Accueil > Parcours de soins > Les enjeux de la génération de données en anatomopathologie Les enjeux de la génération de données en anatomopathologie Par les lames qu’ils préparent et les comptes-rendus qu’ils renseignent, les médecins anapath génèrent des données variées qui participent au parcours de soins, notamment en oncologie. Comment améliorer le partage de ces données et contribuer à une meilleure prise en charge du patient, mais aussi à la recherche ? Retour d’expérience avec Medipath, première structure libérale de médecins anapath indépendants en France. Par Sandrine Cochard. Publié le 28 mars 2022 à 8h42 - Mis à jour le 28 mars 2022 à 10h33 Ressources Avec plus de 110 médecins et 580 collaborateurs répartis sur 29 sites, Medipath est un acteur majeur de l’anapath en France. Depuis quelques années, le laboratoire a entamé sa transformation numérique, se dotant notamment d’un logiciel d’aide au diagnostic utilisé en routine dans les cas de cancers de la prostate. Surtout, Medipath mène une réflexion sur le rôle des données d’anapath dans le parcours patient et les moyens de les valoriser. Une réflexion partagée au cours d’un webinaire organisé le 17 mars 2022. L’anapath, un rôle-clé dans le parcours de soins Le médecin pathologiste est un médecin spécialiste qui observe les prélèvements cellulaires ou tissulaires (frottis, biopsie…) au microscope pour poser un diagnostic. Pour cela, il réalise plusieurs étapes techniques aboutissant à la création d’une lame colorée. “Notre travail ne s’arrête pas à la reconnaissance de cellules cancéreuses. Lorsque l’on voit un cancer, on doit le typer, le décrire. Et pour savoir de quel genre de cancer il s’agit, on utilise souvent des techniques complémentaires (immunohistochimie et études moléculaires)”, a rappelé le Dr Pomone Richard, médecin anapath au sein de Medipath, en préambule du webinaire. Ainsi, 95 % des diagnostics de cancers sont posés par des médecins anapath, ce qui en fait une spécialité-clé en oncologie. En plus de ce travail de diagnostic, les médecins anapath fournissent des informations sur le pronostic d’un cancer et les médicaments pertinents pour le traiter. Pour accompagner ses médecins dans leur diagnostic -de plus en plus complexe et précis- Medipath est en train d’équiper ses 14 plateaux techniques afin de numériser ses lames. “Ces images numérisées nous permettent de faire de la télé-expertise et des télé-extemporanées, mais aussi de pouvoir utiliser des logiciels d’intelligence artificielle en routine, a expliqué le Dr Richard. Nous utilisons un logiciel d’aide au diagnostic pour le cancer de la prostate. Je crois que nous sommes les premiers en France et en Europe à avoir ce logiciel en routine.” Aujourd’hui se pose la question du partage et de la valorisation des données d’anapath. Jean-François Pomerol (TRIBVN Healthcare) : “Nous voulons être l’Outlook du pathologiste” Les données en anapath Les médecins anapath gèrent et génèrent un volume important de données, à différents moments de leur pratique. Le bon d’examen Le bon d’examen accompagne le prélèvement lorsqu’il arrive au laboratoire. Il contient des données sur l’identité du patient et ses renseignements cliniques, remplis par les cliniciens. Les lames La coloration des lames est déjà une mine d’informations en soi : type de cancer, expression ou non de certaines protéines, mise en évidence au niveau moléculaire de l’amplification d’un gène précis. “Dans le cas du cancer du sein, rechercher l’expression de la protéine HER2 permet de donner des indications aux oncologues sur la molécule capable de cibler cette protéine, donc de traiter le cancer de la patiente”, souligne le Dr Richard. Ces informations théranostiques vont guider les thérapies ciblées dirigées contre certaines anomalies des cellules cancéreuses. En outre, une image numérisée peut être soumise à différents algorithmes possibles pour extraire encore plus de données pertinentes. Les antécédents du patient Le laboratoire dispose également de données sur les antécédents anapath du patient, stockées dans son logiciel. “L’intérêt d’être un réseau de laboratoires est d’avoir accès à tous les antécédents d’un patient, qu’il ait été traité sur notre site ou un autre de notre réseau.” Les comptes-rendus Les données les plus nombreuses en anapath se nichent dans les comptes-rendus, qui doivent intégrer : la conclusion de typage du cancer (selon la terminologie internationale du Centre international de recherche sur le cancer de l’OMS), le degré d’agressivité d’une lésion selon la classification TNM, qui intègre des informations sur la taille de la tumeur (T), la colonisation ou non des ganglions (N) et la présence de métastases (M), et les items minimaux en cancérologie (selon des référentiels édités par les sociétés savantes et l’INca). “Ces items minimaux permettent de décrire la maladie, d’en donner le pronostic mais aussi des éléments moléculaires sur la génétique du cancer que l’on est en train de diagnostiquer”, précise le Dr Pomone Richard. Ils apparaissent dans tous les comptes-rendus d’anapath, quel que soit le pathologiste, qu’il soit français ou non. Standardisation, requêtabilité et interopérabilité Les choses se corsent lorsque le médecin anapath code la lésion dans le système de gestion du laboratoire, puisqu’en France, c’est le codage français ADICAP qui est utilisé. “Il code les lésions et les lésions cancéreuses notamment, et nous n’avons pas la possibilité dans nos systèmes de gestion d’utiliser des codages internationaux ou américains comme l’ICD-O, souligne le Dr Richard. C’est un vrai problème si on envisage la valorisation de nos données à l’international.” La profusion de données en anapath soulève ainsi deux questions : celle de leur standardisation… mais aussi celle de leur requêtabilité. “Aujourd’hui, avec nos logiciels, on ne peut requêter que le code ADICAP, c’est-à-dire que tous ces items minimaux et toute cette description qui sont dans le compte-rendu ne peuvent pas être “requêter” avec les logiciels actuels, pointe le Dr Richard. Néanmoins, certains laboratoires ont mis au point des programmes informatiques qui permettent de rédiger des comptes-rendus de manière structurée et requêtable dès le départ.” C’est le choix fait par Medipath : ses médecins réalisent leurs comptes-rendus de manière standardisée, avec un logiciel spécial, pour faciliter leur exploitation. Toutes ces données (diagnostic des cancers, pronostic, théranostique, données moléculaires sur la génétiques des cancers) représentent aujourd’hui un enjeu fondamental dans la prise en charge du patient. “Il est donc important de pouvoir partager ces données et les croiser avec celles des autres spécialités (radiologues, biologistes, cliniciens), avance le Dr Pomone Richard. Si on croise nos données avec celles des autres spécialités et si on s’en sert pour entraîner des algorithmes d’intelligence artificielle, on peut vraiment améliorer la recherche et la médecine prédictive, que ce soit par l’émergence de nouveaux biomarqueurs ou de logiciels d’aide au diagnostic.” Reste que l’interopérabilité entre ces différents acteurs et ces différentes données est, aujourd’hui, encore incomplète. Le laboratoire a en partie résolu la question en se dotant de sa propre plateforme de pathologie moléculaire et est donc en mesure de séquencer le génome des cellules tumorales. “Tout est fait en interne, c’est nous qui fournissons toutes les informations moléculaires sur le cancer donc il n’y a pas de portage de données à faire.” Numérisation du service d’anatomopathologie : comment l’hôpital Bicêtre a réussi sa transition pour travailler en full digital 3 freins au partage des données Pour pouvoir partager ces données et entraîner un algorithme, des prérequis demeurent : l’information et la non-opposition du patient, l’anonymisation et la pseudonymisation des données, la sécurité des systèmes informatiques. “Malheureusement aujourd’hui, il y a encore des freins pour que ces opportunités puissent se réaliser. Le premier concerne les niveaux de maturité différents des laboratoires d’anapath. Certains laboratoires vont faire leur compte-rendu de cancer dans des documents Word quand d’autres ont des comptes-rendus qui sont déjà structurés et requêtables”, pointe le Dr Richard. Deuxième frein : l’approche centralisatrice des données. “On peut penser que c’est nécessaire, mais je pense qu’aujourd’hui cette approche est un frein car finalement, les partenariats entre les laboratoires publics et privés sont très difficiles à mettre en place. Pourtant, plus de 65 % des diagnostics de cancer sont faits dans le libéral. De la même manière, les partenariats entre les laboratoires d’anapath privés ne sont pas si faciles car, au-delà des contraintes techniques, il y a des questions de gouvernance des données difficiles à résoudre.” Troisième frein : le financement. Aujourd’hui, informatiser un laboratoire d’anapath coûte cher. Développer des outils de cybersécurité aussi. “La numérisation des lames soulève la question du coût du stockage : une lame de verre, c’est 1G. Contrairement aux radiologues où la numérisation remplace une technique, en pathologie, la numérisation intervient en plus, cela n’épargne pas de faire la lame de verre. La numérisation est donc un coût supplémentaire pour les laboratoires d’anapath, souligne le Dr Richard. Aujourd’hui, il n’y a pas de financement par les instances de cette numérisation et de cette informatisation.” Quelle valorisation des données d’anapath ? Mesurant l’importance des données pronostiques, diagnostiques et théranostiques présentes dans ses comptes-rendus, Medipath cherche depuis quelques années à les valoriser. Le groupe a créé un programme informatique qui permet de réaliser des comptes-rendus standardisés, structurés et requêtables informatiquement. “Cela nous permet d’exploiter toutes les données de nos comptes-rendus”, se réjouit le Dr Richard. Medipath a également mis en place une biobanque qui a reçu l’agrément du ministère de la Recherche. “Cette biobanque nous permet de faire de la cession de tissus, de data et de l’annotation d’images numériques. Cette annotation est essentielle : si on veut avoir des algorithmes performants, il faut que les données d’entrée soient bonnes. L’expertise des anapath est donc cruciale pour que les images soient de qualité.” Pour croiser ses données entre elles et avec d’autres, Medipath développe actuellement un entrepôt de données de santé. “Nous avons fait un pilote avec un POC satisfaisant et nous testons aussi des partenaires d’autres spécialités médicales afin de pouvoir croiser les données et ainsi les valoriser, poursuit le Dr Pomone Richard. L’ambition de notre entrepôt de données de santé est de pouvoir reconstruire tout le parcours de soins du patient, avec les données des différentes spécialités.” Tenu de conserver les prélèvements reçus en laboratoire, Medipath dispose également d’un stock des génomes des patients. “Les données du séquençage sont stockées, poursuit le médecin. Elles ne sont pas réutilisées pour l’instant, mais c’est une des ambitions de notre entrepôt de données.” “Ces données du séquençage font partie des data exploitables. Elles nous sont clairement utiles et nous les communiquons, après anonymisation et respect de toutes les règles éthiques, à des chercheurs, notamment des chercheurs pharma pour le développement de nouvelles molécules”, complète Olivier Vire, président du groupe Medipath. Enfin Medipath signe des partenariats avec des industriels pharmaceutiques, des CROs et des sociétés de dispositifs in vitro par le biais de sa biobanque, mais également avec des start-up, pour développer des projets communs à partir des données fournies par le laboratoire. “Nous avons aussi des partenariats avec des sociétés d’IA ou informatiques pour développer des logiciels de traçabilité et, surtout, assurer une bonne interopérabilité car c’est vraiment la clé pour que toutes les spécialités médicales puissent ensemble valoriser ces données et faire avancer la recherche, qu’elle soit académique ou qu’elle soit privée.” Medipath +110 médecins et 580 collaborateurs, répartis sur 29 sites, essentiellement dans le Sud de la France 14 plateaux techniques accrédités 1,5 million de dossiers traités par an 140 000 diagnostics de cancer par an Sandrine Cochard anatomie pathogiquecancerDonnées de santéIntelligence ArtificielleInteropérabilitéParcours de soinsPatient Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind À lire Verily s’associe à Lumea pour améliorer la détection du cancer de la prostate Étude de cas Comment Clinityx a construit un entrepôt de données de santé avec la SFC et la Cnil SimforHealth crée une plateforme de simulation numérique dédiée aux maladies rares Entretien Jean-Marc Aubert (IQVIA) : “Si on n’investit pas dans la donnée, tout un pan de la santé ne se développera pas en France” Entretien Jean-François Pomerol (TRIBVN Healthcare) : "Nous voulons être l’Outlook du pathologiste"