Accueil > Services bancaires > [Info mind Fintech] EPI crée une société provisoire dotée de 25 millions d’euros [Info mind Fintech] EPI crée une société provisoire dotée de 25 millions d’euros EPI, l’initiative de banques européennes qui vise à faire émerger une solution de paiement paneuropéenne unifiée et concurrencer Visa et Mastercard, a créé la société provisoire qui devra définir les règles de fonctionnement, le business model et la roadmap technique de la future solution. mind Fintech revient sur les enjeux du projet, le calendrier de l’EPI et ses ambitions. Par Aude Fredouelle. Publié le 26 octobre 2020 à 10h49 - Mis à jour le 19 janvier 2024 à 15h43 Ressources EPI (European Payments Initiative) est née. Une société provisoire baptisée EPI Interim Company a été créée le 7 octobre en Belgique et dotée de 25 millions d’euros par les seize banques membres du projet (BBVA, BNP Paribas, BPCE, CaixaBank, Commerzbank, Crédit Agricole, Crédit Mutuel, Deutsche Bank, Sparkasse, DZ Bank, ING, KBC, La Banque Postale, Santander, Société Générale et UniCredit). EPI Interim Company va être organisée en huit grandes directions (roadmap produit, communication et marque, business plan, direction financière…). Une shortlist de directeurs et directrices potentiels a été constituée par le comité de pilotage d’EPI (qui va désormais disparaître pour laisser la place à la société temporaire), avec une représentation équitable des pays impliqués, et des profils venant des banques et parties prenantes du projet mais aussi d’autres sociétés. Le DG devrait soumettre son équipe au conseil d’administration d’ici le début du mois de novembre. Cette société temporaire aura pour rôle, dans l’année à venir, de concevoir le détail des services de la future société, son business model, ses choix technologiques… Au terme de ce travail, la société définitive sera créée et chacune des 16 banques décidera si elle souhaite en devenir fondatrice et actionnaire, ou si elle préfère se retirer du projet. Dans ce dernier cas, elle pourra devenir par la suite membre d’EPI, comme les banques adhèrent actuellement à Visa ou Mastercard. D’ici là, d’autres acteurs pourront aussi devenir fondateurs de la structure, parmi lesquels des banques mais aussi des prestataires de services de paiement, comme Worldline, par exemple. “Une volonté d’ouverture est affichée pour intégrer des acteurs qui peuvent faire grandir l’écosystème EPI, comme des PSP ou des acquéreurs apportant un portefeuille de commerçants ou de particuliers”, commente Pierre Lahbabi, CEO du cabinet spécialisé dans le paiement Galitt, qui accompagne deux banques françaises dans leurs projets EPI. Couvrir tous les cas d’usage sous une même marque Pour créer sa solution de paiement paneuropéenne unifiée, EPI travaille sur deux volets. “D’abord, EPI va se positionner sur le produit carte, qu’elle soit plastique, digitale, intégrée dans un wallet X Pay ou en e-commerce, explique Fabrice Denèle, en charge de la stratégie et des partenariats chez Natixis Payments et membre du Steering Committee d’EPI pour le groupe BPCE. Il s’agit du moyen de paiement le plus répandu donc cela justifie d’investir sur cet usage. Ensuite, le deuxième volet vise à explorer toutes les opportunités de paiements digitaux : les wallets, les paiements de compte à compte, l’Instant Payment, le Request to Pay…”. L’ambition : créer une application de paiement qui couvrira tous les cas d’usage sous une même marque. Sur la partie carte, une réflexion devra être menée pour les paiements hors Europe, puisque le périmètre d’EPI se limitera à la zone euro (voire à l’Union européenne – des discussions sont en cours avec la Pologne et les pays nordiques). Les cartes pourraient donc être co-brandées avec Visa ou Mastercard (comme actuellement en France avec CB). Autre solution : les banques pourraient choisir de proposer une carte EPI pour les achats en Europe et une seconde carte Visa ou Mastercard pour l’étranger. “En France, on a l’habitude d’avoir une seule carte acceptée partout dans le monde, mais en Italie ou Allemagne, les clients détiennent souvent une carte de débit pour les paiements du quotidien et une carte de crédit pour les voyages. Ils ont donc déjà l’habitude d’avoir deux cartes”, raconte Pierre Lahbabi. Pour des raisons économiques mais aussi pour affirmer son indépendance, EPI veut en tout cas privilégier des normes et technologies libres de droit pour ses cartes, et non les éléments techniques propriétaires de Visa et Mastercard : par exemple, des cartes CPACE (spécification créée par l’ECPC, groupe de coopération technique composé des principaux schemes européens). Disparition du groupement des cartes bancaires CB et de Paylib Pour donner toutes les chances à ce nouveau standard d’émerger, les seize banques impliquées se sont engagées à migrer vers EPI et/ou mettre fin aux marques et initiatives déjà engagées au niveau local. En France, cela signifie la fin du groupement des cartes bancaires CB, mais aussi de Paylib – qui est justement en train de promouvoir son service de paiement entre particuliers dans une campagne publicitaire de grande envergure. “Ce n’est pas tant la promotion de la marque qui compte, mais la promotion de l’usage”, souligne Narinda You, directrice de la stratégie et des relations de place de Crédit Agricole Payment Services. “Les campagnes permettent de promouvoir un service de paiement entre particuliers qui passe par les applications mobiles des banques plutôt que celles d’autres acteurs et cela sera bénéfique même si la marque change”, renchérit Fabrice Denèle, de Natixis Payments. Même punition pour les marques des autres pays européens, comme Bizum, service de paiement entre particuliers lancé en 2016 par les banques espagnoles par exemple. “Dans certains pays, la conduite du changement sera probablement plus compliquée que dans d’autre cas, car des particularités fortes existent déjà dans les paiements et EPI va venir les bouleverser”, commente Régis Folbaum, directeur des paiements et de la donnée de La Banque Postale. “Cet engagement était nécessaire car on ne peut faire cohabiter des marques qui proposent les mêmes services, assure Fabrice Denèle. Ce serait compliqué sur le plan technique, l’expérience client ne serait pas unique et cela créerait des doublons dans les coûts. Créer un nouvel écosystème de paiement nécessite une unique marque forte européenne.” Si les services de type Paylib devraient rapidement disparaître au profit d’EPI, sur le volet des cartes, la transition sera plus progressive, avec une période de double circulation des cartes historiques et des cartes EPI. D’abord, parce que les banques qui ne sont pas encore membres d’EPI mettront peut être du temps à rejoindre le nouveau scheme, mais aussi car certaines banques attendront probablement que les cartes actuelles arrivent à expiration pour les remplacer plutôt que d’opter pour un remplacement massif du parc. Pendant un temps, elles devront à la fois gérer des cartes CB et des cartes EPI, ce qui devrait compliquer la gestion du parc : “l’interface client de gestion des cartes devra probablement envoyer les informations vers des systèmes différents”, commente Pierre Lahbabi, de Galitt. Un MVP en 2022 L’EPI mise sur un premier MVP début 2022, environ. Le travail est colossal. “Le gros enjeu de l’EPI sera de réussir une course contre la montre pour sortir le MVP en 2022, détaille Régis Folbaum. D’abord, parce que la quasi-totalité des banques ont déjà bouclé leur programme de travail et d’investissements pour 2021, déjà extrêmement chargé par les demandes réglementaires et le développement de produits. À La Banque Postale, nous avons réservé des capacités pour EPI mais les banques ont besoin des spécifications pour commencer les développements.” Les spécifications devraient être publiées par EPI en juin 2021. EPI devra également élaborer une gouvernance permettant à la société interbancaire d’avancer vite. Un défi. Dans l’attente des spécifications, les banques mènent déjà des études d’impact pour réfléchir aux fonctionnalités qui verront le jour, aux parcours clients, à la stratégie marketing et surtout aux briques techniques qui devront être amendées. “Les banques sont déjà très mobilisées en interne sur le sujet. Elles doivent notamment faire des choix structurants en termes de plateformes informatiques car la création d’EPI est l’occasion de se poser la question de la modernisation des systèmes, souligne Pierre Lahbabi. Par exemple, les virements et les cartes sont actuellement souvent gérés par des systèmes informatiques et des équipes différents. Avec le système EPI, ils vont se rapprocher et cela aura des conséquences en termes de gestion de projet et de système d’information.” Premier cas d’usage : le P2P ? Le premier cas d’usage n’a pas encore été acté. En France, il semblerait cependant que les parties prenantes penchent pour un système de paiement entre particuliers européens, un cas d’usage plus simple que d’autres à déployer dans ces délais. Les banques devront néanmoins mettre en place une base de données centralisée référençant les IBAN et les numéros de téléphone correspondants, comme l’a fait Paylib en France. Selon le CEO de Galitt, “les premiers cas d’usage déployés pourraient différer selon les pays, en fonction des habitudes de paiement locales et de l’impact sur les SI des banques, et il y aura probablement plusieurs MVP différents. Par exemple, les Pays-Bas qui disposent de la solution iDeal, qui permet de faire une demande de paiement par virement, pourraient préférer un cas d’usage de paiement e-commerce avec des virements, car l’infrastructure et le comportement des clients sont déjà avancés.” Quel business model ? Si la société temporaire a été dotée de 25 millions d’euros, le projet final devrait coûter plusieurs centaines de millions d’euros à ses actionnaires, et même représenter “plusieurs milliards d’euros si l’on englobe la mise à jour de l’écosystème”, évalue Fabrice Denèle. “Les plus gros investissements ne seront pas ceux injectés dans la société centrale, mais au sein des banques, confirme Régis Folbaum. Il faudra créer de nouveaux masques de cartes, repenser les usages, développer les interfaces et adapter les processus (lutte contre la fraude, traitement des contestations back office…). Les banques émettrices devront modifier leurs systèmes au travers de projets informatiques lourds et même les acquéreurs devront adapter certains de leurs process, matériels et interfaces.” Pour que de tels investissements soient actés, l’élaboration du business model est un pré-requis primordial. EPI, rappelle Fabrice Denèle, “ne sera pas un GIE mais une société à but lucratif, dont l’objectif sera de créer de la valeur pour ses actionnaires et de générer du cash-flow indispensable pour réinvestir dans l’innovation et ses produits, tout en veillant à rester compétitif.” “L’élaboration du business model est l’un des objectifs les plus importants de la société provisoire : si elle ne délivre pas sur ce point, les banques ne pourront pas justifier les investissements dans le projet”, soutient Narinda You. Or, le business model d’EPI est encore loin d’être évident. “Du côté des particuliers, le secteur est très concurrentiel avec les cartes gratuites proposées par les néobanques, résume Pierre Lahbabi. Et le succès d’EPI dépendra aussi du niveau d’intérêt des commerçants et de leur engagement. Ils devront être étroitement associés au projet.” Les commerçants, dont les banques ont besoin pour accepter EPI, auront en effet un fort pouvoir de négociation sur les tarifs d’EPI. Un interchange européen sur les virements ? Les discussions sur le business model portent notamment auprès des régulateurs. “Le projet a reçu un soutien très fort de la classe politique et des institutions européennes, ce qui est un terreau très favorable, constate Fabrice Denèle, de Natixis Payments. Et EPI doit désormais s’assurer auprès du régulateur que cette initiative privée qu’il soutient aura un modèle économique équilibré pour ses acteurs et rentable.” Début juillet, la Commission européenne a pris une première décision en ce sens en estimant qu’il n’y avait pas lieu d’abaisser à nouveau le plafond des commissions d’interchange payées par les commerçants lors d’un paiement par carte – une décision qui sécurise les revenus liés à l’activité carte d’EPI. Mais la question de la rémunération se pose aussi sur le volet des paiements digitaux comme le virement instantané SCT Inst et le Request to Pay (format de demande de déclenchement de virement). EPI souhaite donc réclamer à l’Union européenne la mise en place d’une forme d’équivalence à l’interchange. Et demande aussi au régulateur de laisser les banques travailler sur le projet en leur évitant de nouveaux chantiers de mise en conformité réglementaire. Pour Pierre Lahbabi, les banques doivent aussi réfléchir aux revenus issus des services qui seront associés aux paiements EPI. “Les services associés aux cartes comme l’assurance, la gestion des plafonds, la conciergerie, les programmes de fidélité et de cashback n’existent pas encore pour les virements. Un levier important pour le business model consistera à développer des services homogènes pour l’ensemble des paiements EPI, pas seulement la carte, et à les monétiser.” Si de premiers MVP devraient voir le jour en 2022, le déploiement d’EPI prendra du temps. “Entre trois et cinq ans pour avoir une proportion conséquente de transactions EPI sur le marché, et une quelques années de plus pour qu’EPI remplace certains systèmes nationaux”, prévoit Pierre Lahbabi, CEO de Galitt. Les monnaies digitales de banque centrale, sujet de préoccupation pour les banques Le sujet des monnaies digitales de banque centrale, dont les projets se multiplient depuis l’annonce de la création du libra, inquiète aussi les banques. Si la BCE leur assure que ces monnaies ne feront pas concurrence à EPI et que la société paneuropéenne pourrait en être un vecteur, les banquiers voient d’un oeil inquiet ces monnaies dont l’usage retail, avec des wallets de monnaie digitale de banque centrale, pourrait venir concurrencer le système de paiement EPI. “Les monnaies digitales de banque centrale arriveront plus tard qu’EPI, car de nombreuses questions doivent être réglées : comment la monnaie est émise, est-elle gérée par les banques commerciales ou les banques centrales, quel sera son impact sur les ratios de solvabilité… ?, égrène Pierre Lahbabi. Pour autant, c’est un sujet qui risque de s’ajouter au calendrier déjà chargé des banques, en parallèle de la mise en conformité DSP2, d’EPI, du développement du standard Request to Pay, etc.” Aude Fredouelle carte bancairepaiement en lignepaiement en magasinpaiement entre particulierspartenariat Besoin d’informations complémentaires ? 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