Accueil > Assurance > Stéphanie Boutin (Matmut) : “Demain, l’annonceur devra rendre des comptes sur l’ensemble de ses impacts RSE” Stéphanie Boutin (Matmut) : “Demain, l’annonceur devra rendre des comptes sur l’ensemble de ses impacts RSE” Le groupe Matmut, société d'assurance mutuelle de 480 agences et 6 500 collaborateurs, rassemble plus de 4 millions de sociétaires. La compagnie a réalisé en 2022 près de 2,4 milliards d'euros de chiffre d'affaires. Son rôle et son impact en tant qu'annonceur sont donc clés. Stéphanie Boutin, sa directrice générale adjointe en charge de la communication et de la RSE, explique les ambitions du groupe et les contraintes auxquelles il fait face en matière de transition environnementale. Par Jean-Michel De Marchi. Publié le 07 juin 2023 à 8h00 - Mis à jour le 28 janvier 2025 à 15h49 Ressources En tant qu’entreprise non capitalistique, le groupe Matmut a peut-être encore davantage besoin de communiquer de façon responsable que d’autres sociétés. Quelle est l’ambition du groupe en matière de communication responsable appliquée à la communication ? Quels objectifs vous êtes-vous fixés ? Le groupe ne se fixe pas d’objectifs liés à la communication en données chiffrées. Mais en tant qu’entreprise mutualiste depuis plus de 60 ans et donc acteur de l’économie sociale et solidaire, au contact du public, la communication responsable relève déjà de notre volonté d’avoir un impact sociétal et d’agir pour le bien commun. C’est structurel à notre activité. Cela nous place en position naturelle pour nous questionner sur notre impact et le sens de nos actions en communication. Nous avons en revanche des objectifs au niveau groupe : la Matmut s’est engagée sur l’objectif de zéro émission carbone nette en 2050. Ce qui n’est pas neutre pour un assureur de biens – et notamment de véhicules – comme nous le sommes, puisque cela implique un scope 3 très émetteur de carbone. L’une de nos problématiques de communication, c’est donc aussi comment inciter nos sociétaires à avoir une démarche vertueuse en matière de mobilité. Cela a des impacts sur la dimension communicante et sur nos engagements RSE dans leur globalité, puisqu’il va falloir trouver un équilibre entre ce qui crée de la valeur pour l’entreprise – donc la vente des assurances automobiles – et les comportements vertueux de réduction des émissions carbone. Notre enjeu porte sur le rôle que peut jouer la communication sur ce point. Et in fine, comment adopter un pilotage plus écologique de l’ensemble de nos actions. Différents prestataires externes nous accompagnent dans l’analyse de notre impact climat et un premier bilan de nos émissions environnementales actuelles sera établi d’ici cet été. Nous allons plus loin dans cette démarche en y incluant une étude sur la “double matérialité”, qui vise à déterminer l’impact de notre entreprise dans la société et l’environnement et réciproquement. La question de l’organisation interne des entreprises pour accompagner une transition, numérique ou écologique, est importante mais parfois sensible. Quels choix avez-vous fait ? En termes d’organisation, nous avons opté au sein du groupe pour un modèle particulier puisque nous avons deux directions distinctes, placées sous mon pilotage, qui travaillent ensemble étroitement : une direction de la communication et une direction RSE. L’objectif est de maîtriser en profondeur les deux sujets – communication et RSE – et de les concilier tout en évitant le greenwashing. Cette organisation est un choix rationnel. La direction de la communication & RSE est composée au total de près 70 personnes, dont une dizaine spécifiquement pour la RSE. Vos nouveaux impératifs changent-ils vos besoins en communication et marketing ? Nous avons clairement la volonté de modifier nos actes de communication pour les rendre plus vertueux, sur tous les aspects. On cherche systématiquement à limiter notre empreinte liée à notre communication, qu’ils soient directs ou indirects, par exemple sur le matériel utilisé et en recourant à des goodies et des kakemono “responsables”. Mais nous avons les mêmes besoins en termes d’émergence auprès des audiences et de captation de nouvelles cibles. Et nous travaillons sur les mêmes supports et sur les mêmes typologies de médias digitaux et non digitaux. En revanche, chaque acte de communication ou événementiel est pensé de manière à réduire notre impact environnemental. Et puis il y a ce qui relève de l’activation de la marque : le grand changement ici porte sur notre rôle de prescripteur, avec une question clé pour nous : comment mettre en avant nos valeurs de façon adéquate ? Il y a une logique vertueuse à la transition écologique, mais en tant qu’annonceur, nous devons faire attention à ne pas oublier d’être désirable auprès du public et des clients. C’est pourquoi nous avons notamment choisi de garder un logo coloré. Comment cela se concrétise-t-il dans vos communications ? Les préoccupations autour de la durabilité demandent une mobilisation sur tous les aspects, ce qui nécessite parfois un engagement en profondeur. Cela a été le cas par exemple lorsque nous avons retravaillé l’ensemble de notre logo, ce qui représente un vrai défi pour une marque comme la nôtre qui n’avait pas changé d’identité visuelle depuis 20 ans. C’est un projet plus complexe qu’il n’y paraît car il faut y intégrer les défis environnementaux à des problématiques liées à l’émotion, la créativité, l’envie, la désirabilité que doit aussi générer un logo. L’enjeu est de concilier tous ces éléments. Nous devons aussi encadrer et conseiller nos dirigeants, quand ils veulent initier une orientation, sur l’impact que cela peut avoir sur l’impression, le digital, etc. Lors de la refonte de notre nouvelle identité visuelle, nous avons par exemple pris en compte l’éco-conception, l’impact coloriel et le taux d’ancrage. Sur ce dernier item, nous avons pris la décision de le réduire de 15 à 20 % pour notre nouveau logo en couleur, et de plus de 30 % sur le logo noir et blanc. Ce sont des petits chiffres présentés ainsi, mais appliqués à l’ensemble de la volumétrie d’impression de nos logos sur les prochaines années, c’est considérable. Nous réduisons également par deux les émissions carbone du fait de l’éco-conception de nos nouvelles campagnes publicitaires réalisées avec Publicis. Que change une communication “plus responsable” en interne pour une marque ? Au niveau opérationnel, le changement est réel. Quand on travaille sur une campagne publicitaire plus responsable ou que l’on achève un projet éco-responsable, comme nous l’avons fait avec notre nouveau logo, on s’adresse aussi à la gouvernance d’une entreprise. Cela devient un acquis. Cela impacte la stratégie de communication et crée de nouveaux réflexes : on enclenche une première étape et cela nous permet de nous considérer comme des acteurs de la transformation écologique. Evidemment, la réglementation va nous obliger et nous contraindre, mais nous avons aussi la capacité d’agir et ce sera d’autant plus efficace et stimulant. Il faut d’ailleurs accompagner cette démarche d’une éducation en interne mais aussi en externe, auprès de nos partenaires et de nos clients. Quelles sont les difficultés auxquelles le groupe est confronté dans sa transition écologique ? Nous avons besoin de communiquer pour montrer en quoi nous sommes vertueux quand nous nous engageons. Mais il n’y a rien de pire aujourd’hui pour une marque que de travailler sur des éléments de différenciation sur son impact vertueux et de se retrouver pris à défaut, en train de faire complètement l’inverse. Donc nous allons être de plus en plus exigeants, vis-à-vis de nous-mêmes, mais aussi vis-à-vis de nos partenaires. Nous avons conscience de la sensibilité de plus en plus forte du grand public et qu’on viendra parfois nous reprocher la seule chose que l’on n’a pas fait assez bien ou un oubli ; par exemple le petit sachet plastique que l’on a distribué en agence et sur lequel il n’est pas annoté comme étant issu du recyclage. Il faut faire avec et redoubler d’efforts. Nous devons être créatifs tout en faisant attention aux effets de mode. Je pense notamment aux bâches utilisées dans l’espace public, puis transformées et recyclées en pochettes individuelles, que l’on voit partout. Il ne faut pas sombrer dans les clichés et user de méthodes dites responsables qui ne le sont pas vraiment. En quoi vos rapports avec vos partenaires marketing vont-ils évoluer ? Il n’y aura pas de “grand soir” de la transition écologique de la communication, ni de grande nouveauté ; c’est une évolution progressive, mais elle est de plus en plus exigeante. Notre position est désormais de penser un projet dans ses considérations environnementales dès qu’il émerge, avant même qu’il soit adressé à une agence média, à une agence de publicité ou à une agence événementielle. En externe aussi, les annonceurs vont devoir agir. On entend le marché nous le demander vis-à-vis de Google par exemple, qui est un acteur central de la communication en ligne. C’est un point non négociable. Dans deux ans, en 2025, on fera tous un bilan CSRD (du nom de la nouvelle directive européenne qui élargit le périmètre des entreprises soumises à une obligation de reporting extra-financier lié à la durabilité, ndlr) qui nous obligera d’avoir un bilan extra-financier totalement audité par des commissaires aux comptes. Ça veut dire que demain, l’annonceur devra rendre des comptes sur l’ensemble de ses impacts RSE. Cela nous conduira à exiger plus de transparence et davantage de données liées à l’impact carbone et environnemental de nos campagnes, par exemple. Mais au-delà de ces éléments juridiques, il faut que cela soit volontaire et de l’ordre de valeurs partagées et du bien commun ; c’est un message qu’il me semble plus intéressant d’apporter que le message de la sanction et de la réglementation. Ce contenu a été réalisé par la rédaction de mind Media, service d’information professionnelle consacré à la mutation des industries des médias et de la publicité. Crédits photo : Vanida Hoang Jean-Michel De Marchi assurance dommagesmarketingRSE Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind À lire Entretien Stéphanie Boutin (Groupe Matmut) : “Il y a une forme d’excès sur la responsabilité des marques pendant cette période”