Accueil > Investissement > Marius Jurgilas (Banque de Lituanie) : “Nous avons triplé les effectifs assignés à la gestion des risques” Marius Jurgilas (Banque de Lituanie) : “Nous avons triplé les effectifs assignés à la gestion des risques” Profitant de la perspective du Brexit, la Lituanie a accordé 32 licences à des fintech en 2019. Le pays balte ambitionne de devenir le premier pôle d’attraction européen dans ce domaine. En marge de la conférence Fintech Inn organisée à Vilnius fin novembre, Marius Jurgilas, membre du conseil de la Banque de Lituanie, a décrypté pour mind Fintech les mesures règlementaires mises en place pour séduire les start-up et renforcer la prévention des risques. Par Antoine Duroyon. Publié le 08 janvier 2020 à 11h03 - Mis à jour le 28 janvier 2025 à 15h56 Ressources Pourquoi la Lituanie a-t-elle fait des fintech une priorité ? Contrairement aux autres pays de l’Union Européenne qui souffrent d’une saturation de leur marché financier, nous possédons un système très concentré avec quelques banques performantes et rentables. En tant que banque centrale, nous devrions être contents mais les consommateurs ne le sont pas. Les Lituaniens voient que beaucoup de transactions bancaires sont gratuites au Royaume-Uni mais pas chez eux. Les banques nordiques qui opèrent en Lituanie développent de nombreuses applications et solutions dans leurs pays d’origine mais ces innovations ne parviennent pas jusqu’ici. Notre réponse, ce sont les fintech. En faisant entrer de nouveaux acteurs sur le marché nous stimulons la concurrence et l’activité. Quelles sont les mesures mises en place par la Banque de Lituanie pour attirer ces nouveaux acteurs ? Si nous voulons que les fintech puissent être en compétition avec les banques, les règles du jeu doivent être les mêmes pour tous. Or, les banques peuvent rejoindre notre système de paiement et les fintech ne le peuvent pas la plupart du temps. Nous avons donc créé une infrastructure financière qui donne accès aux fintech à notre système de paiement. Nous avons aussi revu notre processus d’attribution des licences pour le rendre aussi efficace que possible. Quel est le délai d’obtention d’une licence ? Une fintech dans le secteur des paiements avec un modèle économique clair peut espérer obtenir sa licence en trois mois. Si un dossier est plus compliqué avec des allers-retours, je dirai plutôt six mois. Nous avons un programme dédié aux nouveaux arrivants. Les entreprises peuvent joindre des conseillers par téléphone pour les aider dans leurs démarches. Nous essayons de répondre à leurs interrogations au maximum. Combien de fintech ont obtenu une licence en 2019 ? En 2019, nous avons accordé 32 licences. En tout, la Banque de Lituanie a délivré 113 licences jusqu’à maintenant. 96 licences ont été attribuées à des établissements de monnaie électronique et des établissements de paiement, 19 à des entreprises de crowdfunding et crowdlending et 4 à des banques spécialisées. L’année prochaine, nous nous attendons à recevoir près de 140 demandes de licences. Il faut préciser que 30 % des demandes sont rejetées. Vous avez aussi instauré un cadre réglementaire souple, nommé “sandbox”. En quoi cela consiste-t-il ? Nous avons créé ce régime en 2018 pour inciter à l’innovation. Par exemple, en ce moment, une compagnie d’assurance teste un modèle de coassurance dans la “sandbox”. L’idée est la suivante : vous m’assurez, je vous assure, nous nous assurons mutuellement. Nous proposons un cadre pour tester cette solution qui n’est pas illégale mais qui n’est pas régulée non plus. Nous pouvons observer les avantages de ce modèle et voir si les risques sont gérables. Si nous déterminions que ce modèle économique est viable, alors l’entreprise pourra débuter la phase opérationnelle. Nous allons, par ailleurs, lancer en 2020 une “sandbox” technologique baptisée “LBChain”. Deux sociétés informatiques sont en compétition pour développer ce service. Le projet prendra la forme d’une plateforme qui permettra aux entreprises de tester des solutions financières innovantes via une technologie de registre distribué. Il y aura un processus de sélection pour y participer. De nombreux pays européens se sont ouvertement opposés à la monnaie digitale poussé par Facebook, le projet Libra, notamment la France et l’Allemagne. Quelle est la position de la Banque de Lituanie sur les cryptomonnaies ? Les banques centrales ont longtemps ignoré les avancées dans ce domaine. Elles se sont concentrées sur d’autres problèmes car le système financier connaît de nombreuses difficultés. La proposition est ensuite venue de Facebook. Les banques centrales ont vu que c’était du sérieux et qu’il y avait un potentiel financier. Mais cela vient d’une entreprise privée. La logique des banques centrales est qu’elles doivent stopper le projet Libra pour avoir le temps de développer leur propre produit. De votre côté, envisagez-vous de développer votre propre cryptomonnaie ? Nous voulons nous donner les moyens de comprendre cette technologie. Nous lancerons au printemps prochain, probablement en avril, une monnaie digitale de collection basée sur la blockchain, nommée “LBCoin”. Les individus possèderont un portefeuille et ils pourront acheter des tokens attribués de manière aléatoire. Chaque token représentera une personnalité ayant signé l’acte d’indépendance de la Lituanie. Ces tokens s’échangeront sur un marché secondaire permettant aux utilisateurs de se constituer une collection. Une fois une combinaison spécifique réunie, les tokens seront détruits et remplacés par un token physique. Nous essayons de dépasser les barrières entre le monde digital et physique. L’opération nous permet aussi de nous exposer à cette technologie dans un environnement contrôlé et de répondre à certaines questions d’une manière pratique. Comment mettre en place la cybersécurité ? Que se passe-t-il si ces tokens sont transférés de la blockchain privée vers le public puis remis sur la blockchain ? Lorsqu’il s’agira de discuter plus sérieusement d’une cryptomonnaie, nous aurons des éléments concrets sur lesquels nous appuyer. Étant donné l’augmentation du nombre de fintech, quelles procédures ont été mises en place pour gérer les risques financiers associés ? La Banque de Lituanie fait partie du mécanisme de surveillance unique (MSU) et de l’union bancaire. Nous mettons en œuvre les mêmes règles européennes que les autres banques centrales. Nous avons aussi segmenté les différents risques qui étaient auparavant gérés par un seul service. D’un côté les risques opérationnels, de l’autre, la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. En raison de la forte croissance du secteur des établissements de paiement et de monnaie électronique, nous avons aussi une unité qui leur est dédiée. Dans l’ensemble, nous avons triplé les effectifs assignés à la gestion des risques. Ce n’est pas seulement lié à la croissance du nombre de fintech mais à l’apparition de nouveaux modèles économiques. Le risque a changé de nature. Les risques principaux ne sont plus la liquidité ou le défaut de crédit mais la perte de données, la cybersécurité ou le vol d’identité. Vous avez aussi annoncé la création d’un centre dédié à la gestion des risques en 2020 avec la collaboration de 9 institutions publiques. Pouvez-vous nous en dire plus ? Nous menons effectivement une initiative auprès des institutions publiques lituaniennes afin de créer un système basé sur des partenariats publics et privés. Il s’agit de partager des informations sensibles entre des institutions publiques comme l’agence contre le crime financier, les régulateurs, la police et des entreprises privées qui gèrent des flux financiers. Nous devons partager ce type d’information afin de lutter contre le terrorisme et les transferts d’argent illégaux et afin de s’assurer que notre juridiction n’est pas utilisée pour commettre des actes illégaux au sein du système financier mondial. Antoine Duroyon blockchaincryptomonnaierégulation Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind À lire La Banque de Lituanie prend position sur les STOs