Accueil > Investissement > Structures d'investissement > En Allemagne, le capital-risque doit évoluer pour accompagner les fintech En Allemagne, le capital-risque doit évoluer pour accompagner les fintech Outre-Rhin, la concurrence entre les fonds est particulièrement forte pour les investissements seed ou early stage, tandis que les véhicules positionnés sur des phases plus matures, ainsi que les fonds de taille moyenne ou capables d'appréhender les business BtoB, font défaut. Etat des lieux des forces en présence en Allemagne. Par Laura Fort. Publié le 03 mai 2018 à 15h31 - Mis à jour le 18 janvier 2021 à 15h17 Ressources Les investisseurs allemands sont des investisseurs heureux : ils jouissent d’un écosystème de fintech fourni et varié, ainsi que d’un contexte économique favorable. “Il y a moins de créations d’insurtech que de fintech, et d’une manière générale, il y a encore suffisamment d’entreprises pour attirer les fonds. Il existe d’ailleurs peu de fonds en Allemagne qui n’aient jamais investi dans une fintech !“, souligne Fabian von Trotha, directeur général de Dieter von Holtzbrinck Ventures, un acteur positionné sur les premiers tours de financement. Les villes qui ont concentré le plus grand nombre d’investissements en venture capital (VC) dans les fintech en 2016 sont Berlin (734 millions d’euros), Hambourg (212 millions), Munich (155 millions), Francfort (48 millions) et Düsseldorf (35 millions), selon Statista. Quant au nombre de fintech outre-Rhin, Comdirect en recensait près de 700 en 2017. “Nous assistons aujourd’hui à une phase de croissance de la scène fintech en Allemagne, qui peut être due au volume de certaines transactions à Berlin. Il y a déjà beaucoup de fintech intéressantes et matures en Allemagne dans lesquelles on peut investir. En même temps, de nouvelles entreprises entrent constamment sur le marché “, observe Christoph Gerlinger (photo), directeur général de German Startups Group (GSG). Vive concurrence Selon une étude d’Ernst & Young (EY), les fintech avaient levé 307 millions d’euros auprès de fonds de capital-risque en Allemagne à mi-2017 (après 400 millions levés en 2016), soit près de 40 fois plus qu’en 2012, où elles avaient levé 10,2 millions d’euros. Au final, EY recensait 42 deals à mi-année et un montant moyen par deal de 7,3 millions, anticipant un volume de 614 millions d’euros et de 84 deals sur l’année 2017. Dans ce contexte, la concurrence est vive entre les fonds. “Il existe de belles sorties, des tours attractifs et des valorisations intéressantes, ce qui aiguise les appétits. En tant que fonds, il est donc important d’arriver à se différencier et à apporter une réelle valeur ajoutée aux fintech pour bien se positionner“, explique Maxime Mandin, investment manager chez BlackFin Capital Partners. Cet acteur français, qui s’apprête à boucler un fonds fintech de plus de 180 millions d’euros, témoigne d’un vif intérêt pour le marché allemand. Entre les fonds de taille modeste, la compétition est cependant moins rude : “Je ne parlerai pas de concurrence, parce que nous tirons dans la même direction et que des opportunités de co-investissement se présentent souvent“, affirme Christoph Gerlinger. Les investisseurs luttent en particulier pour les start-up les plus importantes : le cabinet Barkow Consulting estime ainsi que les dix plus grandes fintech ont reçu 44% de la manne des investisseurs. Il relève aussi une moindre progression des investissements dans les fintech : ils ont crû de 9% en 2017, contre une croissance de 45% en 2016 et de 135% en 2015. Est-ce alors une tendance baissière qui s’amorce, le résultat d’une concurrence exacerbée entre les fonds ou l’entrée dans une phase de maturité ? Toujours est-il que plusieurs observateurs constatent que l’Allemagne manque de bailleurs de fonds de taille moyenne connaissant bien le secteur financier pour que cette croissance perdure. Différentes catégories de fonds co-existent outre-Rhin : des incubateurs spécialisés comme FinLeap, des fonds de taille modeste positionnés sur le seed et early stage comme DVH Ventures, German Startups Group (GSG) ou SpeedInvest, des fonds de grande taille généralistes comme HV Holtzbrinck, et enfin des fonds corporates comme CommerzVentures (Commerzbank) ou Allianz X. Une multitude de fonds de petite taille (moins de 50 M€ de capacités), cohabitent ainsi avec des mastodontes comme High-Tech Gründerfonds (886 millions d’euros de dotation). “En France, il existe moins de fonds de petite taille (dont beaucoup sont des family offices) qu’outre-Rhin. A contrario, l’Allemagne dispose de moins de fonds de taille moyenne, alors même qu’ils ont des besoins en funding plus conséquents et que leur écosystème de start-up fintech est légèrement plus mature“, souligne Maxime Mandin. Proximité avec les médias La spécificité du marché du capital-risque allemand consiste en outre dans sa proximité avec les médias. Par exemple, le fonds GSG détient une participation majoritaire dans l’agence de transformation digitale Exozet, laquelle conseille de nombreux médias (BBC, Bild, ZDF, ARD, ProSieben, Deutsche Welle). DVH Ventures édite quant à lui des médias économiques (Handelsblatt et Wirtschaftswoche) et généralistes (Tagesspiegel, Die Zeit), et le fonds HV Holtzbrinck a appartenu dix ans au groupe d’édition Holtzbrinck Publishing. Une stratégie qui permet aux fonds de valoriser ces partenariats auprès des start-up dans lesquelles ils souhaitent investir. Autre atout : “Nous avons accès à des informations solides sur le business des start-up dans lesquelles nous investissons du fait que notre groupe est éditeur de différents médias”, ajoute Fabian von Trotha. Cependant, cet avantage concurrentiel a tendance à se réduire : “Les fonds des groupes médias sont un phénomène très spécifique à l’Allemagne. S’ils étaient très présents sur la première vague d’investissements BtoC il y a quelques années, ils sont moins visibles aujourd’hui. Cela s’explique notamment par le fait que la deuxième vague fintech est davantage BtoB, et que la force de frappe des groupes de médias auprès du grand public y est donc moins pertinente“, détaille Maxime Mandin. Les liens avec des entreprises d’autres secteurs permettent également aux fonds d’offrir des services, et surtout une rampe de lancement à leurs start-up en portefeuille, qui peuvent ainsi prospecter d’éventuels clients institutionnels. HTGF bénéficie d’un réseau de partenaires fourni dans l’énergie, la chimie et la banque, tandis que GSG est en relation avec des constructeurs automobiles (Audi, VW), et les télécoms (Deutsche Telekom, swisscom). Et DVH Ventures fait profiter les fintech de sa collaboration étroite avec la banque Nord/LB. Les fonds corporate régionaux sont une autre particularité allemande. NRW.Bank, qui se concentre sur les start-up régionales de la région du Rhin et de la Ruhr, explique sur son site que “l’avantage de l’orientation régionale de ce fonds consiste dans le fait que les partenaires locaux connaissent mieux les besoins de leurs entreprises“. Elle a quasiment doublé la dotation de son fonds fin décembre 2017, passant de 251 millions d’euros à 465 millions, et devenant la banque d’investissement régionale la mieux armée, devant la L-Bank (Baden-Württemberg), la LfA Förderbank bavaroise et l’IBB berlinoise. Un secteur exigeant Les fonds de taille réduite positionnés sur le seed et early stage ont généralement des effectifs compris entre 5 et 10 personnes. “La performance de nos investissements dans les fintech est légèrement meilleure que dans les autres segments“, note Christoph Gerlinger. GSG a ainsi investi dans une dizaine de fintech (sur 37 entreprises) depuis sa création en 2012, réalisant “des gains en capital très significatifs” lors de sa sortie de Scalable Capital et CRX Markets. Mais les investisseurs ne se ruent pas sur les fintech, car ce secteur est exigeant. “Le retour sur investissement, d’environ 9 ans pour les fintech, est plus lent que pour d’autres secteurs, comme l’e-commerce par exemple“, pointe Fabian von Trotha. Avant d’ajouter : “les fintech font des démarrages très rapides, mais elles ont un coût de fonctionnement très élevé. D’où le fait que la sortie intervienne moins rapidement que dans d’autres domaines. Le gain de clients est difficile et la régulation complexe, ce qui les freine dans leur capacité à grossir“. Ce que confirme Maxime Mandin : “le secteur des fintech recèle un potentiel de rendement intéressant, mais il demande un important travail de sourcing et de compréhension des besoins des banques et des assureurs“. En ce qui concerne les fonds corporates, leurs capacités financières sont importantes et ils se positionnent plus souvent sur les phases de croissance des start-up. “Dans la plupart des cas, les investisseurs de grande taille ne participent pas de manière substantielle à une start-up avant une date ultérieure. Avant cela, ils ont tendance à essayer les hackathons, les coopérations d’accélérateurs…“, précise Christoph Gerlinger. Contrairement aux autres fonds, la logique des corporates n’est pas purement financière ; elle est également stratégique. L’objectif consiste à identifier de nouveaux modèles d’affaires en s’inspirant des start-up sur lesquelles ils misent. Problème : “Les fonds corporates sont actifs mais pas forcément toujours aussi attractifs que les autres investisseurs pour les start-up“, avance Fabian von Trotha. Car les fintech ne souhaitent pas toujours être associées à une marque en particulier. Et elles préfèrent diversifier leurs investisseurs, quand les acteurs corporates cherchent à écarter les co-investisseurs lorsqu’une fintech les intéresse vraiment. Manque de technicité Au bout du compte, ces derniers mois ont été riches en levées de fonds records en Allemagne dans le secteur des fintech. A mi-2017, EY relevait les plus gros deals suivants : Kreditech (110 millions d’euros), Scalable Capital (30 millions), Raisin (30 millions), solarisBank (26,3 millions), simplesurance (19,2 millions), ottonova (15 millions), Spotcap (14 millions), SwipeStox (12,5 millions), Exporo (8 millions) et bezahlt.de (5,5 millions). C’était alors sans compter l’opération sur la banque challenger N26, menée par Allianz X et Tencent en mars 2018 à hauteur de 110 millions d’euros. Et solarisBank a fait un deuxième tour en mars 2018, levant 56,6 millions auprès de BBVA, Visa, ABN Amro et Lakestar. “Les levées de fonds les plus significatives actuellement sont celles effectuées par des start-up qui détiennent des licences (bancaires ou d’assurance), dans lesquelles les fonds sont prêts à miser beaucoup. La licence est un réel facteur différenciateur et une forte barrière à l’entrée pour celles qui n’en ont pas“, constate Maxime Mandin. Les fintech N26, solarisBank, Payone, Liqid et Scalable Capital ont par exemple obtenu la leur, tout comme les insurtech Finleap, One, Ottonova, Coya, Element, Nexible et Neodigital. Ces dernières drainent donc aisément des financements. A contrario, les fintech et insurtech qui n’ont pas de licence et qui développent des solutions BtoB ont le plus de difficultés à séduire les investisseurs. Dans ce cas, outre le problème de manque de fonds de taille moyenne, se pose celui de la compréhension de l’activité des start-up. Or environ 42% des fintech allemandes ont un business model orienté BtoB, 40% BtoC, et 18% ciblent les deux selon EY. “Cela demande davantage de technicité et de savoir-faire aux investisseurs pour analyser leur potentiel. Ces fintech sont en outre moins visibles, ce qui requiert plus de connaissances (et une meilleure couverture du secteur) pour les identifier“, conclut Maxime Mandin. Rocket Internet prendra-t-il un jour davantage de risques sur les fintech ? Fondé en 2007 par les frères Samwer, le géant allemand des investissements dans les start-up a remporté peu de succès dans le domaine des fintech. Rocket Internet a investi dans le courtier en crédits Zencap, cédé à Lending Circle, et ses prises de position dans Paymill et Payleven ont été reprises. Quant à sa participation dans Lendico (crédit en ligne), elle a été vendue au fonds britannique Arrowgrass mi-2017. L’an dernier, Rocket Internet Group a dégagé 36,8 millions d’euros de chiffre d’affaires (-27%) et 6 millions d’euros de pertes (contre 741 millions d’euros en 2016) et compte 89 entreprises consolidées (contre 182 en janvier 2016). Il investit dans quatre secteurs clés : l’alimentaire, la mode, la grande consommation et l’habitat. Il détient par exemple 8% de Delivery Hero, 44% de HelloFresh, 20% de Global Fashion Group, 28% de Jumia, ou encore 41% de Home24. A fin mars 2018, Rocket Internet et ses sociétés disposaient de 2,7 milliards d’euros de liquidités, et ses actionnaires attendent des annonces sur ses futurs domaines d’investissements. Le groupe compte-t-il miser sur le secteur financier ? Lors de son assemblée générale en 2017, son PDG Oliver Samwer déclarait qu’il souhaitait se concentrer davantage sur les fintech, même s’il avouait trouver la réglementation complexe. “Nous ne construirons pas le Zalando de la fintech”, avait-il affirmé. Pour autant, l’entreprise a déjà modifié ses statuts, qui lui interdisaient jusqu’à présent de se positionner sur des activités nécessitant l’approbation du régulateur bancaire. Selon Reuters, Rocket Internet surveillerait déjà Funding Circle (plateforme de prêts aux PME) et Nested (financement immobilier). Cliquez sur le tableau pour l’agrandir (fichier PDF) Cliquez sur le tableau pour l’agrandir (fichier PDF) Correspondance en Allemagne Laura Fort capital-risquefinancement Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind