Accueil > Investissement > Cryptoactifs > Comment l’EEA aide les entreprises à déployer des applications Ethereum Comment l’EEA aide les entreprises à déployer des applications Ethereum Créée en 2017, l’Enterprise Ethereum Alliance réunit désormais 450 entreprises de secteurs et de tailles variés. Décryptage du fonctionnement d’un consortium dédié à l’utilisation du protocole blockchain Ethereum dans le secteur privé. Par Aude Fredouelle. Publié le 30 octobre 2018 à 9h51 - Mis à jour le 30 octobre 2018 à 9h51 Ressources L’Enterprise Ethereum Alliance (EEA) a été fondée en janvier 2017 par 30 sociétés, dont JPMorgan, Accenture, Microsoft, Intel, Santander ou encore Credit Suisse. Objectif affiché : “développer des standards technologiques et faciliter l’utilisation du protocole Blockchain Ethereum dans le secteur privé”. A la différence d’autres consortiums blockchain, l’EEA vise l’ensemble des secteurs corporate. Un an et demi après sa création, l’EEA revendique 450 membres à travers le monde. Ces acteurs de toutes tailles appartiennent à divers secteurs industriels. Mais quelles sont les réalisations de ce consortium géant ? Contrairement à l’écrasante majorité des consortiums blockchain, l’EEA est une organisation à but non lucratif qui ne mise pas sur la création de cas d’usage ou d’applications. “Le but est de permettre à plusieurs entreprises d’échanger sur la manière dont elles utilisent Ethereum dans un cadre privé ou même dans un cadre public”, décrit Jérôme de Tychey, président de l’association Asseth, qui a rejoint l’EEA deux mois après l’annonce de sa création. Avec un premier enjeu : définir les besoins des membres liés à Ethereum. Les discussions portent à la fois sur le niveau applicatif et sur le logiciel client, c’est à dire le logiciel qui envoie les demandes à la Blockchain Ethereum. “Nous nous demandons comment configurer le client et l’infrastructure sur l’application décentralisée pour que les entreprises puissent utiliser Ethereum de manière sécurisée et pour qu’elles disposent des fonctionnalités dont elles ont besoin pour leur secteur”, explique Alessandro Voto, directeur régional pour la côte ouest des Etats-Unis chez le start-up studio ConsenSys, à l’origine de la création de l’EEA (voir encadré). Car “il n’existe pas une seule version privée “entreprise” d’Ethereum, mais un certain nombre de suites de logiciels clients et d’applications décentralisées”, souligne Alessandro Voto. Par exemple, le client Quorum, créé par JPMorgan, permet d’ajouter de la confidentialité aux transactions passées sur Ethereum. A terme, les entreprises utiliseront divers logiciels clients, selon leurs fonctionnalités, leurs capacités d’interopérabilité et les besoins auxquelles ils répondent. L’enjeu de l’EEA est de fixer des spécifications communes. Répondre aux besoins des entreprises Dans un premier temps, il s’agit de définir les besoins des membres, que cela concerne les couches les plus basses, le client ou encore l’application : “on se demande si Ethereum suffit pour adresser les besoins des entreprises et si cela ne suffit pas, soit on essaye de créer des surcouches s’il s’agit d’un besoin très spécifique et assez léger, soit d’augmenter les propriétés d’Ethereum directement en y apportant de nouveaux grands principes”, décrit Clément Francomme, CEO d’Utocat, également membre. “Nous transmettons les demandes de l’EEA à la fondation Ethereum et plus largement à la communauté de développeurs active sur Ethereum, afin d’avoir un impact sur les développements, confirme Alessandro Voto. Nous pouvons aussi développer des éléments nous-mêmes”. Parmi les thèmes discutés : la scalabilité, la confidentialité, la gestion des autorisations (“permissionning”) ou encore la performance. Standardisation Au-delà d’un objectif d’infléchir la feuille de route d’Ethereum ou les clients Ethereum entreprise, l’EEA répond surtout à un besoin de standardisation. “Jusque-là, nous avons assisté à l’éclosion de beaucoup de PoCs et à des efforts de consortiums pour en apprendre plus sur la technologie, mais pour avancer vers des déploiements massifs et industrialisés, il va falloir mettre en place des standards pour que chacun sache comment configurer les applications et que tous soient sur les mêmes réseaux, avec des fonctionnalités identiques et garanties pour tous”, estime Alessandro Voto, de ConsenSys. L’EEA se veut ainsi un forum où les membres peuvent libérer du code en open-source et co-développer des formats de messages et de standards. “Nous évoquons des sujets comme les APIs, la sécurité, l’architecture…”, dévoile Mariana Gomez, directrice du programme blockchain chez ING. “Si deux entreprises veulent interagir dans le même réseau Ethereum, il faut qu’elles sachent se parler de la même façon, que les noeuds déployés aient des interfaces standardisés pour facilement s’intégrer dans les SI”, assure Jérôme de Tychey. Certains standards ont par exemple déjà émergé sur Ethereum, parmi lesquels le token ERC-20 (Ethereum Request for Comments 20), une norme de tokens qui peut être utilisée dans un projet entreprise et qui permet d’uniformiser les pratiques. D’autres standards de tokens sont en développement, parmi lesquels l’ERC-1400 pour les “security tokens”. Au-delà du token, un travail de standardisation doit être mené pour définir ce qu’est un logiciel client Ethereum et comment il fonctionne. C’est pour ça qu’a été publiée en mai 2018 une première version des spécifications baptisée Enterprise Ethereum Client Specification 1.0. “C’est incontestablement l’une des grandes réalisation de l’EEA”, assure Jérôme de Tychey. Des “groupes de travail” aux “groupes d’intérêt” A sa création, l’EEA a commencé par former plusieurs groupes de travail thématiques (banques, assurance, supply chain, identité, énergie, marketing…), censés porter le gros du travail et complétés par un comité de gouvernance et un comité de pilotage technique (technical steering committee). “Les groupes de travail ont commencé à partager les bonnes pratiques, à donner des présentations aux autres membres sur la manière dont ils utilisaient Ethereum et à partager leurs architectures. Cela a pris un moment”, se rappelle Alessandro Voto. Problème : les groupes fonctionnant en silos, l’objectif premier de l’organisation, à savoir construire des standards communs, a peu avancé. En octobre 2017, l’EEA a donc décidé de modifier son organisation. “Au lieu de travailler sur des standards au sein de chaque industrie puis d’essayer de trouver des besoins communs pour le client entreprise, nous avons décidé de former un groupe entièrement dédié à réfléchir au standard d’un client Ethereum entreprise”, se souvient Alessandro Voto. Le technical specification working group est ainsi devenu l’entité la plus importante de l’EEA. Les groupes de travail par industrie sont quant à eux devenus des groupes d’intérêt spécifiques (special interest groups ou SIGS), d’une importance moindre. Enfin, des task forces dédiées à des technologies mais agnostiques quant à leurs applications industrielles ont vu le jour : identité, IA et blockchain, analytics, protocole de communication, multiplateforme (interopérabilité), sécurité…) “Une fois que les SIGS ont défini les cas d’usage possible dans leur industrie ainsi que leurs standards et format des messages, ils peuvent l’ajouter au document de spécification EEA Enterprise Ethereum client”, explique Alessandro Voto. Les task force technologiques y contribuent également en soumettant leurs conclusions au technical specification working group. De manière générale, l’EEA essaye depuis fin 2017 de décloisonner les groupements industriels et les groupements plus généralistes, pour couvrir les questions de réglementation par exemple. Aller plus loin dans la finance “Le développement du client était une priorité et un prémisse, assure Jérôme de Tychey, de l’Asseth. C’est désormais une base de travail pour tous les groupes réunis par industrie, qui vont pouvoir maintenant réfléchir aux spécifications des standards dans leurs cas d’usages particuliers. Par exemple, développer un autre token que l’ERC-20.” Dans le groupe dédié au secteur financier, l’EEA s’est jusqu’ici concentré sur la question de la confidentialité en étudiant Quorum, le client créé par JP Morgan. “Nous étions déjà plusieurs à avoir commencé à tester dès 2016 Quorum lors d’un pilote dans le trade finance, pour le négoce de matières premières agricoles, avec Société Générale, ABN Amro et Louis Dreyfus”, se remémore Mariana Gomez, d’ING. L’organisation a permis d’échanger sur les évolutions futures du client et de populariser son utilisation et celle d’Ethereum. En septembre 2018, plusieurs membres de l’EEA ont ainsi annoncé la création de la société Komgo, qui va développer une plateforme blockchain pour le trade finance basée sur Quorum. Parmi eux figurent ING, ABN Amro, BNP Paribas, Citi, Crédit Agricole, SocGen, Rabobank et Natixis. L’EEA reste cependant souvent davantage un lieu d’échanges peu contraignant qu’un cercle de co-développement. Les acteurs les plus actifs travaillent de leur côté avant de passer leurs outils en open-source. Le cabinet Synechron, l’un des premiers membres de l’EEA, actif au sein de plusieurs groupes de travail, a par exemple développé une technologie open-source appelée Quorum Maker. “C’est un outil qui permet aux développeurs de créer automatiquement un certain nombre de noeuds sur Quorum, de définir le mécanisme de consensus automatiquement”, indique Diana Kearns, directrice marketing chez Synechron. “Nous l’avons rendu disponible pour les autres membres de l’EEA.” En novembre 2017, ING a aussi profité du premier évènement de l’EEA organisé à Amsterdam pour annoncer le passage en open-source de son algorithme de “zero knowledge range proof”, solution permettant de prouver une information sans en donner les détails. Il s’agit par exemple de prouver que l’on est majeur sans donner sa date de naissance. Mais l’outil a été développé seulement par la banque, qui s’est ensuite rapprochée de Vitalik Buterin et de la fondation Ethereum pour l’intégrer à Solidity. Coûts et implication des membres L’EEA se structure doucement. L’organisation a nommé en janvier 2017 un directeur exécutif (Ron Resnick, ex-président d’AirFuel Alliance, consortium fondé en 2015 pour promouvoir un standard de recharge sans fil) pour améliorer sa gouvernance et sa visibilité. Un board a été créé. Y siègent Accenture, Santander, BNY Mellon, BlockApps, CME Group, ConsenSys, IC3, Intel, JPMorgan, Microsoft et Nuco. L’Enterprise Ethereum Alliance a aussi choisi de facturer 3 000 à 25 000 dollars à ses membres chaque année, selon leur taille. Et si les montants n’ont rien à voir avec ceux d’Hyperledger ou de R3, c’est parce que “les frais d’adhésion ne servent qu’à couvrir nos coûts”, nous expliquait Jeremy Millar, de ConsenSys, en juin 2017. L’EEA ne dispose pas d’une équipe dédiée, comme R3 avec la start-up associée ou Hyperledger avec la fondation Linux. “Nous souhaitons que les projets soient menés par les membres eux-mêmes et qu’ils accomplissent la majorité du travail”, affirme Jeremy Millar. Dans les faits, chaque membre s’investit comme il le souhaite. “N’importe quel membre peut par exemple décider de créer un nouveau groupe de travail et chaque membre a une voix équivalente”, explique Mariana Gomez, d’ING. Certains acteurs comme ING, ConsenSys ou Synechron, sont ainsi très actifs. D’autres n’ont pas les ressources humaines à attribuer et ne font partie d’aucun groupe de travail. C’est le cas des membres français Ledger, Utocat ou de l’Asseth. Dans le groupement des acteurs du secteur financier, comme dans la plupart des autres, “nous nous réunissons une heure à une heure et demie chaque mois pour faire le point sur les développements que chacun a effectués et nous échangeons sur Slack en proposant des projets”, décrit Diana Kearns, de Synechron. S’appuyer sur Hyperledger Un an et demi après son lancement, “le plus grand mérite de l’EEA est d’avoir ouvert un espace neutre pour discuter de tous les challenges que rencontrent les entreprises qui travaillent sur Ethereum, de partager des leçons et de discuter ensemble de ce qu’ils attendent de la plateforme”, estime Alessandro Voto. Selon lui, l’annonce d’un partenariat avec le projet Hyperledger, le 1er octobre dernier, (chacune des organisations devient membre de l’autre) marque un nouveau tournant dans l’histoire de l’EEA. “C’est une étape extrêmement importante vers l’interopérabilité des blockchains et l’adoption par les entreprises, car ces deux groupes ont des objectifs très similaires mais travaillent sur des versions différentes d’un logiciel blockchain.” Selon lui, l’interopérabilité entre Hyperledger fabric, Ethereum enterprise et Ethereum Publicnet, pourrait marquer un tournant dans l’adoption. consensys, pierre angulaire de l’écosystème entreprise d’ethereum La société ConsenSys a été le moteur de la création de l’Enterprise Ethereum Alliance. Son CEO Joe Lubin a travaillé à la création d’Ethereum avant de fonder le start-up studio dédié à la création de produits et applications liés à cette blockchain publique. Il a ainsi oeuvré pour réunir des acteurs majeurs de plusieurs industries et lancer un espace de discussions autour de l’avenir d’Enterprise Ethereum. Par exemple, c’est ConsenSys qui a approché ING, déjà actif sur les sujets blockchain et auteur d’un PoC dès 2016, pour proposer au groupe de faire partie des membres fondateurs. “Jeremy Millar [chief of staff de ConsenSys, ndlr] nous a contactés fin 2016 après avoir entendu parler de notre expérimentation dans le domaine du paiement et nous a demandé de rejoindre les membres fondateurs de l’Alliance”, raconte ainsi Mariana Gomez, d’ING. ConsenSys incube des produits et start-up utilisant Ethereum mais a aussi mis en place une activité de conseil et de développement d’applications Ethereum pour les grandes entreprises. Son positionnement stratégique au sein de l’EEA nourrit ainsi sa stratégie globale de développement. Aude Fredouelle blockchainconsortiumDLTethereum Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind