Accueil > Marques & Agences > Achat média > Pascal Crifo (Blue 449) et Pascal Nessim (Marcel) : “Les agences sont les premières fautives des abus des compétitions” Pascal Crifo (Blue 449) et Pascal Nessim (Marcel) : “Les agences sont les premières fautives des abus des compétitions” Toutes deux partenaires dans leurs relations avec les annonceurs, les agences médias et les agences créatives ont tendance à être opposées par le marché sur leur vision et leurs intérêts stratégiques. Au sein du groupe Publicis, les agences Blue 449 et Marcel ont annoncé il y a moins d’un an opérer un rapprochement pour développer une offre publicitaire conjointe mêlant expertises média et créative. Leurs dirigeants respectifs, Pascal Crifo et Pascal Nessim, expliquent à mind Media leur démarche et confrontent leurs visions des problématiques du marché publicitaire en ligne. Par . Publié le 28 février 2019 à 10h58 - Mis à jour le 28 février 2019 à 10h58 Ressources En avril 2018, vous avez annoncé rapprocher vos agences pour proposer au marché une offre hybride. Comment cela a-t-il été mis en place ? Pascal Nessim (Marcel) : Cette idée est venue suite au gain commun du budget de communication d’Uber en 2016. Blue 449 nous avait alors conseillé d’ajouter un volet affichage à la campagne pour présenter l’idée de manière plus intelligente. L’expérience a ensuite été renouvelée l’année suivante sur l’appel d’offres organisé par eBay, et nous nous sommes des deux côtés rendus compte qu’il y avait, au sein du groupe Publicis, des actifs que nous pouvions solliciter dans nos campagnes. D’autant que Marcel et Blue 449 se ressemblent par leur structure entrepreneuriale (les deux dirigeants ont créé des structures qui ont ensuite été rachetées par le groupe Publicis, ndlr). Nous partagions également le même culture autour du numérique avec la présence, très tôt, de profils hybrides. Pascal Crifo (Blue 449) : C’est vrai, d’autant que l’efficacité publicitaire repose sur une bonne compréhension à la fois des enjeux médias et des enjeux créatifs, qu’on a pourtant tendance à opposer sur le marché. C’est pourquoi nous avons effectivement opéré un rapprochement de nos deux agences en septembre dernier. Il n’est pas question de fusion, de mise en commun du P&L, mais simplement d’une offre commune qui s’est traduite notamment par un rapprochement géographique (Blue 449 occupait les locaux de Publicis à Bastille, ndlr) en septembre dernier. Cette nouvelle offre intégrée s’appuie sur 250 personnes et garantit aux annonceurs une continuité entre les enjeux de haut et de bas de funnel, en ne décorrelant pas la publicité du média. Six mois après le lancement de cette offre, quel premier bilan en tirez-vous ? Pascal Nessim : Depuis le rapprochement de nos deux agences, nous avons participé à plusieurs appels d’offres ensemble et remporté trois budgets, dont une campagne pour le Centre Pompidou sortie en novembre dernier. Nous savons également que certains annonceurs attendent la fin de leur contrat avec d’autres agences. Il faudra du temps à cette nouvelle offre pour se faire une place sur le marché ; l’ambition n’est cependant pas d’en faire une offre prédominante, puisque chaque agence conserve ses clients de son côté, qui sont parfois concurrents. D’autant que certaines agences ne veulent pas confier l’intégralité de leur budget à une même structure. Le principal objectif était de donner à Marcel et Blue 449 des armes que les autres agences n’ont pas et d’offrir des services aux annonceurs que les autres agences ne proposent pas. Sur un marché attaqué comme le nôtre, on ne sort gagnants que par la valeur, pas en baissant les prix Pascal Crifo PDG de Blue449 Pascal Crifo : Cette offre s’adresse plutôt à des annonceurs qui ont besoin de réactivité et qui sont dans une position de challengers, car grâce à l’intégration des compétences on parvient à réaliser des économies d’échelle pour proposer une prestation plus compétitive car plus rapide, moins coûteuse et plus efficace. Sur un marché attaqué comme le nôtre, on ne sort gagnants que par la valeur, pas en baissant les prix. Le principal bénéfice que nous en tirons est l’acculturation de nos différents métiers : les équipes de Blue 449 se sont forgés une culture créative, tandis que les équipes de Marcel ont désormais une solide culture média, ce qui leur permet de proposer des recommandations beaucoup plus efficaces en termes de présentation comme de KPI. Il y a une satisfaction à la fois du côté des annonceurs qui ont fait appel à cette offre, comme du côté des talents des deux agences. Nous pourrions même envisager d’intégrer d’autres métiers sur ce modèle. Cette nouvelle offre témoigne-t-elle d’un mouvement global du marché de rapprochement des compétences médias et créatives ? Pascal Crifo : Lorsque nous avons annoncé ce rapprochement il y a presque un an, c’était une petite révolution : certains de nos concurrents nous ont appelés, car on voyait sur le marché beaucoup de fausses synergies qui ne portaient pas leurs fruits. Ce qui est sûr c’est qu’il existe un besoin sur le marché de rapprocher création et média pour répondre aux nouvelles attentes des annonceurs et des consommateurs, aux acteurs désormais de s’adapter. Cela prendra du temps, tout comme les usages des consommateurs évoluent toujours plus rapidement que l’organisation des entreprises. Dans cette tendance, l’Udecam (dont Pascal Crifo est membre du conseil d’administration, ndlr) et l’AACC travaillent actuellement sur un rapprochement des deux interprofessions, même si aucune date n’est encore actée car la finalité de cette union n’a pas été déterminée. L’objectif est néanmoins d’unir nos forces pour défendre plus efficacement l’industrie de la publicité sur des sujets comme les compétitions d’agences, la rémunération du travail, ou le recrutement des talents. La création d’une offre commune est le modèle d’intégration que nous avons choisi de mettre en place, mais à chaque agence de trouver son format, à l’instar des agences médias qui mettent en place des studios de création ; ce qui compte c’est que les campagnes qui en résultent soient efficaces. Les éditeurs, les cabinets conseil et les GAFA ont également développé des offres publicitaires ces dernières années. Comment percevez-vous cette nouvelle concurrence ? Pascal Nessim : Depuis les années 2000, les cabinets de conseil acquièrent des agences de création. Cependant, qui a déjà vu une campagne de publicité impactante qui en est sortie ? Les GAFA ont également créé des entités créatives en internes. Mais là encore, qui a déjà vue une vraie grande campagne réalisée par ces acteurs ces dernières années ? Dans le cas des plateformes, elles auront toujours besoin des agences car elles maîtrisent l’ensemble des points de contact et pas une seule communauté. Leur business repose sur l’algorithme, le nôtre sur les talents. Je ne dis pas que cette concurrence n’est pas dangereuse, mais qu’elle est à relativiser, en particulier sur la partie créative. Dans une agence comme Marcel, cela nous oblige néanmoins à monter en gamme sur du conseil, afin de gagner des missions plus en amont, comme la création de nouveaux produits. À une époque où nos métiers sont de plus en plus concurrencés, ce qui est sûr c’est que les agences qui ne s’adaptent pas vont mourir. La lutte contre le duopole est un sujet important, également du point de vue du maintien de l’équilibre démocratique à travers les médias et de l’harmonisation des règles d’imposition. Il ne faut cependant pas occulter que, sans les plateformes, trois campagnes sur quatre ne sortiraient pas aujourd’hui Pascal Nessim PDG de Marcel Les agences, particulièrement les agences médias, sont d’ailleurs assez schizophrènes avec les GAFA : elles les critiquent et pointent leurs travers (opacité, brand safety, fake news…), mais elles continuent d’investir massivement dans leurs dispositifs pour les annonceurs. Pascal Crifo : Le marché s’accorde pour dire que les agences médias ont un devoir de responsabilité vis-à-vis des marques. La brand safety en particulier est non négociable, car sinon les investissements publicitaires sont vains. Tout comme la transparence sur les performances des campagnes, car c’est sur l’efficacité que nous nous engageons auprès de nos clients. La meilleure façon pour le marché de favoriser la transparence c’est de multiplier les mesures en ce sens, comme le label Digital Ad Trust, pour conjuguer la qualité des contextes de diffusion et des critères de mesure et d’évaluation communs à tous les médias et plateformes. Le travail est et sera long autour du label Digital Ad Trust car près de 80 % des investissements publicitaires des annonceurs français sont consacrés aux formats search et social media, et échappent donc à son périmètre. Mais une quinzaine de marques se sont engagées le 18 février à communiquer davantage sur les sites labellisés (lire sur notre site, ndlr). L’objectif n’est pas que les sites labellisés concentrent l’ensemble des investissements du marché, mais que l’adoption du label pousse l’ensemble du marché à respecter des critères attendus par les acheteurs. Pascal Nessim : Éthiquement, la lutte contre le duopole est un sujet important, également du point de vue du maintien de l’équilibre démocratique à travers les médias et de l’harmonisation des règles d’imposition. Il ne faut cependant pas occulter que, sans les plateformes, trois campagnes sur quatre ne sortiraient pas aujourd’hui. Par exemple, chez Marcel, nous avons produit une centaine de films publicitaires en 2018 ; seule une quinzaine étaient destinés à être diffusés à la télévision. Pour autant, ni la télévision, ni aucun autre média n’a disparu avec l’essor des plateformes. À nous agences d’apprendre à mieux utiliser les médias offline en tenant compte de la culture et des usages des plateformes. Les annonceurs ont augmenté ces dernières années leurs investissements dans le marketing d’influence. Quelles sont les précautions à prendre pour éviter les écueils (manque de cohérence avec la marque, fraude à l’influence) ? Pascal Nessim : En tant qu’agence publicitaire, le principal enjeu pour nous est créatif : comment co-créer avec les influenceurs du contenu qui résonne à la fois avec leur communauté, sur la plateforme, et pour la marque ? Beaucoup de marques se trompent encore en sélectionnant une vingtaine de profils différents pour publier un même contenu, sans angle ni cohérence. Cela fait une dizaine d’années que nous concevons des opérations qui reposent sur de l’influence sociale chez Marcel, grâce notamment à notre cellule influence, et nous avons vu ce levier évoluer. Si les annonceurs misaient au départ plutôt sur des stars des réseaux sociaux, la demande se porte aujourd’hui sur des micro voire des nano influenceurs, qui ont des communautés plus petites mais plus engagées. Le changement le plus significatif concerne la professionnalisation des influenceurs : est apparue une nouvelle génération de profils qui comprennent un brief, savent l’exécuter et ensuite en fournir détaillé et transparent un bilan à l’annonceur. Ils sont devenus des médias à part entière, qu’il est important de connaître en tant qu’agence. Pour notre client Oasis par exemple, dont le territoire de marque porte sur le divertissement et en particulier la musique, nous avons ainsi réalisé différentes opérations avec le YouTubeur Seb La Frite qui analyse des clips musicaux ou le Twittos RebeuDeter connu pour ses partages en avant-première de titres de rap. Pascal Crifo : La connaissance des acteurs et du fonctionnement de l’influence permet de se prémunir des abus qu’il peut y avoir en marketing d’influence (lire notre article sur la fraude, ndlr). Et en matière d’influence, la connaissance peut venir de partout, les plus jeunes sont souvent les plus experts. Marcel a par exemple recruté en stage en community management un étudiant surnommé Urban Le Pharaon qui possède près de 300 000 abonnés sur Twitter ; il ne va pas travailler sur les opérations d’influence mais va certainement participer à les nourrir. Par ailleurs, un influenceur est un média qu’on paie en fonction de la taille de sa communauté, d’où l’intérêt de mesurer systématiquement tout ce que l’on fait (reach, engagement, brand safety). Chez Blue 449, c’est le cas avec Engie (search) et La Redoute (Facebook). Nous n’avons pas peur de recommander l’internalisation lorsqu’elle est efficace Pascal Crifo Des leviers comme l’influence, le social media ou le search ont d’ailleurs poussé certains annonceurs à internaliser une partie des métiers d’agences. Est-ce un mouvement pérenne sur le marché ? Comment l’accompagner en tant qu’agence ? Pascal Crifo : Sur l’achat média, certains annonceurs, des pure players avec des modèles numériques, avaient intérêt à internaliser cette activité de par leur expertise. En revanche, d’autres annonceurs ont fait marche arrière et reviennent vers les agences, car ils se rendent compte que cette compétence est trop chronophage pour eux. D’une part car, l’internalisation se fait principalement sur l’achat média en ligne, dont les formats, modes d’achat changent très rapidement et nécessitent donc une expertise tenue à jour. D’autre part car, contrairement aux agences, les experts médias chez l’annonceur risquent de faire face à un biais d’expertise en n’étant pas confrontés au quotidien à d’autres annonceurs. Lorsque l’internalisation fonctionne bien, l’agence média devient alors conseil et non plus opérateur. Chez Blue 449, c’est le cas avec Engie (search) et La Redoute (Facebook). Nous n’avons pas peur de recommander l’internalisation lorsqu’elle est efficace. Même situation avec les structures ad hoc créées pour un annonceur unique : elles ont pour avantage de proposer une qualité de service supérieure car l’équipe est entièrement dédiée à l’annonceur, mais cette dernière n’a pas la même expertise que si elle travaillait pour d’autres clients. Pascal Nessim : En création, je ne connais aucun annonceur qui ai choisi de l’internaliser. Certains ont fait le choix de créer des studios de création interne pour produire eux-mêmes le volume de contenus que nécessitent les réseaux sociaux, mais ils ne sont pas en charge des campagnes de communication. Les annonceurs sont dans l’attente de relations plus efficaces avec leurs agences. Cela se ressent-il sur le processus des compétitions d’agences, souvent accusées d’être chronophages, coûteuses, voire injustes pour les agences ? Pascal Nessim : Depuis la publication de la charte La Belle Compétition par l’interprofession en 2014 (AACC, UDA, Udecam, SYNTEC conseil en relations publics, ADC et ANAé), on ne peut pas dire qu’il y ai eu de prise de position ou de mesure forte par le marché dans ce sens. Le document en lui-même se contentait de rappeler des règles de bon sens pour la bonne tenue des compétitions, comme les délais minimum à imposer et le nombre d’agences sollicitées à ne pas dépasser, qui sont globalement déjà appliquées. Cela fait longtemps que nous ne nous sommes pas retirés d’une compétition que nous n’estimions pas juste. Car les agences sont les premières fautives des dérives des compétitions en acceptant de participer aux quelques appels d’offre qui ne respectent pas les règles élémentaires qui sont loins d’être contraignantes pour les annonceurs. Si les compétitions font partie de la vie des agences, c’est à elles de se demander si elles correspondent aux besoins de l’annonceur, si elles ont des chances de les remporter, si leur investissement sera rentabilisé. Pour autant, l’indemnisation des agences participantes demeure une exception, c’est le jeu et c’est considéré comme un plus. Pascal Crifo : La rémunération des agences lors des compétitions est tout de même symbolique puisqu’elle montre le respect pour notre travail. Les compétitions font en effet partie de la vie des agences, puisque nous avons des objectifs de new business à remplir chaque année. Nous enchaînons donc les appels d’offre tout en les sélectionnant, pour éviter celles qui exigent des rendus au retour de vacances par exemple. En parallèle, des annonceurs nous choisissent sans passer par une mise en compétition, ce qui nous motive encore plus dans leur accompagnement. La relation entre annonceurs et agences repose avant tout sur des relations humaines, cela reste plus difficile de sélectionner une agence en se basant sur une ligne d’un tableau plutôt que sur ses talents. AgencesAgences créativesCabinets de conseilDuopoleGAFAMInfluence marketingInternalisation Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind À lire Etudes de cas Comment Citroën France a communiqué à la performance sur des sites exclusivement labellisés Digital Ad Trust en utilisant l'offre de Teads Entretiens Antoine Dubois (AccorHotels) : "Il nous a fallu plusieurs mois pour mettre en place une organisation média transparente" Entretiens Aurore Domont (Media.Figaro) : "Il faut remettre la stratégie marketing au coeur des enjeux des marques" essentiels Nos synthèses et chiffres sur les principales thématiques du marché Les mutations du search à l'ère de l'IA générative L'application inaboutie de la loi sur les droits voisins Google vs DOJ : tout ce qu'il faut savoir sur le procès qui pourrait redéfinir l'adtech L’essentiel sur les identifiants publicitaires La transformation du marché publicitaire en 2024 2023 : le marché publicitaire doit se préparer à la fin du tracking utilisateur Comment l’intelligence artificielle générative bouleverse les médias Les enjeux réglementaires des médias en 2023 analyses Les articles d'approfondissement réalisés par la rédaction Adtech : pourquoi la Commission européenne sanctionne Google de près de 3 milliards d’euros Retail media : une consolidation indispensable des régies pour répondre aux attentes des acheteurs publicitaires IA et monétisation des contenus : comment l’IAB Tech Lab veut contrôler les robots crawlers Droits voisins : l’Apig veut introduire une plainte contre Meta devant l'Autorité de la concurrence Paul Boulangé (Starcom France) : "Nous sommes en train de déployer Captiv8 en France, notre solution d'automatisation du marketing d'influence" Claire Léost devient DG de CMA Média, WPP Media promeut Stéphanie Robelus… Comment les SSP généralistes investissent le secteur du retail media Bénédicte Wautelet (Le Figaro) : “Toute solution qui utilise de l’IA en rapport avec nos contenus doit y être autorisée et nous rémunérer” Aides à la presse : combien les éditeurs ont-ils perçu en 2024 ? Le New York Times affiche toujours une croissance très robuste portée par le numérique data Les baromètres, panoramas et chiffres sur l'évolution du marché Le classement des éditeurs français qui ont le plus d'abonnés purs numériques Les données récoltées par les acteurs de la publicité en ligne La liste des sociétés présentes dans les fichiers ads.txt des éditeurs français Les gains de budget des agences médias Opt-out : quels éditeurs français interdisent les robots crawlers de l'IA générative ? Le panorama des sociétés spécialisées dans les technologies de l’e-retail media La liste des outils utilisés par les équipes éditoriales, marketing et techniques des éditeurs français Le détail des aides à la presse, année par année La liste des CMP choisies par les principaux médias en France Digital Ad Trust : quels sites ont été labellisés, pour quelles vagues et sur quel périmètre ?