Accueil > Assurance > Assurance embarquée : une passerelle vers les écosystèmes numériques Assurance embarquée : une passerelle vers les écosystèmes numériques La montée en puissance des plateformes en ligne et l’évolution des usages ouvrent de nouvelles perspectives pour les acteurs de l’assurance. Ce nouveau paysage leur donne la possibilité d’intégrer leurs produits de manière pertinente aux parcours d’achat, à condition d’en maîtriser les spécificités et les enjeux. Comment répondre aux besoins des distributeurs et des clients finaux ? Quels sont les défis technologiques à relever ? mind Fintech fait le point avec astorya.vc, Moonshot Insurance, Wakam, Allianz France et Seyna. Par Antoine Duroyon. Publié le 07 avril 2021 à 18h22 - Mis à jour le 07 avril 2021 à 18h22 Ressources L’assurance ne s’achète pas, elle se vend. Cette maxime, connue de longue date des assureurs, pourrait prendre un nouveau sens avec le développement du concept d’assurance embarquée (“embedded insurance” en anglais). Cette approche consiste à intégrer de manière fluide et pertinente la souscription du produit d’assurance dans le parcours d’achat d’un bien ou service proposé par un tiers, ainsi qu’à simplifier le processus d’indemnisation. Une logique qui se marie à merveille avec les écosystèmes numériques, dans l’e-commerce, la mobilité, la “gig economy” (l’économie à la tâche), la fintech, etc. Et à clé, de nouvelles sources de revenus et un enrichissement de la proposition de valeur pour les distributeurs. Selon le consultant Simon Torrance, les primes brutes émises via l’assurance embarquée sur le segment dommages pourraient dépasser les 700 milliards de dollars d’ici 2030, soit 25 % du marché total au niveau mondial. Un potentiel de marché révolutionné “Alors que nombre d’assureurs sont obsédés par la perspective d’une réglementation open insurance, la réalité du marché montre que la demande est tirée par les plateformes et écosystèmes numériques. Aujourd’hui, le goulot d’étranglement pour une start-up comme Weecover (dans laquelle astorya.vc a investi, ndlr), c’est lorsqu’elle se retourne vers le marché pour voir si un assureur est en mesure de lui apporter la capacité pour lancer un produit”, souligne Florian Graillot, cofondateur et partner d’Astorya.vc, une structure d’investissement early-stage dédiée à la thématique assurance. Basée à Barcelone et fondée par Jordi Pages, un ancien responsable de Zurich en Espagne, la start-up Weecover propose d’intégrer directement dans le tunnel d’achat des sites e-commerce une proposition d’assurance (santé animale, mobilité…) à souscrire en un clic. L’open insurance, un mouvement à deux faces Cette dynamique de l’assurance embarquée s’inscrit dans le mouvement plus large de l’open insurance, similaire à celui de l’open banking bien qu’il ne soit pas poussé par des exigences réglementaires. “Une vingtaine de start-up de l’insurtech sont positionnées sur cette thématique en Europe, commente Florian Graillot, cofondateur et partner d’Astorya.vc. Schématiquement, elles se scindent en deux catégories : du côté de la demande, elles servent les plateformes et des acteurs de l’e-commerce (comme Qover en Belgique, Weecover en Espagne, Moonshot Insurance en France, ndlr), et du côté de l’offre, elles s’adressent aux assureurs (comme Kasko par exemple, ndlr)”. Ces deux positionnements ont leurs avantages et inconvénients. Le modèle SaaS tourné vers les assureurs peut générer rapidement des volumes intéressants mais se voit contraint par les cycles et process de vente à l’œuvre dans l’assurance. Celui en BtoBtoC orienté vers les plateformes permet de signer plus rapidement des partenariats mais implique potentiellement plus de temps pour atteindre des volumes significatifs. Comme le rappelle Vincent Champarou, responsable du fonds MH Innov’, dans une analyse publiée sur Medium, “le principe de l’assurance embarquée n’est pas une nouveauté. On connaît déjà ce principe dans la distribution physique avec ce qu’on appelle traditionnellement l’assurance affinitaire (extension de garantie, assurance voyage…, ndlr). Le digital ne révolutionne pas le concept, mais l’explosion des services digitaux en révolutionne le potentiel de marché”. Le placement du produit au moment de l’acte d’achat n’est pas toujours l’option retenue. Dans l’assurance affinitaire (appareil nomade), le courtier Coverd (accompagné par Hannover Re et Cowen) a choisi pour le moment de se démarquer sur un marché ultra-concurrentiel avec une proposition en post-achat . “Grâce à nos technologies anti-fraude, nous pouvons assurer des téléphones d’occasion, loués, reconditionnés et même cassés en dehors de l’acte d’achat, alors que le marché se concentre sur un upsell au moment de la transaction. Nous pouvons proposer notre offre à des distributeurs qui sont déjà en relation avec des concurrents et proposer à leurs clients une alternative”, explique Hugo Saias, fondateur et CEO de Coverd (et cofondateur de Save). Rapidité, expertise, adaptabilité Un assureur comme Wakam (anciennement La Parisienne Assurances) fait le pari que la digitalisation croissante de l’assurance, poussée par l’API-sation des systèmes, et l’évolution des modes de consommation vont faire de l’assurance embarquée un nouveau standard. “Si on se projette dans un monde d’assurance embarquée, c’est un univers où on ne se préoccupe plus d’acheter de l’assurance. C’est déjà intégré dans les produits que vous possédez mais aussi, de manière plus nouvelle, dans les produits et services que vous consommez à l’usage”, estime Franck Pivert, chief revenue officer de Wakam, dont les APIs sont consommées plus de 4 millions de fois par semaine. “Les attentes des distributeurs se résument aujourd’hui en trois points : rapidité pour traiter un sujet, expertise partagée, adaptabilité”, note Franck Pivert. Le terrain de conquête est vaste. “Les assureurs associent souvent l’open insurance aux produits affinitaires (smartphone, trottinette). Or, on voit émerger des exemples concrets sur des produits à marge, comme la santé, ou d’appel, comme l’auto”, abonde Florian Graillot. Exemple ultime mais encore rare, l’auto-école en ligne Ornikar a créé sa propre structure d’intermédiation pour embarquer dans son giron une offre d’assurance à destination des jeunes conducteurs, souscrite auprès du Gamest (Groupement des assurances mutuelles de l’Est) après une première expérimentation avec Direct Assurance, filiale d’AXA. Des intermédiaires technologiques se sont résolument engagés sur cette voie pour établir des passerelles entre assureurs et distributeurs. Fondée en Belgique en 2016, l’insurtech belge Qover propose des produits sur une logique “as-a-Service” à des fintech, plateformes de la gig economy et places de marché numériques. Avec le soutien d’assureurs comme Wakam ou Chubb, la société embarque ses produits de protection des achats, d’assurance annulation ou d’assurance accident dans les services fournis par le challenger Revolut ou les plateformes de livraison Deliveroo et Wolt. Présent dans 32 pays européens, Qover peut répondre aux besoins de plateformes qui déploient leurs services sur plusieurs marchés simultanément. En France, Moonshot Insurance, start-up portée par Société Générale Assurances, met en avant une dimension contextuelle, qui repose sur l’exploitation adéquate de données. “L’assurance contextuelle a un champ d’application plus large que la seule assurance embarquée au sens où elle peut adresser des besoins qui viennent naturellement dans un contexte même s’ils ne s’attachent pas directement au service ou au produit vendu. Ainsi, on peut imaginer proposer une assurance voyage à un client qui réalise un achat lié au tourisme ou aux vacances mais qui n’est pas en soi en voyage (par exemple, l’achat de matériel de ski ou de plongée)”, avance Pascal Bied-Charreton, CEO de Moonshot Insurance. La société revendique plus de 500 000 polices vendues et a signé des références dans l’e-commerce comme Rakuten. Chez Wakam – plus de 100 partenaires et plus de 400 millions d’euros de chiffre d’affaires (primes émises) en 2020 – l’assurance embarquée poursuit son essor, auprès des trottinettes électriques en free floating (Dott, Zego…), des applications d’assurance à l’usage (Cuvva), mais aussi de manière plus surprenante, dans la joaillerie. Courbet, maison de la place Vendôme, a ainsi intégré nativement au bien acheté l’assurance contre le vol caractérisé de GoodsID conçue avec Wakam. Cette garantie, directement incluse dans le certificat d’authentification numérique, couvre l’acheteur pendant deux ans. En cas de vol caractérisé, la compensation s’effectue sous la forme du remplacement du bijou à neuf, identique à celui volé. La dette des systèmes legacy Aujourd’hui, le sillon de l’assurance embarquée est creusé par quelques acteurs innovants, qu’ils soient courtiers ou assureurs, tandis que les compagnies historiques s’efforcent de faire évoluer leurs systèmes legacy. “Il y a plusieurs défis à placer ses produits sur les plateformes et à les inscrire dans les parcours, notamment en termes de fluidité et de rapidité. C’est l’un des chantiers technologiques que nous menons en interne sur la période 2020-2025. Nous accélérons la mise en place d’outils de type APIs, plus performants et homogènes sur l’ensemble de notre plateforme technologique”, assure Jean-Baptiste Perret Torres, directeur de la stratégie, de l’innovation et des fusions-acquisitions chez Allianz France. “Pour des enjeux liés à la technologie ou aux spécificités des besoins clients, nous pouvons passer par un partenariat avec du courtage mais cela n’est pas systématique. Avec des plateformes de la gig economy par exemple, il est aussi intéressant de traiter en direct et d’être mutuellement moteur d’acquisition et générateur de leads. Nous pouvons alors apporter à notre partenaire numérique la puissance et l’accompagnement de nos réseaux grâce à notre logique multi-accès”, détaille le responsable. Allianz France compte plus de 40 partenaires dans l’écosystème des plateformes de mobilité, dont Getaround et CityScoot. “En termes de volume d’affaires, l’activité relative aux acteurs numériques reste encore marginale. Mais la croissance est très forte, comme celle du marché, et nous y voyons donc un intérêt stratégique majeur en termes de positionnement et d’accompagnement des nouveaux besoins”, pointe Jean-Baptiste Perret Torres. Renouveler la proposition de valeur D’autres acteurs ont l’avantage de partir d’une page blanche. C’est le cas de Seyna, un assureur dommages indépendant qui s’est lancé commercialement fin 2019 et dans lequel InnovAllianz (le fonds de capital innovation d’Allianz France, géré par Idinvest) a investi. La compagnie déclare avoir assuré plus de 40 000 personnes (plus de 25 000 polices souscrites à fin 2020) au travers d’une trentaine de programmes en France (Cdiscount, E.Leclerc, Décathlon…) et a dégagé l’an dernier un chiffre d’affaires (primes émises) de 2,7 millions d’euros. La crise de la Covid-19, qui a touché de plein fouet les segments du voyage et de l’événementiel (assurance annulation billetterie), impose un repositionnement sur de nouveaux segments : santé animale, cyber-risque, garanties sur les biens du quotidien, etc. “L’intégration est le vaste sujet de notre industrie, commente Stephen Leguillon, nommé CEO de Seyna en février 2021 pour accélérer le développement technologique et lancer la phase d’industrialisation. Après avoir démarré avec une API standardisée à laquelle devait se conformer ses clients, Seyna a totalement revu son approche pour proposer une API-as-a-Service. Désormais, notre système génère une API par client, adaptée à son schéma de données. Un middle-office retraite les données pour qu’elles soient uniformes dans notre système et le client a le choix d’utiliser l’API ou de déposer ses fichiers sur des serveurs sécurisés. Cette flexibilité sans perte d’efficacité permet de faire avancer l’industrie vers l’assurance embarquée”. Le CEO insiste par ailleurs sur la nécessité de porter le risque et d’être directement dépendant de l’équilibre économique du portefeuille pour pouvoir itérer et adapter rapidement son offre. Chez Wakam, Franck Pivert met aussi en avant cette capacité à pouvoir faire preuve d’une réactivité sans faille. Lors du premier confinement, “nous avons grâce aux APIs pu réduire très rapidement la prime des VTC et même faire évoluer leur statut de transporteur de passagers à celui de transporteurs de marchandises”. Pour ne pas se retrouver relégués au simple rôle de porteur de risque, laissant la maîtrise technologique à des intermédiaires (comme Qover), les assureurs travaillent aussi sur leur proposition de valeur. “Nous avons ouvert aux courtiers et réassureurs un outil de business intelligence initialement développé pour l’usage interne de Seyna. Cela leur permet d’accéder aux données en temps réel, illustre Stephen Leguillon. Sur notre feuille de route, nous avons également la mise à disposition d’un outil pour qu’un partenaire e-commerçant ou courtier puisse intégrer sur son site web l’ensemble du parcours de souscription”. A défaut, les assureurs pourraient voir de plus en plus d’acteurs, parfois inattendus, venir disputer leur expertise et légitimité. “L’assurance est le bon exemple d’un produit conçu par notre équipe des applications internes. Nous avons développé le produit d’assurance et nous l’avons connecté au véhicule, puis nous avons étudié les données et calculé le risque. Tout cela est fait entièrement en interne – en fait, il s’agit d’une application logicielle interne”, a ainsi déclaré sans détour Elon Musk à propos de l’offre d’assurance proposée par Tesla (et dont le porteur de risque est State National en Californie). Encore à ses balbutiements, l’assurance embarquée ouvre de nombreuses promesses en termes de transparence, de simplicité et de lisibilité de l’offre, de facilitation du processus d’indemnisation. “L’assurance embarquée ne va pas remplacer le courtier de proximité, mais elle peut permettre de proposer de nouveaux produits difficiles à lancer dans un réseau en tirant parti des données du distributeur”, estime Florian Graillot. Jusqu’où ce mouvement peut-il aller ? “En somme, les évolutions sociétales et technologiques actuelles concourent à l’apparition d’un système d’assurance universelle. Deux mouvements vont stimuler ce changement et redessiner le visage de l’assurance au XXIe siècle : à la souscription, celle-ci sera intégrée, invisible et indolore, tandis qu’à l’indemnisation, elle sera intégrale, inclusive et inconditionnelle”, résume Olivier Jaillon, CEO de Wakam, dans son livre “Patrimoine éphémère” (Editions Débats Publics, 2020). Un espoir partagé chez Andreessen Horowitz par Angela Strange et Seema Amble. “Cela aurait beaucoup plus de sens d’unifier non seulement les expériences d’achat, mais de rendre l’assurance active par défaut. Au minimum, l’assurance devrait être un opt-out pratique, plutôt qu’un opt-in inconfortable”, écrivent-elles dans un post de blog. Une expérience client à des années lumières de celle encore largement vécue aujourd’hui. Ma French Bank intègre deux offres conçues avec Lovys Le néo-assureur Lovys poursuit sa stratégie de partenariats BtoBtoC avec une nouvelle référence : Ma French Bank (280 000 clients à fin décembre 2020). La banque mobile lancée en juillet 2019, filiale de La Banque Postale, intègre deux nouvelles offres conçues avec Lovys et La Banque Postale Assurances IARD : une assurance pour le smartphone et une assurance multirisque habitation sans engagement (avec un tarif préférentiel de 6 euros par mois pour les moins de 30 ans résidant dans un studio). “Nous avons fait en sorte que le parcours de souscription soit le plus intégré et le plus fluide possible“, souligne Joao Cardoso, CEO de Lovys. Antoine Duroyon assurance dommagese-commerceinsurtechplateformisation Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind