Nathalie Gateau (Apicil) : “Le télétravail va permettre aux aidants de gérer leur temps plus facilement”

Quel est l’intérêt pour l’entreprise d’aider ses salariés aidants ?

On évalue le nombre de personnes soutenant un proche dépendant entre 8 et 11 millions en France, parmi lesquelles 4 millions seraient en activité. Ces personnes sont susceptibles d’être touchées par un phénomène d’usure, et donc d’absentéisme en entreprise. Elles risquent aussi de consommer des soins car elles peuvent, à un certain moment, présenter des signes d’extrême stress, de fatigue, voire même de burn-out. C’est le côté négatif de la situation. Mais d’un point de vue positif, ces personnes sont des couteaux suisses. Elles réussissent à mener de front, sur de longues périodes, des agendas professionnels et privés extrêmement chargés et développent de multiples capacités de débrouillardise pour pallier toutes les situations auxquelles elles doivent faire face. Elles développent également entre elles un esprit collectif. Beaucoup de solutions proposées aujourd’hui par des associations étaient, à l’origine, des initiatives privées. C’est par exemple le cas du baluchonnage, imaginé au Québec pour permettre aux aidants de bénéficier d’un relais au domicile de leur proche afin de pouvoir se reposer.

Il ne faut donc pas voir le salarié aidant comme un poids, d’autant  que sa situation peut être ponctuelle. Cette créativité, tout comme cette solidarité entre proches aidants, peuvent être très utiles au final à l’entreprise. Une collaboratrice s’est retrouvée dans la situation d’aidant lorsque son mari était touché par le cancer. Elle a eu carte blanche pour gérer son temps et, comme elle ne voulait surtout pas être une charge pour ses collègues, elle a mis en place une organisation très astucieuse, qu’on a finalement ensuite reprise pour l’ensemble de l’équipe. Je pense que l’arrivée du télétravail, de façon un peu systématique, va permettre aux aidants de gérer leur temps plus facilement. Il faudra néanmoins éviter le télétravail à plein temps pour qu’ils ne soient pas complètement coupés des relations sociales qui, justement, leur permettent de s’évader.

Comment accompagner un salarié aidant, alors qu’il n’a pas forcément conscience de ce statut ?

En effet, les salariés qui s’occupent d’un proche âgé, malade, ou en situation de handicap n’ont souvent ni conscience de leur statut d’aidant, ni envie d’être stigmatisés en tant que tels. Ces collaborateurs sont donc généralement assez discrets sur leur situation, c’est pourquoi nous encourageons beaucoup nos entreprises adhérentes à communiquer sur le sujet des aidants et créer des lieux de parole à leur attention – des cafés des aidants – animés par des psychologues. Nous essayons de négocier avec les entreprises pour que ces moments de rencontre puissent avoir lieu entre 12h et 14h, dans une salle mise à disposition par leurs soins, ce créneau permettant de ne peser ni sur l’activité professionnelle, ni sur la vie personnelle des salariés.

Il est essentiel que les gens disposent de cet espace d’expression et bénéficient d’une écoute professionnelle sur les problématiques qu’ils peuvent rencontrer, car ils ont rarement le temps d’aller consulter. Par ailleurs, cela donne l’opportunité aux aidants d’être identifiés par leurs collègues et permet, dans les entreprises où le don de RTT est pratiqué, que ces derniers puissent abonder des jours en leur faveur. 

Quelles autres mesures d’accompagnement avez-vous mises en place chez Apicil ?

En plus de nos groupes de parole, nos collaborateurs aidants bénéficient de l’ensemble des dispositifs mis en place par le groupe pour ses assurés. Par exemple, nous avons créé à Lyon avec l’ARS, la métropole de Lyon et la fondation France répit, le collectif Métropole aidante, qui regroupe 150 associations intervenant dans le champ de l’aide aux aidants sur le territoire de la métropole de Lyon, afin d’offrir à ces personnes un dispositif coordonné d’information, d’orientation et d’accompagnement. Métropole aidante propose à la fois un lieu d’accueil physique, un site internet ainsi qu’une plateforme téléphonique pour répondre notamment aux appels d’urgence. Dans le cadre de ce dispositif, une Maison du Répit a également été créée avec la fondation Mérieux, la Fondation France Répit et d’autres mécènes lyonnais, pour accueillir gracieusement, à hauteur de 30 jours par an, des personnes malades ou handicapées, ainsi que les proches aidants qui le souhaitent pour leur permettre de gérer ou prévenir une situation d’épuisement et se ressourcer. Un soutien psychologique, des temps de rencontres et d’échanges ainsi que des activités de bien-être leur sont proposés.

Ce projet expérimental, mené sur trois ans, a attiré l’attention de Sophie Cluzel, la secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées, qui souhaite qu’il soit dupliqué dans d’autres métropoles françaises. Déjà, une deuxième Maison du répit est en train de se créer en Ile-de-France, et une douzaine devraient l’être au total. Au niveau national le dispositif Ma Boussole Aidants de l’Agirc Arrco permet aux aidants d’identifier les dispositifs existant sur l’ensemble du territoire.

Ce contenu a été réalisé par la rédaction de Planet Labor (une publication du groupe mind), service d’information professionnelle consacré aux pratiques RH, droit du travail, relations professionnelles, problématiques RSE… Il a été publié dans le numéro 12716 du 4 octobre 2021.