Accueil > Assurance > L’assurance paramétrique, un complément à une assurance récolte toujours plus subventionnée L’assurance paramétrique, un complément à une assurance récolte toujours plus subventionnée Entrée en vigueur en janvier 2023, la réforme de l’assurance récolte vise à créer un choc de diffusion dans l’Hexagone en renforçant le soutien aux agriculteurs assurés. Les acteurs de la filière sont invités à renforcer la mutualisation des risques, alors que l’activité est structurellement déficitaire. Dans ce contexte où l’assurance indemnitaire est largement subventionnée, quelle place peut revenir à l’assurance paramétrique ? Par Antoine Duroyon. Publié le 19 avril 2023 à 21h49 - Mis à jour le 28 avril 2023 à 11h02 Ressources Marquée par une sécheresse et des épisodes de grêle d’une ampleur inédite en France, l’année 2022 a rappelé une évidence : les agriculteurs arrivent en première ligne face aux conséquences du dérèglement climatique. Pourtant, l’assurance n’est pas perçue comme un instrument de couverture indispensable contre les aléas climatiques. Des moyens ont été déployés : en 2005, l’État commence à subventionner le coût de la prime d’assurance multirisque climatique des récoltes (assurance récolte). Ce soutien s’inscrit depuis 2015 dans le cadre du second pilier de la politique agricole commune (PAC). Les résultats ne sont toutefois pas à la mesure des enjeux. L’an dernier dans l’Hexagone, environ 30 % des surfaces agricoles utiles étaient assurées, dont la moitié dans les régions de la Bourgogne, du Centre, du Nord et de l’Est. Le nombre d’exploitations assurées ne dépasse pas les 60 000, soit environ 13 % du total. Cette protection profite essentiellement à la production de céréales. Le taux de couverture des vergers ne dépasse pas 3 %, celui des prairies n’excède pas 1 %. Or, des événements aussi imprévisibles et intenses que les aléas climatiques peuvent ruiner les récoltes, aussi bien en termes de quantité que de qualité. Et pour les assureurs présents sur ce marché, l’activité plombe les comptes. Selon les données de France Assureurs, le rapport sinistres à primes n’a cessé de se détériorer depuis des années. Il était de 107 % en 2021 pour les contrats sur cultures (multirisque climatique et grêle). Pour les vignes et les cultures fruitières, des gelées tardives en avril 2021 ont fait exploser les ratios de sinistralité, à 285 % et 180 % respectivement. Cette tendance n’est pas récente. “En cumulé sur la période 2005-2020, le ratio S/P est égal à 109 %, avec une dégradation depuis 2016, avec un pic à 143 % en 2020, alors que selon les assureurs, il devrait se situer autour de 70 % pour que le produit assurance récolte leur permette de dégager de la rentabilité”, souligne le think tank Agriculture Stratégies. Choc assurantiel Pour tenter de créer un choc assurantiel, le gouvernement a réformé le dispositif de l’assurance récolte. Entré en vigueur le 1er janvier 2023, celui-ci se décompose en trois niveaux : les pertes d’une ampleur limitée sont assumées par les agriculteurs, les aléas significatifs sont pris en charge par l’assurance multirisque climatique subventionnée et les aléas exceptionnels sont couverts par l’État, y compris pour les agriculteurs non-assurés. Pour inciter les agriculteurs à s’assurer, le taux de subvention des cotisations est porté à 70 % en 2023 pour les contrats groupe de cultures (indemnisation pour chaque nature de récolte assurée, au-delà d’un seuil de déclenchement) comme pour les contrats à l’exploitation (indemnisation sur le total des pertes, au-delà d’un seuil de perte), contre 62 % en moyenne en 2022. Par ailleurs, les conditions d’indemnisation seront bien moins avantageuses pour un agriculteur non assuré en cas de sinistre exceptionnel. “L’indemnisation de la perte par la solidarité nationale au-delà du seuil de déclenchement [l’équivalent d’une franchise pour l’exploitant, Ndlr] ne sera que de 45 % en 2023”, explique le gouvernement, contre 90 % pour un agriculteur assuré (les 10 % restants étant pris en charge par l’assurance). Objectifs affichés : porter le taux de pénétration de l’assurance à 60 % pour les grandes cultures et la viticulture et à 30 % pour les prairies et l’arboriculture à horizon 2030. Certains assureurs ont déjà témoigné d’un effet dynamisant de la réforme en termes de conquête pour la campagne 2023. Pacifica (25 % de parts de marché sur l’activité agricole en France) enregistrait à mi-février 2023 six fois plus d’affaires nouvelles que l’an dernier, avec une croissance moyenne de 32 % du nombre d’assurés (+ 16 % pour la viticulture et + 68 % pour les prairies). Cet effort a bien entendu un coût. Dans un rapport d’information, les députés Frédéric Descrozaille et Julien Dive partageaient l’objectif d’un soutien financier de l’État de 560 millions d’euros en 2023 et de 600 millions d’euros à partir de 2025. Par ailleurs, la législation prévoit de confier progressivement aux assureurs, dans une logique de “guichet unique”, un rôle d’interlocuteur agréé pour le versement des indemnités au titre de la solidarité nationale. Enfin, un pool de co-réassurance doit être mis en place entre les compagnies qui commercialisent l’assurance récolte subventionnée afin de favoriser la mutualisation des risques. Couteau suisse de l’assurance agricole, le contrat multirisque climatique est un produit sur étagère. Il se distingue en ce sens de l’assurance paramétrique ou indicielle qui est poussée par un nombre croissant d’assureurs et de courtiers en France (AXA Climate, Descartes Underwriting, Atekka, Liberty Specialty Markets, Cooper Gay, Bessé…). Les produits d’assurance paramétrique “ne couvrent pas la perte réelle du sinistre, mais versent plutôt un montant prédéfini basé sur un déclencheur retenu comme le proxy d’une perte réelle”, rappelle Willis Towers Watson. L’assurance paramétrique, une nouvelle approche du risque via la donnée “La grande différence entre la multirisque climatique (MRC) subventionnée et l’assurance paramétrique, c’est que les contrats d’assurance MRC en France sont extrêmement normés. Il y a 17 aléas climatiques à couvrir, un rendement assuré qui est la moyenne historique de l’exploitant et qui ne correspond pas forcément à son potentiel, explique Xavier Olive, directeur des opérations d’Atekka (anciennement Bioline Insurance), une insurtech qui propose un parcours digital pour la MRC (représentant 90 % de son activité) et développe des produits indiciels. L’assurance paramétrique offre beaucoup plus de souplesse. On peut non seulement assurer le rendement potentiel de l’exploitant, mais aussi cibler des risques de manière beaucoup plus fine. Par exemple, si des multiplicateurs de semences en maïs considèrent que leur risque majeur est un excès de chaleur en juillet, ils ne vont pouvoir s’assurer que pour ça”. Fondée en 2017 par la coopérative InVivo, l’insurtech intervient en tant que managing general agent (MGA) de l’assureur japonais Sompo. Elle annonce près de 170 000 hectares de cultures couvertes en multirisque climatique et 1 500 assurés finaux. Combler les angles morts Il est difficile aujourd’hui de mesurer l’impact de l’approche paramétrique dans l’assurance agricole en France, mais sa taille reste encore très limitée. Elle se destine encore majoritairement davantage aux industriels de la première transformation et aux coopératives qu’aux producteurs. L’idée est avant tout de combler les angles morts de l’approche traditionnelle. “Il a été décidé en France, et c’est un choix politique de longue date, que la totalité du risque climatique serait gérée pour les agriculteurs à travers le produit aléas multirisque. Aujourd’hui, nous ne pouvons pas nous battre contre un produit qui est subventionné à 70 %, estime Joran Chambolle, chargé de développement des solutions paramétriques chez le courtier Bessé. Mais ce produit reste incomplet, car il est général, ce qui ouvre des opportunités. Il est ainsi possible d’intervenir pour du rachat de franchise [la MRC impliquant une franchise de 20 à 30 %, Ndlr] ou sur les risques sanitaires par exemple, qui ne sont pas pris en compte dans le schéma d’assurance traditionnel.” La carence d’apport, qui permet à des organismes stockeurs de prévenir l’impact d’une chute de production des cultures, représente la majorité de la cinquantaine de contrats paramétriques en portefeuille. “C’est le produit d’assurance sur lequel on est au plus proche du risque, car on n’a jamais autant retiré les coûts de frottement”. L’assurance paramétrique, parent pauvre de la réforme de l’assurance récolte ? “De manière expérimentale, il aurait pu être intéressant d’allouer des enveloppes aux solutions paramétriques”, avance Joran Chambolle. Néanmoins, un produit subventionné se revendique aujourd’hui de l’assurance paramétrique. Lancée en 2015 par Pacifica (groupe Crédit Agricole), l’assurance des prairies relève d’une approche indicielle, dans la mesure où la variation de l’indice de production des prairies (IPP) est mesurée en partie à partir de données satellitaires fournies par Airbus. L’indemnisation permet d’acheter l’alimentation nécessaire aux troupeaux. À fin 2022, Pacifica gérait 27 000 contrats d’assurance climatique (assurance récoltes, assurance grêle et assurance prairies). Mais ce produit est très largement décrié pour son risque de base, c’est-à-dire la différence entre le coût réel du sinistre et le coût supposé du sinistre déterminé par l’indice. Plusieurs syndicats d’éleveurs ont notamment demandé au gouvernement de prévoir en cas de désaccord une réévaluation des pertes à partir d’expertises de terrain, alors même que le fondement de l’assurance paramétrique repose sur l’absence d’expertise et une indemnisation automatique. Produits hybrides Sur-mesures, “les solutions paramétriques nécessitent de nombreux paramétrages et des connaissances qui sortent du seul cadre financier, notamment sur le plan agronomique. Les produits peuvent être hybrides. Ainsi, pour la vigne, on couvre généralement le gel en paramétrique grâce à des stations météo, mais la couverture du risque de grêle passe par une assurance classique”, souligne Joran Chambolle. Certains choisissent néanmoins de franchir résolument le pas. En raison de conditions d’assurance moins avantageuses, le groupe de spiritueux Rémy Cointreau a choisi de remplacer son dispositif indemnitaire contre le risque de gel et de grêle par une couverture paramétrique, avec des fenêtres d’exposition dynamiques en fonction du réveil végétatif. De son côté, Atekka a dévoilé en mars 2022 une solution d’assurance paramétrique contre la grêle et le gel pour les viticulteurs de Cognac, développée en partenariat avec la coopérative Océalia et l’insurtech américaine Understory. Dans l’arboriculture, “il y a une difficulté technique liée à la mesure des phénomènes et au coût de la mesure par rapport à la taille des exploitations. Il faut déployer des stations privées qui nécessitent un contrôle qualité”, relève Gabriel Gross, directeur des solutions paramétriques chez Cooper Gay, un courtier qui a repris Meteo Protect, un expert du paramétrique climatique, en 2020. Chez cet acteur, un contrat multipéril ne dépassera pas quatre aléas pour faciliter son paramétrage et sa compréhension. Modélisation tarifaire complexe Une autre forme de complexité réside dans la modélisation tarifaire. “Même si les assureurs disposent exactement des mêmes données, l’écart entre le meilleur tarif et le moins bon peut varier de 400 %, car ces opérateurs ne modélisent pas l’impact du changement climatique au même endroit de la même façon”, pointe Joran Chambolle. De fait, des (ré)assureurs ont préféré se retirer d’un marché difficile à appréhender. Ainsi, Swiss Re Corporate Solutions ne souscrit plus aucun risque agricole en France. Dans la vie du produit, la phase en amont est donc fondamentale. “Nous adoptons une démarche de co-construction avec des partenaires qui sont souvent des coopératives agricoles. Ces acteurs possèdent des données historiques sur leurs rendements qui nous permettent de faire des études de corrélations avec des paramètres météorologiques. Ils détiennent aussi l’expertise agronomique qui sert à construire l’indice”, détaille Xavier Olive. Chez Bessé, cette collaboration s’illustre par une offre conçue avec le collecteur de céréales Soufflet Agriculture (groupe InVivo). L’offre Colz’Avenir couvre le producteur contre le risque de retournement du colza en cas de mauvaise levée en contrepartie du respect d’un cahier des charges. Le risque est mesuré grâce à une cartographie satellitaire de la biomasse des parcelles via les satellites Sentinel-2. Placée sur le marché avec AXA Climate, l’offre a été testée sur 10 000 hectares la première année. Désormais déployée en France, en Roumanie, et dans d’autres pays d’Europe de l’Est, elle couvre désormais plus de 90 000 hectares. Antoine Duroyon assurance paramétrique Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind