Pierre Chappaz (Teads) : “Nous allons bâtir une plateforme de données Numericable – SFR – Teads”

Pourquoi cédez-vous Teads à Altice ?

Cet accord résulte d’un vrai choix stratégique dans un marché qui évolue vite et où les médias convergent. Notre analyse est simple : Teads a une position mondiale très forte grâce aux nombreux accords passés avec les principaux médias dans le monde, que ce soit en France (avec 87 % de couverture internaute, selon Médiamétrie), aux Etats-Unis, au Japon…

Depuis un an, nous sommes la première place de marché vidéo dans le monde en couverture selon ComScore (avec 291 millions de VU mensuels en février, dans un classement qui ne comprend pas Facebook et YouTube, ndlr). Nous en revendiquons d’ailleurs beaucoup plus puisque nous pouvons toucher 1,2 milliard d’internautes, dont 720 millions sur mobile. Mais Teads restait un petit acteur en terme de chiffre d’affaires, avec 187 millions d’euros de revenus générés en 2016, en hausse de 44 % certes, mais ça reste très petit.

Quels sont les derniers résultats de Teads ?

La société a réalisé un peu plus de 187 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2016, en progression de 44 % (130 millions d’euros en 2015, ndlr), avec un Ebidta positif depuis quatre ans. 55 % des revenus sont générés sur mobile et 35 % via le programmatique. Teads rassemble environ 500 personnes, avec une orientation très forte à l’international puisque nous sommes présents dans 21 pays.

Concrètement, que doit apporter Altice à Teads ?

Avec notre plateforme qui combine adserver vidéo et SSP vidéo, nous avons clairement le potentiel pour représenter une alternative à Google et Facebook auprès des annonceurs, mais il nous manquait deux axes que va nous offrir Altice. D’abord la data. Nous avons une offre riche et de qualité, avec nos données propriétaires ajoutées à des partenariats avec Digital Element (géolocalisation par IP, ndlr) et Nielsen par exemple, mais face aux données accumulées par Google et Facebook, ce n’est pas suffisant.

Un seul type d’acteur peut rivaliser avec les GAFA sur cet aspect, ce sont les opérateurs télécoms, et Altice se positionne à la pointe parmi eux. En associant les capacités de Teads et celles d’Altice, nous allons pouvoir associer des données TV et digital, attachées à une adresse physique que les opérateurs connaissent. Sous réserve des limites légales dans tel ou tel pays, nous aurons potentiellement accès à des données qui vont permettre de faire le lien entre TV, consommation physique et digital. Ce sera essentiel à l’avenir.

La deuxième motivation de ce rapprochement, c’est la fin annoncée de la frontière entre TV et vidéo, et même entre TV et internet. Cela a déjà commencé avec la télévision connectée et plus récemment les publicités ciblées ou “adressées” en télévision. Les dispositifs sont plus avancés dans certains pays, le cadre légal également, mais partout le mouvement est le même. Aux Etats-Unis, Altice USA (ex-Cablevision, qui est opérateur de télévision par câble et fournisseur d’accès à internet, ndlr) propose déjà des offres commerciales en TV au CPM, via une interface d’achat qui n’a rien à envier aux offres les plus utilisées sur internet. Nous voulons faire converger les possibilités de ciblage offertes par tous les écrans et proposer des offres publicitaires globales.

Vous avez été contacté par d’autres acquéreurs, et TF1, groupe TV proche de Bouygues Telecom, était présent au capital depuis plusieurs années. Pourquoi avoir accepté l’offre d’Altice ?

Nous avons été régulièrement approché ces dernières années et les marques d’intérêt se sont multipliées depuis un an. Nous avons été en contact avec plusieurs groupes français, américains, et même chinois. Nous avons en effet eu des discussions avec TF1 (qui possédait avant la transaction 7,18 % du capital, ndlr), quand le groupe était présidé par Nonce Paolini, mais les intérêts n’étaient pas forcément alignés, TF1 n’avait pas suffisamment de présence à l’international.

Altice nous offrait cette particularité et c’était le meilleur choix pour Teads. Nous visons les mêmes zones géographiques, notamment la France, l’Europe, les Etats-Unis, et comme je l’ai expliqué, il y a un vrai intérêt stratégique à unir nos forces. Et puis il y a le côté personnel : j’ai eu une vraie rencontre avec Patrick Drahi. Je ne le connaissais pas, si ce n’est en lisant ce qui est écrit dans la presse. J’ai été charmé et impressionné par sa passion, son empathie, sa rigueur et sa volonté d’entrepreneuriat. Cet aspect compte beaucoup à mes yeux. Peu de dirigeants de ce niveau ont une vision aussi forte. Sur le plan personnel – c’est un élément important – je me suis d’ailleurs engagé sur la continuité du projet.

Le montant peut sembler relativement modeste. Quelles sont les modalités de l’acquisition ?

Le closing doit encore avoir lieu. L’opération est effectuée sur la base d’un montant total de 285 millions d’euros pour 100 % des parts et de l’atteinte de nos objectifs. Mais seuls les investisseurs, qui étaient très majoritaires, cèdent l’intégralité de leurs participations (Teads a effectué de multiples levées de fonds et des ouvertures de ligne de crédit ces dernières années, auprès de Partech Ventures, Elaia Capital, Gemini, GIMV, Lightspeed Ventures, Solorun, TF1, Bpifrance, Bank of China, HSBC, BNP Paribas, et Banque Palatine, ndlr). Une partie du montant est donc conditionnée aux résultat de 2017 (75 % du montant sera versé à la finalisation de l’opération, prévue mi-2017, et 25 % début 2018, après le bilan des résultats annuels, ndlr).

Altice devient donc très majoritaire, mais le top management de Teads conserve des parts, notamment Bertrand Quesada, CEO, Jim Daily, président US, Justin Taylor, directeur général UK, Geoffrey La Rocca, directeur général France, et moi. Autrement dit, nous remplaçons des actionnaires essentiellement financiers qui n’avaient plus beaucoup d’interêt à figurer au capital par un actionnaire majoritaire qui sera aussi un partenaire stratégique.

Quels sont les premiers projets sur lesquels vous allez travailler avec Altice ?

Nous avons deux chantiers principaux à court et moyen terme. Premièrement, nous allons rapidement travailler sur les chantiers data et multiscreen. Après le closing, nous allons bâtir une plateforme unique Numericable – SFR – Teads pour mettre en commun et organiser nos données. Ce sera une plateforme ouverte à d’autres acteurs, qui pourront ajouter leurs données, par exemple les grands éditeurs médias, puisque nombre d’entre eux souhaitent associer leurs bases pour être plus forts. Des projets similaires ont déjà vu le jour dans d’autres pays, en Allemagne notamment (le projet Emetriq, présenté sur notre site, ndlr). La réticence éventuelles des médias à travailler avec une entité du groupe Altice ? Teads restera toujours ouvert sur l’extérieur, c’est dans notre intérêt. Il n’y aura aucun risque pour leurs data et nous allons d’ailleurs aussi mettre en commun les data du groupe.

Le deuxième projet sur lequel nous souhaitons avancer rapidement est l’offre ciblée multiscreen, et notamment l’offre de publicité ciblée en télévision. Y compris en France où le cadre légal le permet en TV locale. Alain Weill a présenté un projet il y a quelques semaines sur BFM Paris, Teads pourra y contribuer.

Vous allez intégrer la direction d’Altice. Quelle sera votre place au sein du groupe ?

Il n’y a pas de grande évolution dans l’organigramme. Je vais continuer à diriger Teads avec Bertrand Quesada et le reste du management. J’intègre effectivement en parallèle le comité de direction d’Altice, où je vais apporter mon expérience de la publicité et du numérique, mais je ne sais pas s’il faut parler de “supervision” des activités publicitaires. Nous allons tous travailler dans le même sens avec les différents managers et j’apporterai ma touche. 

Pierre Chappaz

2014 Cofondateur et président exécutif de Teads

2011 Cofondateur et président d’Ebuzzing

2006 Fondateur et président de Wikio

1999 Fondateur et président de Kelkoo

1995 Directeur marketing d’IBM