Accueil > Investissement > Quelle régulation se dessine pour la blockchain ? Quelle régulation se dessine pour la blockchain ? Même si elle n’en est qu’à sa genèse, une régulation de la blockchain émerge. Les multiples rapports et consultations publiques des régulateurs en témoignent. Le sujet intéresse fortement les pouvoirs publics car la mise en pratique de ces nouvelles technologies génère des risques pour le système monétaire et une absence de sécurité juridique pour les échanges opérés via ces moyens inédits. Les réponses à ces préoccupations seront différentes selon que l’on se trouve dans un registre distribué ouvert ou fermé. Par La rédaction. Publié le 21 avril 2017 à 9h00 - Mis à jour le 18 mai 2021 à 17h55 Ressources Si à l’heure actuelle, l’utilisation de la blockchain n’est pas réglementée, la France reste l’un des premiers pays à avoir donné une portée juridique à la blockchain à travers les minibons. Ainsi l’article 2 de l’ordonnance n°2016-520 du 28 avril 2016 a inscrit l’article L223-12 dans le code monétaire et financier : “l’émission et la cession de minibons peuvent également être inscrites dans un dispositif d’enregistrement électronique partagé permettant l’authentification de ces opérations, dans des conditions, notamment de sécurité, définies par décret en Conseil d’Etat.” En attendant le décret d’application, ce texte donne un premier cadre législatif à l’utilisation de la blockchain, et les régulateurs multiplient les enquêtes publiques afin de déterminer l’encadrement juridique qui pourrait s’appliquer. Des consultations publiques En France, la direction générale du Trésor a lancé un questionnaire en mars dernier en vue d’un projet d’ordonnance relatif à la technologie blockchain. En effet, l’article 120 de la loi Sapin 2 habilite le gouvernement à prendre les mesures nécessaires pour adapter le droit applicable aux titres financiers et aux valeurs mobilières afin de permettre la représentation et la transmission, au moyen d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé, des titres financiers qui ne sont pas admis aux opérations d’un dépositaire central, ni livrés dans un système de règlement et de livraison d’instruments financiers. Autrement dit, donner un cadre juridique aux opérations sur les titres non cotés qui utilisent la technologie blockchain. De l’autre côté de la Manche, la FCA (Financial Conduct Authority) a décidé de consulter le secteur financier en vue d’un éventuel encadrement de la Blockchain et du DLT (distributed ledger technology ou technologie de registre distribué). Aux Etats-Unis, la Fed (Réserve fédérale américaine) a publié un rapport sur les crypto-monnaies et la blockchain. L’Union européenne n’est pas en reste. La Commission a élaboré un projet pilote relatif à une réglementation de la blockchain le 23 mars dernier. Par ailleurs, après une consultation sur l’impact de la DLT sur les marchés d’instruments financiers lancée en juin 2016, l’Esma (Autorité européenne des marchés financiers) a présenté un rapport en février 2017, dans lequel elle conclut que la technologie n’est pas assez avancée pour faire l’objet d’une réglementation. Blockchain privée vs blockchain publique Avec un accès limité en écriture et en lecture, la blockchain privée ne suscite pas d’inquiétude majeure puisque tous les participants se sont au préalable mis d’accord sur l’objet des échanges. “La blockchain privée s’apparente à une simple base de données. Par principe, ce qui est inscrit n’a pas de valeur réelle en tant que tel. Son champ d’application et les risques qu’elle pourrait engendrer restent donc limités. Dans un consortium, la base de données est commune et la confiance entre les parties est validée. Ce qui permet d’enregistrer des transactions sur la blockchain”, explique Simon Polrot, avocat chez Fieldfisher et membre d’Ethereum France. Typiquement, les blockchain privées sont développées par les banques ou encore le consortium R3CEV qui rassemble plusieurs institutions financières internationales. “En tant que banque, nous restons le plus éloigné possible de la blockchain publique car nous avons des obligations de KYC (connaissance client, ndlr)”, relève Frédéric Dalibard, responsable du digital de la banque de grande clientèle de Natixis. En effet, on comprend aisément que les banques cherchent à éviter que n’importe qui puisse intervenir dans les opérations qu’elles traitent, la blockchain publique se caractérisant par un registre décentralisé et ouvert à tous. Le protocole Bitcoin reste l’instrument le plus représentatif de cette technologie. Dans ce type de blockchain, les participants reconnaissent la valeur des opérations visibles par tous. Mais la valeur juridique de ces transactions en dehors de la Blockchain n’existe pas à l’heure actuelle. D’autant plus que le principe des opérations sur une blockchain publique fait qu’elles sont automatiquement validées sans intervention d’un tiers. Remis en cause par la Blockchain, les tiers de confiance n’ont pas d’autre choix que de s’y confronter. Ainsi la Fédération nationale des tiers de confiance a décidé de créer un groupe de travail en vue d’identifier les impacts, risques et opportunités liés à une utilisation partielle ou généralisée de cette technologie, notamment pour les notaires, banques et assureurs. La validité du “smart contract” en question Une blockchain publique telle que Ethereum orchestre l’authentification de documents mais permet aussi à certaines transactions de se réaliser automatiquement dès lors que toutes les pièces nécessaires y sont inscrites. Dans ce cas, il s’agit d’un “smart contract”. “On ne peut qualifier un “smart contract” de contrat au sens civil du terme car il s’agit d’un code informatique. C’est une exécution d’étapes programmées d’avance » indique Simon Polrot qui ajoute que «le problème réside dans la manière d’évaluer l’accord des volontés à l’origine du programme car dans un contrat civil classique, le consentement éclairé des parties est nécessaire». Ainsi la validité d’un “smart contract” dépendra de ce que le code civil en dira. “Rien ne s’oppose à la reconnaissance d’un contrat intelligent, à condition que les parties puissent être identifiées. La question centrale est donc celle de l’identification sur un réseau qui garantit normalement l’anonymat des parties. Celles-ci ne sont “représentées” que par une clé publique”, expose Thibault Verbiest, avocat associé du cabinet De Gaulle Fleurance & Associés. “Cette clé n’est pas reliée à une personne physique ou morale pour assurer l’identification de l’auteur de l’acte, comme dans le régime légal de la signature électronique”, ajoute-t-il. En définitive, selon Thibault Verbiest, “pour qu’un contrat conclu via la blockchain soit valable, il faudrait une identification des parties assurée soit, de manière certaine, par une signature électronique “légale” (qui suppose l’intervention d’un tiers de confiance), soit par un autre procédé laissé à l’appréciation du juge.” En fait, une qualification juridique du “smart contract” semble indispensable à sa validité même si les puristes de la blockchain estiment que le code prévaut (“the code is law”). La récente affaire du DAO illustre bien la problématique. “En cas de problème, il reste difficile d’évaluer les responsabilités. Il est nécessaire de comprendre le code informatique pour déterminer la cause du dommage. Par conséquent, les juges seront amenés à faire appel à des experts avant de statuer”, estime Simon Polrot . La légitimité de la régulation reste discutée Les enjeux de la future régulation de la blockchain se dessinent au fur à mesure du développement des applications de cette technologie. Il existe pléthore de start-up qui proposent des services basés sur la blockchain. “Nous sommes favorables à une réglementation destinée à protéger les investisseurs et les consommateurs mais elle doit être proportionnelle au risque encouru en s’appuyant sur celle qui existe déjà. La régulation doit permettre aux acteurs professionnels de travailler”, revendique Clément Francomme, fondateur de Utocat, une startup qui a créé via sa plateforme Blockchainiz une API qui permet à des banques et compagnies d’assurance comme BNP Paribas et AXA d’utiliser la les Blockchains Bitcoin et Ethereum pour la certification des documents, la réconciliation en temps réel, la gestion de titres ou encore les transactions interbancaires. “Pour les “smart contracts”, il faudra encore quelque décennies avant que cela ne devienne une pratique courante. Il convient donc de ne pas réguler trop tôt car cela risquerait de tuer la blockchain. Je crois qu’il reste nécessaire de voir où tout cela mène d’abord”, prône Didier Geiben, directeur de GM Consultant-Galitt un cabinet de prestations de conseil et d’assistance dans le domaine de la monétique. “Pour ce qui concerne le droit commun, c’est-à-dire le droit des contrats, le droit de la responsabilité et le droit pénal, une réglementation spécifique à la blockchain n’est pas nécessaire car l’arsenal juridique actuel est suffisant. Par exemple, Il reste possible de donner une qualification pénale à certains faits de l’affaire The DAO”, considère Marc Lipskier, avocat fondateur du cabinet Bamboo & Bees. “La réglementation ne doit pas empêcher l’utilisation de la technologie blockchain même si sa régulation est nécessaire, notamment pour prévoir des mécanismes de résolution des conflits. Le régulateur aura une due diligence à faire avant d’agir ”, insiste Frédéric Dalibard. La réglementation, un enjeu stratégique En effet, en l’état actuel des choses, les régulateurs cherchent avant tout à cerner les contours de la blockchain, comme le montre les questions posées lors des consultations publiques tant au niveau national qu’européen. “Les législateurs devront au préalable comprendre la technologie et son usage, notamment savoir à quel problème elle répond. Ils auront ensuite à déterminer le type de réglementation applicable puis analyser le droit existant afin d’arbitrer entre les différents intérêts en jeu”, résume Thibault Verbiest. Ce dernier précise que “la réglementation future dépendra également de sa finalité politique à savoir : quelle innovation souhaite-t-on promouvoir ?.” “Actuellement, le cadre réglementaire ne nous permet pas de mettre en pratique nos travaux sur les activités non cotées telles que le règlement-livraison, les achats et ventes de titres ouverts aux crypto monnaies”, regrette Clément Francomme qui conclut que “la réglementation est stratégique pour la France car même si elle reste bien placée pour la gestion des titres non-cotés, elle ne doit pas rater le virage de la blockchain comme elle l’a fait avec le passage du minitel à l’internet”. Le consortium international R3 prend le chemin d’une régulation mondiale Après l’adhésion du régulateur financier de l’Illinois au consortium international R3, David Rutter, le fondateur et dirigeant du consortium a annoncé la création d’un réseau de régulateurs mondiaux appelé RegNet lors d’un entretien avec le site CoinDesk. Ce réseau sera dirigé par Isabelle Corbett, la directrice des affaires juridiques du consortium. Le président et la chef de file de RegNet ont révélé avoir déjà consulté plus de 100 régulateurs financiers à travers le monde pour s’informer sur leur vision de la technologie blockchain. Selon David Rutter, l’objectif du réseau RegNet est d’impliquer les régulateurs auprès des institutions financières membres du consortium, dès la conception d’un projet et jusqu’au prototypage. Il reconnaît également que la transparence que peut fournir la technologie de registre distribué n’est pas pleinement opérationnelle tant que les régulateurs n’ont pas appris à accéder aux données en quasi temp réel. Dans un premier temps, RegNet sera composé des membres suivants : États-Unis, Hong Kong, Royaume-Uni, Singapour et Canada. Ils se réuniront une fois par semaine avec les banques membres du consortium, de telle manière que les institutions financières participent dès le début aux projets. Cliquez sur le tableau pour l’agrandir La rédaction blockchainDLTrégulation Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind