Julien Laroche-Joubert (Le Monde) “Nous voulons être pragmatiques avec les plateformes”

mind révélait le 20 octobre la nomination de Julien Laroche-Joubert en tant que directeur numérique du Monde. Le poste était vacant depuis décembre 2015. Pour mind, il présente son parcours et s’exprime sur les relations du titre avec les plateformes Google et Facebook. Il dresse également un premier bilan pour Snapchat Discover et évoque la refonte du Monde.fr.

Vous êtes le nouveau directeur numérique du Monde, mais le marché vous connait relativement peu. Quel est votre parcours ?

J’ai une formation littéraire et ai commencé presque par hasard sur le numérique, en 1998, comme beaucoup à ce moment-là car il y avait encore tout à imaginer et à construire sur internet. Les premières sociétés recrutaient beaucoup et il s’agissait de profils très hétéroclites et iconoclastes. Mon expérience sur le numérique est donc celle d’un autodidacte et tournée vers l’opérationnel.

J’ai très vite intégré Yahoo France, où j’ai passé dix ans. La société s’est professionnalisée progressivement et j’ai eu une progression linéaire : éditeur de l’offre Yahoo ! Actualités, cumulé ensuite avec le poste de chef de projets et de développement des partenariats. L’un d’eux concernait le Bondy Blog, créé et supervisé par Serge Michel. Quand il a été recruté par Le Monde (comme directeur adjoint des rédactions, en charge des passerelles papier – web, ndlr), j’ai rejoint ses équipes au Monde, à l’automne 2011.

Quelles ont été ensuite vos fonctions au Monde ?

J’ai été recruté comme rédacteur en chef adjoint pour faire le lien entre la rédaction et la production en ligne, le développements et la gestion de projets numériques. J’ai ensuite été responsable éditorial de la refonte du site en 2012, puis chargé d’édition. En 2013, j’ai été nommé rédacteur en chef en charge des innovations web et un an plus tard rédacteur en chef en charge des développements éditoriaux et des projets, sous la responsabilité de Jérôme Fenoglio, qui était directeur des rédactions.

Durant ces deux années et demie, j’ai piloté la mise en place du nouveau système de publication bi-média (“Le Huit”, ndlr), contribué à l’organisation du travail en commun de différents métiers (rédactions, édition, chefs de projets…), en lien avec Isabelle André (alors directrice du numérique, ndlr). Depuis un an, j’étais directeur du développement du numérique, avec une mission de management fonctionnel hors marketing (management des équipes de développement produits, conduite de projets, UX,  studio graphique, équipes techniques du Monde.fr, ndlr).

Quelle est la feuille de route fixée par Louis Dreyfus ?

Elle est très simple : lancer et piloter la gestion des projets numériques et développer le business en ligne, c’est-à dire superviser les équipes techniques, accompagner le développement publicitaire, favoriser l’acquisition d’audience et poursuivre la croissance rapide de notre portefeuille d’abonnés.

Allez-vous renforcer la direction du numérique avec des nominations ?

Il n’y a pas de gros besoins à ce niveau-là, car la direction du journal, incarnée par Jérôme Fenoglio et son équipe (Luc Bronner, Nabil Wakim, etc.), est très en phase avec le numérique. Il en va de même avec la régie M Publicité et le marketing. Nous travaillons étroitement ensemble. Le numérique rassemble près de 80 personnes (sans compter le desk numérique, désormais rattaché au journal, et les équipes digitales de M Publicité, ndlr). Les expertises sont déjà en place, je m’appuie donc sur les directions existantes au numérique : technique, marketing, direction artistique…

Le Monde a traditionnellement une position très ferme vis-à-vis des plateformes. Les GAFA sont-ils des amis ou des ennemis ?

Ils n’ont pas tous le même niveau de maturité et adoptent des relations différentes avec les éditeurs. Avec Yahoo !, j’ai connu toutes les phases dans les relations entre éditeurs et plateformes : le rejet, la dépendance, la collaboration… Il faut avoir en tête que malgré les discours, les GAFA ne vont pas nous sauver. Ils ne sont d’ailleurs pas là pour ça. Et nous aussi nous faisons des choses pour innover.

La position du Monde n’est pas dogmatique. Notre position n’a jamais été fermée. Nous voulons être pragmatiques sur la plateformisation : quand des partenariats et des accords avec les plateformes vont dans le sens de nos intérêts, nous en nouons. Notre position – garder la maîtrise de nos contenus – a été vue ces dernières années comme conservatrice. C’est tout l’inverse, et je crois que le marché va maintenant dans cette direction.

Quels peuvent être des rapports équilibrés entre médias et plateformes ?

Il faut dépasser le lieu commun selon lequel les plateformes seraient les seuls leviers de croissance pour les médias et qu’on doit s’en contenter. C’est peut-être vrai pour certains titres mais ce n’est pas aussi binaire pour un titre comme Le Monde. Une partie de la valeur de nos contenus ne peut être prélevée sans un partage satisfaisant des données, ni monétisation suffisante.

Actuellement, les conditions ne sont pas remplies pour une présence du Monde.fr sur Instant Articles de Facebook et Google AMP. Je crois que le marché va dans le sens de davantage de pragmatisme, les positions évoluent. Les conditions du lancement de Discover en France le montrent (comme mind l’indiquait en septembre, Snapchat a offert une rémunération aux grands éditeurs pour les aider à monter leurs équipes, ndlr).

Après deux mois de présence, quel bilan dressez-vous pour Le Monde sur Discover ?

J’étais sceptique au départ : Le Monde et Snapchat ont a priori des ADN différents. Deux mois plus tard, je suis bluffé par nos résultats, à la fois dans les audiences et les attentes du marché publicitaire.Notre édition obtient des très bons résultats avec  par exemple plus de 600 000 visiteurs uniques le jour de l’élection de Trump et tous les jours 40% de visiteurs qui vont jusqu’au bout de l’édition (chacune comporte une dizaine de cartes, ndlr). Celles qui ont eu le plus de succès concernaient Alep et Trump avant son élection. On pouvait craindre que le succès publicitaire ne soit que temporaire, mais la demande des annonceurs est forte.

LeMonde.fr pousse beaucoup ses offres payantes en ligne. Combien d’abonnés purs-numériques avez-vous ?

Nous avons atteints 115 000 abonnés numériques aujourd’hui. Notre modèle freemium a fait ses preuves, avec une croissance annuelle de 30 % des abonnés, notamment grâce à un effort de l’ensemble des équipes éditoriales et marketing. Certes, il peut sembler compliquer à assimiler et à expliquer au public, mais il fonctionne. Les revenus numériques dépassent aujourd’hui 25 % du chiffre d’affaires total, avec une activité qui enrregistre une marge opérationnelle autour de 30 %.

L’un de vos grands chantiers concerne la refonte du site. Quelles sont les grandes lignes du projet ?

Le projet associe tous les services du Monde et il est réalisé en lien avec Nabil Wakim (le directeur de l’innovation éditoriale, ndlr) et Edouard Andrieu (directeur nouveaux écrans, ndlr) notamment. Nous ne voulions pas reproduire les anciennes méthodes qui consistaient à vouloir tout refaire en une seule fois. On a pris exemple sur Le Guardian : on fixe des priorités, on les teste auprès d’échantillons d’audiences, on les mesure via la data, et on compare avec la version existante pour prendre une décision.

L’idée est de se concentrer sur la page d’accueil et les pages articles, le service client pour les abonnés, ainsi que l’optimisation du parcours de souscription, comme dans une logique de site e-commerce. Nous travaillons aussi l’identité et l’interface, pour harmoniser les ergonomies et mieux identifier les typologies de contenus, tout en conservant la diversité de nos chaînes. Dans les prochains jours, le nouveau site sera testé sur une partie de l’audience web mobile, avant d’appliquer la même méthode pour le fixe en janvier.

Parmi les évolutions techniques, vous changez également d’hébergeur. Pourquoi ce choix ? 

Nous sommes en train de passer d’un hébergement chez Iliad (le site était déjà hébergé chez Iliad avant le rachat du groupe par Xavier Niel, Matthieu Pigasse et Pierre Bergé, ndlr) vers le cloud de Google pour notre infrastructure et nos contenus. C’est un choix technique qui doit permettre au site de mieux supporter les forts pics d’audience liés à aux événements majeurs (le 13 novembre 2015, LeMonde.fr avait planté en raison d’un trop grand volume de connexions, ndlr). Il y aura peut-être un coût supplémentaire, mais nous l’assumons. <

Bio Express

Octobre 2016 Directeur numérique du Monde

 2015 Directeur du développement numérique du Monde

2011 Rédacteur en chef adjoint du Monde, puis rédacteur en chef innovations web et enfin rédacteur en chef chargés des développements éditoriaux et projets

2010 intégre Yahoo France où il restera 10 ans à des fonctions d’éditeur, de chef de projets et de responsable de partenariats