Accueil > Industrie > R&D > Les organoïdes, une technologie phare pour la recherche et l’industrie pharmaceutique Les organoïdes, une technologie phare pour la recherche et l’industrie pharmaceutique Si la recherche s’intéresse aux organoïdes depuis une quinzaine d’années, la structuration de la filière reste beaucoup plus récente. Un Groupement de recherche (GDR) y est dédié depuis 2021, et depuis fin 2023, un Contrat Stratégique de Filière concrétise la volonté de l’État de la dynamiser. Mais de quoi s’agit-il ? Par . Publié le 16 avril 2024 à 22h52 - Mis à jour le 07 janvier 2025 à 15h46 Ressources Les points clés Les organoïdes offrent de nombreux cas d’usage : comprendre le fonctionnement et les dysfonctionnements d’un organe ; prédire l’efficacité et la toxicité des médicaments ; modéliser des maladies pour permettre aux chercheurs d’identifier des cibles thérapeutiques potentielles. Pour reproduire une fonction de l’organe et servir de modèle prédictif, l’organoïde doit être le plus complet possible. Ce mimétisme est encore loin d’être parfait. Pour le cerveau, par exemple, la vascularisation vient à peine d’être introduite. Fin novembre 2023, le nouveau Contrat Stratégique de Filière (CSF) Industries et Technologies de santé a concrétisé la volonté de l’État de dynamiser et structurer cette filière. Bertrand Pain, chercheur au sein du Stem Cell and Brain Research Institute à Lyon. Le 29 décembre 2022, la loi de modernisation de la Food and drugs administration 2.0 a amendé la loi fédérale américaine imposant l’expérimentation animale pour les nouveaux protocoles de développement de médicaments. Afin d’étudier la sécurité et l’efficacité d’un médicament, elle autorise désormais des alternatives à ces expérimentations. Parmi ces nouvelles possibilités, les organoïdes, ces cultures tridimensionnelles (3D) in vitro cultivées à partir de cellules souches, qui imitent les caractéristiques fonctionnelles observées dans les organes natifs, avec un degré de complexité pertinent. Les organoïdes peuvent être directement dérivés de cellules souches provenant de tissus (biopsies de patients, résections de tissus adultes ou de tissus embryonnaires). “Dans le cas du foie, nous pouvons par exemple obtenir des cellules progénitrices à partir de tissu tumoral après résection chirurgicale ou possiblement à partir de ponctions biopsiques hépatiques, explique Bruno Clément, directeur de recherche à l’Institut de Nutrition, Métabolismes et Cancer (NuMeCan) de l’Inserm. Aucune modification du geste chirurgical est nécessaire pour leur obtention.” Les organoïdes peuvent aussi être créés à partir de cellules souches pluripotentes induites (SPI) reprogrammées à partir de cellules adultes différenciées, notamment lorsque les biopsies sont très délicates à obtenir, par exemple dans le cas du cerveau ou pour profiter des nombreuses lignées de cellules SPI issues de patients porteurs de mutations génétiques. “La découverte des SPI a permis de lever des contraintes éthiques pour effectuer nos recherches”, pointe Bertrand Pain, chercheur au sein du Stem Cell and Brain Research Institute à Lyon. Les différentes fonctions des organoïdes Bruno Clément, directeur de recherche à l’Institut de Nutrition, Métabolismes et Cancer (NuMeCan) de l’Inserm À quoi servent les organoïdes ? Les enjeux autour de leurs usages sont variés. Dans le domaine de la bio-ingénierie, “l’objectif est de chercher à fabriquer un organoïde qui se rapproche le plus possible des caractéristiques fonctionnelles et architecturales de l’organe”, rapporte Bruno Clément. Dans le domaine de la recherche, “nous pouvons chercher à comprendre le fonctionnement et les dysfonctionnements des cellules du foie, les mécanismes impliqués dans la différenciation, la prolifération, la transformation des cellules, ou encore le rôle de l’environnement péri-cellulaire”, ajoute-t-il. Les questions sont multiples et infinies. À titre d’exemple, dans son laboratoire de recherche, “nous modélisons des pathologies hépatiques, comme la maladie dite ″du foie gras″ afin de comprendre les mécanismes impliqués dans sa survenue et son évolution possible vers la cirrhose et le cancer”, explique Bruno Clément. Troisième application : faire des organoïdes des outils prédictifs, notamment dans le domaine pharmaceutique, afin d’étudier leur métabolisme et de prédire l’efficacité et la toxicité des médicaments. Les perspectives pharmaceutiques D’un point de vue économique et industriel, l’existence des organoïdes ouvre le champ des possibles dans le domaine pharmaceutique. Pour preuve, le laboratoire Roche a fondé en 2023 l’Institut de Biologie Humaine (IBH) à Bâle (Suisse). Il entend y étudier les modèles d’organoïdes humains pour une application dans le développement industriel des médicaments. Le laboratoire explore leur utilisation dans différentes aires thérapeutiques telles que l’oncologie, la neurologie, l’immunologie ou l’ophtalmologie. “Pour la première fois, nous sommes capables d’étudier la biologie humaine dans des tubes à essai, se félicite Lauriane Cabon, PhD, responsable Technologies organoïdes appliquées, à l’IBH. C’est la véritable force de ce domaine de recherche car auparavant, nous devions recourir aux modèles animaux ou aux lignées cellulaires, c’est-à-dire à des cellules tumorales de personnes ayant été cultivées pendant de nombreuses années et qui ne reflètent souvent plus fidèlement la tumeur d’origine ou les conditions d’un tissu sain.” Les organoïdes s’inscrivent ainsi dans la démarche des 3R (replace, reduce, refine) visant à réduire et, à terme, à remplacer les tests médicamenteux sur les animaux. La modélisation des maladies Les organoïdes permettent par ailleurs la modélisation des maladies et donnent ainsi la possibilité aux chercheurs “d’étudier les mécanismes des pathologies et l’état des tissus malades, afin d’identifier des cibles thérapeutiques potentielles susceptibles d’être plus efficaces chez les humains”, fait savoir Lauriane Cabon. Les organoïdes peuvent ainsi être utilisés pour le criblage de médicaments et les tests de toxicité, aidant à identifier les candidats médicaments prometteurs et à éliminer ceux ayant des effets indésirables, plus tôt dans le processus de développement qu’avec les modèles traditionnels. Car aujourd’hui, les médicaments ne sont pas testés sur des personnes cibles. Et Lauriane Cabon d’ajouter : “Avec les organoïdes, le criblage et les tests pourraient également être effectués à grande échelle, rendant le processus plus rapide et plus efficace.” Au niveau cérébral par exemple, il est possible “de mimer des pathologies neurodégénératives ou génétiques, rapporte Bertrand Pain. Outre l’aspect fondamental visant à comprendre le développement de la pathologie, nous pouvons ensuite la challenger en ajoutant des molécules pour la contrôler, notamment l’activité électrique pour l’épilepsie ou pour ralentir l’altération dans le cas des pathologies neurodégénératives.” Jean-Dominique Guitton, chargé de missions stratégiques et scientifiques chez BioValley France “Aujourd’hui, 90 % des molécules ne sont pas retenues post-essai clinique en raison d’une toxicité non découverte chez l’animal ou par manque d’efficacité, rappelle Jean-Dominique Guitton, chargé de missions stratégiques et scientifiques chez BioValley France. Les systèmes microphysiologiques (organoïdes et organes sur puce) permettraient de valider des molécules très tôt dans le processus et d’identifier celles étant inefficaces. L’enjeu est d’autant plus important que la production d’un nouveau médicament coûte entre 1 et 2 milliards de dollars et prend entre 10 et 12 ans. Or, 75 % des investissements aboutissent à des échecs. Il faut parvenir à les diminuer en étant plus efficace en recherche, en amont.” Et de poursuivre : “Le Graal serait de parvenir à créer et maintenir dans le temps des organoïdes sur puce, qui permettraient un contrôle des flux en ajoutant des contraintes de pression et de circulation, en embarquant la microfluidique par exemple. Il s’agit d’une opportunité d’être encore plus proche de la réalité.” Pour le moment, la recherche reste encore en cours. Une utilisation en médecine personnalisée Fanny Jaulin, directrice de l’équipe Inserm “Invasion collective” à Gustave Roussy et co-fondatrice de la start up Orakl Autre enjeu identifié avec les organoïdes : leur usage dans le cadre de la médecine personnalisée, notamment en cancérologie. Il est aujourd’hui possible d’isoler des cellules souches progénitrices d’un patient qui va être opéré, de créer des organoïdes à partir de ses cellules et d’observer si les traitements envisagés sont appropriés. “Nous utilisons les organoïdes afin de savoir s’ils peuvent être l’un des bras armés de la médecine personnalisée, explique Fanny Jaulin, directrice de l’équipe Inserm “Invasion collective” à Gustave Roussy et co-fondatrice de la start up Orakl, qui vise à accélérer et améliorer les traitements en oncologie. Nous avons d’ailleurs effectué un essai clinique, Organotreat, en médecine personnalisée, qui portait sur le côlon et prochainement sur le pancréas, auprès de patients atteints d’un cancer mais réfractaires à tous les traitements, afin de voir s’il est possible de leur proposer une nouvelle ligne thérapeutique.” Les freins à surmonter Si l’objectif, à terme, est de proposer les organoïdes comme modèles prédictifs des médicaments, “une grande difficulté reste à surmonter à savoir que l’organoïde n’est pas encore un tissu complet, pointe Bertrand Pain. Pour le cerveau notamment, nous commençons seulement à introduire de la vascularisation.” L’enjeu repose aussi sur des efforts de standardisation de la production des organoïdes ; une étape clé car “un organoïde doit avant tout être défini par sa fonction, ajoute-t-il. S’il ne mime pas l’architecture et le tissu et ne reproduit pas une fonction de l’organe, il n’a aucun intérêt. Le défi maintenant est de rendre les organoïdes plus complexes, par exemple pour observer la façon dont les propres cellules immunitaires du patient luttent contre l’infection, poursuit Lauriane Cabon. Nous travaillons sur ce sujet, car dans ce type de système, de nombreux paramètres doivent être pris en compte : l’organoïde, les cellules immunitaires, les vaisseaux sanguins, les fibres nerveuses, le microbiome, le virus, etc. Il faut donc démontrer que ce que nous créons en laboratoire reflète réellement la biologie de l’organe et de la maladie que l’on souhaite étudier.” Le défi central pour l’IBH est donc de transformer les organoïdes existants en tests prédictifs, adaptables et validés pouvant être utilisés dans la recherche et le développement de médicaments. Vincent Flacher, directeur du Groupement de Recherche sur les Organoïdes (GDR 2102) Qu’en est-il des freins financiers ? Tout va dépendre du type d’organoïdes produits. “Certaines tumoroïdes (un organoïde dérivé d’une tumeur, ndlr) peuvent pousser en quelques jours, explique Vincent Flacher, directeur du Groupement de Recherche sur les Organoïdes (GDR 2102). En revanche, les organoïdes cérébraux aux structurations complexes, peuvent prendre plusieurs mois de culture, ce qui implique de l’investissement.” De même que dans le cas d’organoïdes non tumoraux, des molécules de protéines vont intervenir dans leur croissance. “Certaines entreprises cherchent à rationaliser leur coût en fournissant des kits de croissance”, précise-t-il. Le marché français Créée en 2021, le GDR organoïdes a pour objectif de connecter les différents acteurs à savoir les laboratoires de recherche, les laboratoires pharmaceutiques ou encore les industriels, intéressés par les organoïdes. “Nous réunissons autour de cette thématique toutes les équipes françaises, peu importe leur filiation, fait savoir Vincent Flacher. En parallèle, nous avons créé un club des partenaires, pour la dimension industrielle.” Aujourd’hui, ils sont 400 membres et une vingtaine de partenaires industriels à faire partie du GDR. Il assure notamment la connexion entre les plateformes productrices d’organoïdes et les biobanques, qui permettent la mise à disposition des organoïdes à des chercheurs académiques ou pharmaceutiques. “Avec Orakl, nous construisons des collections d’organoïdes, ce qui soulève l’intérêt de l’industrie pharmaceutique, afin de tester les molécules et permettre l’arrivée des médicaments sur le marché après avoir démontré la preuve de leur efficacité et de leur non-toxicité”, indique Fanny Jaulin. “L’expansion des connaissances en recherche médicale grâce à la biobanque d’organoïdes nous permettrait de capturer plus de diversité (femmes, personnes âgées, enfants, patients multimorbides, ethnies)”, ajoute Lauriane Cabon. Fin novembre 2023, le nouveau Contrat Stratégique de Filière (CSF) Industries et Technologies de santé a été signé avec un projet n°14, “qui concrétise la volonté de l’État de dynamiser et structurer la filière de la recherche préclinique et clinique”, rappelle Jean-Dominique Guitton. Cette démarche concerne les organoïdes ainsi que les organoïdes sur puce et vise à mobiliser l’ensemble des acteurs français, du secteur privé et académique, afin de faire de la France un leader européen en structurant cette filière et en contribuant activement aux propositions des évolutions réglementaires nécessaires. Pour le moment, le marché est dominé par les Pays-Bas, la Grande-Bretagne, les États-Unis et le Japon. “La France n’a pas tant de retard mais nous essayons de monter une dynamique commune”, souligne Vincent Flacher. “Le cœur du sujet aujourd’hui, ce n’est pas l’équipement mais la biologie, pour laquelle il faut une réglementation, insiste Fanny Jaulin. Les États-Unis ont bouclé ce dossier et maintenant ils développent l’industrie. La France doit se positionner sur la partie biologie afin de mieux la modéliser pour ensuite développer cette nouvelle technologie.” Une réflexion serait en cours à l’échelle de l’Agence européenne des médicaments. Biotechsbiothérapieimpression 3DLaboratoiresMarchéMédicamentoncologieRecherche Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind À lire Neogap devient partenaire de la start-up française Okomera Deux projets de Curie sélectionnés dans les nouveaux PEPR exploratoires Gustave Roussy dévoile son plan stratégique 2030