Accueil > Médias & Audiovisuel > Pierre Louette (Apig / Les Échos-Le Parisien) : “Nous devons rendre les textes législatifs plus contraignants pour les plateformes” Pierre Louette (Apig / Les Échos-Le Parisien) : “Nous devons rendre les textes législatifs plus contraignants pour les plateformes” mind Media a interrogé le président de l’Alliance de la presse d’information générale (Apig), par ailleurs président du groupe Les Échos-Le Parisien, sur l’enlisement des discussions avec les fournisseurs de LLM et la façon de faire respecter la propriété intellectuelle des éditeurs et les droits d’auteur, dans le cadre de la conférence mind Media Day. Il réclame au moins deux évolutions légales et appelle les autorités publiques à agir. Par Jean-Michel De Marchi. Publié le 24 octobre 2025 à 12h34 - Mis à jour le 24 octobre 2025 à 12h34 Ressources Quel regard portez-vous sur l’état de la presse et l’arrivée des fournisseurs d’IA et de LLM ? Nous faisons face à un paradoxe fondamental – et difficile à résoudre pour les éditeurs -, qui est que jamais la presse n’a été autant lue et autant diffusée, et pourtant, jamais elle n’a été aussi fragile économiquement. En une décennie, nous avons perdu 50% de nos recettes publicitaires, au profit des plateformes numériques comme Google et Meta, mais aussi désormais de certains acteurs chinois. Avec une troisième bataille qui s’ouvre désormais pour les éditeurs. La première fut l’émergence des plateformes, qui ont capté le déplacement en ligne des revenus de la publicité, en s’appuyant sur le programmatique. La deuxième concerne les droits voisins, et elle est toujours à l’œuvre. La troisième, potentiellement la plus décisive, nous oppose aux fournisseurs de modèles de langage (LLM). Ils utilisent massivement nos contenus pour entraîner leurs intelligences artificielles sans nous rémunérer. À cet égard, les 300 titres de l’Apig représentent une diversité de points de vue incomparable. Le pluralisme, la fraîcheur et la qualité des contenus des éditeurs d’information sont des spécificités essentielles pour les IA qui veulent répondre aux questions de leurs utilisateurs. Ils doivent nous rémunérer. Pierre Louette Depuis 2018 : PDG du groupe Les Échos et Le Parisien2008 : Directeur exécutif et secrétaire général d’Orange2003 : Directeur général, puis PDG de l’AFP2000 : Vice-président exécutif de Europaweb, fonds d’investissements dans le numérique (LVMH)1996 : CEO de l’agence de marketing numérique ConnectWorld (Havas Advertising)1995 : Secrétaire général et vice-président exécutif communication de France Télévisions1993 : Conseiller communication et nouvelles technologies au sein du cabinet du Premier ministre Edouard Balladur Où en sont justement les négociations avec ces acteurs de l’IA ? L’Alliance de la presse d’information générale (l’Apig, ndlr) et le SEPM ont proposé à tous ces acteurs des discussions il y a environ un an, un an et demi. Nous n’avons pas eu de réponses positives pour négocier sérieusement avec l’ensemble de nos titres. Mais nous devons rester solidaires et unis. Or, nous constatons que certains, comme Le Monde, professent régulièrement la défense des intérêts généraux sur certains dossiers mais privilégient dans les faits des accords séparés et individualistes, au détriment de l’approche collective, s’alignant en cela sur la stratégie d’acteurs comme OpenAI, qui fait sienne la devise “diviser pour mieux régner”. Cette entreprise signe avec un titre par pays, puis cesse les discussions avec les autres. OpenAI nous rétorque maintenant qu’ils n’ont pas les ressources pour négocier avec tous les éditeurs. C’est ubuesque : quand on lève des milliards de dollars, recruter ou pas quelques négociateurs par pays ou zone géographique relève d’un choix délibéré. L’IA dans les rédactions : les exemples de l’AFP, Ouest-France et Humanoid Les fournisseurs de LLM opposent souvent le “droit de fouille” et la liberté d’innover pour utiliser les contenus disponibles en ligne. Ces arguments contiennent une part de légitimité ? Pas du tout ! Et d’ailleurs, dans notre groupe comme dans beaucoup d’autres, notre approche est résolument pragmatique : nous voulons utiliser ces outils tout en défendant farouchement la valeur de notre production éditoriale. Nous sommes prêts à nouer des accords avec ces entreprises, mais contre une rémunération satisfaisante. La problématique est simple : ces acteurs collectent nos contenus protégés sans autorisation ni compensation, puis les revendent via des abonnements B2B ou B2C. Dans tout autre secteur, cela porterait un nom : du vol. Certains s’abritent effectivement derrière l’exception de fouille textuelle, mais ils la détournent de son objectif scientifique initial pour en faire un instrument commercial. Derrière les discours sur la liberté d’entreprendre, le libertarisme et les “progrès de l’Humanité”, qui sont mis en avant par ces acteurs, se cachent des intérêts particuliers et des valorisations de plusieurs dizaines de milliards d’euros quand ce n’est pas des centaines. Il y a une bataille culturelle à mener pour défendre la propriété intellectuelle et le droit d’auteur tels que nous les connaissons en France et en Europe. “Nos contenus donnent de la crédibilité aux moteurs de réponse IA, comme une marque donne de la valeur à un produit” Sur quels fondements juridiques appuyez-vous vos exigences ? Quatre principes élémentaires sont incontournables. Premièrement, l’autorisation d’utilisation relève exclusivement des ayants droit. Deuxièmement, les éditeurs sont titulaires de droits, reconnus par le droit voisin. Troisièmement, la mise en ligne d’un contenu, même gratuit, ne vaut pas autorisation de réutilisation. Enfin, les exceptions au droit d’auteur, comme la fouille textuelle, doivent être interprétées restrictivement. Or, nous assistons à un détournement de ces exceptions. D’ailleurs, nous, éditeurs d’information, devons des droits à nos journalistes via leurs droits d’auteur, qu’ils réclament maintenant aussi pour les droits voisins. Comment expliquer qu’en face, certains prétendent que nous n’avons aucun droit ? Synthèse de l’étude mind Media-366 sur l’IA générative appliquée à la recherche, aux médias et à la publicité Que répondez-vous à certains acteurs qui affirment que la citation des sources par les IA est une forme de valorisation des contenus des éditeurs et que cela apportera du trafic aux médias sur la durée ? D’abord, rien ne montre une hausse du trafic des éditeurs dans les pays où l’IA générative a été déployée dans les moteurs, au contraire, il y a moins de clics. Ensuite, l’affichage des sources, comme le pratique par exemple Perplexity, est un premier pas positif, car il attribue la paternité des contenus aux médias, mais cela ne suffit absolument pas. Nos contenus donnent de la crédibilité aux moteurs de réponse IA, comme une marque donne de la valeur à un produit. Quand une IA synthétise nos articles pour fournir des réponses, elle devient productrice de contenus à partir de notre travail. Les plateformes ne sont plus de simples hébergeurs – elles sont devenues productrices de contenu à part entière. Cette transformation fondamentale doit être reconnue juridiquement. Leur valeur ajoutée repose directement sur notre travail. Les éditeurs doivent impérativement autoriser l’exploitation de leurs contenus et le cas échéant être rémunérés. Il y a des accords individuels qui ont été annoncés avec des groupes médias et d’autres suivront probablement. Mais ils ne régleront pas la problématique du droit d’auteur pour l’ensemble de la presse… Nous plaidons pour la création d’un marché de licences obligatoires, contraignant les collecteurs de contenu à rémunérer les producteurs. Sans cela, comment financer les rédactions qui produisent la matière première utilisée par ces IA ? Concrètement, nous perdons 14-15% de ventes au numéro et 8-10% d’abonnés papier par an. Les revenus numériques ne compensent pas ces pertes. Si nous ne parvenons pas à monétiser notre propriété intellectuelle, c’est notre existence même qui est menacée. Il faut en prendre conscience et agir : cet enjeu dépasse largement la simple question financière des entreprises médias. C’est la diversité de l’information et le pluralisme démocratique qui sont en jeu. La presse d’information politique et générale constitue un pilier essentiel de notre démocratie. Son affaiblissement économique équivaut à un affaiblissement démocratique. Comment l’IA peut-elle contribuer à l’efficacité des stratégies de monétisation publicitaire des régies ? Cela fait plusieurs années que les éditeurs réclament l’intervention des autorités politiques pour un appui dans leurs discussions avec les plateformes. Sont-ils sensibles à vos arguments ? Il faut continuer à sensibiliser et à faire du lobbying. Au niveau européen, c’est délicat actuellement. En Allemagne, pour des raisons historiques, il y a une vraie réticence à ce que l’État se mêle de ce qui concerne la presse, y compris pour son financement. Les pays baltes et d’Europe de l’Est, quant à eux, sont souvent très favorables aux intérêts américains. La menace que représente pour eux la Russie n’aide pas à prendre leurs distances. En ce qui concerne la France, elle pèse moins lourd dans l’Europe actuelle, et son contexte politique national est complexe. Mais il y a des opportunités pour agir, et nous allons essayer de faire passer des mesures législatives en lien avec le DSA, le DMA et surtout l’AI Act. “Meta, OpenAI et Google sont peu engagés dans des négociations sérieuses. Leur position est pour l’instant de signer seulement avec quelques grands titres pour faire bonne figure” Certains acteurs de l’IA sont-ils plus ouverts au dialogue ? Perplexity a annoncé vouloir rémunérer les producteurs de contenus avec une enveloppe dédiée. Mistral – un acteur français, faut-il le rappeler – se montre également ouvert à la discussion. Notre groupe discute d’ailleurs avec ces acteurs. J’espère que l’on parviendra à au moins un accord très prochainement, auquel cas nous ferons en sorte que sa base soit applicable aux plus de membres de l’Alliance possible. L’Alliance vient également d’ouvrir des discussions intéressantes avec la société américaine Prorata.ai (sa technologie permet d’identifier les contenus des éditeurs utilisés par les plateformes d’IA générative, d’attribuer les sources, et de partager les revenus en fonction de l’utilisation, ndlr). En revanche, les autres grands acteurs – Meta, OpenAI, Google – sont peu engagés dans des négociations sérieuses. Leur position est pour l’instant de signer seulement avec quelques grands titres pour faire bonne figure, puis d’ignorer le reste de la profession. IA générative : panorama des solutions techniques de protection et de monétisation des contenus Devant l’inertie des discussions, la solution pour les éditeurs ne passe-t-elle pas par des actions en justice ? Nous sommes constamment dans un rapport de force avec les plateformes, et la question judiciaire se pose systématiquement. Nous avons d’ailleurs gagné tous nos combats engagés devant l’Autorité de la concurrence, avec un milliard d’euros d’amendes prononcées dans différents dossiers ces dernières années. Mais nous sommes trois ans après le lancement de ChatGPT et deux ans après nos premières initiatives. C’est très peu. Ce qui se joue avec les fournisseurs de LLM, c’est une bataille sur le partage de la valeur pour les 10, 20, 30, ou 50 ans à venir. On peut d’abord agir sur des leviers plus simples et plus rapides que les procès. Nous devons faire évoluer les textes législatifs pour les rendre plus précis et plus contraignants pour les plateformes. Quelles solutions concrètes proposez-vous ? Il faut d’abord lever un paradoxe : quand nous gagnons les actions engagées devant l’Autorité, les amendes prononcées vont alimenter les finances publiques, pas les médias qui sont lésés. Nous plaidons donc pour la création par le Parlement d’un compte d’affectation spéciale, via lequel ces fonds serviraient à financer les acteurs de la presse. Des parlementaires y sont sensibles. Nous voulons aussi que l’on renverse la charge de la preuve : aujourd’hui, les éditeurs de presse doivent fournir la preuve que les fournisseurs d’IA utilisent leurs contenus. On le sait désormais, c’est le cas. Mais ce sont des boîtes noires et cela reste complexe à démontrer juridiquement. Il faudrait qu’il y ait une présomption légale au terme de laquelle ces acteurs sont présumés avoir eu accès et avoir utilisé nos contenus, comme l’a proposé le rapport de la professeure Alexandra Bensamoun. Ce sont deux points qui nécessitent de nouvelles dispositions législatives, que j’évoquais précédemment, et que nous partageons avec le SEPM. Jean-Michel De Marchi Distribution des contenusFinancementGAFAMIA générativeIntelligence artificielleLobbyingplateformesPolitiqueSites d'actualitéTechnologies Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind À lire Analyses Protection et valorisation des contenus des médias : des discussions très laborieuses entre éditeurs et fournisseurs IA Confidentiels INFO MIND MEDIA - Les Échos veut faire un premier pas vers les contenus en anglais Comment l'adtech innove avec l'IA ? Thomas Remy nommé responsable France et Europe du Sud d’Anthropic Analyses L’Apig et le SEPM fustigent le discours de Google concernant l’absence de l’AI Mode en France Dossiers L'IA tient-elle ses promesses dans le marketing et l'achat média ? 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