Accueil > Investissement > Franck Guiader (AMF) : “Nous devons nous interroger sur la définition d’un smart contract ou d’un token” Franck Guiader (AMF) : “Nous devons nous interroger sur la définition d’un smart contract ou d’un token” Dans un entretien à mind Fintech, le responsable de la division Fintech, Innovation et Compétitivité de l’Autorité des marchés financiers (AMF) souligne les enjeux ouverts par la préoccupation croissante des acteurs autour des technologies liées à la blockchain. Par Aude Fredouelle. Publié le 21 mars 2017 à 8h30 - Mis à jour le 28 janvier 2025 à 16h03 Ressources L’AMF a décidé de créer une division Fintech, Innovation, et Compétitivité (FIC) afin d’identifier les enjeux auxquels les fintech devront être confrontées. Huit mois après, avez-vous déterminé ces enjeux ? Nous identifions les enjeux en étudiant les dernières évolutions en matière de technologie financière et en écoutant les fintech qui nous questionnent sur la réglementation qui leur sera appliquée. Depuis ma prise de fonction, nous en avons rencontré plus d’une centaine. Toutes expriment un besoin de régulation, quelles que soient leurs activités. Elles jugent les obligations en matière de conformité nécessaires pour se rendre davantage crédible auprès de leurs partenaires et investisseurs, particulièrement lorsqu’elles se trouvent en phase de maturité. Avoir un agrément d’un régulateur représente pour elles un gage de qualité et de confiance. Il leur faut donc en face un régulateur réactif qui leur permet d’entrer sur le marché dans de bonnes conditions. Encadrer des services innovants signifie-t-il qu’il faille rapidement inventer des nouvelles règles pour suivre leurs poussées rapides ? Toutes les fintech ne sont pas considérées comme innovantes d’un point de vue réglementaire. C’est notamment le cas lorsqu’elles proposent des produits ou des services qui, au-delà de l’aspect marketing, existent déjà. Dans ces situations, ce sont le mode de distribution ainsi que les manières d’aborder le client et d’interagir avec qui changent. Pour ces types d’activité, les outils de régulation – les différents types de statut – existent déjà même si certains paramètres de leurs activités restent novateurs. En revanche, il existe des fintech réellement disruptives, davantage ancrées dans l’innovation. Elles utilisent, par exemple, pour certaines les technologies blockchain et proposent de réelles innovations sur la chaîne de valeur. Dans ces cas, les intermédiaires traditionnels sont souvent remis en cause. Pour nous il y a là un véritable enjeu d’autant plus qu’aujourd’hui nous constatons que le sujet « blockchain » préoccupe une majorité d’acteurs. Nous devons donc nous interroger sur la définition à donner à des notions inédites qui ne sont pas définies par le droit communautaire. C’est un défi important qui nécessite un travail au niveau européen, avec la Commission européenne et l’autorité européenne de supervision, l’ESMA. Pourquoi l’AMF n’applique-t-elle pas le régime du “bac à sable” aux fintech françaises ? Parce qu’elle appartient à l’Union, la France applique les règles européennes. L’AMF s’appuie également sur les outils de convergence développés par l’ESMA qui viennent préciser l’application de ces règles. Parfois, ces textes prévoient de la proportionnalité qui permet aux autorités de supervision de moduler leur application en fonction de la taille et/ou de la nature et/ou de la complexité des activités. Notre approche consiste donc à exploiter pleinement et dans les règles de l’art, cette proportionnalité. Lors de nos échanges avec les acteurs, notamment avec les 34 fintech qui participent au forum que nous avons lancé avec l’ACPR, nous n’avons pas noté de consensus pour la mise en œuvre d’un régime de “bac à sable” tel que défini dans d’autres juridictions. Cette approche, qui consiste à sélectionner les dossiers, risque de créer des poches d’acteurs traités différemment : quelques « happy few » sous le coup d’une réglementation allégée et d’autres, acteurs traditionnels et start-up non sélectionnés, devant appliquer pleinement les règles européennes. En réalité, la majorité des start-up travaillent en partenariat avec des acteurs traditionnels. Leur appliquer le régime du “bac à sable” risquerait d’entraîner une distorsion de concurrence et un manque de confiance entre eux. Les missions de l’AMF sont certes nombreuses, mais elle n’a pas pour vocation à devenir un incubateur. Son rôle est avant tout de suivre l’application des règles européennes. Comment permettre alors aux nouveaux entrants d’expérimenter des innovations radicales sans être paralysés par une réglementation trop lourde pour eux ? Nous appliquons le principe de proportionnalité dans certains cas en fonction des caractéristiques de l’entreprise et de son/ses activité(s) (taille, nature et complexité des services offerts). Par exemple, il en est ainsi pour les règles issues de la directive AIFM (1). Pour les projets totalement disruptifs, ceux ayant recours à la technologie blockchain, on pourrait envisager au niveau européen un terrain expérimental sécurisé. Ces projets sont encore rares, mais leur nombre tend à croître. Des réflexions s’amorcent au niveau de la Commission européenne. Les réflexions devront notamment porter sur la définition juridique et la qualification à donner à un “smart contract” ou à un token. La place de Paris peut-elle tirer profit du Brexit en termes de délocalisation des acteurs financiers sur son territoire ? Sur la centaine d’entreprises rencontrées depuis 8 mois, 25% sont étrangères. Certaines sont dirigées par des Français désireux de revenir dans l’Hexagone. Elles cherchent un confort juridique, notamment pour leurs activités qui ne peuvent faire l’objet d’autorégulation. Le Brexit pourrait servir d’accélérateur mais il ne suffit pas à expliquer l’attirance pour Paris plutôt qu’une autre place européenne. La France est devenue un nouveau territoire pour les acteurs de l’innovation. Elle est à la pointe dans un grand nombre de domaines de la technologie et des mathématiques financières. La France est aussi le premier pays européen à avoir commencé à légiférer sur l’usage de la blockchain (2). Enfin, le régulateur, qui est compétitif en matière de durée des procédures d’agrément, s’est équipé pour accompagner les fintech dans leur compréhension de la réglementation. Venir en France permet à ces sociétés d’obtenir un passeport européen de manière fluide, ce qui est aisé à démontrer. Quelle orientation prendra l’AMF vis-à-vis des acteurs de la fintech à terme, avec leur nombre grandissant au jour le jour ? La richesse accrue des offres de plateformes nécessite de poursuivre les travaux communs engagés par les autorités de régulation. D’autant plus que l’on se dirige vers le développement de modèles hybrides, avec des plateformes qui offrent divers services, financiers et autres, à l’instar par exemple d’Alibaba en Asie (dans un autre cadre réglementaire). Nous observons également un phénomène d’institutionnalisation de certaines fintech en phase de croissance. Outre les services innovants sur lesquelles elles s’étaient positionnées au départ, ces plateformes développent des activités plus traditionnelles que l’on trouve déjà dans les établissements historiques. Enfin, pour l’essentiel, elles adoptent dès le départ une orientation internationale, ce qui semble assez logique dans le domaine numérique et renforce la nécessité de coopérer avec d’autres autorités pour améliorer la connaissance des autres marchés et juridictions. Il est à noter que certains pays, moins avancés en matière d’infrastructures technologiques, rattrapent aujourd’hui leur retard grâce au positionnement des fintech, notamment dans le domaine des services de paiement. (1) La Directive 2011/61/UE du 8 juin 2011 dite AIFM (Alternative Investment Fund Managers), sur les gestionnaires de fonds d’investissement alternatifs, transposée en droit national par l’ordonnance 2013-676 du 27 juillet 2013. (2) Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (art.120) et l’ordonnance n° 2016-520 du 28 avril 2016 relative aux bons de caisse (créant les articles L 223-12 et 13 du code monétaire et financier). Aude Fredouelle blockchainbrexitrégulation Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind