Accueil > Financement > Comment les banques s’organisent pour répondre aux demandes de prêts garantis par l’Etat Comment les banques s’organisent pour répondre aux demandes de prêts garantis par l’Etat Le dispositif de prêt garanti par l’Etat a été lancé le 25 mars pour soutenir les entreprises touchées par la crise du coronavirus. Pour traiter un nombre de demandes inhabituel alors même que leur fonctionnement est dégradé, les banques ont dû adapter leurs process. Par Aude Fredouelle. Publié le 14 avril 2020 à 14h06 - Mis à jour le 09 mars 2021 à 18h11 Ressources Dans l’arsenal mis en place par le gouvernement pour soutenir les entreprises pendant la crise du coronavirus figure le prêt garanti par l’Etat (PGE). Ce prêt peut être accordé aux entreprises et professionnels (PME, ETI, agriculteurs, artisans, commerçants, professions libérales, entreprise innovante, micro-entrepreneur, association, fondation…) pour un montant pouvant aller jusqu’à 3 mois de chiffre d’affaires 2019, ou deux années de masse salariale pour les entreprises innovantes ou créées depuis le 1er janvier 2019. Le taux d’intérêt du PGE s’élève à 0%. La prime de garantie est facturée entre 0,25 et 0,50% par an, et la garantie de l’Etat couvre 90% du PGE (“sauf pour les entreprises qui, en France, emploient plus de 5 000 salariés ou réalisent un chiffre d’affaires supérieur à 1,5 milliard d’euros, où la part du prêt garantie par l’Etat est de 70% ou de 80%”). Enfin, le remboursement est différé d’un an puis peut être étalé jusqu’à cinq ans. Les clients éligibles pourront se manifester jusqu’à la fin de l’année auprès de leur conseiller… mais les demandes affluent déjà. En une semaine, plus de 40 000 demandes de prêts ont été déposées auprès des banques, pour un montant moyen de 135 000 euros. En quelques jours, “chaque chargé d’affaires avait déjà reçu 10 à 15 demandes de clients”, relate Bertrand Cozzarolo, directeur adjoint clients, distribution, marketing chez Société Générale. De quoi noyer des agences et centres d’appels fonctionnant déjà en mode dégradé. Pourtant, le gouvernement a indiqué que “les banques s’engagent pour ces professionnels et entreprises, quand leur chiffre d’affaires est inférieur à 10 millions d’euros (ou un seuil supérieur propre à la banque), à donner leur réponse dans un délai de 5 jours à compter de la réception d’un dossier simplifié assurant la conformité aux critères d’éligibilité”. Trois banques expliquent à mind Fintech comment elles se sont adaptées pour répondre aux demandes de leurs clients. Préciser la loi “La loi a été écrite dans l’urgence, pour répondre à la crise, par le Ministère des Finances, raconte Richard Rayon, directeur du marché entreprises au Crédit Agricole d’Ile-de-France. Et elle a engendré un océan de questions concrètes : par exemple, une entreprise qui n’a pas encore arrêté son chiffre d’affaires 2019 peut-elle y prétendre avec son CA 2018 ? Une ETI peut-elle centraliser sa demande autour d’un holding ?” La FBF et le Trésor ont organisé un système de FAQ pour apporter des réponses concrètes. “En général, elles arrivent en moins de 24 heures”. Adapter le fonctionnement du personnel Les banques ont aussi dû réorganiser le fonctionnement des chargés d’affaires et des équipes de back et middle office : équiper et passer en télétravail certains collaborateurs, pallier les absences liées au coronavirus (malades, parents devant garder leurs enfants) et organiser la prise en charge des collaborateurs continuant à se rendre sur leur lieu de travail. Frédéric Di Stasio, directeur adjoint de la clientèle entreprises de la banque de détail en France de BNP Paribas (qui sert les entreprises de plus d’un million d’euros de chiffre d’affaires), gère 38 centres d’affaires et 1 500 chargés d’affaires. “Les chargés d’affaires sont bien équipés pour travailler en mobilité, historiquement. Ceux qui pouvaient passer en télétravail l’ont fait rapidement et pour ceux traitant d’opérations plus délicates, des rotations ont été mises en place pour se rendre dans les centres d’affaires.” Durant les premières semaines de confinement, tous les clients ont été contactés par téléphone par leur chargé d’affaires pour évaluer leur situation et suspendre si besoin leurs échéances. “L’activité dédiée aux entreprises est gérée par les chargés d’affaires et nous étions bien préparés : tous sont dotés de matériel pour exercer en mobilité et la moitié des équipes étaient déjà en télétravail avant le confinement. Elles le sont toutes aujourd’hui”, indique aussi Richard Rayon, de CADIF. Côté middle et back office, la banque ne fait venir au siège que les collaborateurs qui interviennent sur les systèmes critiques. “Normalement 1 200 personnes travaillent au siège. Aujourd’hui, 150 à 200 s’y rendent encore en respectant les règles de distanciation et les gestes barrières.” Chez Société Générale, Bertrand Cozzarolo indique que “la capacité de traitement a été maximisée par le développement du télétravail, tant en front office qu’en back office”. Le chargé d’affaires peut décider seul d’accorder le PGE Pour répondre aux milliers de demandes de PGE, les banques ont été contraintes de modifier en profondeur leurs processus habituels d’octroi de crédits. “Nous avons revu notre mode de fonctionnement habituel, confirme Frédéric Di Stasio, de BNP Paribas, qui compte une quarantaine de milliers de clients entreprises. Nous avons notamment augmenté considérablement les pouvoirs de décision des personnes étant en lien direct avec les clients, pour être plus rapide et précis.” Les collaborateurs ont été formés sur le PGE via des visioconférences. “Nous nous reposons sur la connaissance du client par le chargé d’affaires”. Résultat : le chargé d’affaires peut décider seul d’accorder le PGE. “D’habitude, c’est plus encadré avec le système des “quatre yeux”, cela fait partie des règles de bonnes gestion du risque. Mais pour le PGE, imaginé pour sauver les entreprises, nous faisons preuve de souplesse”, commente le directeur. Même approche au CIC : “nous avons accéléré les process en multipliant par trois les plafonds d’autorisation de prêts de nos directeurs d’agence, en simplifiant le dossier d’instruction et en autorisant la signature électronique”, explique ainsi Claude Koestner, directeur général adjoint du CIC, interviewé dans Les Echos. Un autre enjeu pour les chargés d’affaires consiste à prioriser les demandes, comme l’explique Bertrand Cozzarolo chez Société Générale. “Le guichet est ouvert jusqu’au 31 décembre 2020 et au regard des montants débloqués par l’Etat [300 milliards d’euros de garanties, ndlr], il n’y a pas de risque de pénurie. Nous voulons donc mettre en place des logiques de priorisation qui permettraient de décaisser en 72 heures pour les cas les plus urgents, entre la demande et le versement.” Société Générale déploie donc “des circuits d’accélération des dossiers les plus urgents en les signalant pour permettre leur traitement en priorité”. Enfin, les chargés d’affaires doivent s’assurer de la pertinence des demandes, pointe Richard Rayon, de CADIF. “Nous encourageons nos clients à ne pas se précipiter sur le PGE et à mettre des mesures en place à court terme pour améliorer leur trésorerie. Il faut tout de même penser que le PGE n’est pas gratuit, puisqu’il faut tout de même payer la commission de garantie. La demande ne doit donc pas être systématique.” Chez Société Générale, Bertrand Cozzarolo évoque “un effort de pédagogie pour définir le montant du PGE, car les sociétés ont tendance à systématiquement demander le maximum, sans que cela ne soit toujours adapté.” Évaluer le risque La délivrance du PGE n’est pas systématique. Si l’État indique que “les banques s’engagent à octroyer très largement le PGE aux professionnels et aux entreprises qui en ont besoin, et dont la dernière notation Fiben, ou équivalente, avant l’épidémie de Covid-19 était forte, correcte ou acceptable – soit plus de 85% des cas”, il rappelle aussi que “sur les 10% du PGE non couverts par la garantie de l’Etat, la banque ne doit prendre aucune garantie ou sûreté. Elle garde donc une part de risque et réalise de fait les diligences adaptées et proportionnées avant l’octroi du PGE.” Sont d’ailleurs déjà exclues du PGE toutes les entreprises dont la notation Banque de France est inférieure à 5 +, c’est-à-dire à “assez faible”, soit environ 15 % des entreprises françaises. Dans toutes les banques, les processus d’attribution de crédits ont été simplifiés pour le PGE. “Nous allons nous concentrer sur les points essentiels de décision, commente Richard Rayon. Le PGE vise à éviter que des sociétés qui étaient saines avant la crise ne disparaissent. Nous vérifions donc qu’elles étaient bien “in bonis” le 16 mars et nous nous appuyons sur notre connaissance de chacun de nos clients”, poursuit le responsable de CADIF. Frédéric Di Stasio, de BNP Paribas, abonde : “nous demandons moins de documents que pour une demande de crédit traditionnel. Par exemple, nous n’analysons pas les comptes dans le détail. Les critères d’éligibilité sont vérifiés par les équipes risque mais elles ne creusent pas davantage, sauf dans des cas spécifiques où la cotation Banque de France est un peu dégradée”. Selon lui, “très peu de demandes de PGE sont refusées et quand elles le sont, d’autres solutions peuvent être envisagées ou la médiation du crédit saisie”. Chez Société Générale, la procédure d’instruction est aussi “très allégée d’un point de vue risque”, détaille Bertrand Cozzarolo. L’objectif, en supprimant les analyses financières détaillées, est de “déporter au maximum le montage et l’analyse sur les chargés d’affaires et de n’avoir qu’une implication très limitée de la filière risque”, ajoute-t-il. “Cela évite l’engorgement et permet de traiter énormément de dossiers”. Pour autant, il sera attendu des chargés d’affaires qu’ils fassent le tri entre “les entreprises dont les difficultés sont causées par la crise et celles qui sont structurellement en difficultés et ne devraient pas bénéficier du PGE, et relèvent potentiellement de d’autres dispositifs d’aide”. Développement de nouveaux outils Chez BNP Paribas, pour être capable de traiter les dossiers en cinq jours, des modules de robotisation ont été développés en interne, en urgence. “L’un d’eux aspire différentes données, explique Frédéric Di Stasio : des données publiques sur la fiche d’identité de l’entreprise comme celles de la Banque de France, des données de notre SI sur son score de crédit, etc… Puis cela crée automatiquement une carte pré-scorée où le chargé d’affaires n’a plus qu’à entrer l’analyse de l’activité du client – ses charges, la baisse de chiffre d’affaires due à la crise, le chômage partiel mis en place, les dispositions prises sur les charges sociales, les négociations avec les fournisseurs, et en conclusion le montant du prêt dont il a besoin.” Ensuite, après quelques vérifications sur l’éligibilité de l’entreprise au PGE par les équipes risque, le chargé d’affaires peut approuver le PGE. D’autres outils ont été conçus pour mieux gérer l’acte de crédit, une fois la décision de PGE accordée. “Une question s’est rapidement posée, égrène Frédéric Di Stasio : comment produire un acte de crédit avec des équipes de back office touchées par la crise, pas toujours équipées d’ordinateurs en mobilité ? Et ensuite, une fois l’acte produit, comment le signer ?” Pour contourner le système traditionnel de signatures, BNP Paribas a élaboré un système permettant de générer un acte de crédit directement sur l’ordinateur des commerciaux, avec quelques champs simples à remplir et un système de double contrôle pour éviter les erreurs. “Une fois cet acte fabriqué, il est envoyé chez les clients qui peuvent le signer électroniquement puis on le récupère. Le chargé d’affaires indique la réception de l’acte et le montant et, là encore, nous avons créé un système de robotisation qui réconcilie automatiquement l’acte avec le RIB du client et envoie directement l’ordre de paiement.” Chaque jour, cet outil prend en compte tous les actes validés par les chargés d’affaires pour déclencher les versements. “L’un des enseignements de la crise, conclut Frédéric Di Stasio, est que sous la contrainte, nous pouvons innover et inventer des outils très utiles, et pas forcément à coup de millions d’euros”. L’envoi de l’acte par courrier reste la norme Reste la question du moyen de récupération de l’acte de crédit. Car, révèle Frédéric Di Stasio, “seuls 10% environ des clients entreprises de BNP Paribas souhaitent utiliser la signature électronique”, dont le processus, qui passe par la fonction signature dans Adobe, “est plus complexe que d’imprimer le contrat et de l’envoyer”, reconnaît le directeur adjoint. Dans la majorité des cas, “le client renvoie le contrat par la Poste ou bien le transmet d’abord sous format PDF avant de régulariser par voie postale”. Et ce, même si les services de la Poste sont fortement perturbés. Même problème au Crédit agricole d’Ile-de-France. “Nous travaillons sur une solution de messagerie sécurisée pour que le client puisse y recevoir son contrat de crédit et le signer électroniquement”, révèle Richard Rayon. Pas question pour autant de miser sur le 100% électronique. “Le client devra ensuite envoyer le contrat de crédit papier à la banque ; dans le domaine des entreprises, ce qui fait foi, c’est un exemplaire papier et signé.” “Un contrat de prêt est un acte juridique important, renchérit Bertrand Cozzarolo. La Société Générale est en train d’explorer des voies de contournement de manière électronique mais c’est encore en phase d’exploration. Les signatures électroniques sur les contrats de crédit représentent des process industrialisés, pour lesquels nous avons une roadmap qui ne peut pas être véritablement accélérée.” Le nombre de demandes devrait se multiplier Au Crédit Agricole Ile-de-France, le 3 avril dernier, Richard Rayon indiquait avoir reçu une trentaine de demandes de PGE. “Pour l’instant, sur la partie marché entreprises (hors professionnels), les sociétés ont surtout utilisé les reports de charge et de crédit. Nous avons eu 30 demandes d’entreprises à qui nous avons donné un accord, et nous avons eu entre 500 et 600 contacts avec des clients qui voulaient mieux comprendre le PGE. Mais la vague est devant nous.” D’ailleurs, le 7 avril, le groupe Crédit Agricole (caisses régionales, LCL et CACIB) précisait avoir déjà pris en charge 41 600 demandes de PGE pour un montant total de 6,7 milliards d’euros. CADIF s’engage à des délais plus rapides qu’en temps normal – 5 jours ouvrés maximum après réception du dossier, comme le demande le gouvernement, “mais certaines sociétés ont eu leur accord en moins de 48 heures”. Chez BNP Paribas, le dispositif a été lancé le 25 mars et les premiers déblocages de fonds ont eu lieu le 3 avril. Au 9 avril, environ 20 000 demandes de PGE avaient déjà été transmises à la banque pour un montant global de 5 milliards d’euros. “Dans ce mode de fonctionnement particulier, grâce au chargé d’affaires qui a des pouvoirs élargis, nous sommes en capacité de créer l’acte très vite, de le faire signer électroniquement et de faire débloquer les fonds dans la foulée, alors que cela peut prendre d’habitude plusieurs semaines, conclut Frédéric Di Stasio. Nous avons divisé le temps de traitement par trois ou quatre grâce à la garantie de l’Etat”. Particeep veut proposer une plateforme pour centraliser les flux de PGE Particeep, qui propose aux banques, assurances, sociétés de gestion et à leurs distributeurs des solutions sur étagère pour commercialiser en ligne leurs produits, a contacté Bpifrance pour lui proposer de mettre en place une plateforme nationale destinée aux PGE. “Ce serait une solution pour désengorger les banques et aussi pour que l’Etat puisse visualiser en temps réel le nombre de demandes de financement et les montants octroyés pour adapter sa politique en fonction”, indique le CEO, Steve Fogue. Concrètement, la plateforme permettrait de dématérialiser le pré-accord bancaire en intégrant les règles d’octroi des banques, de générer le dossier et de contractualiser de manière dématérialisée avec l’accord de la banque partenaire. “Le pré-accord serait ensuite renseigné sur le site de Bpifrance afin de disposer d’une attestation”, indique Steve Fogue, qui a envoyé sa proposition à Bpifrance. >> De leur côté, les néobanques pour les pros, n’étant pas établissements de crédit, ne peuvent pas distribuer de PGE. Elles cherchent des alternatives pour leurs clients. Lire notre article sur le sujet. << Aude Fredouelle coronavirusfinancement des entreprisessignature électroniquetransformation digitale Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind À lire COVID-19 : les conséquences sur le terrain des fintech et des services financiers Les néobanques interdites de prêts garantis par l'État