Accueil > Services bancaires > Comment de nouveaux médias numériques contribuent à l’éducation financière Comment de nouveaux médias numériques contribuent à l’éducation financière Des entrepreneurs éditent des médias numériques liés à la gestion des finances personnelles pour toucher une cible jeune et aux besoins spécifiques. Tour d’horizon des initiatives récentes observées sur ce créneau. Par MATHILDE SALIOU. Publié le 14 septembre 2020 à 17h58 - Mis à jour le 01 septembre 2023 à 14h46 Ressources Comment aider les plus jeunes à gérer sereinement leurs finances ? Où trouver les outils qui permettront de gérer un budget, épargner et investir ? Comment s’y retrouver dans la profusion de produits financiers disponibles sur le marché ? Si les sites, livres et médias spécialisés sur la question se développent de longue date dans les pays anglo-saxons, il n’en est pas de même en France. Pourtant, le besoin existe. “Nous vivons dans un monde capitaliste où l’éducation financière donne les règles du jeu, explique la présidente du conseil d’administration d’Anaxago, Caroline Lamaud. Or, même si vous faites cinq ans d’étude dans la finance, le sujet de la gestion des finances personnelles ne fait à aucun moment partie de votre parcours.” Le seul levier qui permet à certains d’y voir plus clair, estime la co-fondatrice de la société de la plateforme d’investissement, “repose sur les parents, lorsqu’ils donnent quelques outils de compréhension”. Un avis partagé par Keyvan Nilforoushan, co-fondateur de la société d’aide à l’investissement immobilier Virgil et éditeur de la newsletter Spoune, qui souligne aussi le creusement d’inégalités. “Ceux qui ont reçu ce type d’éducation sont mieux équipés. Depuis nos débuts dans le milieu [avec Saskia Fiszel, co-fondatrice de Virgil, ndlr] nous constatons que les fortunes peuvent se perdre, mais qu’elles se reconstituent assez efficacement grâce à l’éducation financière transmise dans certaines familles.” Eduquer et former Encore faut-il, donc, venir d’une famille qui maîtrise les compétences nécessaires, et que le sujet ne soit pas “pesant, voire tabou”, comme a pu le ressentir la fondatrice de la newsletter Vestpod Emilie Bellet. “Dans ma famille, par exemple, on considérait que c’était impoli de parler d’argent.” C’est en constatant qu’elle manquait de connaissances en matière de finances personnelles, alors qu’elle travaillait chez Lehman Brothers, que cette entrepreneure française installée au Royaume-Uni a décidé de s’attaquer à la question, en 2016. Comme elle, plusieurs acteurs se sont lancés dans la création de podcasts et de newsletters pour délivrer des enseignements et des astuces financières. Si Keyvan Nilforoushan et Saskia Fiszel de Virgil ont lancé Spoune, c’est aussi pour contribuer à résorber ce déficit d’accès à la connaissance. “Auparavant, si la famille ne pouvait pas aider, on pouvait encore aller voir son banquier”. Mais ceux-ci sont “de plus en plus souvent considérés comme des commerciaux plutôt que comme des conseillers”, estime l’entrepreneur. Résultat : les nouvelles générations se sentent dépourvues d’interlocuteurs fiables. Un problème crucial dans la mesure où de bonnes connaissances financières favorisent une plus grande indépendance : un baromètre réalisé par Swiss Life à l’issue du confinement démontrait que la compréhension et les capacités de planification financière sont aussi importantes que la situation financière elle-même. 66% des personnes interrogées disposant de bonnes connaissances en la matière déclaraient se sentir libres de leur choix, contre 54% de celles reconnaissant ne pas s’y connaître. Il y a donc, derrière la multiplication de ces projets médias, une volonté d’éduquer et de former, mais aussi de casser les codes. Ainsi Guillaume Lartigau et Julien Saint-Georges, co-fondateurs de la société de gestion Axel, voient la publication de leur newsletter Step by Step comme un moyen de détendre l’atmosphère. “Au gré de nos activités, nous rencontrons beaucoup de jeunes actifs qui se sentent perdus sur ces sujets, explique Julien Saint-Georges. Ils se demandent s’ils sont assez qualifiés pour traiter les questions de patrimoine, et ils ont l’impression, parfois, qu’elles ne se posent qu’aux gens qui détiennent un patrimoine plus important…” Alors qu’il vise une cible légèrement plus âgée avec son podcast La Martingale, Matthieu Stefani livre un constat similaire. “De nombreux sites web existent déjà sur la thématique. Même les premières banques en ligne proposent quelques ressources mais la plupart du temps, ce sont des articles à l’approche datée”. En bref : on s’ennuie, raison pour laquelle tout un public s’éloigne de ces outils. C’est aussi pour cela que Yoann Lopez, créateur de Snowball, a fait le pari de “parler de finance en utilisant des mots simples, en évitant le jargon”, en montrant concrètement ce qu’il teste et comment cela fonctionne. Bâtir des communautés fortes Quoi de neuf chez ces nouveaux médias financiers ? Le format, à coup sûr : podcast ou newsletter, ils investissent des canaux qui permettent de bâtir des communautés fortes. Quant aux sujets, qu’il s’agisse d’enseigner comment élaborer puis tenir un budget, commencer à investir ou effectuer des placements dans l’art, ils sont majoritairement traités de manière pratique, avec des exemples précis et des conseils gratuits… ou pas. Car, parmi les modèles qui se dégagent dans cette activité, l’un passe par la création d’une entreprise autour de sa fondatrice – comme Budget Chéri autour de Delphine Pinon, Vestpod autour d’Emilie Bellet. La newsletter ou le podcast sont alors des produits d’appel, permettant de vendre ensuite une méthode budgétaire et des offres de coaching, des formations, ou encore des livres et des prises de parole. Une version élargie de ce modèle réside dans un média gratuit adossé à une fintech ou une start-up média. C’est le cas de Spoune, adossé à Virgil, et de Step by Step, contenu édité par la start-up Axel. L’autre grand modèle est celui du sponsoring. Ainsi, La Martingale, produite par l’agence numérique CosaVostra, est soutenue financièrement par différents acteurs selon la saison : OTEA Capital pour les deux premières saisons, Atland Voisin pour la saison en cours. Le tout moyennant un tarif se situant “entre 1 500 et 3 000 euros l’épisode”, selon Matthieu Stefani. Plus généraliste, #5Nov16h47– le nom de la newsletter féministe évoque la date symbolique à partir de laquelle les femmes se sont mises à travailler “gratuitement” en France en 2019, si l’on compare leur salaire moyen cette année-là par rapport à celui des hommes – fonctionne sur un modèle similaire. Lancé en 2019 par Gloria Media, ce projet pensé pour “interroger le rapport des femmes à l’argent” par sa fondatrice Rebecca Amsellem est financé par L’Oréal. Parmi les publics visés, la cible féminine est quelquefois soulignée pour ses spécificités – salaires moins élevés, monoparentalité plus fréquente, etc (lire notre encadré). Si un Yoann Lopez regrette compter pour le moment “près de 80% d’hommes” parmi ses abonnés, tous les initiateurs de médias d’éducation financière ne jugent pas nécessaire de séparer strictement le public féminin du masculin. Là où tous se retrouvent, c’est sur l’âge de leur audience : de 25 à 40 ans, dans la mesure où chacun essaie d’atteindre tout ou partie des générations Y et Z. Les Femmes, une cible particulière ? Plus touchées par la pauvreté (8,2% contre 7,2% des hommes), moins bien rémunérées que les hommes (l’écart de rémunération moyen se chiffrait à 18,5% en 2019), moins bien protégées lorsqu’elles arrivent à la retraite (elles perçoivent 1 300 euros en moyenne contre 1 800 euros pour les hommes, soit un écart de 40%), les femmes font face au cours de leur vie à des problématiques financières spécifiques. Elles sont aussi moins sensibilisées et formées aux questions financières que les hommes. En 2013, selon l’OCDE, 49% des femmes britanniques pouvaient expliquer le principe des intérêts composés, contre 75% des hommes. Par ailleurs, 60% des Polonaises ignoraient que les produits d’investissement à haut rendement impliquent une prise de risque élevée. En 2017, une étude de l’American College of Financial Services démontrait que quasiment moitié moins de femmes que d’hommes avaient les connaissances suffisantes pour répondre à un questionnaire sur le financement de la retraite. En 2019, une étude d’Allianz soulignait une perte de confiance des Américaines dans leur situation financière. La Banque mondiale a identifié le renforcement de l’éducation financière comme un moyen de réduire l’écart d’inclusion financière entre les hommes et les femmes. De ce fait, des médias spécifiquement pensés pour répondre aux problématiques des femmes en matière de finances personnelles ont émergé. C’est notamment le cas de Vestpod, lancé en anglais (et en Angleterre) par la française Emilie Bellet, qui dispense des conseils pratiques pour gérer son argent et dont plusieurs versions internationales sont en gestation. #5Novembre16h47 s’attaque à la question d’un point de vue un peu plus théorique, creusant la question des inégalités financières entre les hommes et les femmes. Delphine Pinon assume quant à elle le positionnement “féminin” de son podcast Budget Chéri, mais affirme avoir une représentation équilibrée d’hommes et de femmes parmi les auditeurs qui la contactent. Les sujets se différencient aussi en fonction du patrimoine de la cible. Spoune, Snowball ou Budget Chéri proposent des conseils budgétaires exploitables par tous, tandis que La Martingale fournit des éclairages sur des placements qui exigent parfois un niveau de revenus relativement élevé. Quelques milliers de lecteurs ou auditeurs Comment ces propositions sont-elles reçues ? Spoune indique compter 10 000 lecteurs neuf mois après son lancement et souligne la puissance de la communauté : “La qualité de l’échange nous intéresse plus que le nombre, déclare Keyvan Nilforoushan, et force est de constater qu’à chaque édition, nous recevons des réactions, des commentaires, des recommandations de la part de nos lecteurs.” C’est dans cette relation-là, dit-il, que réside l’un des atouts de la newsletter. Budget Chéri recense 10 000 auditeurs par mois, uniquement grâce à de l’acquisition organique, tandis que La Martingale, qui s’appuie sur une agence plus installée et sur la double casquette de Matthieu Stefani, qui gère aussi le podcast Génération Do It Yourself, réunit plus : son audience tourne autour des 50 000 écoutes par mois “avec une progression de 20 % chaque mois”. Ces chiffres situent ces initiatives très loin des succès américains, qui se comptent en millions de lecteurs : 7 millions pour un exemple du genre, la newsletter theSkimm, dont l’éducation financière constitue l’un des sujets récurrent. Chaque créateur de média souligne toutefois la traction que favorise leur thématique. Cette différence de volume d’audience s’explique aussi par la jeunesse de ces nouveaux médias financiers français – “la passion economy, qui pousse à la création de média autour d’une personne installée en indépendante, ne prend son envol que depuis 2017″, analyse Yoann Lopez. Il y a aussi cette différence culturelle que souligne Rebecca Amsellem : “Notre rapport à l’argent, en France, n’est pas le même”, pas aussi décomplexé qu’aux Etats-Unis. Tabou ou pas, “en matière d’argent, on demande aux ménages de prendre de grandes décisions et de faire des choix qui les engagent pour leur vie entière, rappelle Emilie Bellet. Or, on ne leur a jamais rien appris sur le sujet”. Pour l’entrepreneure, la multiplication de projets dédiés au sujet peut même être interprétée comme un “signal d’alarme” sur le manque qui existe en la matière. Emilie Bellet, Matthieu Stefani ou encore Keyvan Nilforoushan pointent la “capitulation totale des banques. En transformant le conseiller en vendeur, elles ont déserté un terrain qui était pourtant le leur”, estime le cofondateur de Virgil. Si certains établissements développent leurs propres contenus, comme Boursorama avec son émission Ecorama diffusées sur Youtube, et que d’autres diffusent de loin en loin quelques vidéos explicatives sur un produit, peu d’acteurs financiers ont pris le parti d’une approche structurée autour des sujets de finances personnelles. Pour Keyvan Nilforoushan, un gouffre s’est créé entre les médias ultra-spécialisés et les généralistes qui ne parviennent pas à fournir les clés nécessaires. “Il y a aussi cette question générationnelle, qui fait que les jeunes en ont marre d’être infantilisés, de s’entendre dire : fais confiance à l’expert”. Il revient donc aux spécialistes et aux passionnés de créer des passerelles, de simplifier, et de donner des clés de compréhension via des médias en phase avec les usages des 25-40 ans. MATHILDE SALIOU inclusion financière Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind