Accueil > Services bancaires > Paiements > Marianne Demarchi (Swift) : “Le marché des paiements court un risque de fragmentation” Marianne Demarchi (Swift) : “Le marché des paiements court un risque de fragmentation” Coopérative de droit belge fondée il y a 50 ans, Swift développe de nouveaux services pour accélérer et fluidifier les échanges financiers internationaux. Dans un marché des paiements disputé sur toute sa chaîne de valeur, la société entend miser sur la carte de l’interopérabilité, explique sa directrice générale Europe Marianne Demarchi. Par Antoine Duroyon. Publié le 05 juillet 2023 à 10h28 - Mis à jour le 05 juillet 2023 à 10h50 Ressources Quel rôle joue Swift dans le développement du secteur des paiements ? À l’origine, Swift est un service de messagerie internationale qui a évolué vers la fourniture de services à valeur ajoutée autour de la gestion de la transaction. Notre objectif consiste à permettre des paiements internationaux aussi fluides et rapides que possible – nous parlons de “frictionless instant payments” – pour les marchés de gros et de détail. Ces transactions sont encore sujettes à de multiples erreurs qui coûtent 2 milliards d’euros par an à l’industrie. Swift développe donc des solutions pour ce marché qui est considérable. La Banque d’Angleterre estime que la valeur des paiements internationaux devrait dépasser 250 000 milliards de dollars à horizon 2027, contre 150 000 milliards en 2017. Swift gpi (pour global payments innovation) a été lancé début 2017. Comment évolue ce service ? C’est devenu un standard à l’international pour les paiements interbancaires ou interentreprises [le service a été adopté par plus de 4 000 institutions financières et plus de 300 milliards de dollars sont transférés par son intermédiaire chaque jour, Ndlr]. Swift gpi a traduit le passage de la messagerie pure à la gestion de bout en bout d’une transaction, avec la capacité de tracer le paiement et d’intervenir de manière automatisée en cas de problème. 80 % des paiements internationaux passent aujourd’hui par Swift gpi. La moitié d’entre eux sont traités en moins de cinq minutes, les deux tiers en moins d’une heure et le reste dans la journée. Les paiements internationaux pour les particuliers ont longtemps souffert d’un manque de transparence. Que faites-vous sur ce terrain ? Effectivement, les banques ont été défiées par les fintech sur les paiements internationaux pour les petites entreprises et les particuliers, avec une transparence et des performances qui étaient loin d’être uniformes. En 2021, nous avons lancé Swift Go, qui s’appuie sur les rails de Swift gpi, pour les paiements de petite valeur, sachant que 60 % des paiements traités par Swift sont inférieurs à 10 000 euros. Là encore, l’idée est de permettre aux banques d’être plus compétitives à l’international, en démontrant plus de fluidité et de rapidité dans le traitement des transactions [fin 2022, plus de 500 banques utilisaient la solution, Ndlr]. On sait qu’il y a une corrélation évidente entre la rapidité des paiements et la croissance économique, au point même que le G20 s’est saisi de la question des paiements internationaux. Il souhaite que 75 % des transactions soient finalisés en moins d’une heure d’ici à 2027. La solution apporte également plus de transparence, avec une visibilité sur les frais, le taux de change et les délais. Au-delà des paiements, quels sont les autres segments couverts par Swift ? Nous tâchons d’apporter aussi plus de rapidité et de fluidité dans le métier titres, notamment au niveau des instructions lors du règlement-livraison [Lancée en janvier 2023, la solution Swift Securities View a convaincu 34 établissements financiers, représentant 630 millions d’opérations sur titres par an, Ndlr]. À cela s’ajoutent des solutions autour de la conformité, le contrôle des sanctions, la détection d’anomalies ou de fraudes grâce à des techniques d’intelligence artificielle, etc. Craignez-vous une fragmentation des systèmes de paiement ? Je pense en effet que le contexte géopolitique, mais aussi la montée en puissance de nouvelles technologies, font courir un risque de fragmentation du marché des paiements. Nous devons agir afin d’éviter une moindre fluidité dans les échanges. Swift peut notamment jouer un rôle dans l’interopérabilité des systèmes de paiement instantané. Même s’ils convergent sur certaines fonctionnalités ou architectures informatiques, on observe tout de même des différences importantes, en termes de standardisation, de conformité, etc. Il est aujourd’hui difficile de connecter deux systèmes de paiement instantané. Certes, il y a des initiatives, comme par exemple le service IXB entre The Clearing House (TCH) et EBA Clearing, mais le sujet reste complexe [le pilote, qui a débuté fin 2022, s’appuie sur les systèmes de paiement en temps réel RTP aux États-Unis et RT1 en Europe, Ndlr]. L’enjeu de l’interopérabilité concerne aussi les monnaies numériques de banque centrale (MNBC). Swift a participé à une grande expérimentation aux côtés de banques centrales et commerciales pour démontrer notre capacité à interconnecter des MNBC fonctionnant sur des réseaux DLT différents. Il est dans l’ADN de Swift d’interconnecter le monde et nous voulons continuer à le faire malgré la fragmentation qui se profile. Cela pourra éventuellement nous amener, en fonction des sujets, à une forme de coopétition avec d’autres acteurs de l’industrie, tels que les schemes, par exemple. La Commission européenne a présenté une proposition législative sur l’instant payment qui intègre le principe d’un contrôle du bénéficiaire pour juguler la fraude. Comment l’analysez-vous ? À ce jour, il n’y a pas de solution paneuropéenne pour la confirmation du bénéficiaire [IBAN/name check, c’est-à-dire la vérification de la concordance entre le numéro de compte et le nom du bénéficiaire du paiement, Ndlr] même si EBA Clearing a indiqué un lancement à venir [avec un enrichissement de RT1 d’ici novembre 2023, Ndlr]. On voit surtout de nombreuses solutions domestiques : SEPAmail en France, SurePay aux Pays-Bas, Iberpay en Espagne, SIBS au Portugal, CBI en Italie… Cela forme un patchwork de solutions qui n’ont pas toutes les mêmes protocoles ou fonctionnalités. En Espagne, le contrôle de cohérence de l’IBAN se fait avec le numéro d’identité, tandis qu’il s’agit du nom et du prénom en France. Nous réfléchissons donc, en termes d’interopérabilité et de cross-border, à la manière dont Swift pourrait jouer un rôle sur ce terrain au regard de la réglementation européenne. La nouvelle norme Swift ISO 20022, qui vise à permettre le développement de nouveaux services, est entrée en vigueur en mars 2023. Comment se déroule la migration ? Pour les paiements internationaux via Swift, il s’agit d’une phase de transition. Nous allons déployer une plateforme “transactions manager” qui permettra de gérer la coexistence et la traduction de différents formats (messages MT en MX), le tout jusqu’en 2025. Le démarrage s’est bien déroulé et nous n’avons pas rencontré de grosses difficultés. Je peux vous dire qu’il y a déjà un nombre significatif de messages au format ISO 20022 traités chaque jour, mais nous ne donnons pas de chiffres. Aujourd’hui, c’est un message “like-for-like”, avec des données identiques mais mieux structurées et formatées en ISO 20022. Demain, il s’agira de communiquer plus d’informations de paiement et d’en capter toute la richesse afin que les banques et les PSP puissent créer encore plus de services à valeur ajoutée. Antoine Duroyon instant paymentMNBCpaiements internationaux Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind À lire Le schéma européen dédié à l'open finance se précise Pourquoi BPCE a externalisé ses virements internationaux auprès de Wise Les Français estiment que le virement instantané devrait être gratuit Les acteurs non bancaires veulent peser sur le paiement instantané