Comment Zhong An a créé de nouveaux usages dans l’assurance chinoise

Début 2013, Jack Ma, Pony Ma et Ma Mingzhe se réunissent pour créer un nouvel acteur capable d’emmener le secteur de l’assurance vers l’ère numérique. Ils le baptisent Zhong An. Lancé par les trois sociétés dont ils sont les dirigeants – Alibaba, Tencent et Ping An -, le projet est missionné par la Commission réglementaire chinoise de l’assurance (CIRC). Il doit servir de pilote à un modèle d’assurance en ligne. En octobre 2013, l’entreprise décroche la première licence d’assurance en ligne de Chine. Puis en novembre, la compagnie est officiellement lancée, avec 164 millions de dollars de fonds propres. Zhong An Online Property Insurance devient le premier assureur entièrement numérique du pays.

La société entame son ascension et se rend rapidement incontournable en proposant des solutions d’assurance précises, abordables, et parfaitement intégrées à l’expérience en ligne des utilisateurs. Le premier du lot s’appelle Zhonglebao : il s’agit d’une assurance sur les frais de retour des produits vendus via TaoBao, la place de marché éditée par Alibaba. Lorsqu’un client renvoie des produits, le coût de l’opération vient grever la rentabilité du commerçant. En revanche, si ce dernier souscrit à Zhonglebao, il verse une prime correspondant à un faible pourcentage du montant de la transaction pour couvrir les frais de retour. Au bout d’un an, selon l’ancien analyste de CB Insights Matthew Wong, l’offre Zhonglebao atteint le milliard de polices souscrites. 

Écosystèmes et éducation à l’assurance

Pour ses débuts, Zhong An se concentre sur l’assurance de biens. Mais assez rapidement, en 2015, la société multiplie ses centres d’intérêt, mettant au point des produits dédiés à la filière automobile. L’année suivante, elle cible le secteur de la santé avec une offre de remboursement des frais médicaux. Sa simplicité de souscription via mobile et sa couverture efficace en font un succès : le volume de primes atteint les 100 millions de yuans (12,6 millions d’euros) en quatre mois, selon le réassureur Gen Re. Au lancement de la deuxième génération du produit, en 2017, 60 000 polices sont émises en huit jours. 

Biens de consommation / e-commerce, automobile, santé, voyage, finances personnelles… Le travail par écosystème devient une stratégie à part entière, explique en 2016 le directeur des opérations de l’assureur, Bill Song, à la conférence Digital Insurance Agenda. D’une part, il permet à l’entreprise d’être connectée “à plus de 300 acteurs différents”, qui seront souvent les distributeurs des polices conçues par Zhong An. D’autre part, explique le dirigeant, “nous exploitons les contrats et les données qu’ils génèrent pour mieux connaître les clients”.

Ainsi, Zhong An imagine une couverture des retards ou annulations de vol en analysant le comportement des voyageurs. Puis, c’est en observant les usages d’une population chinoise hyper-connectée qu’elle décide d’assurer les transactions frauduleuses réalisées via certaines applications. Un produit spécifique est lancé en collaboration avec le logiciel de sécurité Mobile Guardian de Baidu. 

Si elle lui amène un flux de clients et lui apporte de nouvelles idées, la stratégie par écosystèmes permet aussi à l’assureur en ligne de sensibiliser les Chinois à l’utilité de l’assurance – une mission que Zhong An prône jusque dans son rapport annuel. Surtout, la société influence le reste du marché, estime Sher Li Tan, directrice d’Accenture Hong Kong : “Zhong An a démontré à ses pairs qu’il était possible d’être assureur sans détenir un réseau d’agences et de travailler avec des partenaires proposant des activités complémentaires.” Et si, à la naissance de l’insurtech, le marché était encore relativement restreint, il n’a fait que s’étendre au gré de l’arrivée de nouveaux acteurs numériques et de la montée en force de la classe moyenne chinoise.

Vente de technologies et expansion à l’international

L’autre solution retenue par Zhong An pour accroître ses revenus est celle du développement de technologies de pointe à destination de l’industrie de l’assurance. Premier assureur à avoir été entièrement bâti sur le cloud, sur la suite d’outils développés par Alibaba, Zhong An est un précurseur de ce mouvement. Ses outils lui ont permis de réaliser des prouesses comme la gestion de 150 millions de polices en une seule journée dès le 11 novembre 2014 [le 11 novembre, aussi appelé Fête des célibataires, est un événement commercial incomparable en Chine, peu ou prou comparable en termes de volumes au Black Friday américain, ndlr] ou la création de produits suffisamment nourris aux algorithmes pour s’adapter à la météo en temps réel. 

En 2016, l’assureur numérique s’associe à la plateforme Ethereum pour monter Zhong An Technology, un centre de recherche et développement sur des technologies de registre distribué, puis sur des des algorithmes d’intelligence artificielle, le cloud, etc. Autant de domaines qui lui permettent de revendiquer une excellence opérationnelle : 97% des clients ne communiquent avec l’entreprise que via des chatbots, par exemple. Quant au temps de traitement des dossiers de sinistres automobiles, il est réduit de 11 minutes grâce à l’utilisation d’algorithmes de reconnaissance optique de caractère et d’intelligence artificielle dans ses outils d’estimation des risques. En 2018, la société comptait 1536 ingénieurs sur ses plus de 3 000 salariés (53,2% de sa masse salariale) pour garantir cette avancée technologique. 

Fin décembre 2017, Zhong An a établi la filiale Zhong An Technology International Group à Hong Kong, entité destinée à étendre ses liens à l’international. C’est notamment par cet intermédiaire qu’elle fournit de l’outillage technologique et des systèmes d’assurance de bout en bout à des assureurs principalement présents en Asie du Sud-Est. Parmi ses clients, l’entreprise déclare compter Sompo Japan Insurance, Income ou encore Grab, auxquels elle fournit des produits d’assurance personnalisables en fonction de l’usage de l’utilisateur final. Ces partenariats lui ont permis de contribuer à la souscription de 5 millions de polices via l’écosystème de Grab, par exemple. 

Entrée en Bourse et concurrence aux fondateurs

Avant la création de ce bras international, Zhong An a fait son entrée à la Bourse de Hong Kong le 28 septembre 2017. L’opération a eu ceci de spectaculaire que, première du genre pour une insurtech, elle a permis à la jeune société de lever 1,5 milliard de dollars pour une valorisation de 10 milliards de dollars. Surtout, elle permet à l’insurtech de se poser en rivale de Ping An, qui l’a cofondée, et qui, comme elle, se positionne plus “comme une entreprise technologique” que comme un assureur, selon les termes de Bill Song (Zhong An). 

Depuis, Zhong An a poursuivi son chemin en creusant sa logique d’écosystème. L’entreprise s’investit dans la gestion des finances personnelles et a obtenu une licence de banque virtuelle à Hong Kong pour créer sa propre banque numérique. Le pilote de ce nouveau projet, nommé ZA Bank, a été lancé le 18 décembre 2019. Du côté de la santé, l’assureur numérique a élaboré un “écosystème de santé en circuit fermé”, offrant au patient un point d’entrée unique en ligne pour effectuer des consultations, recevoir des médicaments en livraison et couvrir ses frais de santé. Pour ce concept d’hôpital internet, qui doit répondre à de vraies problématiques d’accès aux soins en Chine, Zhong An a obtenu une licence en juillet 2019. Le service profitera aussi vraisemblablement de l’actualité sanitaire, puisque, selon Sher Li Tan, “si le coronavirus a provoqué une chose dans le secteur de l’assurance, c’est certainement la prise de conscience de toute une partie de la population de l’importance que pouvaient revêtir les couvertures santé”. Et puis Zhong An continue de travailler à son expansion internationale. Le 4 mai, sa banque virtuelle a d’ailleurs obtenu une licence d’assurance à Hong Kong. De quoi exporter plus facilement son expertise.