Quel bilan dresser pour les plus grands projets médias financés par Google DNI ?

Lancé il y a plus de deux ans et demi pour soutenir l’innovation dans les médias européens, le fonds du programme Google DNI a déjà distribué en cinq phases, entre février 2016 et juillet 2018, 114,7 millions d’euros à 559 projets. A l’occasion d’une rencontre avec quelques journalistes français mi-juillet, Google en a présenté un premier bilan. Ainsi, 147 des projets financés, soit 32 %, ont déjà abouti. Et 80 % de ces 147 projets auraient atteint leurs objectifs initiaux.

Le fonds est géré par cinq personnes à plein temps. “Certains projets n’aboutiront pas, indique son directeur, Ludovic Blecher, et cela pour des raisons très différentes : changement d’actionnaire, de stratégie ou d’équipe. Et certains éditeurs dépensent moins que prévu ou s’arrêtent car ils ne rencontrent pas les résultats espérés ou n’ont plus les mêmes besoins.” Il souligne que les financements sont accordés sur facture.

Un point à noter : une partie des premiers projets proposés au financement ont bénéficié d’un “effet d’aubaine”, étant déjà prévus voire déjà amorcés avant la mise en place du programme.

Quatre médias français concentrent 27 % des projets financés en France

Sur les 559 projets retenus jusque-là, 53 étaient français, soit 9,4 % du total. Ces 53 projets se sont partagé 13,5 millions d’euros, soit près de 12 % des financements alloués. Quatre groupes médias en France ont été sélectionnés plus d’une fois par Google DNI.

Le groupe Figaro est le seul à s’être vu attribuer un financement lors de chacun des cinq appels à projet, à chaque fois dans la catégorie intermédiaire : un projet data pour CCM Benchmark en février 2016, “Weather Dialog” en novembre 2016, “Figaro Voice” en juillet 2017, un projet d’analyse des intentions d’achat des lecteurs en décembre 2017, puis un projet autour de son dispositif de stories en juillet 2018.

L’ensemble Les Echos – Le Parisien a lui été retenu à trois reprises ; à chaque fois dans la plus grande catégorie, où les projets sont financés à 70 % par Google DNI, avec un budget plafonné à un million d’euros : pour “Le Parisien Data Hub”, en novembre 2016, puis “Smarter Paywall” en décembre 2017, et un projet d’optimisation des abonnements en ligne pour Les Echos en décembre 2017.

Le Monde a lui aussi été sélectionné trois fois : pour Decodex (fact-checking) dans la catégorie intermédiaire en février 2016, ensuite en décembre 2017 pour un projet d’envergure autour de la personnalisation de contenus, puis dernièrement pour un outil marketing en juillet 2018 financé à hauteur de 752 500 euros.

2 des 7 projets “d’envergure” français  sélectionnés sont abandonnés

Il faut généralement entre un et deux ans pour que les projets financés se concrétisent. Si Google affirme qu’au total 147 projets financés sur 559 ont abouti au niveau européen (32 %), mind Media a tenté de savoir où en sont les six projets “d’envergure” français – c’est-à-dire ceux financés à 70 % par Google DNI, avec un budget plafonné à un million d’euros – qui avaient été sélectionnés lors des deux premières éditions du fonds en 2016, et quels ont été leurs résultats.

Verdict : Le Parisien Data Hub est encore en cours de développement, tandis que Slatedata a été abandonné et que Meltygroup live-cast semble au mieux au point mort. Mais au moins trois projets sont terminés : AFP Interactive, Euronews Vidéo 360, et The Enemy, dispositif conçu par la société de production audiovisuelle Camera Lucida. En voici les détails :

• AFP Interactive

En février 2016, l’AFP a donc obtenu un financement pour développer AFP Interactive, afin de créer une plateforme d’infographies interactives. “Le service infographies de l’AFP existe depuis 1988. Nous avons repensé cette offre pour l’adapter aux nouveaux supports, en particulier le mobile”, explique Sophie Huet, ajointe à la directrice de l’information. L’une des contraintes vient du fait que ces infographies doivent être intégrées de manière responsive sur les plateformes des clients éditeurs. Les outils proposés sur le marché à l’époque ne répondaient pas à ce besoin, il fallait donc que l’agence en développe un.

La vidéo qui constituait ces dernières années la priorité de l’AFP. “C’est le format qui mobilisait le plus de ressources en interne, souligne Sophie Huet. Sans le financement de Google, nous n’aurions pas pu lancer cette nouvelle offre aussi rapidement. Outre l’aspect financier, DNI a le mérite de contraindre les équipes à un calendrier, avec des jalons précis et contraignants à respecter, dont on doit justifier l’atteinte auprès de PwC”.

Le projet a été lancé en juin 2016. L’AFP a créé une équipe dédiée, comprenant un datajournaliste, un développeur, un web designer et un administrateur de bases de données. La première grande infographie interactive issue du projet a été réalisée à l’occasion des élections présidentielles américaines, en novembre 2016, puis l’offre a été lancée au printemps 2017. “Le bilan de ce projet est positif. Du point de vue fonctionnel, nous disposons désormais d’une boîte à outils solide, qui nous permet de décliner nos sujets sous de nombreux formats, avec des quizz, des vidéos courtes et longues, etc. Les clients sont satisfaits du produit”, affirme Sophie Huet.

• AFP Data

L’AFP a présenté un deuxième projet auprès de Google DNI au printemps 2017, qui a été sélectionné début juillet 2017. Baptisé AFP Data, il a démarré en octobre 2017. “C’est la suite logique d’AFP Interactive, puisque pour faire des infographies interactives, il faut des données de qualité. L’objectif était donc de produire et présenter des données qui soient intéressantes dans un usage éditorial”, explique Sophie Huet. Le projet comprend notamment des formations en datajournalisme et la création de jeux de données présentant un intérêt éditorial. Par exemple sur les accidents d’avion depuis l’après-guerre ou les séismes depuis le début du 21e siècle. 

L’AFP a trois partenaires pour ce projet : Open Data Soft construit la plateforme qui lui permet d’exposer ses données en interne et à des clients bêta testeurs. Un groupement de designers, le Laptop, l’aide à comprendre les attentes de ses utilisateurs dans les rédactions, tandis que Syllabs, spécialisé dans les robots-rédacteurs, l’aide à concevoir de premiers tests autour des données sportives. Le projet devrait être achevé en mars 2019.

• Le Parisien Data Hub

En novembre 2016, Google DNI a accordé un financement pour Le Parisien Data Hub, un projet qui visait à offrir de la donnée comme service à ses lecteurs – dans des domaines comme les transports, l’environnement, la santé, les loisirs – en réunissant les données disponibles à Paris et dans sa région dans un tableau de bord dédié et des widgets mobiles, notamment. “La vision qui sous-tend ce projet, c’est que le rôle d’un titre de PQR, dans quelques années, sera d’être une multiprise de données locales dans son bassin de vie”, explique Stanislas de Livonnière, responsable data & innovation du Parisien.

Le groupe a lancé le développement de l’outil à la fin du printemps 2017. Le projet se compose de trois volets, dont le premier est déjà fonctionnel : au sein de la rédaction du Parisien, les analytics web et les tendances de recherche, notamment, sont regroupées et diffusées sur des écrans dans les couloirs de la rédaction. Une déclinaison mobile dédiée est en cours de développement.

Le deuxième volet sera déployé à l’occasion du lancement du nouveau site du Parisien.fr, fin 2018 ou début 2019 : en fonction de leur géolocalisation, les internautes pourront y consulter des données pratiques, comme des événements à venir, l’état des transports, la météo, la qualité de l’air, les résultats sportifs locaux… Enfin le troisième volet consistera, à terme, à commercialiser cette “multiprise de données locales et professionnelles” sous la forme d’un service payant, à destination des entreprises et des collectivités locales.

L’équipe en charge du produit est composée de cinq personnes : un chef de projet, un data scientist et trois développeurs. Une dizaine de personnes y participaient indirectement dans les départements événements, mobile, syndication, marketing, juridique… Area17, l’agence qui est en charge de la refonte du futur site du Parisien, s’est vu attribué le volet expérience utilisateur du Parisien Data Hub.

• Euronews : vidéo 360

En février 2016, Euronews a obtenu un financement du fonds Google DNI pour faire monter en compétences sa rédaction dans la réalisation de vidéos à 360°. En juin, Thomas Seymat, journaliste au sein de la chaîne d’information, en dressait le bilan dans mind Media. Euronews a ainsi pu couvrir les frais de formations externes, l’achat du matériel, les heures consacrées à la réalisation de ces formats et les voyages sur le terrain.

La chaîne produit environ deux vidéos par semaines. 145 vidéos 360 ont été tournées par une quarantaine de journalistes entre juin 2016 et juin 2018 (une centaine en juin 2017). Elles ont totalisé plus de 13,5 millions de vues au total sur le site desktop et mobile et l’application mobile et tablette (9 millions en juin 2017). Un partenariat de co-branding et d’exclusivité avec Samsung a été noué fin 2016 pour utiliser ses caméras et smartphones, notamment. La vidéo 360 est incluse dans le catalogue des offres publicitaires du groupe.

• Réalité virtuelle et augmenté pour Camera Lucida

En novembre 2016, la société de production vidéo Camera Lucida a reçu un financement – d’un montant non dévoilé – pour un projet de réalité virtuelle appliqué au journalisme de guerre, baptisé The Enemy. Cette œuvre est déclinée sous la forme de deux expériences interactives. Une installation qui propose aux visiteurs de vivre une expérience sur 300 m2 avec un casque de réalité virtuelle et une application de réalité augmentée pour mobiles et tablettes. Un documentaire de 52 minutes pour retracer cette expérience a également été réalisé.

Sollicité par mind Media, Camera Lucida n’a pas souhaité répondre à nos questions. Le site de l’oeuvre indique néanmoins que l’application a été utilisée par 7 023 utilisateurs dans 100 pays. L’installation a été présentée à Paris en mai 2017, à Tel Aviv en juin 2017, à Boston au printemps 2018 et à Montréal en février 2018.

• Slatedata

De son côté, Slate France a reçu en novembre 2016, un financement pour “Slatedata”, une plateforme pour réaliser des indicateurs et baromètres sociétaux, à partir d’une base de données propriétaire. Sollicité par mind Media, Slate confirme que le projet a été abandonné. Il faut dire que la société a connu de profonds changement à l’été 2017, moins d’un an après avoir été choisie par Google, avec notamment le départ de Boris Razon, directeur des rédactions, Eric Leser, directeur général, et Charlotte Pudlowski, rédactrice en chef, et l’arrivée de Marc Sillam comme directeur général et de Christophe Carron comme rédacteur en chef (lire sur notre site).

• Meltygroup live-cast

Enfin en février 2016, meltygroup avait décroché un financement pour lancer une plateforme de diffusion vidéo multi-plateformes, dédiée aux vidéos courtes et au direct, et dotée de fonctionnalités d’interaction avec les utilisateurs. Melty avait présenté les détails de ce “projet live-cast” dans un communiqué de presse en mars 2016. Il s’agissait notamment de mettre à jour sa plateforme de vidéos en direct lancée en juin 2015. Sollicité par mind Media, Meltygroup n’a pas souhaité répondre à nos questions. Selon nos observations, ce projet, dont la version bêta était attendue en mai 2016, n’a pas vu le jour.