Accueil > Médias & Audiovisuel > Transformation & Innovations > Matthieu Pigasse (Groupe Le Monde) : « Le Monde vit une crise de croissance » Matthieu Pigasse (Groupe Le Monde) : « Le Monde vit une crise de croissance » Quelques jours après la démission de Natalie Nougayrède de ses fonctions de directrice du Monde, Matthieu Pigasse, l’un des trois actionaires majoritaires du Groupe Le Monde, donne son sentiment sur la crise que traverse le journal. Se voulant rassurant, il évoque également les résultats du groupe, sa stratégie en ligne et ses axes de développement. Alors que le rachat du Groupe Nouvel Observateur est sur le point d’être finalisé, Matthieu Pigasse détaille également les raisons de la nomination de Matthieu Croissandeau comme directeur de la direction du Nouvel Obs, les évolutions du magazine, et précise le rôle qu’y occupera Louis Dreyfus. Enfin, il revient sur les relations qu’il entretient avec Xavier Niel et Pierre Bergé, et leurs nouveaux projets d’investissement. Par Jean-Michel De Marchi. Publié le 19 mai 2014 à 2h50 - Mis à jour le 19 mai 2014 à 2h50 Ressources La démission de Natalie Nougayrède était-elle inéluctable ? Natalie Nougayrède a eu le courage d’engager ces changements et d’affronter les résistances. Face à celles-ci, elle a finalement décidé de démissionner. Je la remercie pour le travail qu’elle a su mener avec succès comme directrice et pour le sens de la responsabilité dont elle a fait preuve. Il appartient désormais à Gilles Van Kote, le nouveau directeur du journal, de poursuivre dans la voie engagée. Je lui souhaite un franc succès. Il a toutes les qualités nécessaires pour y parvenir, ainsi que l’expérience et la connaissance du journal, dont il a présidé la Société des Rédacteurs. Gilles Van Kote mènera cette mission à titre temporaire. D’ici la fin de l’année, un nouveau directeur sera désigné. Le Monde traverse sa première crise depuis votre arrivée, avec la majeure partie des rédacteurs en chef et leurs adjoints qui ont démissionné auparavant. Comment l’expliquez-vous ? C’est une crise de croissance. Avec la difficulté, pour les uns et les autres, d’appréhender et d’accepter les changements nécessaires issus du plan de mobilité interne et des rapprochements des rédactions papier et numérique. Il faut entendre les inquiétudes, écouter, rassurer, accompagner, mais continuer à avancer. Nous n’avons pas le choix. Quel bilan faites-vous de la reprise du Groupe Le Monde, à l’automne 2010 ? C’est un bilan très positif. Nous avons fait la démonstration qu’il n’y a pas de fatalité au déclin de la presse avec plusieurs éléments positifs : le redressement du journal, le lancement de nouveaux produits (M Le Magazine, notamment), la rationalisation et la maîtrise des coûts… et puis le journal a désormais une ligne éditoriale réaffirmée grâce au travail de ses deux derniers directeurs successifs : Eric Izraelewicz, puis Natalie Nougayrède. La diffusion papier souffre, comme l’ensemble de la presse, mais le journal est à l’équilibre d’exploitation, alors qu’il était à quelques semaines du dépôt de bilan quand nous l’avons repris fin 2010. Quels sont les nouveaux axes de développement du Monde ? On peut faire encore plus et on doit toujours faire mieux. D’abord en matière de développement international : Le Monde est une marque très puissante, qui incarne des valeurs et a une image très forte partout dans le monde et notamment dans les zones francophones, en Afrique, au Canada, etc. Là, nous pouvons y développer nos contenus. Et pourquoi pas également en anglais dans d’autres territoires. Le deuxième axe de développement que nous identifions, ce sont les diversifications, toujours autour de notre marque et sur des métiers proches et complémentaires, comme l’organisation de forums et d’événements spéciaux en France et ailleurs. Enfin, l’autre élément, central, c’est bien sûr le numérique, avec de nouveaux développements à venir. La direction du journal travaille par exemple sur une édition quotidienne exclusivement numérique, qui viendrait compléter le matin l’édition papier distribuée l’après-midi et le soir. Ce projet de nouvelle application numérique, présenté par la direction du journal, a été rétoqué en conseil de surveillance. Verra-t-il le jour ? Oui, bien sûr ! L’esprit du projet a été validé. Mais un débat a eu lieu de manière ouverte et normale sur deux sujets : à quel moment faut-il diffuser cette édition numérique : le matin ou le soir ? Et sur quel support : uniquement sur tablettes, ou sur tablettes et mobiles ? La conclusion du conseil de surveillance a été de diffuser cette nouvelle application le matin, pour venir renforcer le journal, et à la fois sur mobiles et tablettes. Votre trio avec Pierre Bergé et Xavier Niel paraît très solide. Comment vous êtes-vous rencontrés ? J’ai fait le lien entre Pierre Bergé et Xavier Niel, qui ne se connaissaient pas, lors du rachat du Monde. A l’origine, j’avais proposé à Pierre Bergé de reprendre le groupe, puis très vite, Xavier Niel nous a rejoints. Ça a été un désir réciproque, une envie partagée d’avancer ensemble. Le contact entre eux a été excellent. Notre trio fonctionne parfaitement. Nous avons bien sûr des débats et des discussions, mais il n’y a jamais eu aucun désaccord de fond ou la moindre tension entre nous. Nous fonctionnons dans la joie et la bonne humeur, toujours, et avec efficacité. Effectivement, Pierre est sans doute le plus turbulent, le plus actif sur Twitter par exemple, mais c’est la passion qui parle … Vous avez déclaré que ce partenariat pourrait s’appliquer en dehors de la presse et se prolonger dans l’édition et la radio. Avez-vous des projets d’investissement en cours ? Nous avons de grandes ambitions ensemble : nous sommes convaincus qu’il y a de grandes choses à faire dans les médias, en France comme en Europe. Le redressement du Monde nous a montré qu’il n’y avait jamais de fatalité au déclin. Notre complémentarité est très forte et on s’entend très bien. On veut donc aller plus loin et investir dans des projets cohérents, en France ou en Europe, dans le numérique ou des métiers proches : la radio, la télévision, l’édition… Mais il n’y a pas de nouveau projet imminent. Quand le rachat du Groupe Nouvel Observateur deviendra-t-il effectif ? Tout a été finalisé. Il ne manque plus que l’accord de l’Autorité de la concurrence, et nous n’anticipons pas de difficulté particulière. Il devrait intervenir dans les prochaines semaines. Pour l’instant, nous n’agissons pas dans la gestion du groupe, hormis le nom de Matthieu Croissandeau comme directeur de la rédaction, qui a été proposé, en accord avec Claude Perdriel, à la société des rédacteurs du Nouvel Observateur. Celle-ci l’a validé à 77 %. Pourquoi ce choix ? Matthieu Croissandeau connait très bien le journal, il y a passé dix ans. Il a également connu une expérience différente, au Parisien, quotidien populaire. Il a travaillé sur le papier comme sur le net, et a déjà exercé des responsabilités dans le management puisqu’il était rédacteur en chef. C’est un jeune journaliste – 42 ans -, complet, qui a une vision moderne du journalisme. Son projet pour le journal est à la fois neuf, ambitieux et audacieux. On a le sentiment que Pierre Bergé et vous avez été en retrait des discussions entre Xavier Niel et Claude Perdriel pour racheter le Groupe Nouvel Observateur… Non, c’est une fausse impression. La décision d’acquisition a été prise en commun, et les discussions ont également été effectuées de manière commune. Comme toujours entre nous trois. La rédaction du Nouvel Observateur a une histoire particulière et des habitudes de travail. On évoque également des dysfonctionnements récurrents… Chaque rédaction a une identité particulière, qu’il faut respecter. Mais les problématiques de ce magazine ne sont pas différentes de celles rencontrées ailleurs. On parle de rédaction turbulente, mais je n’ai jamais connu de rédaction qui ne le soit pas : celle de « l’Obs » ne l’est ni plus, ni moins que celle du Monde, par exemple. Quel sera le rôle de Louis Dreyfus, président du directoire du groupe Le Monde, qui a déjà travaillé au Nouvel Obs et qui a été très actif dans le processus de rachat ? Il faut d’abord souligner que ce n’est pas Le Monde qui rachète le Nouvel Obs, mais LML, notre holding à Pierre Bergé, Xavier Niel et moi, laquelle détient le Groupe Le Monde. Louis Dreyfus dirige Le Monde et se concentrera sur le journal et sur le groupe, où il fait un excellent travail. Au Nouvel Observateur, il sera membre du conseil de surveillance, apportant son expérience et sa connaissance de l’hebdomadaire. Le journal sera piloté par Matthieu Croissandeau pour la partie éditoriale, et par Jacqueline Volle, qui était directrice administrative et financière du groupe, qui devient directrice générale déléguée. Quelles sont les grandes lignes du projet éditorial qui sera mis en place ? Il faut rajeunir et densifier les contenus, redevenir un journal d’information – et moins un journal de commentaires – et le moderniser, en développant beaucoup plus la stratégie numérique. Le groupe a perdu 6 millions d’euros en 2012 et près de 10 millions en 2013. Donc il y aura des efforts à faire, mais Matthieu Croissandeau et Jacqueline Volle auront aussi des moyens avec une enveloppe d’investissements de plusieurs millions d’euros. Quelle place voulez-vous accorder à Rue89, que le Nouvel Observateur n’a pas su exploiter ni développer depuis son acquisition en janvier 2012 ? Il y a une réflexion en cours sur le sujet. J’ai été membre fondateur de la société des Amis de Rue89, j’ai donc une relation affective avec le site et ses fondateurs. Il faudra sans doute trouver une meilleure articulation avec LeNouvelObs.com mais la question est ouverte. L’association entre LeMonde.fr et le HuffingtonPost.fr peut constituer un modèle. Mais il revient à Matthieu Croissandeau de définir la bonne stratégie en liaison avec les dirigeants de Rue89. Faites-vous partie, seul ou avec vos deux partenaires, des nouveaux investisseurs ayant accepté d’apporter 18 millions d’euros à Libération, dans le cadre du projet de Bruno Ledoux ? Non. Et il ne nous l’a pas proposé. Nos projets ne sont pas compatibles en l’état : nous sommes dans une volonté de contrôle majoritaire, en donnant la priorité au papier. Oui, Libération est un journal ! C’est sa force. Je ne crois pas qu’on puisse transformer un journal en couteau suisse. Mais je lui souhaite bonne chance. Pensez-vous que la mise en place massive de contenus numériques payants est inéluctable ? Il y a une baisse générale du marché publicitaire : elle est forte sur le papier, et progresse sur le numérique. Dans ce cadre, le développement des contenus numériques payants, en complément, est une question qui se pose pour les médias, et que j’examine par exemple aux Inrockuptibles (détenu par Matthieu Pigasse seul, ndlr). Mais il faut alors trouver un équilibre entre le gratuit et le payant, entre le maintien de l’audience pour les recettes publicitaires et les nouvelles recettes auprès des lecteurs. Je ne crois pas aux extrêmes : tout gratuit ou tout payant. Le bon modèle, c’est le freemium, appliqué sur LeMonde.fr. Pour le site des Inrockuptibles, nous réfléchissons à des contenus exclusifs payants : de la prescription musicale, des concerts, des interviews, etc. Comment se portent les Inrockuptibles depuis le changement de management début 2013 ? Très bien. L’équipe managériale est stabilisée, avec Frédéric Roblot comme directeur général et Frédéric Bonnaud comme directeur de la rédaction. Leur travail est excellent dans un marché difficile : La croissance des revenus publicitaires atteint plus de 15 % en 2013, alors que le marché baisse de 9 % ! La diffusion souffre, mais elle reste 20 % supérieure à avant mon arrivée, en 2009. Nous avons atteint 1 million de VU mensuels sur le site. Le titre a généré environ 17 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2013, et atteint l’équilibre, contre 1,5 million de pertes il y a deux ans. Vous venez de publier un livre sur les politiques économiques, notamment en France. Vous ne cachez pas être un homme de gauche mais êtes déçu des choix actuels. Un engagement politique vous intéresse-t-il ? Mon livre relève d’abord d’une frustration, mais c’est aussi un livre d’amour de la politique quand elle consiste à agir et à changer les choses, pas à faire de la communication. Mais il y a plein de façons différentes de faire de la politique, de s’engager et d’être utile. Jean-Michel De Marchi OrganisationRésultats économiquesTransformation des médias Besoin d’informations complémentaires ? 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