Accueil > Investissement > Quelles perspectives pour les stablecoins ? Quelles perspectives pour les stablecoins ? La présentation du projet Libra en juin 2019 a poussé les stablecoins sur le devant de la scène. Les récentes déclarations du gouverneur de la Banque de France en faveur d’une monnaie numérique de banque centrale entretiennent l’intérêt. Comment définir un stablecoin ? A quoi sert-il ? Comment se positionnent les autorités de régulation ? Par Aude Fredouelle. Publié le 10 décembre 2019 à 11h25 - Mis à jour le 18 mai 2021 à 17h31 Ressources Le 18 juin 2019, l’annonce du lancement du projet Libra par Facebook a relancé l’intérêt pour les crypto-actifs. Et plus particulièrement, les projecteurs se sont braqués sur un type de crypto-actifs : les stablecoins, suscitant aussi bien de vives critiques que des commentaires le présentant comme un outil utile aux marchés, voire aux États. “Comparé aux autres crypto-actifs, et comme leur nom l’indique, l’intérêt premier des stablecoins réside dans leur stabilité” explique Manuel Valente, directeur analyse et recherche chez Coinhouse. Alors que la valeur du bitcoin peut facilement évoluer de 25% en une seule semaine, ou que certains crypto-actifs en pleine effervescence ont pu voir la leur bouger de 100 à 200% en une seule journée, les stablecoins, pour leur part, bénéficient d’une forme de protection. Adossés à des monnaies fiat, des actifs (immobiliers par exemple), des matières premières (pétrole, or) ou d’autres crypto-actifs, ils subissent beaucoup moins de fluctuations. Mais avant d’évoquer leur usage, il faut se pencher sur ceux qui existent. Des stablecoins de tous types – Les fiat collaterized, d’abord, sont adossés à des devises. Dans ce modèle, l’entité émettrice du stablecoin possède un compte bancaire contenant la valeur des jetons émis en monnaie fiduciaire. Si elle émet 1000 tokens adossés à parité stricte au dollar, alors elle doit détenir 1000 dollars sur ce compte. C’est le cas du TrueUSD (TUSD), ou du Tether (USDT). Ce dernier souffre d’une image sulfureuse : la monnaie est émise par le groupe iFinex (Tether et Bitfinex), basé à Hong-Kong et dont la société Bitfinex est poursuivie par la procureur générale de l’Etat de New-York. Elle est soupçonnée d’avoir utilisé les fonds de sa réserve monétaire pour couvrir 850 millions de dollars de pertes de ses clients, rapportent les Echos. Ce qui n’empêche pas le Tether d’être populaire : avec une capitalisation de marché de 4 milliards de dollars, il atteignait un volume de 20 milliards de dollars d’échange par jour début octobre, supérieur à celui du bitcoin, quand bien même ce dernier représente 66% du marché des crypto-actifs en valeur (au 28 novembre 2019, selon les données de CoinMarketCap). “Cela démontre la liquidité du secteur, souligne Manuel Valente, et la valeur d’échange très importante de ce type de tokens.” – Les commodity collaterized sont adossés entre autres à des matières premières, des métaux précieux ou des biens immobiliers. Le Digix Gold (DGX), par exemple, est bâti sur le réseau Ethereum, et 1 DGX équivaut à un gramme d’or. L’or physique est conservé dans un coffre, à Singapour, et le stock est audité tous les trois mois. Le Tiberius Coin (TCX) est adossé à 7 métaux rares habituellement utilisés dans les composants informatiques, tandis que le SwissRealCoin (SRC) est soutenu par un portefeuille de biens immobiliers suisses. Quant à Bitfinex, la société devrait lancer un Tether Gold d’ici peu, a révélé son CTO Paolo Ardoino. Le développement et l’usage de ce type de stablecoins est peu fréquents, note néanmoins Sébastien Meunier, directeur Amérique du Nord du cabinet Chappuis Halder & Co, “pour la simple raison qu’il faut posséder suffisamment de réserves pour assurer le fonctionnement du stablecoin en question”. – Les crypto collaterized, enfin, sont adossées à d’autres crypto-actifs. Pour contrebalancer la volatilité de ces derniers, le nouveau crypto-actif est dit “sur-adossé”. Cela signifie, par exemple, que pour 500 tokens adossés au dollar, l’équivalent de 1 000 dollars de bitcoin peut être exigé en réserve. Dans ce cas, même si le cours du bitcoin chute de 20 ou 30%, le stablecoin reste couvert. Le DAI, conçu par la société MakerDAO, fonctionne selon ce modèle. Des usages variés Quel que soit le type de stablecoin considéré, leur stabilité leur confère un avantage pour une activité précise : le trading. “Sur le marché, il y a une relative rareté des crypto-actifs facilement échangeables contre des devises fiat”, détaille Manuel Valente. Les stablecoins résolvent ce problème en permettant un échange simple avec les monnaies fiduciaires, voire une conservation des fonds sur une période courte, le temps que le marché des autres crypto-actifs ne se stabilise. Essentiel : Comprendre les crypto-actifs Cet atout se traduit directement dans l’usage des stablecoins en circulation : “90 à 95% de leurs détenteurs les utilisent à des fins d’investissement”, estime Manuel Valente. Seule une infime minorité, pour le moment, y voit un moyen de paiement. “Il peut s’agir de cas spécifiques, comme au Vénézuela” (où l’économie souffre d’une hyperinflation d’une rare violence, ndlr), développe-t-il, ou en tant que réserve de valeur : “on constate ainsi un certain mouvement entre la Chine et la Russie, des Chinois débarquant à Moscou pour y échanger les stablecoins qu’ils ont accumulés contre de l’ether”. Charles Cascarilla, fondateur et CEO de Paxos, a fondé son entreprise et le Paxos Gold en partant du postulat qu’un tel stablecoin offrait avant tout la possibilité “de contourner l’inefficacité latente du système traditionnel. Les blockchains permettent de déplacer les actifs partout sur la planète, de façon beaucoup plus rapide et simple que n’importe quelle devise traditionnelle.” C’est le cas pour des devises, mais aussi pour l’or ou les métaux précieux, démonstrations parfaites de ce phénomène. “Habituellement, il est complexe d’échanger ce type de biens. Mais si l’on transfère leur propriété sur une blockchain, ils deviennent beaucoup plus liquides”, s’enthousiasme le dirigeant. Paxos et le développement de cas d’usage Paxos a fait le choix de proposer différents types de crypto-actifs. Le Paxos Standard (PAX) répond à une parité dollar. Le Paxos Gold (PAXG) est adossé à de l’or. Mais l’entreprise se voit surtout comme un fournisseur de services financiers basés sur des systèmes de registre distribué. Ainsi a-t-elle conclu un partenariat avec Bit Finance pour lancer un autre token, le BUSD, et développé des outils de post-marché, notamment pour le règlement-livraison. Son CEO Charles Cascarilla compare la société aux “fournisseurs de cartes bancaires, qui les produisent en marque blanche”, mais dans un univers de registres distribués. Le but : “donner aux entreprises et aux institutions le pouvoir d’utiliser ces innovations, développer une relation poussée avec elles, ainsi qu’entre elles et le monde des crypto-actifs.” Un enjeu important, car pour l’entrepreneur, l’année 2020 sera celle de la création de nouveaux outils, et 2021, déjà, le temps de l’industrialisation. Pour Sébastien Meunier, cette vision est très optimiste : “la technologie de base existe déjà. Mais le temps de la régulation, lui, est vraiment long.” Un point de vue que, rien qu’en Europe, le Parlement allemand ne partage pas : il a approuvé le 2 décembre 2019 une nouvelle législation permettant aux banques de stocker et vendre des crypto-actifs. Un autre objectif, moins directement liée au stablecoin à l’heure actuelle, mais évoqué par plusieurs entrepreneurs du secteur des crypto-actifs, est celui de l’accessibilité. “N’importe qui peut avoir du cash dans sa poche, mais tout le monde n’a pas accès au secteur bancaire, explique Charles Cascarilla. Avec leur système de wallet numérique, pendant connecté des portefeuilles traditionnels, les crypto-actifs, et les stablecoins en particulier, permettent de pallier ce problème.” C’est ce qui a motivé Facebook à initier son projet de Libra, précisément vanté comme un moyen d’améliorer l’inclusion financière, et de permettre, à moindre coût, d’envoyer de l’argent partout dans le monde et d’accéder à des services financiers (lire notre article “Facebook livre les détails de sa DLT”). Facebook et les stablecoins Si l’annonce du projet Libra a fait grand bruit, elle n’a pas nécessairement eu d’impact fort sur le secteur des crypto-actifs tel qu’il évoluait auparavant. “Au mieux a-t-il mis en lumière cet environnement, et poussé des gens qui en étaient très éloignés à s’intéresser à notre industrie”, estime Charles Cascarilla. S’il a eu un effet quelque part, c’est plutôt du côté des régulateurs et des gouvernements. “Je ne pensais pas qu’il y aurait une telle levée de boucliers de la part des Etats”, s’étonne ainsi Manuel Valente. À l’origine, le directeur de Coinhouse prévoyait plutôt une inquiétude généralisée sur le partage des données impliqué par l’usage de ce nouveau crypto-actif. “Si les conditions d’utilisation du Libra sont aussi protectrices et décentralisées qu’on peut l’attendre d’une technologie de registre distribué, les conditions d’utilisation du portefeuille Calibra, elles, démontrent qu’il vise à ramasser un maximum de données”, souligne Manuel Valente. Mais non, l’attention s’est portée sur le panier de devises contre lequel devait s’adosser le token. Il est vrai que le nombre cumulé d’utilisateurs mensuels de Facebook, Messenger, WhatsApp et/ou Instagram atteignait les 2,45 milliards d’individus au troisième trimestre 2019. Un foyer d’utilisateurs actifs qui pose de multiples questions. Quel sera l’impact d’une monnaie émise par une entité comme l’association Libra sur le système monétaire mondial ? Quelles devises pour la soutenir, et dans quelles proportions ? “Les Etats ont peur que Facebook décide du jour au lendemain que telle ou telle monnaie ne fasse plus partie de son panier de devises, et, de la sorte, la déstabilise sérieusement ”, explique Manuel Valente. Parmi les solutions déjà avancées pour régler cette question figure celle faite par Mark Zuckerberg, PDG de Facebook, au congrès américain : la création de plusieurs versions du libra, chacune adossée à une seule monnaie. Un modèle qui se rapprocherait singulièrement des stablecoins fiat collaterized déjà existants. Si Facebook met donc en lumière un univers peu connu du grand public, des entreprises du secteur travaillent déjà avec les régulateurs. Paxos a par exemple pris le parti de travailler en collaboration avec les autorités pour développer ses outils financiers sur DLT, car c’est le seul moyen, selon son directeur, “d’avoir un système sûr et sain, et de s’assurer que notre activité fonctionne”. Un point partagé par Manuel Valente, qui souligne que la confiance est nécessaire à l’usage de ces stablecoins. “D’un point de vue réglementaire, il n’existe à peu près rien pour le moment, explique-t-il. La seule sécurité que présentent ces crypto-actifs, c’est donc la confiance qu’elles parviennent à créer”, auprès de leurs utilisateurs et auprès des régulateurs quand ceux-ci décident d’intervenir. C’est notamment pour créer et garantir cette confiance que la plupart des émetteurs de stablecoins font en sorte d’auditer régulièrement leurs réserves. Cela n’a pas empêché des groupes de travail comme celui du G7, mené par Benoît Coeuré, de répertorier les risques liés à l’expansion de l’usage des stablecoins. Le rapport “Investigating the impact of global stablecoins”, s’il concède une utilité réelle à ce nouveau type d’outil, notamment pour “participer au développement de méthodes globales de paiement plus rapides, moins chères et plus inclusives”, établit tout de même une longue liste de risques. Enjeux légaux, cybersécurité, intégrité du marché, protection des données… Les problèmes soulevés s’étendent jusqu’aux effets possibles sur les politiques monétaires, la stabilité financière et la concurrence équitable. Un constat qui peut expliquer que Tobias Adrian et Tommaso Mancini-Griffoli, deux économistes du FMI, ont demandé aux régulateurs de prendre “des mesures légales rapides” pour réagir aux “risques notables” posés par les monnaies numériques émises par des entités privées. Confiance, régulation : vers des stablecoins de banques centrales ? La solution, pour certifier, rassurer, et généraliser les usages, résiderait-elle dans la création de stablecoins nationaux ou régionaux ? C’est l’un des débats qu’a contribué à pousser l’annonce du projet Libra. Pour Manuel Valente : “la problématique serait utile au marché des crypto-monnaies dans son entier : la confiance dans un crypto-euro serait d’autant plus grande qu’il serait généré au plus près par l’Etat.” Cette confiance pourrait mener à l’usage, et donc à une “vulgarisation” de l’utilisation des crypto-actifs. Sébastien Meunier, lui, voit dans une telle idée une utilité toute relative : “en pratique, l’euro est déjà très numérique, comme le dollar. Le cash disparaît de nos poches.” À quoi bon, demande-t-il, créer un nouvel euro, un nouveau dollar, ou toute autre monnaie numérique parallèle à une devise déjà existante “alors que ça ne changera rien pour le consommateur lambda” ? Et de noter que les banques centrales semblent justement “se concentrer sur les transactions entre institutions”. Car la réponse définitive se trouve peut-être au milieu de ces deux visions. C’est en tout cas ce qu’aimerait promouvoir la Banque de France, en la personne de son gouverneur François Villeroy de Galhau. Dans un discours prononcé le 4 décembre 2019 lors d’une conférence de l’ACPR, ce dernier exposait ainsi les trois principales finalités qu’il voit à des stablecoins émis par des banques nationales (ou CBDC, central bank digital currency). “Garantir l’accès des citoyens à la monnaie de banque centrale”, pour des situations similaires à celle de la Suède, où le cash disparaît extrêmement vite et où les travaux de la Banque centrale, Riksbank, sont déjà avancés. Autre usage, sur lequel tout le monde s’accorde : “gagner en efficacité et réduire les coûts d’intermédiation”. Enfin, le gouverneur de la Banque de France évoquait l’intérêt de “disposer d’un levier d’affirmation de notre souveraineté face aux initiatives privées”, comme le Libra. François Villeroy de Galhau a finalement exposé la possibilité de créer deux CBDC différents : un “de gros”, “destiné au paiement entre acteurs financiers”, et un “de détail”, pour gérer les volumes de paiements de faible montant : ceux du grand public. Il a déclaré, enfin, voir “un intérêt certain à avancer sur l’émission d’une CBDC de gros, afin d’être le premier émetteur au niveau international”. Et ainsi, profiter “des bénéfices réservés à une CBDC de référence”. Mais pour atteindre ce souhait, il faudra travailler vite – le gouverneur de la Banque de France a annoncé de premières expérimentations pour le début 2020 – car la France et l’Union Européenne sont loin d’être les seules sur les rangs. La Chine, par exemple, déclare travailler sur des projets similaires depuis longtemps. “Si la Chine sort son stablecoin demain, ce ne serait pas tellement étonnant”, estime même Manuel Valente. Le pays communiste a pris l’habitude d’investir et de travailler vite et fort sur des innovations de rupture comme la blockchain ou l’intelligence artificielle. Il faut néanmoins noter qu’à la fin de l’été, elle annonçait pouvoir lancer son “e-renmibi”, ou e-yuan, dès le 11 novembre dernier. Mais rien de neuf n’a filtré depuis… En Urugay, en Thaïlande, au Canada, à Singapour, nombreuses sont les autres banques centrales qui planchent sur le sujet. Quant à l’Europe, dont Manuel Valente considère qu’on y “avance extrêmement prudemment”, la Banque d’Angleterre et son gouverneur Mark Carney se sont prononcés à plusieurs reprises pour un euro numérique qui, selon ce dernier, pourrait permettre de contrebalancer le dollar. Il a été rejoint fin octobre par l’association des banques allemandes, et maintenant, donc, ouvertement, par la Banque de France. Aude Fredouelle cryptoactifcryptomonnaiestabilité financièrestablecoin Besoin d’informations complémentaires ? 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