Reda Bouakel : “Fortia va lancer une plateforme no code”

Pouvez-vous faire le point sur le développement commercial de vos solutions d’automatisation des processus opérationnels pour banques dépositaires, banques de détail et sociétés de gestion d’actifs ? 

Pour rappel, notre activité historique consiste en plusieurs solutions : Innova Compliance et Innova Process, pour automatiser les process de conformité des fonds ; Prospectus writer, Data Avangarde et Fund reader pour produire et gérer les données et référentiels ; et enfin FCheck pour vérifier la plausibilité de votre valeur liquidative (lire notre étude de cas détaillée sur Fortia datant d’avril 2018).

Nous avons gagné durant les deux dernières années des clients très importants, plutôt dans le secteur bancaire et à l’étranger, comme une grande banque américaine pour le déploiement de la solution Innova au niveau mondial mais aussi pour des projets en Belgique, en Allemagne… Innova poursuit une forte croissance avec des clients stratégiques de très grande dimension. Et chez certains clients historiques comme BNP Paribas Securities Services, nous avons aussi développé et déployé de nouvelles offres. 

Aujourd’hui, 90 % de nos clients sont des banques dépositaires, et 10 % des sociétés de gestion. Nous comptons une douzaine de clients, tous de très grande taille, entre la France, les États-Unis, la Belgique, le Royaume-Uni, Malte… Et si nous nous sommes spécialisés dans la banque dépositaire, car nous avions une certaine expertise dans ce domaine, nous pouvons aussi automatiser des process pour des banques de détail par exemple, et nous l’avons fait pour certains de nos clients.

Vous allez lancer une nouvelle plateforme baptisée 2oS. Comment est-elle née et à quoi sert-elle ? 

Certains clients nous ont demandé de redévelopper Innova avec des technologies web pour remplacer l’ancienne version en client lourd. Cela signifie que les process de calculs étaient réalisés sur le serveur mais aussi sur le poste client, alors qu’avec le client léger (web), tout se passe sur le serveur et non sur le poste client. Nous avons réfléchi pendant plus d’un an au meilleur moyen de développer une version web d’Innova. Et au lieu de redévelopper Innova avec une technologie web, nous avons préféré développer une plateforme de génération de logiciels “no code”, permettant de créer n’importe quel type d’application, quelle que soit sa sophistication et quel que soit le sujet et le secteur d’activité, sans écrire une seule ligne de code.

Cette plateforme, baptisée 2oS, nous permet donc de satisfaire nos clients Innova en leur recréant la solution sur l’outil mais aussi de mettre cette approche à disposition d’un marché plus large. N’importe quelle entreprise pourra l’utiliser pour créer sans aucune assistance son propre logiciel. La plateforme 2oS donnera accès à une librairie d’algorithmes d’IA développés par Fortia et qui font l’objet de brevets, comme des algorithmes de NLP, de KYC, des algorithmes prédictifs… L’utilisateur pourra interagir avec ces algorithmes pour les adapter à ses besoins, sans avoir de compétences particulières. Par exemple, un client qui traite des documents et veut extraire des informations de manière automatique pourra accéder à nos librairies d’algorithmes pour les entraîner et les adapter à différents documents.

Enfin, 2oS intègre des outils pour gérer les données, ce qui est primordial pour des applications complexes. Les entreprises font face à des problématiques importantes pour intégrer la donnée, s’assurer de sa qualité, pour son versioning, l’archivage ou encore le “lignage” [le data lineage vise à fournir une cartographie du système d’information, ndlr]. 2oS gère ces problématiques en mode no code de manière simple, dynamique et en toute autonomie pour l’utilisateur.

Par exemple, quelles solutions pourront être créées par vos futurs clients ?

Il peut s’agir de n’importe quel type d’outils : automatisation de process internes, digitalisation de process, création d’une solution pour la comptabilité, la finance, la trésorerie, la gestion des risques… Les applications peuvent être créées en 2 ou 3 heures et jusqu’à 2 jours, selon la complexité. 2oS est une plateforme SaaS hébergée dans le cloud public. L’application peut être testée sur le site avant de passer en mode client. Et nous proposons des outils d’aide en ligne.

Quel type d’entreprises visez-vous ?

Nous nous adressons aux entreprises, qu’elles soient des PME ou grands groupes, qui ne trouvent pas sur le marché des applications qui répondent parfaitement à leurs besoins. Parfois, les solutions sont difficilement évolutives, on ne peut pas y ajouter facilement des fonctionnalités ou bien cela nécessite des coûts supplémentaires, des développements et des intégrations… Par rapport à des développements en interne, nous estimons que l’utilisation de 2oS peut permettre de réaliser des économies de coûts de l’ordre de 85 à 90 %.

Quand 2oS sera-t-elle lancée ?

La plateforme sera lancée d’ici la fin de l’année. Nous sommes actuellement en mode PoC avec un certain nombre de clients et prospects de différents profils (de la PME de 20 personnes à la société de 6 000 collaborateurs) pour réaliser les derniers ajustements.  Les cas d’usage testés sont divers, souvent axés sur la digitalisation des process en interne pour réduire les risques d’erreur et les coûts. Par exemple, pour des clients devant analyser des contrats, extraire des informations, calculer des scores, et générer des reportings, une application peut être créée en moins de deux jours sur 2oS pour éviter les erreurs et réduire le temps consacré à ces tâches.

Quels profils de collaborateurs pourront utiliser 2oS ?

Soit les collaborateurs métier, ou bien ceux de l’informatique ou les business analysts.

Quelle sera la tarification ? La solution comprendra-t-elle un support client ?

Il s’agira d’un tarif en fonction de l’utilisation, selon le nombre d’applications que souhaite créer le client, du nombre d’utilisateurs finaux et des algorithmes utilisés. Le ticket d’entrée sera de l’ordre de 50 000 euros par an. En retour, cela permettra aux clients de diminuer le nombre de jours hommes et le recours aux consultants pour le développement de l’application et d’automatiser des process entiers pour dégager des économies.

Fortia proposera un support auquel tous les clients auront accès, mais l’objectif est qu’il n’en aient pas besoin et que les ressources d’aide en ligne suffisent. Le support interviendra si l’utilisateur ne trouve pas de réponse à sa problématique. 

L’activité historique de Fortia va-t-elle demeurer ?

L’objectif est de faire de 2oS la principale activité de Fortia. Le no code est un phénomène qui va prendre de l’ampleur. Selon une étude de Microsoft, sur les cinq prochaines années, 500 millions de logiciels seront développés, soit plus que pendant ces 50 dernières années, et parmi eux 450 millions seront créés par des plateformes no code. L’informatique et le monde du logiciel vont subir une révolution dans les prochaines années et Fortia veut y prendre part avec 2oS. 

Pour autant, Fortia est connue sur le marché pour son expertise sur le domaine d’Innova et nous allons continuer à intervenir sur le marché. L’outil d’Innova sera progressivement remplacé par sa version web, générée via 2oS. Nous proposerons aux clients existants de réaliser une migration. Être en version web permet de mieux les servir, d’être plus réactif et de réduire les coûts, puisque les tarifs de 2oS sont nettement inférieurs à du client lourd. Des clients avec qui nous étions en discussion pour déployer Innova ont d’ailleurs signé lorsqu’on leur a présenté 2oS, en voyant la rapidité de l’outil, la précision… 

Allez-vous créer des applications sur 2oS et les commercialiser ?

Oui. Les clients pourront créer les applications eux-mêmes mais nous en développerons également sur divers cas d’usage. Nous mettrons à la disposition des clients une librairie de solutions qui pourront être adaptées à leurs besoins. Nous avons commencé à élaborer des solutions sur étagère, parmi lesquelles il y aura Innova.

Ce pivot va-t-il changer votre stratégie commerciale ?

En effet, le mode de commercialisation de 2oS est différent d’Innova, qui est un outil adressé à un nombre limité de clients potentiels du fait de sa spécialisation. Avec 2oS, nous misons sur un coût d’acquisition plus faible et sur des volumes accrus. Nous aurons toujours des commerciaux, mais nous utiliserons aussi beaucoup d’outils de “marketing automation” pour de l’acquisition en ligne.

Comment vous différenciez-vous des plateformes de no code existantes sur le marché ? 

La plateforme 2oS permet d’aller loin en termes de sophistication des logiciels créés, alors que les plateformes sur le marché [Airtable, Honeycode de AWS, Outsystems, Pegasystems… ndlr] ne permettent que de créer des applications simples. Nous voulons nous différencier sur deux volets : d’abord, en permettant de créer des solutions sophistiquées de manière très simple, en autonomie totale ; et ensuite en donnant accès à des algorithmes d‘IA parmi les plus sophistiqués au monde. Ces algorithmes, nous les développons depuis la création de Fortia en 2012. 12 data scientists travaillent aujourd’hui dans la société. Et en 2021, nous voulons aussi intégrer à 2oS des fonctionnalités de RPA et de data mining. 

Combien de collaborateurs compte la société ?

65 personnes, et nous sommes en train de renforcer nos équipes commerciales et marketing. L’idée est de constituer une équipe d’une dizaine de personnes pour entamer la commercialisation de cette plateforme.

Comment avez-vous financé le développement de 2oS ?

Le projet a été auto-financé sur nos fonds propres.

Quel chiffre d’affaires avez-vous enregistré en 2019 ?

Nous avons enregistré un chiffre d’affaires de 9,1 millions d’euros en 2018, resté stable en 2019. En 2020, nous anticipons  un impact de la crise sur nos résultats, mais nous visons 18 millions d’euros de CA en 2021. Nous avons déjà enregistré des commandes à hauteur de 10 millions d’euros pour Innova et nous finalisons les premiers contrats pour 2oS. Nous serons à l’équilibre en 2020, après une perte en 2019, et nous réactivons des objectifs de rentabilité importants pour 2021, avec un Ebitda autour de 30 %.