Accueil > Services bancaires > Jérôme Albus (Tink) : “Les banques travaillent à des projets de PFM 2.0” Jérôme Albus (Tink) : “Les banques travaillent à des projets de PFM 2.0” Jérôme Albus, directeur France et Bénélux de Tink depuis mai 2019, fait le point sur le déploiement de la plateforme d’open banking suédoise dans l’Hexagone : couverture des banques, initiation de virements, choix technologiques, concurrence des acteurs français et de Plaid… Il dresse également un bilan de la mise en place par les banques des exigences de la DSP2. Par Aude Fredouelle. Publié le 11 mai 2020 à 16h25 - Mis à jour le 28 janvier 2025 à 15h54 Ressources Où en est le développement de Tink en France ? Nous avons ouvert le bureau à Paris en mai 2019 et consacré les premiers mois à nous faire connaître, notamment en participant des évènements du secteur. En parallèle, il a fallu réaliser les développements permettant de déployer la plateforme d’open banking sur la France. En priorité, sur le périmètre couvert par la DSP2 des comptes de paiement, puis dans un second temps au-delà. La plateforme a été accessible fin janvier 2020 avec une dizaine de banques principales connectées en DSP2, pour l’agrégation (pas encore pour l’initiation de virements), qui couvrent au moins 90% des comptes principaux. Cela nous a permis d’accélérer les démarches commerciales et de signer un premier client, qui sera en production d’ici quelques semaines. Nous sommes aussi en discussions très avancées avec plusieurs acteurs. Nous allons désormais accélérer les développements pour élargir la couverture des banques en France sur l’agrégation des comptes de paiement dans le cadre de la DSP2 – en commençant par les néobanques. Puis, nous lancerons prochainement la couverture hors de la DSP2, toujours avec une technologie toujours en API. Nous ne faisons pas de scraping, mais du reverse engineering. L’objectif à terme est de couvrir 90 à 95% du marché, mais sur un périmètre plus large que celui des comptes de paiement, pour inclure les prêts, investissements, cartes de crédit… La signature de notre premier client va accélérer les choses. Quel est l’avantage du reverse engineering ? Le scraping consiste à se connecter à des pages web et à récupérer l’information. L’avantage, c’est que c’est facile à mettre en place. Mais c’est aussi très instable ; dès que la banque modifie un champ dans une page web, le scraping tombe et il faut le rétablir. Par ailleurs, le scraping supporte mal la double authentification et le rafraîchissement des informations prend du temps. Avec le reverse engineering, on se connecte via APIs sur les applications mobiles. La double authentification est supportée et la connexion est stable. Il nous faut simplement le consentement de l’utilisateur, qui se connecte directement. Le reverse engineering demande plus de technicité pour la mise en place, mais c’est plus stable et plus rapide. L’information n’est téléchargée qu’une seule fois puis on ne récupère que la donnée marginale, donc les temps de réponse sont meilleurs et l’expérience client est améliorée [par contre, avec cette méthode, Tink n’accède qu’aux informations disponibles sur les applications mobiles, parfois plus limitées que sur les sites, notamment concernant les produits plus complexes comme les contrats d’assurance-vie, les crédits ou les comptes-titres, ndlr]. Quand proposerez-vous l’initiation de virements ? Ce n’est pas encore en production en France, car de manière générale, les banques ne sont pas toutes matures sur le sujet. Notre positionnement européen nous permet cependant d’être plus avancés sur le sujet, par exemple en Angleterre, en Suède ou au Portugal. Nous réalisons en ce moment de gros investissements sur la France pour la lancer d’ici peu de temps sur les principales banques. Au total, que représente le volume d’initiations de virements pour Tink ? Les volumes sont plus faibles que pour l’accès aux comptes, car les premiers cas d’usage ayant émergé concernaient plutôt l’agrégation, le scoring… Mais c’est en train de s’accélérer. Tink vient par exemple de signer avec l’entreprise suédoise Kivra, spécialiste de la gestion de la facture qui compte plus de 3,5 millions de clients, et utilisera Tink pour faire de l’initiation de paiement de factures. Quels sont les cas d’usage principaux de votre plateforme ? Chez les grandes banques, le cas d’usage principal est l’agrégation de comptes et le PFM [gestion des finances personnelles, ndlr]. Mais on observe aussi de plus en plus, à la fois chez les banques et chez les fintech, l’utilisation de l’accès aux comptes bancaires pour faciliter des parcours digitaux de pré-emprunt et de prêt instantané : identifier le demandeur et ses données bancaires (pour le KYC) et éventuellement analyser ses transactions financières pour réaliser un scoring instantané. Sont aussi en train d’émerger des programmes de fidélisation sur la base de l’analyse des transactions. Enfin, nous travaillons avec des sociétés en Suède sur l’utilisation de l’accès aux comptes pour réaliser un calcul de l’empreinte carbone à partir de l’analyse des dépenses d’une société. L’application Svalna, par exemple, nous utilise en ce sens. Concernant le PFM, où en sont les projets des banques ? On a l’impression qu’elles ont du mal à aller au-delà de la catégorisation des dépenses… Aujourd’hui, les banques cherchent le retour sur investissement sur l’open banking et beaucoup de projets sont donc en cours autour des PFM. Jusqu’ici, la catégorisation était assez moyenne. Mais nous sommes en train de franchir le pas d’une “V2” du PFM, pour parvenir à un coach financier, car la catégorisation, qui est la fondation permettant de bâtir tout le reste, s’améliore. Notre technologie a une double vocation. La première est liée à la connectivité, pour l’accès aux comptes et l’initiation de paiement – ce qu’on l’on appelle les “rails”. La seconde brique, toute aussi importante voire en plus forte croissance, est baptisée “brains” et consiste à exploiter la donnée : l’enrichir, la nettoyer, la normaliser, éventuellement l’agrémenter d’images ou de logos puis la catégoriser. La catégorisation est l’un des plus grands défis et une bonne catégorisation permet d’avancer vers de réelles solutions de PFM. Elle est souvent mal faite, avec des erreurs et sans apprentissage automatique. Chez Tink, nous travaillons beaucoup sur ce point avec des techniques d’IA et de machine learning, à la fois au niveau de chaque pays et au niveau individuel. Grâce aux premiers clients signés en France et aux données auxquelles ils nous donnent accès, nous travaillons sur la catégorisation. En moyenne, dans les pays que nous couvrons, nous parvenons à catégoriser 90 à 97% des transactions. Cela a une double utilité : pour l’expérience du client final dans un contexte de PFM, mais aussi pour nos partenaires qui cherchent à mieux comprendre les habitudes de dépenses de leurs propres clients. Les banques cherchent le retour sur investissement sur l’open banking Jérôme Albus Directeur France et Bénélux de Tink Et plus de la catégorisation des dépenses, nous identifions leur nature : dépense récurrente ou ponctuelle, salaire… C’est primordial pour le scoring, mais aussi pour les PFM, car cela permet de prévoir comment le mois va se terminer et pour proposer des outils de gestion de budget. Enfin, et c’est là où Tink se différencie d’autres acteurs qui se positionnent avant tout sur la catégorisation, nous allons au-delà en proposant de mettre en place un coach financier avec des notifications actionnables (qui permettent d’initier un transfert pour éviter un découvert, par exemple ; ou de souscrire une carte Gold avant de partir en voyage…). Le produit est prêt et en cours de déploiement à l’étranger. Proposez-vous l’interface front du PFM ou uniquement les outils d’analyse de données ? Jusqu’à récemment, nous ne proposions que la partie analytique accessible par APIs, à intégrer dans les backs de nos clients. Mais nous avons reçu plusieurs demandes de clients ayant besoin de perturber au minimum leur IT et voulant parvenir à des time-to-market réduits, qui nous demandaient des SDKs intégrant à la fois les outils d’analyse mais aussi du front-end à intégrer directement dans leur application mobile avec quelques lignes de code. Nous le proposons donc depuis quelques mois. Certains clients utilisent donc toutes nos fonctionnalités pour lancer une solution de PFM complètement intégrée et déployée en un temps record. C’est le cas de Caixa Geral de Depositos, qui a lancé un application baptisée Dabox, 100% basée sur Tink, mais aussi de Grip, lancée par ABN Amro en Hollande. Certains clients veulent la solution “out of the box”, mais la plupart veulent juste intégrer des briques back-end pour alimenter leur solution. Vous avez lancé en 2018 une solution en self-service. Quels volumes représente-elle aujourd’hui par rapport à la marque blanche ? Le self-service a une couverture plus limitée puisque cela ne porte que sur l’accès aux comptes bancaires, avec une facturation selon le nombre de connexions. Lorsque le client va au-delà de cette utilisation, il y a souvent besoin d’un support personnalisé, d’intégrations… Pour les sujets de PFM, par exemple, qui sont en train de prendre une place très importante au niveau de notre offre et de la demande client en général, il s’agit de plus gros projets. Souvent d’ailleurs, les clients commencent par utiliser l’accès aux comptes (c’est par exemple ce que fait PayPal), puis ils glissent vers des projets de PFM – notamment pour les banques et néobanques. Dans ce cas, il faut développer des parcours clients avec du cross-sell et de l’upsell. Proposez-vous des offres packagées avec des partenaires, par exemple pour allier agrégation et scoring pour du crédit, agrégation et programmes de fidélité… ? Non, nous ne proposons pas d’offres packagées car il y a beaucoup d’acteurs sur le marché et nous ne voulons pas en choisir un en particulier. Le marché français compte déjà plusieurs acteurs dont la couverture des connecteurs est très développée et meilleure que la vôtre. Comment comptez-vous vous différencier ? La partie connectivité est en effet relativement bien couverte avec le scraping sur le marché français mais quand on parle d’APIs DSP2, c’est moins le cas. Vu que nous sommes connectés aux APIs des banques et en ayant accès aux volumes totaux, on se rend compte que malgré la couverture technique et historique des agrégateurs français, l’utilisation de leurs connecteurs DSP2 est infime et même parfois inférieure à la nôtre. On ne se sent donc pas en repli par rapport à eux sur cette partie. Sur la partie non DSP2, nous avons effectivement une couverture plus limitée mais nous sommes en train de la développer. Quant à la connexion aux petites banques locales et régionales, elle n’intéresse pas forcément tout le monde et ce n’est pas cette question qui penche dans la balance. Ce qui est avant tout réclamé par les clients, c’est la capacité d’exploitation de la donnée. Combien de clients espérez-vous signer cette année en France ? Nous ne communiquons pas d’objectif en nombre de clients, car tout dépend de la taille des acteurs signés. Quel bilan tirez-vous de la mise en place de l’accès aux comptes par les banques françaises dans le cadre de la DSP2 ? Les banques françaises ont évolué dans le bon sens : celles qui n’étaient pas du tout prêtes commencent à l’être sur l’agrégation… mais un peu moins sur l’initiation de virements. Par contre, le parcours client n’a pas beaucoup évolué : le redirect reste la norme et quand on compare avec ce que l’on peut faire en reverse engineering, c’est moins fluide. Mais est-ce que c’est bloquant du point de vue de l’utilisateur ? Je ne le pense pas. La redirection vers une page externe est une habitude que l’on a tous prise sur d’autres cas d’usage. On pourrait faire mieux en restant dans l’application, mais globalement, ça ne bloque pas les projets. Quant à l’authentification forte tous les 90 jours, c’est la norme du marché pour les APIs DSP2… Par contre, en reverse engineering, une seule authentification suffira. L’obligation de réauthentifier ses comptes bancaires tous les 90 jours sur son PFM ne va-t-elle pas tuer l’usage ? L’avenir nous le dira mais là on ne parle que d’un cas d’usage particulier – celui de l’agrégation. Pour de nombreux cas d’usage, l’accès au compte est ponctuel et cela ne pose donc pas de problème. Dans le cas de l’agrégation et des PFM, la question principale sera celle de l’expérience client. Est-ce que l’on apporte un bénéfice suffisant au client pour qu’il se reconnecte tous les trois mois ? Sachant que la plupart des clients ont un, deux voire trois comptes tout au plus. Bien sûr, l’expérience client serait meilleure sans cette réauthentification, mais je ne suis pas sûr que cela soit vraiment bloquant à partir du moment ou l’utilisateur y trouve vraiment son compte. Aujourd’hui, le pourcentage des clients des banques qui agrègent d’autres comptes bancaires est faible, et ce sont les projets autour du PFM et du coach financier qui permettront d’améliorer l’expérience, de pousser le client à agréger puis de monter des programmes pour monétiser la solution. D’ailleurs, certaines banques n’utilisent Tink que pour le PFM sur leurs propres données, et pas pour l’agrégation. C’est le cas d’une grande banque britannique, qui souhaite ainsi mieux comprendre les transactions de ses clients. Combien de clients Tink revendique au total ? Quand visez-vous la rentabilité ? Nous avons levé plus de 170 millions d’euros pour devenir le leader européen de l’open banking, ce qui représente de gros investissements. Nous avons multiplié par quatre notre nombre de clients l’année dernière et nous comptons parmi eux BNP Paribas Fortis, ABN Amro, PayPal, Klarna,… Il y a quelques mois, nous étions encore très orientés vers les banques et néobanques, mais nous commençons à avoir de nombreuses discussions et cas d’usage avec le retail, le monde de l’assurance et les “utilities” (comme les télécoms). Tous les secteurs liés à une activité BtoC de masse avec des paiements récurrents réfléchissent à utiliser l’accès aux comptes bancaires pour divers cas d’usage : onboarding client, mise en place de prélèvements automatisés en se connectant au compte plutôt que d’avoir à partager un RIB, scoring (pour un achat de téléphone par exemple), logiques de conformité et d’authentification… C’est aussi un sujet pour les acteurs du paiement qui doivent faire de l’onboarding client : plutôt que de demander un numéro d’IBAN pour les prélèvements, se connecter à un compte principal permet de faciliter les parcours et garder un accès permanent à la donnée, de mettre en place des programmes de fidélité, de voir les habitudes de dépense, de réduire les taux de fraude… Nous sommes en train de passer de l’open banking à l’open financing. Combien de pays couvre Tink ? Nous couvrons 14 pays en termes de connectivité, et nous avons ouvert 12 bureaux européens. Nous ouvrirons un bureau en Allemagne en 2020. L’acquisition récente d’Eurobits, très présente en Espagne et Amérique du sud, va accélérer notre déploiement à 17 pays. Nous allons réaliser une intégration de plateformes et l’équipe d’Eurobits nous rejoint. Prévoyez-vous d’autres acquisitions pour accélérer votre croissance ? Réaliser des acquisitions n’est pas une fin en soi. Avec Eurobits, cela nous permettait de gagner un positionnement stratégique et un leadership sur l’Espagne et l’Amérique du sud et nous étions complètement alignés en termes de technologie, donc cela faisait sens. Mais nous ne sommes pas dans une course à l’acquisition car nous sommes déjà bien positionnés en Europe et qu’il y a déjà eu beaucoup de concentration, par exemple en France. Comment voyez-vous l’arrivée de Plaid, rachetée en janvier par Visa pour 5,3 milliards de dollars, en Europe ? La pénétration du marché européen, très fractionné, n’est pas du tout le même que le marché américain, qui est relativement uniforme. Jusque-là, nous n’avons pas beaucoup croisé Plaid sur le marché européen malgré leur présence depuis quelques mois. Et le rachat par Visa pourrait aussi bien décupler leurs forces que les pousser à recentrer leur activité sur leur marché le plus mature, les Etats-Unis. En tout cas, il leur faudra le temps de digérer l’acquisition. C’est en tout cas très intéressant de voir que Visa rachète à ce prix une solution d‘open banking ; cela illustre que ce type de plateforme peut apporter beaucoup à des groupes comme Visa… Combien de collaborateurs travaillent chez Tink ? Tink compte 280 collaborateurs au total (contre 130 en mai 2019), sans compter les 60 salariés d’Eurobits qui vont être intégrés à la société. Deux tiers des effectifs sont consacrés au développement technique et au produit. Les développements sont réalisés au niveau du siège mais on régionalise de plus en plus les activités sur les pays stratégiques, dont la France fait partie. Le bureau français compte d’ailleurs cinq personnes qui travaillent sur des aspects commerciaux et de marketing mais aussi avec des profils techniques pour l’accompagnement client et la gestion de projet. Nous avons en parallèle recruté plusieurs Français basés à Stockholm pour faire le lien et gérer la relation avec les équipes produits, marketing, techniques… Tink Création : 2012 Siège : Stockholm Activité : fournisseur de services d’agrégation, initiation de virements, PFM Pays couverts : 14 pays d’Europe, bientôt 17 avec des pays en Amérique latine Clients : BNP Paribas Fortis, ABN Amro, PayPal, Klarna,… Effectifs : 280 salariés + 60 salariés d’Eurobits Fonds levés : 170 millions d’euros Investisseurs : ABN Amro Ventures, PayPal Ventures, Poste Italiane, Opera Tech Ventures (BNP Paribas), HMI Capital, Dawn Capital… Jérôme Albus 2019 – : directeur France et Bénélux chez Tink 2016 – 2018 : SVP solutions SaaS de risque et trésorerie chez FIS 2008 – 2015 : VP ventes Europe et Moyen-Orient puis SVP solutions de paiement et de messagerie chez SunGard Financial Systems 2000 – 2007 : consultant senior puis manager des ventes chez SunGard 1998 – 2000 : consultant système financier chez KPMG Formation 1996 : master 2 management de la technologie et de l’innovation à l’Université Paris Dauphine 1995 : master 1 contrôle financier et audit à l’Université Paris Dauphine Aude Fredouelle acquisitionagrégateurcrédit en ligneDSP2open bankingpartenariatPFMrégulation Besoin d’informations complémentaires ? 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