Accueil > Médias & Audiovisuel > Relations avec les plateformes > Placement de produits et vidéos sponsorisées sur Youtube : quelles pratiques et quel cadre réglementaire ? Placement de produits et vidéos sponsorisées sur Youtube : quelles pratiques et quel cadre réglementaire ? Les audiences importantes générées par les MCN (Multi-Channel Network) et certains créateurs de vidéo sur Youtube (27 millions de VU mensuels) intéressent de plus en plus les annonceurs pour mener des dispositifs de marque. Mais la pratique du brand content reste encadrée à la fois par Google, qui tend à clarifier ses conditions pour garder le contrôle sur ses inventaires, et par les autorités de régulation de la publicité, qui fixent des règles en matière de déontologie et de transparence. Comment le brand content est-il pratiqué sur Youtube ? Quelles sont les conditions fixées par la plateforme et les règles relatives au placement de produit et aux vidéos sponsorisées ? Quel est le cadre législatif en vigueur et ses subtilités ? Satellinet a interrogé Google, des acteurs spécialisés dans la monétisation publicitaire sur Youtube (Wizdeo, Rightster, Influence4You), et des experts du cadre législatif et réglementaire (ARPP, K&L Gates) pour identifier les pratiques du brand content sur la plateforme vidéo. Par . Publié le 16 mars 2015 à 6h42 - Mis à jour le 16 mars 2015 à 6h42 Ressources YouTube représente aujourd’hui un bassin d’audience vidéo incontournable en France avec plus de 27 millions de visiteurs uniques et près d’1,4 milliard de vidéos vues sur sa plateforme (Médiamétrie//Netratings, janvier 2015). Avec la croissance de leurs audiences, les « Youtubeurs », ces créateurs de vidéos sur Youtube, affiliés ou non aux plateformes MCN (Multi-Channel Network), intéressent de plus en plus les annonceurs pour mener des dispositifs de marque. Selon une étude de l’agence spécialisée Influence4You sur le secteur du gaming, certains créateurs de vidéos rassemblent ainsi, à eux seuls, des audiences supérieures, en termes de temps passé, à celles de sites spécialisés comme jeuxvideo.com. La pratique du brand content au sein des vidéos Youtube tend donc à se développer rapidement, sous l’effet conjugué de la demande des annonceurs et de la nécessité des créateurs et des MCN de diversifier leurs revenus. Officiellement, pour éviter des conflits possibles avec ses différents formats publicitaires (bannières instream, pré-rolls trueview) et préserver l’expérience utilisateur, Youtube interdit depuis plusieurs années l’introduction de publicité à l’intérieur des vidéos. En revanche, le sponsoring et les placements de produits sont tolérés, sous certaines conditions. La frontière entre ces deux leviers de monétisation s’avère à ce titre ténue et les règles très floues, et l’enjeu pour Youtube est de clarifier ces conditions d’utilisation pour garder le contrôle de ses inventaires. Un marché important mais encore peu structuré Ce besoin de clarification illustre l’enjeu croissant que représentent le placement du produit et le sponsoring de vidéos. Youtube prélève en effet 45 % des recettes publicitaires générées via sa plateforme. Le modèle économique d’un MCN repose sur un partage de revenus publicitaires entre la plateforme vidéo, le MCN et le créateur : il ne perçoit ainsi qu’entre 16,5 % et 26,5 % des recettes publicitaires totales, selon une étude du cabinet NPA conseil, publiée il y a un an. Un peu plus tôt, le site spécialisé Readwrite relevait que cette proportion était insuffisante pour assurer la profitabilité des MCN à long terme. Malgré des audiences importantes, MCN et créateurs de contenus tentent donc de diversifier leurs revenus pour assurer la pérennité de leur modèle économique. Ces derniers se tournent ainsi vers des dispositifs de marque gérés en direct avec l’annonceur. Wizdeo, société créée en 2009 par Marc Valentin et positionnée sur la monétisation des contenus de créateurs et de producteurs sur Youtube, affirme par exemple réaliser désormais les deux tiers de ses revenus en dehors de son activité de MCN, via des opérations de brand content menées en direct pour ses clients, parmi lesquels Electronic Arts, la SNCF, Microsoft, Danone et Unilever. Ces opérations peuvent prendre différentes formes : création de chaînes, intégration de la marque au sein du réseau, mise en relation avec des créateurs de vidéos pour des opérations dédiées. Le tiers restant de ses revenus est issu de son activité de MCN « classique », regroupant 450 chaînes et revendiquant plus de 200 millions de vidéos vues par mois. La société compte environ 35 collaborateurs et affirme avoir réalisé une croissance de 30 % de son chiffre d’affaires en 2014 (3 millions d’euros de chiffre d’affaires revendiqué en 2013). « Dans le cadre de nos opérations de brand content, nous travaillons avec des créateurs de contenus, affiliés ou non à notre réseau. Nous commençons par ailleurs à commercialiser, en Saas, un outil baptisé Wiztracker, jusqu’ici utilisé en interne. Celui-ci permet à une marque de mesurer ses performances sur Youtube, de la comparer à ses concurrents et d’identifier des Youtubers pertinents », indique Marc Valentin, président de Wizdeo. Pour le MCN Base79, fondé en 2007 et racheté par Righster en 2014, société spécialisée dans la syndication de vidéos (6,2 millions de livres de chiffre d’affaires en 2013, 250 collaborateurs, dont une dizaine en France), le placement de produit tend également à prendre une part croissante au sein des revenus générés sur Youtube. Présente dans douze pays, la société revendique 4 000 chaînes en gestion, rassemblant 1,3 milliard de vidéos vues par mois. « Le placement de produit se développe rapidement et représente désormais entre 10 et 15 % de nos revenus », indique Mathieu Luquet, head of Central Europe chez Rightster. Fondée en 2012, l’agence Influence4You est quant à elle positionnée uniquement sur la mise en relations entre des créateurs de contenus et des marques afin de réaliser des opérations de placements de produits. D’abord spécialisée dans le secteur hightech, l’agence a déployé en 2014 un pôle consacré au secteur de la mode et de la beauté. La société, qui ne communique pas ses résultats, propose par ailleurs un outil gratuit, baptisé influencepanel, chargé d’identifier les utilisateurs de Youtube les plus pertinents pour les marques. Elle commence aussi à commercialiser une solution Saas de suivi des performances des marques concurrentes sur Youtube. « Nous assurons la mise en place de tout le dispositif ainsi que la rémunération des Youtubers afin d’être le seul intermédiaire pour la marque », souligne Stéphane Bouillet, PDG de Influence4you. Youtube cherche à « clarifier » ses conditions d’utilisation Dans ce type de dispositif, l’utilisateur de Youtube ou le MCN ne cède pas de commission à Youtube pour la conception de ces campagnes, celles-ci étant directement gérées entre le réseau et l’annonceur. En contrepartie, la marque doit en théorie s’engager à investir au sein d’une opération display classique sur la plateforme de Youtube (lire également notre dossier « Les multi-channels networks (MCN) : enjeux, organisations et perspectives » dans Satellinet n°191). Lors de la mise en ligne de la vidéo, l’utilisateur ou le MCN est donc tenu d’indiquer à Youtube la présence d’un placement de produit rémunéré, via une case à cocher dédiée dans les paramètres de monétisation de la vidéo. Cette indication permet ainsi à Youtube d’éviter les éventuels conflits avec d’autres formats commercialisés par ses équipes. La plateforme désactive alors les autres formats de monétisation afin de « protéger les intérêts des annonceurs » et de ne pas dégrader l’expérience utilisateur : « Si vous mettez en ligne une vidéo qui mentionne la marque de l’entreprise automobile A et lui accorde un placement de produit, il y aurait conflit si l’espace publicitaire autour de la vidéo était vendu à l’entreprise automobile B », explique Youtube dans son espace d’aide dédié au placement de produit. Afin de garder le contrôle sur ses inventaires, Youtube interdit également d’intégrer toute forme de publicité à l’intérieur des vidéos « si Youtube offre un format d’annonce comparable ». Le sponsoring de vidéos et le placement de produit sont donc en théorie tolérés, à condition qu’ils ne s’apparentent pas à du display classique au sein de la vidéo ou à une annonce vidéo pré-roll. Mais Youtube chercherait à mieux encadrer le sponsoring de contenus sur sa plateforme pour restreindre en partie cette activité qui lui échappe. Selon le site Digiday, la plateforme interdit désormais clairement les « cartes graphiques » en début de vidéo et l’apposition d’un logo de marque sur une vidéo, sans passer par les équipes commerciales de Google. Selon Paul Kontonis, CEO de la Global Online Video Association, cité par Digiday, ces nouvelles restrictions sont liées à la volonté de la plateforme de commercialiser un nouveau format publicitaire, très court et baptisé « product card », se présentant sous la forme d’un pré-roll de six secondes. La plateforme viserait ainsi à enrichir son offre en proposant aux annonceurs un moyen de sponsoriser une vidéo via un court message précédant la vidéo, et pouvant contenir un placement de produit. De son côté, Youtube ne donne pas de détail sur les nouveaux formats actuellement testés, et affirme n’avoir en rien changé sa politique, mais simplement clarifié les réponses de son centre d’aide dédié aux utilisateurs. « Nous recevons beaucoup de demandes et mettons régulièrement à jour ce document dans une optique de clarification. Aucune nouvelle clause n’a été ajoutée concernant notre politique d’utilisation », affirme un représentant de Google, contacté par Satellinet. Cependant, « le simple fait que Youtube précise ce qu’il est possible ou non de faire par des exemples concrets témoigne d’une volonté d’encadrer davantage le brand content. Le fait de ne plus pouvoir intégrer le logo d’un annonceur peut s’avérer problématique pour certains dispositifs de marque. mais cela va également pousser les créateurs de brand content à plus de créativité. En ce qui nous concerne, il ne s’agit pas d’une barrière », estime à ce propos Mathieu Luquet (Rightster). Pour Marc Valentin (Wizdeo), ces changements restent en revanche assez minimes et s’adressent davantage aux Youtubers indépendants qu’aux MCN. « Certains youtubeurs, particulièrement dans le secteur du gaming, insèrent parfois des panneaux publicitaires avant la vidéo, mais ces pratiques demeurent limitées en France », affirme-t-il. Selon lui, Youtube encourage au contraire les dispositifs de brand content auprès de ses partenaires, dans la mesure où ils contribuent à nourrir l’écosystème et la taille des audiences. « En tant que partenaire de Youtube, leurs équipes peuvent nous mettre fréquemment en relation avec des annonceurs pour que nous puissions les aider dans leur stratégie, et pour que leur opérations de brand content s’intègrent bien au sein de leur campagne publicitaire global », souligne-t-il. ” Le simple fait que Youtube précise ce qu’il est possible ou non de faire par des exemples concrets témoigne d’une volonté d’encadrer davantage le brand content. ” Mathieu Luquet (Righster) Un cadre légal flou et peu appliqué Google rappelle par ailleurs que les contenus postés sur sa plateforme vidéo doivent être en adéquation avec la législation de chaque pays. « Au niveau règlementaire, Youtube n’a pas la qualité d’éditeur des contenus, et n’a donc pas à connaitre ni à commenter leur nature publicitaire. En tant qu’hébergeur, il n’est pas tenu de fournir des outils à un éditeur qui met une vidéo en ligne, pour permettre à ce dernier d’être en conformité avec la loi. Néanmoins, il est de l’intérêt de Youtube de rappeler à ses utilisateurs leurs obligations en qualité d’éditeurs et de les responsabiliser. Si l’éditeur n’indique pas le caractère publicitaire des contenus qu’il diffuse, son silence peut être considéré comme un mensonge par omission et constitue une violation des règles lui imposant d’indiquer le caractère publicitaire d’un contenu », explique Etienne Drouard, avocat associé au cabinet K&L Gates. L’article 20 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique indique en effet que « toute publicité, sous quelque forme que ce soit […] doit pouvoir être clairement identifiée comme telle ». Elle doit également « rendre clairement identifiable la personne physique ou morale pour le compte de laquelle elle est réalisée. » Or, cette mention n’est pas toujours explicitement indiquée sur ce type de contenus. Récemment, des créateurs de vidéo ont ainsi été épinglés pour le caractère ambigu de certaines de leurs vidéos. En décembre, l’Express relevait par exemple que certaines vidéos de Cyprien (9,7 millions d’abonnés cumulés sur ces deux chaînes Youtube « Cyprien » et « Cyprien Gaming »), payées par des marques, ne comprenaient aucune mention d’un quelconque partenariat. Certains blogueurs ou créateurs de contenus se déclarent par ailleurs de plus en plus approchés par des annonceurs leur proposant de ne pas indiquer l’existence de leur partenariat en échange d’une plus forte rémunération. Malgré l’essor de ces pratiques, l’Agence de régulation professionnelle de la publicité (ARPP), dont le rôle est de veiller en France au respect des normes déontologiques fixées par la profession, n’a pour l’instant pas pris la parole sur ce sujet. « Notre recommandation est de fournir une indication explicite de la nature publicitaire d’un contenu, quelque soit le support. Nous estimons à ce titre que notre position est claire. Nous n’avons pas à préciser dans quels termes et où indiquer que le contenu vidéo est de nature publicitaire », estime Stéphane Martin, directeur général de l’ARPP, interrogé par Satellinet Bien que l’ensemble des acteurs s’accordent sur la nécessite pour les MCN et les créateurs d’adopter plus de transparence afin de ne pas détériorer la relation de confiance avec leur audience (et donc leur monétisation à long terme), le cadre légal et réglementaire reste donc confus. Si les MCN et éditeurs sont tenus de faire apparaître une mention, sa formulation et sa visibilité par les internautes ne sont ensuite pas réellement contrôlées. De même, un flou persiste quant à la nature publicitaire des placements de produit réalisés en échange d’une rétribution en nature et non d’une rémunération en numéraire. « Lorsqu’un Youtubeur est remunéré dans le cadre d’un dispositif de marque, nous lui demandons de l’indiquer dans la description de la vidéo, via une mention du type “cette vidéo a été réalisée en collaboration avec telle marque”. En revanche, cette indication n’est pas obligatoire lorsqu’il s’agit d’un don de produit, au même titre que pour un journaliste », estime par exemple Stéphane Bouillet (Influence4You). Le phénomène ne concerne pas seulement la France. Au Royaume-Uni, Guy Parker, CEO de l’Advertising Standards Authority (ASA), vient d’ailleurs d’annoncer le lancement prochain d’un programme de réflexion pour fixer les bonnes pratiques relatives à ce type de publicité. Dans une décision du 26 novembre, l’autorité de la régulation de la publicité britannique avait déjà rappelé à leurs obligations plusieurs utilisateurs de Youtube pour avoir publié une vidéo sponsorisée par Oréo (groupe Unilever) sans mentionner sa nature. « La publicité sur des chaînes vidéo qui ne sont habituellement pas promotionnelles aurait dû être clairement indiquée avant que l’internaute ne clique sur le contenu », avait souligné l’ASA (Advertising Standard Authority). En France, aucune action de ce type n’est en revanche à l’ordre du jour pour l’ARPP. Selon nos informations, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) mène actuellement une réflexion pour mettre à jour sa définition des Services audiovisuels de médias à la demande (SMAD). Selon la définition actuelle, ces derniers regroupent « tout service de communication au public par voie électronique permettant le visionnage de programmes au moment choisi par l’utilisateur et sur sa demande, à partir d’un catalogue de programmes dont la sélection et l’organisation sont contrôlées par l’éditeur de ce service », a l’exception notamment de ceux ne relevant pas d’une activité économique ou basés sur « du contenu audiovisuel créé par des utilisateurs privés ». Une intégration de certaines chaînes Youtube ou MCN au sein de cette catégorie pourrait engendrer davantage de contrôles sur les contenus de ceux-ci. Mais aucun calendrier n’est communiqué. ” Au niveau réglementaire, lorsque Youtube n’a pas la qualité d’éditeur des contenus, il n’a donc pas à connaître ni à commenter leur nature publicitaire. ” Etienne Drouard (K&L Gates LLP) CSAJuridique Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind À lire Les contenus vidéo des sites d’actualité bientôt contrôlés par le CSA ? essentiels Nos synthèses et chiffres sur les principales thématiques du marché Les mutations du search à l'ère de l'IA générative L'application inaboutie de la loi sur les droits voisins Google vs DOJ : tout ce qu'il faut savoir sur le procès qui pourrait redéfinir l'adtech L’essentiel sur les identifiants publicitaires La transformation du marché publicitaire en 2024 2023 : le marché publicitaire doit se préparer à la fin du tracking utilisateur Comment l’intelligence artificielle générative bouleverse les médias Les enjeux réglementaires des médias en 2023 analyses Les articles d'approfondissement réalisés par la rédaction Adtech : pourquoi la Commission européenne sanctionne Google de près de 3 milliards d’euros Retail media : une consolidation indispensable des régies pour répondre aux attentes des acheteurs publicitaires IA et monétisation des contenus : comment l’IAB Tech Lab veut contrôler les robots crawlers Droits voisins : l’Apig veut introduire une plainte contre Meta devant l'Autorité de la concurrence Paul Boulangé (Starcom France) : "Nous sommes en train de déployer Captiv8 en France, notre solution d'automatisation du marketing d'influence" Claire Léost devient DG de CMA Média, WPP Media promeut Stéphanie Robelus… Comment les SSP généralistes investissent le secteur du retail media Bénédicte Wautelet (Le Figaro) : “Toute solution qui utilise de l’IA en rapport avec nos contenus doit y être autorisée et nous rémunérer” Aides à la presse : combien les éditeurs ont-ils perçu en 2024 ? 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