Accueil > Services bancaires > Souleïma Baddi : “komgo va pouvoir s’ouvrir à de nouveaux actionnaires en septembre” Souleïma Baddi : “komgo va pouvoir s’ouvrir à de nouveaux actionnaires en septembre” La société komgo, fondée en 2018 par 15 actionnaires dont Société Générale, Natixis et BNP Paribas mais aussi Mercuria et Shell, a lancé une plateforme blockchain dédiée au trade finance, pour le négoce de matières premières. Concurrente de projets de R3, elle est entrée très rapidement en production. Sa CEO Souleïma Baddi, issue de Société Générale, révèle à mind Fintech les projets de développement de l'entreprise et l’imminence d’un nouveau tour de table. Par Aude Fredouelle. Publié le 09 juillet 2019 à 11h04 - Mis à jour le 28 janvier 2025 à 15h57 Ressources Comment fonctionne la plateforme de trade finance pour le négoce des matières premières komgo, qui a été mise en production fin 2018 ? Tout part d’un contrat achat/vente. Pour que le contrat se matérialise, il y a énormément de tâches à exécuter : transporter la marchandise, la faire financer, certifier sa qualité… De nombreux intermédiaires interviennent sur la base de documents papiers transmis par des transporteurs comme DHL ou bien parfois par e-mail. Ils doivent s’appeler pour être sûrs que les documents ont été reçus, réconcilier les données sur des systèmes différents, etc. Il y a donc un risque important lié à la donnée : la saisie, le contrôle, la réimpression et le rapprochement permanents favorisent les erreurs. Avec komgo, chaque utilisateur peut réutiliser la donnée sans avoir besoin de la saisir à nouveau, par exemple pour demander l’ouverture d’une lettre de crédit. Le réseau est connecté aux systèmes des entreprises et les données sont envoyées directement sur la plateforme. L’utilisation de la blockchain permet un fonctionnement totalement décentralisé : il n’y a pas de base de données dans la société komgo et nous ne voyons pas les données des clients. Et dans une industrie où la maîtrise des données est clé, les acteurs ne veulent pas communiquer leurs informations à une tierce partie. Sans recours à la blockchain, il faudrait, pour toute transaction impliquant plusieurs participants, que tout le monde mette à jour sa base de données en même temps. Ça n’arrive jamais. L’utilisation de la blockchain permet un fonctionnement totalement décentralisé Souleïma Baddi CEO, komgo Avec le protocole IBFT [Istanbul Byzantine Fault Tolerant, ndlr], nous faisons en sorte que tous les participants valident les blocs. Tout le monde a donc la même connaissance de la transaction. Nous avons un réseau de validateurs qui ne voient pas les transactions mais les valident : ce sont les banques de premier plan qui jouent le rôle de tierce partie de confiance. Et nous n’inscrivons sur la blockchain que la preuve de la transaction. Pourquoi créer une plateforme blockchain visant spécifiquement le négoce de matières premières ? Les opérations de matières premières représentent 25% du commerce en général. C’est un marché considérable que personne n’a réussi jusqu’ici à digitaliser malgré les nombreuses initiatives en la matière. Avec une équipe de Société Générale issue du secteur des matières premières [Souleïma Baddi était “managing director, deputy head of trade and commodity finance chez SGCIB depuis 2009, ndlr], nous avons réalisé les premiers tests avec la technologie blockchain il y a un peu plus de deux ans. Société Générale m’a ensuite demandé de passer à la mise en production. Réaliser un pilote, c’est très simple et beaucoup l’ont fait. Passer en production et pousser l’industrie à utiliser un standard, c’est extrêmement difficile. Pour se donner toutes les chances d’atteindre cette adoption, nous avons décidé de nous concentrer sur des problèmes que nous connaissons bien, du moins au début. Nous voulons couvrir les besoins sur ce segment et si on réussit à y apporter de la valeur, ce sera déjà très satisfaisant. Concrètement, quels services proposez-vous ? Nous travaillons en mode agile. Par exemple, nous prévoyons cinq mises en production majeures cette année. Nous avons d’abord lancé un outil KYC et la lettre de crédit (LC) et nous venons d’ajouter la garantie Stand By Letter of Credit (SLOC), un mécanisme plus léger que la lettre de crédit mais très utilisé, ainsi que l’escompte de factures. Nous ajouterons bientôt le financement de stocks. Cinq mises en production majeures sont prévues en 2019 Souleïma Baddi CEO, komgo La version 1.0, qui sortira d’ici fin de l’année, comprendra tous ces services, ainsi que la certification de documents pour lutter contre le risque de fraude. Il s’agit d’une offre de base assez large dont les entreprises ont besoin pour financer leurs opérations. Nous verrons par la suite si certains produits sont peu utilisés. Au départ, on ne sait pas vraiment ce qui va apporter de la valeur et de la traction. En fonction de ce qui sera plébiscité, nous réaffecterons peut-être nos ressources sur un, deux ou trois produits et nous retirerons les autres. Où en êtes-vous dans le déploiement? Pour l’instant, douze de nos quinze actionnaires ont été intégrés à la plateforme. Nous l’ouvrirons à des utilisateurs non-actionnaires en juillet 2019. Nous comptons plus de 100 entreprises sur liste d’attente et nous avons déjà commencé à les former. Avec seulement 13 collaborateurs, nous allons devoir prioriser. Nous retiendrons d’abord des banques ou des corporates qui apportent de la valeur à nos utilisateurs actuels (les contreparties de nos corporates, des sociétés de trading ou des majors pétrolières). Nous avons commencé dans l’énergie donc nous enrôlerons probablement d’abord des corporates dans ce domaine, mais il faudra élargir aux métaux et aux matières premières agricoles. Quels volumes de transaction gérez-vous actuellement ? Environ une dizaine de transactions par semaine. Quelles sont vos ambitions géographiques ? Nous allons nous focaliser sur les besoins de nos utilisateurs. Par exemple, aujourd’hui, dans le négoce de matières premières, 50% des flux vont vers la Chine. Aujourd’hui, nous n’avons pas encore de banque chinoise sur le réseau mais nous devrons en inclure pour servir les besoins de nos clients. C’est dans notre feuille de route pour 2020. Quels types de clients visez-vous ? Nous commençons par cibler de grandes entreprises pour générer de la traction. Nous devons néanmoins pouvoir embarquer n’importe quel type d’acteur sur la plateforme ; c’est une caractéristique importante de notre architecture. Quels sont vos KPIs (indicateurs clés de performance) ? Ça dépend de chaque utilisateur et c’est dur à évaluer. Sur la lettre de crédit, par exemple, les transactions sont beaucoup plus rapides, mais nous n’avons pas encore de chiffres précis à ce sujet. Quelle est la gouvernance de komgo ? Les quinze actionnaires détiennent la même part au capital et les mêmes droits, mais ils n’ont pas tous une place au conseil d’administration (un CA à 15 n’aurait pas fonctionné). Nous avons 9 membres au conseil d’administration : les 5 fondateurs (Société Générale, ING, ABN Amro, Mercuria et Shell) et 4 administrateurs élus parmi les autres actionnaires. Dans 18 mois, nous renouvellerons le conseil et cette fois, les fondateurs ne seront pas obligatoirement représentés. Quel est votre business model ? Pour l’instant, on ne facture que le coût de connexion au réseau (ce que l’on appelle “la kapsule”) puis nous mettrons en place à partir de 2020 un modèle de souscription aux produits utilisés. Au début, ça ne dépendra pas des volumes, nous verrons par la suite. Comment êtes-vous financés ? Nous avons levé 15 millions de francs suisses [soit 13,5 millions d’euros, ndlr] en 2018 pour financer notre activité pendant 18 mois. Les fonds ont été investis dans la plateforme, qui coûte cher à bâtir – c’est d’ailleurs une énorme barrière à l’entrée. Nous sommes de nouveau en levée de fonds, pour un closing en septembre 2019. Nous allons lever aux alentours de 20 à 25 millions de francs suisses auprès de nos actionnaires actuels mais aussi peut-être de quelques nouveaux investisseurs. Quels sont vos objectifs de développement ? Notre première ambition, c’est l’adoption. Mais nous aimerions passer le point mort dans trois ou quatre ans. Comment gérez-vous le développement technique ? Nous avons lancé un appel d’offres, qui a été remporté par ConsenSys. Nous sommes 13 (bientôt 14) chez komgo mais la plateforme est développée par cinq équipes de 8 à 10 personnes chez ConsenSys, qui se consacrent au projet. Nous prévoyons cependant d’internaliser les équipes car komgo est un éditeur de logiciel. Nous sommes en discussions pour savoir quand et comment le faire. Aujourd’hui, outre mon poste de CEO, nous avons un responsable architecture, un responsable production qui gère avec une équipe ConsenSys l’intégration des utilisateurs au système et enfin des responsables produits, qui supervisent aussi les équipes dédiées chez ConsenSys. Pourquoi avoir choisi d’utiliser le protocole Quorum? Début 2017, nous avons étudié les solutions Hyperledger Fabric, Corda et Ethereum. La troisième nous paraissait la meilleure option pour répondre aux besoins de l’industrie et s’approprier la technologie le mieux possible. Nous voulions une technologie open source et celle-ci rassemble la plus grande communauté de développeurs au monde. Nous avons donc choisi une blockchain Ethereum, Quorum. En termes d’innovation, nous disposons donc toujours des ressources dont nous avons besoin pour résoudre des problèmes techniques, et notre infrastructure répond aux critères de sécurité de nos investisseurs. Ce qui est clé pour nous, c’est la sécurité, le respect de la confidentialité des données et l’interopérabilité. Utiliser Quorum a notamment permis une interopérabilité avec un autre acteur, le londonien VAKT, ce que nous sommes les seuls à faire dans le monde ! Nous sommes prêts à nous connecter à toute autre plateforme par la suite si cela apporte de la valeur à nos utilisateurs. En quoi vous différenciez-vous de VAKT ? Je connais bien VAKT puisque j’ai co-fondé le projet et j’ai siégé au conseil d‘administration, Société Générale étant l’un des actionnaires. VAKT a été poussé par Mercuria pour digitaliser le marché de l’énergie mais n’inclut pas les produits de financement : la plateforme permet à l’acheteur et au vendeur de donner leurs instructions et de se mettre d’accord sur le contrat. Ensuite, s’ils veulent un financement, ils peuvent basculer sur komgo. En fait, VAKT est une source unique de données digitales : quand le contrat arrive sur komgo, toute la partie liée à l’instruction est déjà finalisée. Qui sont vos concurrents ? Marco Polo, le projet de R3, a l’air plus focalisé sur l’escompte de factures. Cela sera potentiellement un concurrent mais il n’est pas encore en production. De notre côté nous sommes allés très vite, avec une création de société en août 2018 et une mise en production en décembre de la même année. Voltron, autre projet de R3, pourra aussi être un concurrent mais il est plus dans une logique de pilotes. We.trade, dans lequel Société Générale a aussi investi, affiche un positionnement différent du notre, notamment en termes de produits [la plateforme vise avant tout les PME et ne propose pas de lettres de crédit, ndlr]. Comment gérez-vous le fait que les règles de la Chambre de commerce international ne reconnaissent pas la valeur légale de la copie numérique d’un document ? Certains documents comme le Bill of Lading [BOL, bon de chargement matérialisant un contrat de transport maritime, ndlr] n’ont en effet de valeur qu’en format papier et c’est un problème très complexe pour l’industrie. Beaucoup d’acteurs travaillent sur le sujet et font du lobbying pour faire évoluer la réglementation, mais cela prendra du temps. Pour nous, cela pose problème quand l’un de nos clients doit négocier une lettre de crédit où il y a besoin d’un BOL papier. Dans ce cas, cela ne sera pas possible de passer par komgo. Pour la Chine par exemple, ce document est nécessaire. Dans le secteur de l’énergie, des mécanismes permettent de s’en passer, mais c’est plus compliqué pour les métaux et les matières premières agricoles. L’industrie est mobilisée pour faire évoluer les pratiques et nous apportons une solution technique qui va permettre d’aider ce mouvement, notamment en termes de pédagogie. Comment abordez-vous l’absence de contrats standards dans l’industrie ? Nous ne proposons pas de contrats standards et nous suivons une logique de “templating”. Chaque contrepartie peut créer sa bibliothèque de “templates” et les réutiliser. La standardisation va prendre du temps dans cette industrie… Nous proposerons aussi des templates komgo et nous nous adapterons à la demande des utilisateurs. Si nous réussissons déjà à faire utiliser un système commun, ce sera une révolution. Souleïma Baddi Depuis 2018 : CEO chez komgo 2017 – 2018 : membre du conseil d’administration de VAKT 2009-2017 : directrice générale trade et commodity finance, SGCIB Genève 2000 – 2009 : inspectrice chez Société Générale Formation 2000 : diplômée de l’ENSAE Paris Komgo Plateforme blockchain de trade finance pour le négoce des matières premières Siège : Genève Création : mi-2018 Actionnaires : ABN Amro, BNP Paribas, Citi, Crédit Agricole, ING, Macquarie, MUFG, Natixis, Rabobank, Société Générale, Gunvor, Koch, Mercuria, Shell, SGS Fonds levés : 15 millions de francs suisses Mise en production : Fin 2018 Aude Fredouelle blockchainconsortiumDLTKYCtrade finance Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind À lire Marco Polo réalise une transaction entre l'Europe et l'Asie Mouvement gratuit Trade finance : we.trade perd son COO et nomme un directeur général Trade finance : comment se positionnent les consortiums we.trade et Marco Polo ? 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