Accueil > Financement et politiques publiques > Rosalie Maurisse (Bpifrance) : “Nous allons être très sélectifs pour financer des projets ambitieux” Rosalie Maurisse (Bpifrance) : “Nous allons être très sélectifs pour financer des projets ambitieux” Opérateur principal du plan France 2030, Bpifrance finance les secteurs de la healthtech que l'Etat considère comme les plus stratégiques. Rosalie Maurisse, responsable du domaine de la santé chez Bpifrance, revient pour mind Health sur le déploiement de ce plan et sur les priorités de la banque publique pour l'année à venir. Par Romain Bonfillon. Publié le 21 janvier 2025 à 22h30 - Mis à jour le 23 janvier 2025 à 16h24 Ressources Bpifrance a lancé l’an dernier une stratégie autour de la prévention. Où en sommes-nous ? Pour Bpifrance, la prévention était un axe important en 2024 qui va se prolonger en 2025 et en 2026, parce qu’une stratégie d’accélération sur ce thème a été lancée l’an dernier. Pour rappel, ce programme, qui s’inscrit dans le cadre des priorités du plan France 2030, est financé à hauteur de 170 millions d’euros, avec 50 millions sur la partie un peu plus aval. Chez Bpifrance, nous sommes plutôt là pour accompagner des entreprises dans leur développement de projet innovant. En 2024, nous avons plutôt travaillé sur le cadre de l’appel à projet, pour déterminer ce qu’on veut financer, quels sont les experts qui vont regarder les projets, comment nous allons challenger les différents porteurs de projets. Nous avons reçu une trentaine de projets et nous faisons actuellement une première présélection. Chaque projet va être vu par trois à quatre experts. Les projets présélectionnés bénéficieront ensuite d’un ajustement méthodologique, encadré notamment par des méthodologistes et des économistes de la santé. Les porteurs de projets passeront ensuite une audition pour sélectionner les projets qui pourront être financés. En quoi ce “Challenge prévention” représente-t-il un défi ? Il est compliqué, dans le domaine de la prévention, de montrer la valeur en vie réelle, quels sont les avantages médico-économiques, les impacts organisationnels. Aussi, les solutions de prévention peinent à démontrer des modèles d’affaires pérennes et rentables, encore plus dans la prévention primaire. La prévention à l’épreuve de la démonstration de valeur Nous allons être très sélectifs pour financer des projets ambitieux, avec un impact important et une innovation forte. Cela peut être de l’innovation technologique, mais aussi de l’innovation organisationnelle. Le cahier des charges, avec un budget minimum de 5 M€ par projet, reflète l’ambition des projets attendus, en termes de nombre de patients qui vont être traités ou inclus. Plus la démonstration se fait à large échelle, plus cela coûte cher, mais plus l’impact est potentiellement fort. La difficulté va être aussi le timing de cet appel à projets. Nous finançons des projets de 3 à 4 ans. Comme la durée est assez courte, il faut qu’il y ait un impact assez important pour qu’on puisse le mesurer. Le cadre de l’appel à projets va sélectionner à mon sens des projets avec un impact fort et qui vont certainement engendrer des réflexions sur le business model de la prévention. À quels business model pensez-vous ? Ils sont différents, selon qu’il s’agisse de prévention primaire, secondaire ou tertiaire. Les entreprises aujourd’hui se positionnent plus sur de la prévention tertiaire, qui s’adresse donc à des personnes déjà malades, pour éviter la rechute. C’est sur ce type de prévention que l’impact est le plus facile à démontrer, mais l’idée est d’aller aussi de plus en plus vers du secondaire et du primaire et de récupérer des données pour avoir ces mesures d’impact. La prévention primaire, qui répond aux questions de santé publique est un peu le Graal de la prévention. Concernant ce type de prévention, le business model peut se construire avec les mutuelles et au travers de la prévention en entreprise. Or, ces entreprises sont nos clients, nous les connaissons bien. Interrogé par mind Health, Nicolas Gremmy confiait en janvier 2024 que beaucoup de start-up accompagnées par Bpifrance s’intéressaient trop tard à l’accès au marché, privilégiant d’abord l’aspect technologique. Faites-vous le même constat ? C’est un constat valable pour l’ensemble des start-up, en santé numérique ou non. Au travers de nos challenges, nous sommes là aussi pour leur demander quelle est leur stratégie d’accès au marché, leur business model, qui sont leurs concurrents. C’est encore plus vrai pour la santé numérique, qui est un domaine où il y a beaucoup d’innovations d’usage et un secteur avec des accès marché parfois complexe. Il nous faut comprendre qui est l’acheteur, le prescripteur, l’utilisateur, qui sont souvent des personnes différentes. Aussi, avec France 2030, nous sommes allés aussi de plus en plus loin dans nos appels à projets qui finançaient beaucoup de R&D qui, depuis deux ans, financent de plus en plus les phases avales pour accompagner l’accès au marché, par exemple au travers de l’AAP “Évaluation des dispositifs médicaux numériques”. Nous allons essayer d’aller encore un peu plus loin pour essayer de voir la démonstration de la valeur dans les hôpitaux. Nicolas Gremy (Bpifrance) : “La santé numérique est à la fin d’un cycle…et c’est une bonne chose ” Les sociétés de gestion se sont assagies après la bulle d’investissements en santé de la période Covid. Votre politique de soutien aux entreprises a-t-elle suivi le même chemin ? Nous sommes opérateurs de France 2030, doté de 54 milliards d’euros (tous secteurs confondus, ndlr). Clairement, depuis le lancement de ce plan en octobre 2021, il n’y a jamais eu autant d’argent, donc nous avons financé beaucoup d’appels à projets. Il y avait pendant la période Covid beaucoup d’argent public et beaucoup d’argent privé également. Les entreprises ont eu plus de difficulté à lever des fonds propres ces deux dernières années. Comme il y a moins de fonds propres, il y a mécaniquement moins d’argent public attribués aux entreprises (les aides d’Etat ne devant pas représenter plus de 50% du volume de financement des entreprises, NDLR). Nos financements se font en lien avec la capacité des entreprises à lever des fonds. Ils risquent donc de baisser puisque les levées de fonds en 2024 versus 2023 ont pratiquement été divisées par deux. Il y aura une sélectivité plus importante et nous allons nous concentrer sur des projets avec un impact fort et un effet levier puissant sur les levées de fonds, afin de gérer au mieux la fin de l’enveloppe de France 2030. Fatima Heniche, responsable sectorielle santé numérique chez Bpifrance, avait affirmé en début d’année dernière que la banque publique entendait en 2024 soutenir les entreprises qui se positionnent sur de l’innovation organisationnelle et des nouveaux modèles d’affaires. L’essor des solutions à base d’IA est-il à l’origine de ce virage ? Nous finançons beaucoup de projets “tech” mais en santé numérique finalement, il y a peu d’innovation sur des technologies d’IA pure et dure. L’innovation est plutôt dans l’usage des données et de nature organisationnelle. L’IA était clairement un des enjeux en 2024, elle le sera aussi en 2025 et 2026, avec de plus en plus d’IA générative. Comme il y a de plus en plus de projets d’IA, il y a forcément de plus en plus d’innovations d’usage. Les deux sont liés. On le voit notamment au travers de notre appel à projet “Innovation en imagerie médicale”, qui pose la question du cadre organisationnel (faut-il recourir à l’IA en en seconde lecture ?) Comment Bpifrance finance et investit dans le numérique en santé ? mind Health consacrera le 5 juin prochain son deuxième “mind Health Day” au thème de la médecine de précision en oncologie. Comment avez-vous vu évoluer cette nouvelle forme de médecine ? Nous allons avoir, j’en suis convaincue, de plus en plus de médecine personnalisée et de prévention, notamment dans un souci de rationalisation des dépenses de santé. Faute d’argent, le système de soins est obligé d’évoluer. Cela fait 10 ans que l’on entend parler de cette médecine de précision, mais la technologie est désormais là. Avec l’IA, les jumeaux numériques, on peut désormais imaginer un usage en routine de cette médecine, ce qui n’était pas le cas avant. Pour reprendre les termes de votre directeur général, Nicolas Dufourcq, Bpifrance s’est transformé en banque du climat, après avoir été la banque du plan de relance pendant le Covid. Comment cela se matérialise dans le domaine de la santé ? Pour tous les projets France 2030, nous demandons une analyse d’impact. S’il y a un impact négatif, on ne peut pas financer le projet. Aussi, nous avons fait un guide pour expliquer quels éléments une entreprise en santé doit regarder pour mesurer ses impacts. Les start-up sont souvent à leur démarrage focalisées sur leur technologie et ne se préoccupent pas de ces aspects. Mais en même temps, il faut s’en préoccuper très tôt, lorsque se décide comment ils vont produire, où est-ce qu’ils vont produire, quels seront leurs sous-traitants. Ce ne sont pas des éléments que l’on change en cours de route. Plus les projets sont importants en termes de montants, plus nous sommes exigeants en termes d’impact environnemental. Nous n’en sommes pas encore à demander des ACV (analyses du cycle de vie) sur tous les projets, mais nous le recommandons pour les projets les plus ambitieux. Pour les projets d’industrialisation des produits innovants et de relocalisation des médicaments essentiels, ce critère environnemental est crucial. Nous nous demandons systématiquement quels sont les impacts environnementaux et quels sont les jalons environnementaux sur lesquels les industriels sont prêts à s’engager. Nous n’en sommes pas encore à ne pas financer un projet pour lequel il n’y aurait pas d’impact suffisamment positif, mais nous serons de plus en plus exigeants. Bpifrance travaille sur une multitude de sujets en santé. Si vous aviez à définir trois priorités en 2025 , quelles seraient-elles ? La prévention est une priorité pour Bpifrance avec le lancement d’un appel à projets pour démontrer la valeur en vie réelle des dispositifs innovants en prévention dans le cadre de France2030, d’un fonds d’investissement et un accélérateur des entreprises de la filière. On peut également citer l’industrialisation des produits innovants et la relocalisation des médicaments essentiels qui est un sujet majeur, allant de pair avec l’impact environnemental. L’intelligence artificielle est aussi un sujet important, que ce soit sur les techbio pour le développement de médicaments, les robots médicaux ou les solutions de télésurveillance, de même que l’accès au marché. Nous allons vraiment essayer d’accompagner les entreprises pour qu’elles accèdent au marché en France, grâce à l’achat innovant Quels conseils donneriez-vous à un jeune entrepreneur désireux de se lancer aujourd’hui dans la healthtech et de se faire financer par Bpifrance ? Je pense qu’il faut être ambitieux. Je vois beaucoup d’entreprises qui ont de bonnes idées, mais cela ne suffit pas. Il faut viser des impacts forts, non pas seulement en France mais sur le marché européen. Beaucoup de choses restent à créer et à améliorer pour développer la numérisation et l’efficience du système de soins. Le besoin d’innovation est toujours fort. Les futurs acteurs de la healthtech devront de manière encore plus rigoureuse apporter la démonstration de valeur de leur utilité et anticiper très tôt l’accès au marché de leur solution. C’est compliqué, mais c’est possible. Rosalie Maurisse Depuis 2011 : Responsable du domaine de la santé chez Bpifrance 2006 – 2011 : Project Manager pour le pôle de compétitivité francilien MEDICEN (spécialisée dans le secteur des biotech) 2003 – 2006 : Post Doctoral researcher au California Pacific Medical Center Research Institute (San Francisco) 2003 : Thèse en biologie moléculaire (CNRS/INSERM/MNHN) Romain Bonfillon FinancementsMarchéPolitique de santéPrévention Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind