Accueil > Investissement > Cryptoactifs > Frédéric Dalibard (Natixis) : “Nous aimerions que la BCE teste l’émission d’une monnaie-fiat sur la blockchain” Frédéric Dalibard (Natixis) : “Nous aimerions que la BCE teste l’émission d’une monnaie-fiat sur la blockchain” Frédéric Dalibard, en charge des relations avec le consortium R3 pour Natixis, décrit l’écosystème en train de se mettre en place autour de la blockchain dans le secteur financier. Selon lui, des implémentations sous un format privé ou semi-privé et sur la base de protocoles à vocation industrielle comme Corda ou Hyperledger Fabric prendront l’ascendant sur les alternatives publiques ou privées. Des acteurs historiques comme Visa ou Swift ou de nouveaux acteurs géreront l’infrastructure et des éditeurs financiers produiront les applications métiers. Par Aude Fredouelle. Publié le 01 février 2017 à 13h00 - Mis à jour le 28 janvier 2025 à 16h04 Ressources Quelles ressources attribue Natixis aux travaux du consortium R3 et comment travaillez-vous ? Une petite équipe dédiée assure un rôle de gestion de projets et de coordination puis nous mobilisons des experts métiers et techniques sur chacun des sujets. On s’appuie au maximum sur nos ressources pour former en interne. L’organisation de R3 repose sur des “calls” réguliers et sur une “wiki”, une base collaborative composée de différentes sections auxquelles tous les membres contribuent. Pour mener à bien les projets, comme sur le trade finance, avec développement de contrats intelligents, certaines banques se portent volontaires en fonction de leur appétence pour tel ou tel sujet et contribuent sur les streams business ou techniques, voire les deux… R3 a créé une technologie de registre distribué, Corda, tout en testant en parallèle d’autres protocoles comme Ripple, la blockchain d’Intel, Ethereum etc… Selon vous, lequel va finalement prévaloir ? Je n’ai pas la réponse. Pour l’instant, beaucoup d’acteurs, dont Natixis, ont décidé de ne pas faire de choix définitif parce que nous sommes convaincus que nous allons observer d’abord une période de divergence de plusieurs années durant laquelle plusieurs technologies vont être créées, avant que ne s’opère une convergence vers quelques protocoles avec des cas d’usage précis. Par exemple Corda pourrait être la technologie de référence pour les échanges d’instruments financiers, Hyperledger Fabric pour les process business, Ethereum pour des données de références plus publiques, comme des annuaires, des cadastres… Aujourd’hui, le développement de la blockchain relève bien plus de questionnements business et de process que de technologie pure. Le déploiement en soi n’est pas beaucoup plus compliqué que pour d’autres systèmes mais il faut se demander comment adapter les processus aux applications métiers et notamment résoudre les questions de confidentialité des transactions, le problème de “scalabilité”, comment gérer la transparence à donner au régulateur, la gestion de l’infrastructure, l’interopérabilité entre les technos, la gestion de l’identité sur le réseau… La résolution de ces questions ira de pair avec l’adoption car cette technologie nécessite de se mettre d’accord sur des standards. Et quelles technologies, aujourd’hui, vous semblent adaptées pour résoudre ces questions ? Corda est une bonne technologie pour les banques car elle a été créée sur les pré-requis de la confidentialité, nécessaires au secteur. C’est un registre distribué assurant notamment la confidentialité, pas une blockchain publique. Il n’y a pas de connaissances des transactions pour les acteurs qui n’y sont pas parties prenantes. Par contre, il y a la possibilité d’avoir des noeuds omniscients, comme une autorité centrale par exemple. Hyperledger Fabric, la blockchain du projet Hyperledger soutenue par IBM, répond à certaines problématiques de confidentialité mais ne fonctionne pas tout à fait comme Corda. Il y a par exemple une réplication plus large des transactions sur les noeuds du réseau. Le point positif, c’est la redondance, mais cela pourrait poser d’autres problèmes, notamment des problèmes de bande passante, qui, j’en suis sûr, seraient résolus d’une manière ou d’une autre. Utiliser une blockchain publique n’est en tout cas pas la solution privilégiée… Quasiment tous les acteurs bancaires sont partis sur l’idée d’utiliser des implémentations privés ou ou semi-privées (consortium) de technologies blockchain pour échanger de l’information entre eux tout en continuant à jouer leur rôle de KYC (connaissance client, ndlt), de gestion de comptes… Les banques n’ont pas envie que tout le monde puisse savoir qui travaille avec qui. JPMorgan tente bien de résoudre le problème de confidentialité des transactions avec Quorum, sa technologie surcouche d’Ethereum qui est destinée à apporter de la confidentialité. Mais la technologie sous-jacente n’ayant pas été bâtie “by design” pour la confidentialité, seul le futur nous dira si l’existence de cette surcouche n’engendre pas d’effets indésirables. Ceci dit, je ne crois pas non plus aux technologies totalement privées en mode “boîte noire” (par exemple Blockstream, SETL.io, ndlr) : on n’intègrera pas des noeuds d’un réseau si on ne peut pas savoir s’il y a ou pas une “backdoor” cachée. Est-ce qu’en utilisant des blockchain semi-privées, on ne perd pas l’essence même et l’utilité de la blockchain, soit le refus de toute autorité centrale ? Les blockchain semi-privées remplissent les besoins des acteurs bancaires : elles leur évitent de se réconcilier à intervalles réguliers en enregistrant la transaction dans un registre distribué synchronisé entre tous les acteurs concernés. Elles pourraient aussi simplifier le reporting réglementaire en permettant à l’autorité centrale de piocher elle-même dans les registres. Surtout, pour une fois, l’ensemble des acteurs tentent de standardiser leur business en tirant profit d’une technologie, ce qui n’était jamais arrivé jusqu’à présent. La blockchain est une bonne solution pour répondre à ces problèmes, et peut même être vue parfois comme un bon prétexte. Vous travaillez beaucoup sur les problématiques réglementaires. Quels sont les plus gros obstacles au développement d’applications basées sur la technologie blockchain ? Échanger des titres cotés, par exemple, requiert l’existence d’un dépositaire central [CSD, un organisme comme Euroclear ou Clearstream qui comptabilise les titres détenus par les banques, ndlr]. Tant que la blockchain ne pourra pas être considérée comme un dépositaire central par la réglementation, il sera ardu d’échanger ce genre de titres. C’est la même chose pour le paiement : il faudrait une reconnaissance équivalente à une monnaie-fiat pour effectuer des paiements sur la blockchain. C’est pour ça que le lobbying auprès des banques centrales et régulateurs est important pour nous. L’échange sur la blockchain de l’équivalent d’une monnaie-fiat représente un graal pour les banques. Des tests grandeur nature ont été mis en place avec la Banque centrale du Canada dans le cadre du projet Jasper de R3 : elle a émis le CAD-coin, une monnaie virtuelle fiat, sur la blockchain et a permis aux banques de faire des échanges tout en gérant l’échange en cash à la sortie. Singapour a aussi lancé un projet similaire et SETL.io a expérimenté avec Metro Bank au Royaume-Uni, dans le cadre du “bac à sable” de la FCA, des paiements en magasin transitant sur la blockchain. Nous, on aimerait que ça se passe au niveau de la BCE. Le souci pour nos institutions, c’est que les crypto-devises n’ont pas corps légal et que l’on a trop de problématiques KYC et AML (anti-money laundering, ndlr) pour lancer des applications basées dessus. Certes, on peut par exemple sécuriser des technologies de type Ripple en les utilisant en mode semi-privé, mais cela ne résout pas tous les problèmes pour les autorités de régulation : l’anonymat sur la blockchain, la volatilité des crypto-devises et des problématiques fiscales qui ne sont pas claires. Vous avez évoqué la nécessité de gérer l’infrastructure. Selon vous, comment s’organisera le futur écosystème autour des technologies blockchain ? Nous pensons qu’une infrastructure à trois étages va voir le jour. Le premier sera un protocole ouvert, type Corda, Hyperledger Fabric ou autre. Le second, une surcouche d’infrastructure qui gérera le réseau, l’intégration (onboarding) des noeuds, l’identité… Cela sera probablement géré par des acteurs historiques du marché comme Visa ou Swift, qui étudient les technologies pour éviter leur disruption totale et se positionner comme gestionnaires d’infrastructures ou par de nouveaux entrants. Ils faciliteront le déploiement de nouvelles versions logicielles et éviteront qu’un problème de gouvernance empêche les protocoles d’évoluer, comme pour le bitcoin actuellement. Le fait que la technologie de base soit ouverte évitera une situation monopolistique. Il faudra préserver l’interopérabilité sur les processus d’intégration pour éviter un fournisseur majoritaire. Enfin, le troisième étage sera celui des applications métiers (trade finance, paiement, gestion des données de marché…). Des acteurs comme Bloomberg, Thomson Reuters ou Markit pourraient devenir fournisseur d’Oracles [service qui entre manuellement une donnée extérieure dans la blockchain] et les banques en seraient clientes. Aude Fredouelle BFIblockchain Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind