seventeen, l’agence qui est en charge de l’identité corporate du Parisien, s’est vu attribué le volet expérience utilisateur du Parisien Data Hub.

Le Parisien mène des tests depuis mars 2018 auprès de grandes entreprises, par exemple via la création de journaux professionnels personnalisés, et de collectivités locales. La commercialisation du produit doit démarrer à la rentrée 2018. Le lancement d’une version grand public n’aura pas lieu avant 2019. “Ce pourrait être un levier pour développer les abonnements, avec une logique de paywall”, estime Stanislas de Livonnière.

Euronews : vidéo 360

En février 2016, Euronews a obtenu un financement du fonds Google DNI pour faire monter en compétences sa rédaction dans la réalisation de vidéos à 360°. En juin, Thomas Seymat, journaliste au sein de la chaîne d’information, en tirait le bilan dans mind Media. Euronews a ainsi pu couvrir les frais de formations externes, l’achat du matériel, les heures consacrées à la réalisation de ces formats et les voyages sur le terrain. La chaîne produit environ deux vidéos par semaines. 145 vidéos 360 ont été tournées par une quarantaine de journalistes entre juin 2016 et juin 2018 (une centaine en juin 2017). Elles ont totalisé plus de 13,5 millions de vues au total sur le site desktop et mobile et l’application mobile et tablette (9 millions en juin 2017). Un partenariat de co-branding et d’exclusivité avec Samsung a été noué fin 2016 pour utiliser ses caméras et smartphones, notamment. La vidéo 360 est incluse dans le catalogue des offres publicitaires du groupe.

Réalité virtuelle et augmenté pour Camera Lucida

En novembre 2016, la société de production vidéo Camera Lucida a reçu un financement pour un projet de réalité virtuelle appliqué au journalisme de guerre, baptisé The Enemy. http://theenemyishere.org/ Cette œuvre est déclinée sous la forme de deux expériences interactives. Une installation qui propose aux visiteurs de vivre une expérience sur 300 m2 avec un casque de réalité virtuelle, et une application de réalité augmentée pour mobiles et tablettes. Un documentaire de 52 minutes pour retracer cette expérience a également été réalisé. Sollicité par mind Media, Camera Lucida n’a pas souhaité répondre à nos questions. Le site de l’oeuvre indique néanmoins que l’application a été utilisée par 7 023 utilisateurs dans 100 pays. L’installation a été présentée à Paris en mai 2017, à Tel Aviv en juin 2017, à Boston au printemps 2018 et à Montréal en février 2018.

Slatedata

En novembre 2016, Slate France a reçu un financement pour “Slatedata”, une plateforme pour réaliser des indicateurs et baromètres sociétaux, à partir d’une base de données propriétaire. Sollicité par mind Media, Slate confirme que le projet a été abandonné. Il faut dire que la société a connu de profonds changement à l’été 2017, moins d’un an après avoir été choisie par Google, avec notamment le départ de Boris Razon, directeur des rédactions, Eric Leser, directeur général, et Charlotte Pudlowski, rédactrice en chef, et l’arrivée de Marc Sillam comme directeur général et de Christophe Carron comme rédacteur en chef (lire sur notre site).

Meltygroup live-cast

En février 2016, meltygroup avait décroché un financement pour lancer une plateforme de diffusion vidéo multi-plateformes, dédiée aux vidéos courtes et au direct, dotée de fonctionnalités d’interaction avec les utilisateurs. Melty avait présenté les détails de ce “projet live-cast” dans un communiqué de presse en mars 2016. Il s’agissait notamment de mettre à jour sa plateforme de vidéo live lancée en juin 2015. Sollicité par mind Media, Meltygroup n’a pas souhaité répondre à nos questions. Selon nos observations, ce projet, dont la version bêta était attendue en mai 2016, n’a pas vu le jour.