Accueil > Services bancaires > Banque au quotidien > [Info mind Fintech] Morning ferme Morning Pay : récit du fiasco de la reprise par la Banque Edel [Info mind Fintech] Morning ferme Morning Pay : récit du fiasco de la reprise par la Banque Edel Selon nos informations, la start-up rachetée par la banque de Leclerc en 2017 va fermer dans les semaines à venir ses comptes de paiement et cartes Morning Pay. Morning a fait l’objet de procédures judiciaires en France et aux Etats-Unis, à la suite d'un contrat en marque blanche signé avec Agora Services. Par Aude Fredouelle. Publié le 18 février 2020 à 10h09 - Mis à jour le 19 janvier 2024 à 15h44 Ressources Morning s’apprête à débrancher son service Morning Pay. Le 12 février dernier, son président David Huet a envoyé un e-mail interne pour informer les équipes qu’à la suite d’une “recrudescence de fraudes, réquisitions, ATD (avis à tiers détenteur, ndlr)”, ces dernières semaines, qui “fait courir un risque d’image et financier à Morning et ses associés”, “la direction a décidé de suspendre le service d’ouverture des comptes”. “Pour les clients, le site Internet sera bloqué pour cause de maintenance”, précise le message que mind Fintech a pu consulter. Le 18 février, le module d’ouverture de compte était effectivement en maintenance. David Huet indique aussi dans cet e-mail que cette suspension interviendra “dans l’attente de la communication publique sur l’arrêt des comptes de paiement/cartes qui sera faite à la fin du mois”, annonçant ainsi la fin de Morning Pay aux équipes. Cette annonce effectuée en interne confirme, selon plusieurs salariés interrogés, l’intention de la direction issue de l’univers Leclerc de “couper les activités de la société”. Une information confirmée par plusieurs autres sources à mind Fintech. Un point final qui clôt une série de décisions prises par l’actionnaire depuis 2018. Récit d’une acquisition qui a tourné à l’échec. Reprise à la casse en mars 2017 Créée en 2013 par Éric Charpentier sous le nom de Payname, la néobanque BtoC lève 5 millions d’euros en 2015, dont quatre auprès de MAIF Avenir. Selon nos informations, la MAIF prend alors 38,6% du capital de Payname, valorisant ainsi la start-up aux alentours de 10 millions d’euros. Fin 2016, Payname, devenue Morning, voit son activité gelée par l’ACPR faute de fonds propres suffisants et parce que le compte de cantonnement a été débité pour financer l’activité de cartes de paiement. Le président Éric Charpentier relate aussi un désaccord avec la MAIF, qui souhaite faire entrer au capital un partenaire industriel et développer une activité BtoB. En décembre 2016, MAIF Avenir réinjecte en urgence 830 000 euros pour renflouer la société. La situation se dénoue finalement début 2017. Le sauveur : la banque Edel, détenue à 66% par le Mouvement E.Leclerc via le Galec et à 34% par le Crédit Coopératif (BPCE), qui devient actionnaire majoritaire de Morning (lire notre article paru en 2017). Edel rentre progressivement au capital de Morning, sur la base d’une valorisation d’environ 850 000 euros, selon nos informations. En mars 2017, la banque détient 79,01% du capital, et elle montera ensuite à 91,40% en septembre 2018. Projet de fusion avec Paywe.L A la suite du rachat, Frédéric Senan, ex-responsable du développement de la banque Edel, est nommé à la direction générale. Sa stratégie : continuer de développer l’approche BtoC de Morning, mais aussi y greffer deux autres piliers : le BtoBtoC (programmes de fidélité, cartes cadeaux) et le BtoB avec une plateforme en marque blanche (lire notre article). “Les offres d’Edel et de Morning sur le BtoB pourront être mises en commun pour optimiser les forces commerciales”, nous indiquait en avril 2017 Frédéric Senan dans une interview. Selon nos informations, le DG avait alors imaginé une stratégie de fusion de Morning avec Paywe.L, plateforme de pré-acquisition monétique de la banque Edel. Créée en 2015, elle dégageait alors un résultat net annuel d’environ 4 millions d’euros. Objectif : donner corps début 2019 à une nouvelle entité baptisée Edel Payment Services (EPS), qui fournirait à la fois les services BtoC de Morning mais surtout des services de paiement BtoB pour les entreprises. Cette opération avait aussi pour objectif de conforter les fonds propres de la société. En 2018, Morning a dégagé un produit net bancaire de 917 286 euros et un chiffre d’affaires de 1,42 million d’euros pour une perte nette de 1,1 million d’euros et une perte opérationnelle courante de 3,2 millions d’euros. Elle achève l’exercice 2018 avec 1,87 million d’euros de capitaux propres, et un burn rate (mesure de cash-flow négatif) d’environ 300 000 euros par mois. En 2018, pour renflouer les fonds propres avant la fusion, la Banque Edel a d’ailleurs réinvesti 2 millions d’euros dans la société. Un tour de table suivi par la MAIF, pour éviter une dilution. La fusion, validée par les actionnaires de Morning, a été présentée à l’ACPR en même temps qu’une nouvelle demande d’agrément d’établissement de monnaie électronique (EME), rapportent des sources concordantes à mind Fintech. Cet agrément avait déjà été refusé plusieurs fois par le régulateur, selon nos informations. Concrètement, la fusion prévoyait l’apport par la Banque Edel de Paywe.L en échange d’actions Morning, aboutissant mécaniquement à une dilution des autres actionnaires. En septembre 2018, le régulateur a délivré l’agrément EME à Morning. Mi-décembre 2018, nouveau coup de tonnerre. La Banque Edel décide que l’opération n’aura pas lieu. Des raisons politiques internes à l’établissement sont évoquées pour expliquer le revirement. “Morning confirme que [le projet] n’est pas arrivé à son terme comme cela peut arriver pour tout projet de cette nature”, se contente d’indiquer la direction actuelle de la société. “Toute la stratégie orchestrée par Frédéric Senan reposait sur cette fusion”, confie à mind Fintech un ancien salarié de Morning. La néobanque, qui ne respectait plus les exigences de fonds propres, comptait sur cette opération pour se remettre à flot. En février 2019, la Banque Edel réinjecte, seule, 2 millions d’euros en urgence. Le 3 avril, l’ACPR est alertée de l’annulation de la fusion. Mi-avril, Frédéric Senan, révoqué de son mandat chez Morning, est remplacé par le COO Emmanuel Cros à la direction générale. Cependant, cette nomination n’a pas été entérinée officiellement par les associés. David Huet, directeur d’un centre Leclerc à Vendôme, est nommé président. Lancement avorté aux Etats-Unis Entre-temps, Morning avait commencé à prospecter en vue d’un lancement aux Etats-Unis. La société a immatriculé dans le Delaware une filiale, Agora Services LLC et a postulé au programme d’accompagnement Start Path de Mastercard outre-Atlantique. Mais après la création de la structure, début 2018, la banque Edel intime finalement à la direction de Morning de ne pas prospecter aux Etats-Unis. A la suite de la pré-sélection au sein de Start Path, la Banque Edel autorise tout de même Morning à partir défendre le projet outre-Atlantique lors de la session de pitchs – la société est d’ailleurs sélectionnée pour intégrer le programme. Mais puisque la Banque Edel s’oppose au lancement de Morning outre-Atlantique, la société cède finalement Agora Services au Français Arcady Lapiro (associé au lancement de Fortuneo), avec l’accord de son actionnaire majoritaire. Agora Services signe dans la foulée, en juillet 2018, un contrat avec Morning pour “intégrer la plateforme Morning en marque blanche et la commercialiser aux Etats-Unis”, révèle un ancien salarié à mind Fintech. Agora Services, qui a dévoilé en janvier 2019 une offre d’infrastructure de core banking en marque blanche hébergée sur Amazon Web Services (AWS), se base donc sur la technologie de Morning. Le contrat, qui court sur une durée de cinq ans et porte sur la fourniture d’une licence annuelle d’utilisation et d’une licence de maintenance, doit rapporter environ 2 millions de dollars à Morning en cinq ans, d’après nos informations. Il prévoit aussi une option d’achat du logiciel. Procédures judiciaires En avril 2019, la nouvelle direction de Morning décide d’arrêter les discussions en cours en BtoB et de bloquer les deux contrats existants : l’un avec l’espagnol Eurocoinpay, l’autre avec Agora Services. Le 8 avril, Morning coupe l’accès à son logiciel sur AWS sans prévenir ses clients. Des procédures judiciaires sont alors lancées par Agora Services, à la fois en France et aux États-Unis. “Depuis le 8 avril 2019, le logiciel ne figure plus sur le site AWS, empêchant Agora Services LLC de le présenter à ses clients potentiels”, peut-on lire dans une ordonnance de référé rendue par le tribunal de commerce de Toulouse le 19 avril 2019. L’ordonnance indique que Morning “reconnaît être intervenue pour supprimer les logiciels et les données sur le compte AWS de la société Agora Services LLC, ce sans son accord et sans mise en demeure préalables (…)”. Le tribunal de commerce de Toulouse a finalement condamné Morning à “remettre en place la plateforme”, selon l’ordonnance. Quant au volet américain de la procédure, Morning et Agora Services sont parvenus à un accord à l’amiable. Selon son rapport annuel 2019, Morning a finalement transmis l’intégralité du code source de son progiciel bancaire à Agora Services moyennant 500 000 dollars et lui a versé dans le même temps une indemnité transactionnelle de 950 000 dollars. Les développeurs de la société ont effectué le transfert via une société indienne. Fermeture progressive de l’activité Selon les collaborateurs ou anciens salariés avec lesquels nous avons échangé, la direction chercherait à fermer discrètement les activités de Morning. Aux manettes, deux dirigeants issus des activités de distribution de Leclerc : David Huet, côté Morning, et Laurent Leclercq (ancien président de Morning, co-gérant de la Banque Edel au titre de Leclerc et également dirigeant d’un centre Leclerc à Obernai). En février 2019, Leclerc annonce que la prestation de marketplace qui avait été confiée à Morning reviendra finalement à Adyen. Des développements avaient pourtant déjà été réalisés et la proposition de Morning acceptée. Mi-2019, les salariés de Morning quittent leurs locaux de Saint-Elix-le-Château pour rejoindre les bureaux de la Banque Edel à Labège, près de Toulouse. “Tout a commencé à se déliter, nous raconte un salarié. Nous nous sommes rendus compte que les dirigeants cherchaient à couper l’activité de paiement : tous les budgets de marketing concernant Morning Pay ont été supprimés, et ceux de Wipliz, la cagnotte, devraient aussi l’être au cours de l’année. Quant aux développements, ils sont devenus quasiment inexistants. Il n’y a plus de développements d’envergure sur Morning Pay depuis mai 2019. Le dernier développement de plus de deux jours hommes date d’octobre 2019.” Le mail de David Huet annonçant la fin prochaine des comptes de paiement semble confirmer le sentiment des salariés. Selon l’un d’entre eux, Edel a proposé aux salariés de Morning de partir travailler dans d’autres filiales du groupe. “Sinon, on nous a fait comprendre qu’il n’y aurait pas de ruptures conventionnelles et qu’il faudrait démissionner.” Au lieu d’une douzaine de développeurs lors du rachat par la banque Edel, Morning n’en compte aujourd’hui que six, selon ce salarié. La direction de Morning dément le refus de ruptures conventionnelles et assure que la société compte toujours douze développeurs. Banque Edel en vente Dernière solution en date, selon plusieurs sources proches du dossier : une fusion de la banque Edel avec Morning. MAIF Avenir détient toujours 7,6% du capital de Morning, aux côtés de la Dépêche du Midi (environ 1%) et de Wiseed (environ 1%). Ces tractations interviennent par ailleurs dans un climat particulier : Leclerc et le Crédit Coopératif chercheraient à revendre la Banque Edel, révèle notre enquête. Celle-ci, qui a enregistré un résultat net part du groupe de 7,7 millions d’euros en 2018, devrait publier des résultats en forte baisse au titre de 2019, selon nos informations. Contactée, la direction de Morning assure quant à elle qu’”il n’y a pas de fusion entre Morning et la Banque Edel à l’ordre du jour” et qu’un projet de cession de la Banque Edel n’est “à notre connaissance, pas à l’ordre du jour”. La Banque Edel n’a de son côté pas répondu à nos sollicitations. Aude Fredouelle acquisitionapplication mobilecagnottelevée de fondsnéobanquepaiement entre particuliers Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind À lire Entretien Richard Pouillaude (banque Edel) : "Un compte de paiement E. Leclerc basé sur Morning est en préparation" Morning a repris les activités de cartes prépayées de BNP Paribas Personal Finance Combien de clients pour les banques en ligne et les néo-banques en France ? Confidentiel [Info mind Fintech] L’équipe de direction de la néo-banque Morning renouvelée