Accueil > Assurance > Paul Sauveplane (Alan) : “Nous réfléchissons à nous ouvrir à un troisième pays” Paul Sauveplane (Alan) : “Nous réfléchissons à nous ouvrir à un troisième pays” Fraîchement désigné lauréat du programme French Tech Next 40, l’assureur santé Alan est aujourd’hui, avec près de 550 salariés, l’une des principales scale-up françaises en santé. Elle entend bientôt compléter son bouquet de services “tout-en-un” en proposant sa solution Alan Mind à l’ensemble de ses adhérents. Sa culture d’entreprise en fait par ailleurs un ovni dans le monde du travail : flexibilité quasi totale, absence de managers, transparence généralisée… Son DRH Paul Sauveplane et Fabrice Staad, General Manager France, dressent un bilan de l’activité de l’insurtech et reviennent sur son mode d’organisation particulier. Par Antoine Piel. Publié le 12 avril 2023 à 12h14 - Mis à jour le 28 janvier 2025 à 15h49 Ressources Quel bilan tirez-vous de votre activité de téléconsultation et, plus largement, de toutes vos solutions d’e-santé ? Fabrice Staad : Notre approche de l’e-santé est centrée sur deux thèmes. Le premier est celui de l’accès efficace au soin qui devient primordial dans un système de soin saturé. Avec la Clinique Alan, nos membres peuvent échanger de façon rapide et confidentielle avec plus d’une trentaine de professionnels de santé pour s’orienter efficacement et recevoir un premier avis. La combinaison de l’“Alan Map” qui permet la recherche de professionnels pour des consultations physiques et de notre partenaire de téléconsultation Livi permet d’assurer un passage de relais avec le système de soins. Notre seconde priorité est la prévention individualisée, qui rend possible la confiance de la majorité de nos membres dans l’extension de l’usage de leurs données d’assurance à un usage préventif ainsi que par l’utilisation régulière de notre application. Nous avons suffisamment de recul désormais pour voir que les membres exposés à nos campagnes de rappels dentaires individualisés vont plus souvent chez les dentistes. Nous enrichissons notre palette de thématiques de prévention (mal de dos, bien-être mental) pour étendre l’impact préventif de la sphère privée à la sphère professionnelle. Où en êtes-vous de votre bouquet de services “tout-en-un” et quelle offre allez-vous prochainement ajouter ? FS : Nous voulons nous imposer comme le partenaire santé tout-en-un pour nos assurés et nous poursuivons notre travail en faveur de la prévention et de la démocratisation de l’accès à la santé. Les membres peuvent désormais faire un bilan de santé, et profiter de programmes personnalisés par l’équipe médicale Alan. Par exemple, il leur est désormais possible de tester leur acuité visuelle et d’essayer, en réalité augmentée, des lunettes qui conviennent à la forme de leur visage. En quelques mois, plus de 1200 paires de lunettes ont été achetées, avec une satisfaction client de 4.9/5. Quelle stratégie entendez-vous adopter pour rendre l’entreprise rentable ? FS : Avec un niveau de dépense de 69 millions d’euros en 2022, qui représente notre pic, nous prévoyons une amélioration annuelle jusqu’à l’atteinte de la rentabilité en 2025. Notre forte croissance, conjuguée à une réduction progressive de notre consommation de trésorerie, doit nous permettre d’atteindre cet objectif. En mai 2022, vous avez levé 183 millions d’euros. Comment utilisez vous ces capitaux ? FS : Nous investissons les fonds levés dans la différenciation de nos produits et services et dans l’innovation, en continuant de recruter les “Alaners” (salariés d’Alan, ndlr) de demain. Nous avons aujourd’hui 520 Alaners (presque 100 de plus en un an) répartis comme suit : 12 % en corporate et fonctions supports, 34 % en sales et marketing, 16 % en service client et 38 % en produit, design, ingénieur, data, assurance, opérations. Vous avez acquis en septembre 2021 l’application Jour. Que vous a permis cette acquisition ? Paul Sauveplane : Jour est la partie BtoC de ce qu’est devenu ensuite Alan Mind, qui propose quelque chose de beaucoup plus ouvert. Cette acquisition a été une excellente porte d’entrée dans le monde de la santé mentale, sans médecin derrière. Les sujets de Jour (journaling, sommeil, problèmes de couple) qui étaient très personnels sont devenus ensuite Mind et nous sommes en train d’ajouter ces services à notre offre d’assurance. Avec une approche BtoB, nous voulons à la fois accompagner les entreprises et proposer du contenu tourné vers les salariés. Après le rachat de Jour, le lancement de l’offre Alan Mind, quels sont aujourd’hui les grands axes de votre feuille de route ? Paul Sauveplane : Nous avons trois axes stratégiques cette année : la croissance du portefeuille utilisateurs, notamment en France pour continuer à mutualiser sur la partie assurance. Aussi, une entreprise comme Alan doit avoir une ambition internationale, car statistiquement, il nous faut du volume pour que le risque soit mutualisé. Nous ne pouvons pas viser moins que le million d’assurés. Notre deuxième axe est donc la dimension internationale (Belgique, Espagne) pour prouver que notre solution est viable. Nous réfléchissons à nous ouvrir à un troisième pays. Enfin, nous voulons développer nos services pour dépasser la vision de simple assureur. Notre ambition est de devenir un vrai partenaire santé. Nous sommes particulièrement fiers de notre clinique virtuelle, qui permet d’avoir accès à des médecins en permanence. Cela change radicalement le rapport de l’assuré au système de santé. Comment définissez-vous votre culture d’entreprise ? PS : Nous avons cinq valeurs : l’ambition sans peur, celle qui vient rappeler qu’on nous a beaucoup répété que notre ambition était irréaliste. Il y a ensuite la responsabilité distribuée, en l’absence de managers. C’est ce en quoi nous croyons pour faire venir des salariés très compétents travailler ensemble : si nous voulons qu’ils ne soient pas tous managers, il faut leur donner la capacité d’être aux manettes et de prendre des décisions par eux-mêmes. Dans les équipes d’ingénieurs et d’assurance, ceux qui travaillent chez nous seraient partout ailleurs chefs d’équipe. Comment garder ce niveau là ? Nous leur donnons la possibilité d’agir sur l’entreprise. La troisième est la croissance individuelle et collective. Ensuite, avec la transparence radicale, tout le monde a accès à l’information car nous croyons qu’il faut se donner un maximum de contexte pour prendre les décisions. Enfin, nous prenons les décisions en fonction de l’impact sur les membres (clients, ndlr). Elles peuvent être contre-intuitives ou pas les plus rentables, mais elles suivent la direction dans laquelle nous voulons aller. Pourquoi avoir choisi de supprimer les réunions ? PS : La culture de l’écrit est une culture du contexte. Nous voulons attirer les meilleurs et mettre les salariés aux commandes. Pour ça, il faut qu’ils aient un maximum de contexte. Nous leur proposons à la fois d’avoir accès à l’information grâce à l’écrit et d’organiser leurs priorités car nous leur faisons confiance. Quand je dis aux salariés de travailler par écrit, c’est aussi leur laisser la possibilité d’organiser leur journée et de travailler de manière asynchrone. Tout résonne et tout est cohérent. Si nous demandons aux équipes créatives ou data de participer de manière permanente à des réunions, elles ne sont pas productives. L’organisation asynchrone garantit aussi à ceux qui sont en télétravail plusieurs semaines de ne rien perdre de l’information. Elle permet enfin d’être très efficaces dans les prises de décision : la personne qui pose le problème par écrit doit l’avoir réfléchi et problématisé au préalable tandis que les personnes qui contribuent doivent le faire de manière structurée et simplifiée. Il y a quand même des réunions mais aucune décision business n’est prise en dehors de l’écrit et discutée et argumentée sous cette forme. Peut-on parvenir à croître et structurer une entreprise de grande taille tout en conservant l’esprit originel ? PS : Le plus gros effort c’est d’être certain d’acculturer tout le monde. En doublant l’effectif en un an, nous nous sommes retrouvés avec des salariés qui ont 8 ou 9 mois d’ancienneté et qui recrutaient déjà. S’ils ne sont pas embarqués correctement et qu’ils recrutent en fonction, la culture dérive. Le développement à l’international fait aussi que nous sommes moins proches les uns des autres. Une grosse partie de notre travail reste de répéter, répéter et répéter encore. La culture tient en fait par trois manières : beaucoup de travail pour définir des règles claires avec de la transparence. Ensuite, un accompagnement : quand un Alaner arrive, il a trois référents différents. Il y a le coach qui est le référent interne et là pour faire un maximum de feedback, qui vous voit de manière hebdomadaire puis bimensuelle. Il y a ensuite le référent professionnel, la personne qui accompagne dans le métier et s’assure que vous avez la bonne expertise et la bonne formation. Ensuite, le référent culturel aide les salariés à s’adapter à la culture d’Alan et aiguiller pour leur permettre d’être plus transparents et plus directs. Au quotidien, dès que nous voyons un comportement à valoriser parce qu’il représente la manière dont on veut que les sujets soient pris, un message public est diffusé sur Slack. Chaque semaine, nous élaborons une lettre, diffusée à toute l’entreprise, qui informe d’où nous en sommes quant à nos objectifs, ce que nous avons réussi et de quoi nous pouvons être fiers. La responsabilité distribuée et donc l’absence de managers dans la prise de décision se matérialisent de quelle manière chez Alan ? FS : Dans le cas de l’arrêt d’un projet par exemple, c’est souvent l’équipe en charge qui prend la décision. C’est le cas d’Alan Baby parce que, par rapport à notre ambition de devenir un acteur très présent sur les questions de bien-être mental, nous nous sommes dits qu’il ne serait pas possible de mener les deux combats de front. Mais ça ne veut pas dire que ça ne marchait pas. Cette décision a été saluée parce que difficile mais nous étions contents et fiers que l’équipe ait cette capacité de mettre son intérêt au second rang par rapport à celui de l’entreprise. Ce qui montrait qu’elle comprenait les priorités, qu’elle avait le sens du collectif et que nous pouvions lui faire confiance. PS : Chez tous les juniors qui arrivent, la grosse partie de coaching sur laquelle nous essayons de les accompagner, c’est la priorisation. Pour eux, souvent, tout se vaut. Nous apportons donc énormément de calme dès lors qu’on les a aidés à prioriser. C’est un exercice difficile car, comme nous sommes en responsabilité distribuée, c’est à la personne de définir ses propres objectifs et il faut que nous soyons en capacité de l’accompagner. Comment l’information circule-t-elle dans l’entreprise ? PS : Nous avons trois plateformes. La plateforme de communication interne c’est Slack, elle sert aux échanges et au partage. La plateforme de prise de décision est GitHub qui est prisée par les développeurs mais contient une fonctionnalité de discussion. Ensuite, les procédures et règles de travail sont sur Notion, un outil de stockage de documents et de prise de notes. Nous essayons d’édifier des règles en rappelant qu’avec la culture de l’asynchrone, une réponse immédiate n’est pas attendue. Si quelqu’un est capable toute la journée de répondre en 5 minutes sur Slack, ça veut dire qu’il n’est ni sur GitHub ni sur Notion. Nous avons tous dans notre agenda des plages de “deep work” ou de focus pendant lesquelles nous sommes censés être déconnectés. Le guide d’onboarding précise par ailleurs qu’il ne faut pas déclencher de notification sur son téléphone. Et qu’il faut aller sur Slack deux fois par jour parce qu’on n’attend pas un délai de réponse de 10 minutes mais de 24 heures. Quand vous donnez des règles, vous y arrivez mieux. Ce que nous essayons de faire dans chaque équipe, c’est de désigner chaque jour une personne oncall, désignée comme le gardien du phare pour la journée. Elle a vocation à être réactive sur l’outil et en contrepartie de faire débrancher l’équipe. Mais tout le monde ne déconnecte pas encore à 18 heures. Quels sont vos prochains défis RH ? PS : Nous effectuons un travail important sur la mobilité interne, ce qui fait partie de la reconnaissance en montrant qu’on peut faire des paris sur des salariés acculturés. Nous croyons que ceux-là sont capables d’apprendre vite un nouveau métier. On l’avait négligé jusque-là parce que nous étions encore 20 jusqu’en 2018. Aujourd’hui, beaucoup arrivent avec trois ou quatre ans d’ancienneté et ont besoin de changement. D’autant que, par construction, nous avons peu de place de management et nous devons donc leur proposer autre chose. Enfin, alors que notre politique est de proposer des vacances illimitées aux salariés, ceux-ci étant très impliqués, nous réalisons un suivi lorsque cela est nécessaire pour les inciter à en poser quand ils en prennent peu d’eux-mêmes. Cet entretien a été publié initialement sur mind RH, publication du groupe mind dédiée aux problématiques RH et RSE, ainsi que sur mind Health, publication du groupe mind consacrée à la transformation des acteurs de la santé. Antoine Piel assurance santéinsurtechressources humaines Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind