Accueil > Investissement > Cryptoactifs > Trade finance : comment se positionnent les consortiums we.trade et Marco Polo ? Trade finance : comment se positionnent les consortiums we.trade et Marco Polo ? Parmi les initiatives blockchain liées au trade finance, we.trade et Marco Polo se distinguent par leur maturité et le nombre de banques qui leurs sont associées. Etat des lieux. Par Aude Fredouelle. Publié le 23 avril 2019 à 11h05 - Mis à jour le 23 avril 2019 à 11h05 Ressources Plusieurs consortiums se sont formés en 2017 pour travailler sur l’application de la technologie blockchain au commerce international : Marco Polo, au sein du consortium R3 ; we.trade et Batavia en Europe ; eTradeConnect à Hong Kong, Komgo pour le commerce international de matières premières… Près de deux ans plus tard, Marco Polo et we.trade débutent leur mise en production et testent leurs modèles et leurs organisations, radicalement différentes. Chacun de ces consortiums s’est donné pour objectif de se positionner sur le volet “open account” (comptes ouverts) du trade finance, c’est à dire sur l’écrasante majorité (90%) des transactions de commerce international, non sécurisées par des lettres de crédit (instrument plutôt réservé aux corporates). Pour autant, leur stratégie diffère. Limité à un périmètre européen pour l’instant, We.trade vise avant tout les PME, dans une optique de sécurisation des transactions. Marco Polo s’adresse à des banques du monde entier et touche pour l’instant de plus gros acteurs. Par ailleurs, ce consortium est parti d’une réflexion visant avant tout à améliorer le financement des transactions (affacturage, reverse factoring). Produits proposés Les produits disponibles sur les plateformes sont donc différents. we.trade a commencé par développer un outil permettant à l’acheteur et au vendeur de se mettre d’accord sur les termes du bon de commande (quantité de marchandise, prix…) et sur les conditions de paiement (échéances, montants, conditions de versement…). Une fois les conditions réalisées (sur déclaration du vendeur, de l’acheteur ou l’information transmise par un transporteur), le paiement est déclenché automatiquement via un contrat intelligent sur la blockchain privée (il n’est cependant pas réalisé sur la blockchain mais de façon traditionnelle, par les banques). “Il s’agit plus d’un service de commerce que de financement, indique Anne-Claire Gorge, membre du conseil d’administration de we.trade et responsable des produits d’innovation pour la ligne métier commerce international du groupe Société Générale. C’est un premier niveau de service qui peut être souscrit de manière isolée par les clients des banques utilisatrices de we.trade. Il apporte de la transparence pour les acheteurs et vendeurs et automatise le déclenchement des paiements, mais il n’y a pas de garantie de paiement.” We.trade a ensuite développé d’autres produits. D’abord, une garantie de paiement fournie par la banque de l’acheteur, à la demande du vendeur. Ensuite, un financement du différé de paiement (la banque paye à l’avance le vendeur). Enfin, une option de financement avec recours (la banque avance le paiement au vendeur mais si l’acheteur fait défaut, elle récupère le montant) – cette option n’est cependant pour l’instant proposée que par quelques banques. Société Générale, par exemple, ne l’a pas encore intégrée. Du côté de Marco Polo, trois services ont été créés : “receivables finance”, le financement de créances commerciales à la demande de l’exportateur ; “payment commitment” (une garantie de paiement, assez similaire à celle de we.trade mais avec une approche davantage “portefeuille” et un financement de toutes les factures entre un acheteur et vendeur) ; et enfin “payables finance”, un outil de reverse factoring en cours d’élaboration. Preuve que les deux plateformes ont aujourd’hui des périmètres différents : Natixis est membre des deux et Société Générale, membre fondateur de we.trade, envisage de rejoindre à terme Marco Polo en complément. Le consortium se distingue par l’intégration, pour les corporates, dans les ERPs Oracle et Microsoft (d’autres suivront, assure David Sutter, directeur de la stratégie chez TradeIX, start-up qui a développé la plateforme) : cela permet aux corporates d’uploader directement les données de leurs transactions, alors que les entreprises utilisatrices de we.trade doivent remplir les données manuellement sur le service web. Organisation et gouvernance Outre leur proposition de valeur, les deux consortiums se distinguent par leur fonctionnement et business model. We.trade est un consortium de banques, qui ont créé en février 2018 à Dublin une joint-venture destinée à commercialiser la plateforme et ont choisi IBM en tant que prestataire technique pour la développer. We.trade se rémunère en commercialisant une licence pour la plateforme, et les banques membres de la joint-venture la payent au même titre que celles qui en deviennent clientes. “Il s’agit pour l’instant d’un montant fixe mais il est prévu de l’indexer sur les volumes par la suite”, commente Anne-Claire Gorge. À charge ensuite de chaque banque utilisatrice de we.trade d’embarquer ses entreprises clientes sur la plateforme puis de leur facturer le service. “Nous ne discutons pas de nos tarifs entre membres puisqu’il s’agit d’un sujet concurrentiel. Chacun a pour rôle de commercialiser la plateforme auprès de ses clients.” La joint-venture emploie 10 à 15 personnes, dont un COO, mais pas de CEO : “les décisions stratégiques sont prises par le conseil d‘administration, où siègent toutes les banques membres”, comme Thierry Roehm pour Société Générale. Des “councils” (commissions, qui ont une existence juridique en droit irlandais) dédiés à des sujets précis comme l’acquisition de banques clientes ou de partenaires dans la logistique ont été créés. Pilotés par un collaborateur we.trade, ils sont composés de collaborateurs des banques de la joint-venture. Outre les montants investis dans la plateforme technique, les membres ont réalisé un “gros investissement juridique”, indique par ailleurs Anne-Claire Gorge : “Nous avons créé un rulebook, cadre juridique qui régit l’utilisation de la plateforme et est partagé et blockchainisé entre les banques qui utilisent we.trade et leurs clients. Il est régi en droit anglais et définit des engagements communs.” Chez Marco Polo, l’organisation est plus complexe. Il s’agit à l’origine un groupe de travail monté au sein du consortium R3 (depuis devenu entreprise technologique commercialisant une version entreprise de son DLT open-source Corda) et regroupant un certain nombre de banques. Pour développer une plateforme, les banques ont fait appel à un partenaire technologique, TradeIX. Mais contrairement à IBM, prestataire de we.trade, TradeIX a réalisé une proposition commerciale et commercialise la plateforme aux banques membres sous forme de licence et de commission sur les transactions. Les banques n’ont donc aucune participation dans une quelconque société, elles sont simplement clientes de TradeIX. Par ailleurs, “si pour l’instant TradeIX est le seul développeur d’applications dans le réseau Marco Polo, il s’agit d’un réseau ouvert, souligne David Sutter. Dans le futur, il devrait donc y avoir bien d’autres fournisseurs de technologie (ou même des banques ou corporates) qui proposeront d’autres applications liés au trade finance. Nous ne sommes qu’aux prémisses du projet et nous sommes en train de mettre en place un modèle de gouvernance qui va permettre de favoriser cette initiative ouverte.” Le directeur de la stratégie de TradeIX compare Marco Polo à un système ouvert comme Android, sur lequel de multiples acteurs pourront développer et commercialiser des applications. “Nous avons participé à fonder ce réseau et nous allons vendre des licences mais nous ne pouvons être les seuls : Marco Polo doit être ouvert avec un protocole commun et un réseau qui permet à tous les acteurs du trade finance de bâtir des systèmes interopérables”, ajoute Oliver Belin, CMO de TradeIX. Au total, plusieurs centaines de personnes travaillent sur Marco Polo, entre TradeIX (120 collaborateurs), les banques membres et R3, ajoute-t-il. Un “steering committee” et des sous-comités composés des banques membres de Marco Polo dressent la roadmap, les règles pour devenir membres, les processus de l’organisation, la stratégie, les évolutions technologiques, les actions marketing… “Nous avons tous signé une charte.” Quant au financement, les banques ont apporté des fonds mais la grosse majorité des développements ont été pris en charge par TradeIX. TradeIX facture ensuite des frais d’intégration aux banques puis leur vend une licence. “Les banques n’ont pas ressenti la nécessité de créer une joint venture car elles sont plus intéressées par la création de revenus via leur activité de trade finance que par la commercialisation d’un logiciel”, assure David Sutter. Deux membres de Marco Polo, ING et BNP Paribas, sont cependant entrés au capital de TradeIX en juin dernier au cours d’une levée de fonds de 16 millions de dollars. Nombre de banques Initié par 7 banques européennes, le projet We.trade en comptait neuf lors de la création de la joint-venture : Natixis, Société Générale, Deutsche Bank, HSBC, KBC, Rabobank, UniCredit, Santander et Nordea. En octobre 2018, trois des cinq banques du consortium trade finance Batavia (CaixaBank, Erste Group et UBS) ont choisi de rejoindre we.trade. “Commerzbank était de son côté membre de Marco Polo et Bank of Montreal a simplement stoppé le projet, car ils auraient souhaité nous rejoindre mais ils étaient en dehors de notre périmètre européen.” Ils sont devenus actionnaires, sur un pied d’égalité avec les fondateurs. We.trade compte donc 12 banques à son capital. La banque grecque Eurobank est quant-à-elle devenue cliente, tout comme UniCredit Allemagne. “Désormais, le modèle sera plutôt de recruter des banques clientes, mais nous n’excluons pas l’entrée de nouveaux actionnaires si l’occasion se présente”, assure Anne-Claire Gorge. Marco Polo revendique de son côté 23 banques membres, dont 18 sont publiques (voir tableau). “D’autres sont en train de nous rejoindre et nous nous attendons à voir le nombre de membres augmenter de manière significative d’ici la fin de l’année”, indique David Sutter. Avancement Chez Marco Polo, la plateforme est intégrée chez les banques via APIs. “Certaines souhaitent commencer avec une intégration très légère tandis que d’autres choisissent une intégration complète dans leurs multiples systèmes de core banking”, décrit Oliver Belin. “Toutes les banques membres sont en cours de déploiement”, assure-t-il, mais peu sont en production et ont commencé à réaliser des transactions. Le 28 mars, Commerzbank et LBBW ont annoncé avoir réalisé plusieurs transactions test avec les corporates Voith et KSB, sans préciser les ambitions des banques pour la suite. “Nous avançons avec chaque banque individuellement selon leurs contraintes, leur rythme… il est difficile de faire entrer une vingtaine d’acteurs en production simultanément ! Certaines sont avancées quand d’autres commencent seulement à tester”, souligne David Sutter, de TradeIX. Du côté de we.trade, “toutes les banques ne sont pas encore en production mais la grande majorité le sont”, commente Anne-Claire Gorge. Société Générale a ainsi annoncé ouvrir la plateforme à tous ses clients le 19 avril dernier. Hormis la mise en production, ce qui prendra du temps sera l’adoption : “nous sommes sur un système à quatre coins qui nécessitent que les deux entreprises acheteur et vendeur doivent forcément être clientes de banques de we.trade donc la mise en place est un peu longue et la montée en charge sera progressive.” Autre pari : we.trade est en train de créer un nouveau marché, en offrant un service aux PME, qui ne bénéficiaient pas de ce genre d’outils auparavant. “Il s’agit de créer du PNB pour les banques auprès de clients qui ne leur rapportent pas beaucoup aujourd’hui, et non pas d’améliorer l’efficacité de l’existant.” Ambition de we.trade : dépasser les centaines de transactions réalisées à la fin du second trimestre 2019 et les milliers avant la fin de l’année. Roadmap produit Tant pour we.trade que pour Marco Polo, l’un des gros enjeux des mois et années à venir sera d’inviter au sein de la plateformes d’autres acteurs de l’écosystème. “Les acteurs de l’assurance crédit et de la logistique montrent un vif intérêt pour nous rejoindre mais nous avons pris la décision d’attendre avant de les intégrer pour ne pas nous disperser, même si c’est inscrit sur notre roadmap”, commente par exemple David Sutter. Marco Polo se connecte déjà aux APIs de certains acteurs du transport pour récupérer leurs informations, avant une intégration plus complète. Chez we.trade, qui récupère aussi déjà les informations de plus de 400 transporteurs de colis, il s’agira notamment d’intégrer “le transport intra européen, plutôt routier, qui est un marché atomisé et n’a pas encore de standard émergent”. We.trade veut aussi “simplifier davantage la plateforme”, notamment pour les clients qui auront de gros volumes à traiter, en intégrant des fonctionnalités d’upload en parallèle de la saisie automatique. À plus long terme, les consortiums se poseront peut-être la question de la réalisation du paiement directement sur la blockchain. C’est en tout cas le cas chez Marco Polo : “Nous voulons bien sûr nous pencher sur le “cash on ledger”, mais ce sera pour notre roadmap future”, reconnaît Oliver Belin. L’INTEROPÉRABILITÉ DES PLATEFORMES SERA INÉVITABLE Si l’interopérabilité future entre toutes les plateformes majeures de trade finance semble inévitable pour tous les acteurs, elle n’est pas pour demain puisque les acteurs existants cherchent encore leur marché. Mais des initiatives s’y intéressent déjà. Plusieurs banques et consortiums, dont Marco Polo, ont créé une organisation baptisée Universal Trade network, destinée à établir des standards d’interopérabilité entre les différents réseaux et protocoles. we.trade, de son côté, a réalisé fin 2018 un PoC avec eTradeConnect, le consortium basé à Hong Kong et également basé sur Hyperledger fabric. “Le PoC a été réalisé avec succès et laisse envisager une interopérabilité, prévoit Anne-Claire Gorge. Mais nous attendons d’avoir plus de volumes pour le mettre en production, donc ce n’est pas encore prévu.” Si we.trade se limite pour l’instant à un périmètre européen, le consortium affichait dès sa création des ambitions mondiales. “La première étape est de prouver que l’on peut atteindre une masse significative ici, mais c’est en effet un objectif”, confirme Anne-Claire Gorge. La société devra en effet déjà prouver sa capacité à atteindre la rentabilité. “Même si nous avons 12 actionnaires aux reins solides, nous aurons besoin de plus de banques clientes pour que le modèle soit rentable”, glisse Anne-Claire Gorge. Ni TradeIX, ni Marco Polo, ni we.trade ne communiquent encore sur des objectifs de chiffre d’affaires ou un horizon de rentabilité. Pour visualiser le tableau dans son intégralité, cliquez sur l’image (PDF) Aude Fredouelle blockchaintrade finance Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind