Accueil > Assurance > Catherine Charrier-Leflaive (Wakam) : “Nous visons la rentabilité en résultat net en 2026” Catherine Charrier-Leflaive (Wakam) : “Nous visons la rentabilité en résultat net en 2026” Après des années de croissance à plus de 25 % par an, l’assureur Wakam est entré dans une phase de consolidation stratégique. Catherine Charrier-Leflaive, CEO du groupe, revient sur ce virage vers la rentabilité, le poids croissant du Royaume-Uni et les investissements dans l'IA générative qui transforment les rouages de l'assurance BtoBtoC. Par Antoine Duroyon. Publié le 29 octobre 2025 à 17h00 - Mis à jour le 30 octobre 2025 à 11h50 Ressources Pouvez-vous nous rappeler le parcours de transformation de Wakam ? Wakam, c’est La Parisienne Assurances, la plus ancienne compagnie d’assurance française fondée en 1829. En 2015, Olivier Jaillon a décidé de changer complètement de modèle en vendant les plateformes téléphoniques qu’il détenait en Tunisie et toutes les activités de courtage pour devenir une compagnie totalement digitale. Le changement de nom est intervenu en 2020. Nous sommes également une entreprise à mission depuis 2021, avec un comité de mission. Wakam évolue en BtoBtoC, de manière totalement digitale. Notre plateforme Play & Plug, entièrement connectée en API, propose un pricing dynamique dans toute l’Europe. La force du modèle réside dans nos accords en libre prestation de services dans tous les pays européens, ce qui nous permet d’accompagner l’avènement des plateformes comme Uber, Revolut, Deliveroo ou Amazon. Prenons l’exemple de Revolut : nous avons déployé toutes leurs garanties dans tous les pays européens en trois mois. Pour avoir évolué dans des groupes internationaux, je sais qu’il faut des mois pour faire avancer les projets paneuropéens entre les différentes compagnies de chaque pays, et qu’à ce moment-là, le contrat est perdu. Aujourd’hui, au niveau européen, nous sommes les seuls à proposer cette offre, plusieurs concurrents ayant rencontré des difficultés. Après des années d’hypercroissance, vous êtes entrés dans une phase de consolidation. Où en êtes-vous dans cet arbitrage entre croissance et rentabilité ? Pendant 6 à 7 ans, Wakam a connu des taux de croissance de l’ordre de 25 à 30 %. En 2024, son chiffre d’affaires s’établit à 815 millions d’euros. Ce recul par rapport aux 924 millions d’euros enregistrés en 2023 s’explique par notre volonté délibérée d’entrer dans une deuxième phase. Wakam est passé à l’âge adulte, avec une croissance maîtrisée, plus sélective, profitable et durable. Nous avons très fortement amélioré notre marge technique brute et concluons aujourd’hui des partenariats de taille plus importante. Notre modèle historique consistait à accompagner des partenaires de toutes tailles. L’idée était d’identifier les pépites de demain en leur permettant de grandir. Aujourd’hui, certains partenaires qui ont démarré à 50 000 euros génèrent 100 millions d’euros chez nous. Mais le contexte fintech s’est complexifié et nous sommes désormais plus sélectifs. Nous visons la rentabilité en résultat net en 2026. Wakam Life, votre projet autour de la santé et de la prévoyance, où en est-il ? En 2022, lorsque j’ai rejoint Wakam, nous envisagions de créer Wakam Life, une entité dédiée à l’emprunteur, la prévoyance et la santé. Nous avons préparé tout le dossier pour élargir notre offre notamment sur la santé. Cependant, la nécessité de monter la filiale au Royaume-Uni a mobilisé nos ressources, et nous avons décidé de reporter ce projet. Il n’est peut-être pas abandonné définitivement, mais pour l’instant, il n’est pas à l’ordre du jour. Ce dossier est prêt, ce qui témoigne de notre capacité à nous adapter rapidement et à saisir les opportunités en partenariat avec d’autres acteurs. Le Royaume-Uni représente désormais 50 % de votre activité internationale. Comment expliquez-vous ce poids et quelles sont les spécificités de ce marché ? Depuis le Brexit, nous ne pouvons plus travailler en libre prestation de services au Royaume-Uni. Comme nous réalisons près de 70 % de notre chiffre d’affaires à l’international [contre 60 % en 2021, Ndlr], dont 50 % outre-Manche [386 millions d’euros au Royaume-Uni en 2024, soit 47 % du chiffre d’affaires total, Ndlr], le régulateur nous a imposé d’y créer une filiale. Wakam dispose donc aujourd’hui d’une filiale de plein exercice très capitalisée, avec des équipes basées dans la City. Le groupe s’est structuré avec trois CEO : un pour Wakam UK [Mark Christer, Ndlr], un pour Wakam SA [Alexandre Morillon, Ndlr] qui couvre l’Europe, et la holding que je dirige. Le marché britannique est souvent en avance de phase par rapport à l’Europe continentale. C’est un marché assez volatil qui nécessite des compétences spécifiques. Nous y employons 40 personnes. Au Royaume-Uni, les acteurs sont habitués au pricing dynamique, très majoritairement connectés sur nos API, et ajustent leurs tarifs en permanence. Nous tenons d’ailleurs des réunions hebdomadaires avec nos partenaires pour réajuster les tarifs, ce qui n’est pas encore le cas en France, avec ses échéances de renouvellement en janvier et en avril. Autre tendance forte : l’assurance embarquée. Les produits affinitaires en stand-alone ont quasiment disparu au Royaume-Uni, où l’on attend une croissance de 30 % sur ce segment. Cette tendance émerge également en France mais moins rapidement. La question qui se pose est : quel est l’intérêt d’acheter une extension de garantie chez un distributeur si celle-ci est déjà intégrée au moment de l’achat du produit ? C’est une évolution structurante qui interroge le rôle des courtiers, une question qui se pose beaucoup plus fortement outre-Manche qu’en France. Vous avez signé un contrat majeur avec ManyPets. Quel est le poids de ce partenariat ? Ce contrat nous a fait changer de dimension au Royaume-Uni. Nous sommes l’assureur exclusif de ManyPets, ce qui représente un très gros contrat sur la santé animale [ManyPets, qui revendique plus de 500 000 animaux assurés, est l’un des principaux acteurs de l’assurance santé animale au Royaume-Uni, Ndlr]. Nous l’avons conclu en 2022 et il a permis un saut important de notre chiffre d’affaires. L’assurance santé animale en France, un marché en croissance mesurée et âprement disputé Au Royaume-Uni, les propriétaires assurent massivement leurs animaux, c’est un marché en très forte croissance. Cette exclusivité nous a permis d’acquérir une expertise pointue sur la santé animale que nous déployons désormais dans les autres pays européens, notamment en Espagne et en Italie où nous avons déjà conclu d’importants contrats. Quel est votre modèle concernant la gestion de sinistres ? C’est la force de notre modèle. Beaucoup de courtiers et de MGA [managing general agents, des courtiers grossistes qui disposent de délégations de gestion et de souscription de la part des assureurs, Ndlr] se tournent vers nous car ils souhaitent conserver la maîtrise de la gestion des polices et des sinistres. Toutes les grandes compagnies aujourd’hui veulent tout internaliser. Nous, nous ne le faisons pas, à l’exception de la France. Pour tous les autres pays, nous sommes complètement délégués. Nous travaillons avec des TPA [third party administrators ou gestionnaires tiers, Ndlr] sur la gestion des polices et des sinistres partout dans le monde. En France, nous avons une équipe qui ne gère que les sinistres graves. Vous positionnez fortement Wakam sur l’intelligence artificielle. Où en êtes-vous concrètement ? Avec seulement 250 collaborateurs, nous avons l’agilité nécessaire pour devenir une entreprise véritablement AI-driven. Nous passons du statut de tech enabler à celui d’AI enabler. Nous sommes très en avance puisque nous avons développé une plateforme agentique basée sur le no-code qui nous permet de créer nos propres agents LLM. L’utilisation du standard MCP [model context protocol, un protocole ouvert développé par Anthropic qui permet aux applications d’IA de se connecter à différentes sources de données et outils de manière standardisée, Ndlr] facilite les interconnexions. Nous avons déployé des agents, voire des super-agents, dans tous les domaines : souscription, juridique, etc. Sur tous les processus à faible valeur ajoutée, nous disposons d’agents extrêmement performants. L’actuariat constitue par ailleurs un excellent cas d’usage puisqu’un actuaire applique essentiellement un algorithme. La puissance de démultiplication est considérable, d’autant plus que notre présence européenne nous permet d’agréger toutes les législations, les positions des régulateurs par pays et les benchmarks de produits. Nous avons demandé à chaque département de proposer ses cas d’usage, que nous avons ensuite retravaillés ensemble lors de hackathons. Après une phase de backtesting, nous passons à l’industrialisation, qui est une réalité chez Wakam. C’est l’enjeu clé : tant que nous restons au stade du copilotage, nous n’avons pas véritablement basculé. Vous collaborez avec Dust pour l’IA générative. Comment se déroule ce partenariat ? Dust nous apporte une couche de middleware qui garantit que nos données ne servent pas à l’entraînement des modèles. La collaboration se déroule très bien. Dust se développe rapidement et apprécie notre partenariat, car nous sommes très réactifs. Nous sommes très engagés dans l’utilisation de leur solution, davantage que des compagnies plus importantes. Vous avez également misé sur Snowflake et Akur8. Quels bénéfices en tirez-vous ? Snowflake nous permet de supprimer le décalage temporel inhérent au modèle BtoBtoC et d’accéder aux résultats en temps réel. Nous n’avons plus de délai : nos partenaires disposent de la même visibilité sur les résultats que nous. Nous avons commencé par migrer nos partenaires britanniques et déployons désormais la solution à l’ensemble des partenaires européens. Une difficulté récurrente avec les partenaires réside dans la difficulté à s’accorder sur les chiffres. J’ai connu cela à l’Equité, où nous passions des heures à réconcilier les données. Avec une vision partagée, nous évitons qu’une situation ne s’enkyste ou ne prenne trop de temps à être corrigée, en attendant la réunion trimestrielle. C’est un avantage déterminant dans un modèle BtoBtoC. Comment Akur8 automatise la modélisation des risques IARD et santé Pour le pricing dynamique, nous collaborons avec Akur8 qui gère notre moteur de tarification [depuis 2020, Ndlr]. Vous aviez développé un policy admin sur blockchain. Maintenez-vous cet investissement ? L’idée était de maîtriser toute la chaîne de valeur avec des partenaires non-assureurs. Nous ne poursuivons pas dans cette voie. Des courtiers exercent un véritable rôle d’orchestrateur sur le marché et nous ne voyons pas la valeur ajoutée à nous substituer à eux. Nous conservons notre policy admin basé sur la blockchain mais ce n’est plus un axe stratégique de développement. Nous maintenons un modèle intégralement délégué tant sur la gestion des polices que sur la distribution. Quelle est votre analyse sur les tentatives des réassureurs de se positionner sur le BtoBtoC ? Le sujet est délicat pour un réassureur. Lancer une activité BtoBtoC revient à concurrencer directement ses propres clients assureurs. Ce sont deux métiers très différents et cela crée un conflit d’intérêts structurel. Plusieurs tentatives, comme Iptiq, n’ont d’ailleurs pas abouti. Quelle est votre position sur l’open finance, sujet qui divise le secteur ? Je ne comprends pas qu’il puisse y avoir un débat sur ce sujet. J’avais déjà été très impliquée sur l’open banking lorsque je dirigeais la banque de détail de La Banque Postale. Le principal bénéficiaire sera le consommateur final. Nous nous sommes engagés à maintenir un équilibre financier dans nos contrats avec un ratio sinistres/primes d’au moins 30 %. L’open finance permettra aux clients de comparer et d’accéder à une forme d’équité après souscription. Nous fonctionnons déjà sur ce modèle. Martin J. Gylfe (Insurely) : “Nous serons conformes à Fida dès son entrée en vigueur” Je ne vois pas comment, avec l’IA, on pourrait persister dans la rétention de données. L’expérience de l’open banking est éclairante : cela a profité aux consommateurs et les banques sont toujours là. Il n’y a pas eu de désintermédiation massive. L’ouverture a bénéficié à l’ensemble de l’écosystème et généré de la croissance. Le secteur de l’assurance a-t-il achevé sa révolution culturelle ? J’ai lancé un programme baptisé Wakam from Anywhere, partant du principe qu’un vivier de recrutement mondial plutôt qu’hexagonal favorise la diversité des profils. Nous comptons 26 nationalités différentes chez Wakam. La langue de travail est l’anglais. Sur les profils tech et actuaires, la puissance de ce modèle est considérable : nous pouvons recruter partout dans le monde. J’évolue aujourd’hui dans un environnement qui embrasse les tendances sociétales. Quand je vois les assureurs traditionnels qui résistent sur l’open finance, demandent aux collaborateurs de revenir au bureau ou abordent l’IA avec prudence, je pense que la révolution culturelle n’est pas achevée dans l’assurance traditionnelle. Antoine Duroyon assurance affinitaireassurance embarquéeinsurtech Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind À lire Assurance embarquée : la Mobilière ferme Companjon Wakam remanie sa gouvernance Start-up à la loupe Laka accélère sa diversification en rachetant l'activité trottinettes électriques de Luko Wakam annonce un PSE touchant 14 % de ses salariés en France