Les collaborations, un levier essentiel pour les CVC mutualistes et paritaires de l’assurance

Le modèle de corporate venture capital (CVC) a fortement accéléré ces dernières années. Selon une étude menée par le BCG et Raise Lab et publiée en juin 2022, près de 70 % des fonds de CVC français sont nés au cours de la décennie écoulée. Par rapport à des sociétés de capital-risque, les corporates mettent souvent l’accent sur les collaborations avec les start-up et les leviers d’innovation. Ainsi, les CVC interrogés dans le cadre de l’étude placent en tête de leurs attentes des bénéfices commerciaux (synergies, co-développement), devant un retour sur investissement et une acculturation à l’innovation. 

Cette approche semble encore plus marquée chez les CVC de l’assurance évoluant dans les sphères mutualistes et paritaires sondés par mind Fintech. MAIF Avenir, doté d’une capacité d’investissement de 250 millions d’euros, n’a pas souhaité intervenir dans le cadre ce dossier. Le fonds travaille sur une évolution de sa stratégie en lien avec le futur plan stratégique de l’assureur mutualiste qui doit être présenté en début d’année 2023.

Chez AG2R La Mondiale, groupe d’assurance spécialiste de la protection de la personne, une adaptation de la stratégie s’est déjà matérialisée. “Après deux années où nos premiers investissements ont été réalisés dans des sociétés avec lesquelles des collaborations opérationnelles étaient déjà engagées, la thèse d’investissement a évolué en 2021 pour se rapprocher du modèle classique des corporate venture, c’est-à-dire viser des sociétés avec lesquelles une collaboration est envisagée à un horizon proche. Le ticket d’entrée a aussi évolué : nous intervenons désormais dès la phase de seed, alors que nous étions exclusivement sur des Séries A et B au démarrage”, explique Laurent Charon, directeur innovation et transformation digitale d’AG2R La Mondiale. 

Défini comme un fonds d’innovation R&D depuis sa création en 2019, ALM Innovation vise à apporter au groupe des outils au sens large (produits, services, technologie) pour l’accompagner dans sa transformation. “L’indicateur des collaborations opérationnelles est donc très important. Il s’agit dans le même temps de faire en sorte que l’argent soit investi de manière profitable sans pour autant avoir un objectif de TRI associé“, souligne Laurent Charon. Le fonds, doté de 10 millions d’euros au démarrage (6,5 millions d’euros étaient investis à fin 2021, selon le dernier rapport annuel disponible), revendique 13 participations en portefeuille (Dreamquark, Saagie, MySofie, Regate, Goodvest, Ramify, Fasst, Moneytrack, RollingFunds, Klaro, Wandercraft, Welink et Posos) dans six thématiques identifiées : e-santé, fintech, bien vieillir, assurtech, efficacité opérationnelle et regtech. 

Directeurs de projets

Chez Malakoff Humanis, dont le fonds a vu le jour en 2018 avec une capacité de 155 millions d’euros (en direct, mais aussi via des partenaires VC), il s’agit aussi d’ajuster la mire. “Quatre ans après le lancement de MH’Innov, nous ouvrons une nouvelle phase davantage axée sur le développement de collaborations avec les start-up. Nos chargés d’investissement deviennent de véritables directeurs de projets (partnerships success managers). Nous allons évaluer nos résultats sur la réussite des collaborations, et non pas uniquement sur des éléments purement financiers“, annonce Gauthier Lalande, directeur du fonds. 

MH Innov’ dénombre aujourd’hui plus d’une quinzaine de participations (Carians, Testamento, +Simple, Wefox, Andjaro, LegalPlace, etc.) dans cinq univers : santé, assurance, RH et services BtoB, cybersécurité et impact social). Les investissements peuvent se faire en direct, mais aussi via des VC partenaires et des fonds de fonds. “Les fonds ouverts sont intéressants, car ils nous permettent d’élargir notre réseau et d’entrer en relation avec les acteurs du marché. Mais c’est avec le fonds direct que nous allons nous donner le plus de chance de développer des collaborations avec les métiers”, pointe Gauthier Lalande. 

“En ce qui concerne les collaborations, l’un des principaux points de complexité tient à la maturité des métiers et à l’appréciation du temps qui n’est pas la même pour une start-up et un grand groupe. Auparavant, nous faisions de nombreuses mises en relation entre les start-up et le métier, mais ça n’est pas suffisant pour se décider. Ce qui nous semble important aujourd’hui, c’est d’investir quand la start-up fait une levée de fonds, soit dans un laps de temps allant de un à trois mois“, détaille le responsable de MH’Innov. Une autre option consiste en effet pour le CVC à jouer le rôle d’un incubateur en initiant des collaborations puis à en tirer un bilan après quelques mois en vue d’un possible investissement. Il y a toutefois plusieurs inconvénients associés à cette approche : la start-up doit assurer son financement dans l’intervalle et le CVC entrera à des conditions potentiellement moins intéressantes.

Chez Macif Innovation, “il y a plusieurs manières de favoriser des collaborations. Un métier peut nous faire part d’un irritant ou problématique et nous allons chercher une start-up pour y remédier. Ou nous présentons aux métiers des start-up dont les solutions pourraient avoir une valeur ajoutée dans leur domaine”, résume Celya Meunier, directrice de l’innovation au sein de la Macif. Doté de 30 millions d’euros, le fonds Macif Innovation accompagne notamment l’application dédiée aux motards Liberty Rider, la plateforme de covoiturage Karos, la plateforme d’animation de communautés Wenity ou encore l’application de gestion des clubs sportifs SportEasy. 

“Les investissements sont accompagnés par un sponsor métier et il y a toujours un binôme investissement/opérationnel pour le suivi. Chaque solution est expérimentée par le métier et peut être industrialisée si elle convient. Nous privilégions une entrée au moment de la Série A. Il faut que la société ait une activité en France et soit d’une taille suffisante, car le déploiement de nos services se fait au niveau national pour permettre à tous nos sociétaires d’avoir accès à la solution”, note Celya Meunier. 

Le levier du codéveloppement

Le codéveloppement est souvent cité comme un exemple de collaboration fructueuse. “Nous avons mené un projet de codéveloppement avec Saagie autour du MLOps. Un cas d’usage sur la lutte anti-blanchiment a été validé puis nous avons travaillé sur le machine learning, détaille Laurent Charon. AG2R La Mondiale a apporté des spécifications fonctionnelles et Saagie a fourni des capacités de développement. Cela a donné naissance à un produit co-construit que Saagie distribue désormais à l’extérieur. C’est une autre dimension de la collaboration entre start-up et grands groupes. Le fait d’être un investisseur permet aussi de faire du codéveloppement et d’aboutir à une forme d’intimité opérationnelle“. 

Chez Malakoff Humanis, c’est Fasst, la plateforme de solutions digitales pour les assureurs et les courtiers dans laquelle le groupe de protection sociale a investi en 2021 (au même titre qu’AG2R La Mondiale qui l’utilise comme outil de souscription pour les conventions collectives en prévoyance), qui a remporté l’appel d’offres pour un outil d’avant-vente en santé, prévoyance et épargne. Une collaboration approfondie a également été menée avec Carians, développeur d’un service de deuxième avis médical. 

Malakoff Humanis évoque un taux de collaborations d’environ 30 % avec les start-up en portefeuille. L’objectif est de le porter à environ 50 % et de travailler sur la qualité des interactions afin de ne pas être dans une simple posture client-fournisseur. “Pour améliorer le sourcing, il y a un vrai besoin d’aller se nourrir dans l’écosystème. Il faut aller à la rencontre des start-up avec un cahier des charges structuré. La collaboration peut devenir un élément moteur de la relation“, estime Gauthier Lalande. 

Les collaborations apparaissent donc comme un moyen supplémentaire pour un investisseur corporate d’apporter de la consistance à une relation tout en veillant aux impératifs financiers dans un contexte économique incertain. “Pour nos futurs investissements, nous regardons des projets peut-être moins ambitieux sur le papier, mais dont l’horizon de profitabilité est plus proche que par le passé”, conclut Laurent Charon, d’AG2R La Mondiale.