Accueil > Industrie > Que va devenir Chronolife entre les mains de TRAAK ? Que va devenir Chronolife entre les mains de TRAAK ? La start-up française TRAAK, spécialisée dans les solutions de géolocalisation et de suivi biométrique en milieux critiques, a racheté Chronolife en juin 2025, pour viser les marchés de la santé et du sport. Quelle stratégie TRAAK compte-t-elle déployer pour rendre la technologie de Chronolife rentable ? Éléments de réponse avec Thomas Duroyon, CEO et fondateur de TRAAK. Par Clarisse Treilles. Publié le 01 septembre 2025 à 15h35 - Mis à jour le 03 septembre 2025 à 15h27 Ressources Fondée en 2015 et basée à Paris, Chronolife développe des textiles et objets connectés équipés de capteurs et des services numériques, afin de faciliter le suivi de patients à distance. Son acquéreur, la start-up TRAAK, est spécialisé dans les solutions de géolocalisation et de suivi biométrique en milieux critiques. Dans un communiqué du 19 juin 2025, TRAAK explique que la brique technologique de Chronolife sera désormais déployée “dans des usages à haute exigence opérationnelle” (opérations militaires, sécurité industrielle, protection du travailleur isolé). Ce rapprochement vise ainsi à “intégrer une brique de biosurveillance médicalement validée à la chaîne technologique souveraine de géolocalisation en milieux contraints” décrit le repreneur. Thomas Duroyon, fondateur et CEO de TRAAK Avant de fonder TRAAK en 2020, Thomas Duroyon a travaillé près de 20 ans dans l’industrie pharmaceutique et les dispositifs médicaux. Il a notamment occupé différents postes au sein d’Abbott, avant de rejoindre Johnson & Johnson en qualité de General Manager France après l’acquisition de l’activité ophtalmologie du laboratoire Abbott. En 2018-2019, après son départ du laboratoire, Thomas Duroyon explore le modèle d’affaires des “t-shirts biométriques”, similaires à ceux de Chronolife. Il décide, à l’époque, d’abandonner ces dispositifs, soumis à beaucoup de contraintes, notamment dans un cadre hospitalier. Thomas Duroyon attribue ces défis à plusieurs facteurs. “Premièrement, un changement de la réglementation des dispositifs médicaux en 2019 a rendu les essais cliniques indispensables, ce qui a nécessité un investissement considérable. Deuxièmement, Chronolife avait réussi à lever des fonds importants à cette période. De plus, le modèle économique d’un t-shirt biométrique n’est pas viable dans le contexte hospitalier” indique-t-il à mind Health. Il fonde alors TRAAK sur fonds propres en février 2020, une entreprise axée sur la géolocalisation et le suivi biométrique pour des environnements exigeants tels que les secteurs de la sécurité, de la défense et de l’industrie. “TRAAK a d’abord travaillé sur deux domaines : la protection du travailleur isolé et la sécurité de l’opérateur, explique Thomas Duroyon. Nous sommes en mesure d’intégrer des données biométriques de base, telles que la fréquence cardiaque et la température, notamment pour des applications militaires, comme avec le dispositif Cavalry par exemple (un tissu intelligent qui détecte les impacts de balles, coups de couteau, éclats, ndlr). Nous avons des marquages CE pour ces dispositifs, mais ils ne sont pas classés comme dispositifs médicaux.” La société est aujourd’hui profitable, avec un chiffre d’affaires avoisinant le million d’euros. L’échec d’une stratégie En 2023, Chronolife affichait un déficit dans ses comptes avec des pertes s’élevant à 3,06 millions d’euros, pour un chiffre d’affaires annuel de 142 000 euros. La société a accueilli, en mars 2023, le Dr Michel Bensimhon, président de la société de gestion Ici Capital, mandaté par le conseil d’administration en qualité de directeur général de Chronolife, pour effectuer une mission de restructuration à la suite de l’échec du closing de la série C et l’entrée en redressement judiciaire qui en a découlé. Dans le procès-verbal du conseil d’administration daté de novembre 2023, les besoins de financement jusqu’à la clôture de la période d’observation étaient estimés à 300 000 euros. En mai 2024, Anne-Claire Vieux a repris les rênes du plan de redressement, en devenant PDG de Chronolife. Ses objectifs, pour 2024, consistaient à réaliser une levée de fonds d’un minimum de 500 000 euros et obtenir un POC avec un centre clinique permettant de relancer des partenariats. Malgré ces objectifs, Chronolife n’est pas parvenue à redresser la barre. Pour Thomas Duroyon, plusieurs éléments expliquent cet échec. “La problématique de croissance de l’entreprise soulève plusieurs questions : s’agissait-il d’un problème de marché, de positionnement ou d’un dispositif inachevé par rapport aux usages ? Une analyse approfondie serait nécessaire.” Le CEO évoque, tout d’abord, le “vecteur”, c’est-à-dire le t-shirt en lui-même, spécifiquement pour le marché hospitalier. “Ce t-shirt est conçu pour être réutilisable entre patients. En réalité, le t-shirt n’est qu’un support pour l’électronique. Le tissu en tant que tel n’a pas de valeur ajoutée significative et son coût est faible. À l’inverse, l’électronique est plus coûteuse et c’est elle qui permet véritablement de collecter les données. Pour minimiser les risques d’infections croisées, les textiles en milieu hospitalier doivent être nettoyés à très haute température, comme les draps, pour éliminer toute contamination due aux fluides corporels. Les textiles intégrant de l’électronique, comme ceux de Chronolife, ne peuvent supporter que des températures de lavage basses, sous peine d’endommager l’électronique. Cette divergence de température de lavage crée une incompatibilité fondamentale, rendant l’utilisation de textiles électroniques en milieu hospitalier non viable” avance-t-il. “Les hôpitaux se soucient de l’intégration de ce type de vêtement dans leurs procédures existantes. La gestion des données collectées 24h/24 par ces t-shirts pose la question de leur traitement et de leur utilité. Sans compter que le coût supplémentaire et l’absence de remboursement par les systèmes de santé représentent un frein important à l’adoption de ces solutions” soulève Thomas Duroyon. “En Ehpad, les défis sont similaires, ajoute-t-il. La facturation directe au patient est une possibilité, mais elle complexifie la situation, imposant certaines limites. Une question cruciale se pose : existe-t-il un marché en dehors de ces structures ? Bien qu’ils aient exploré la recherche clinique et l’hospitalisation à domicile, ils n’ont pas réellement ciblé ces domaines. Des discussions et des projets temporaires ont eu lieu avec les États-Unis, notamment avec l’armée, mais ces initiatives n’ont pas abouti à des contrats ou des réalisations concrètes”. Au-delà des vêtements biométriques, Chronolife a également développé une technologie algorithmique couverte par de nombreux brevets. Pour Thomas Duroyon, “malgré la robustesse de sa technologie, Chronolife a rencontré une difficulté courante chez les start-up : le piège de la “V0”. Au lieu de finaliser une version de base (V1) commercialisable et d’améliorer progressivement le produit après le début des ventes, Chronolife s’est perdue dans une recherche et développement continue, ne parvenant pas à lancer un produit stable sur le marché” analyse-t-il. Conséquence : les repreneurs se sont retrouvés à jeter, dans le courant de l’été, une grande quantité de t-shirts – qui équivaut à “des millions d’euros de marchandises”, précise le CEO de TRAAK. “Nous avions des t-shirts qui semblaient fonctionnels, mais il s’agissait en réalité de versions précédentes présentant des défauts. Malgré cela, nous avons continué à les produire en masse, pensant qu’ils se vendraient. Finalement, nous avons opté pour une nouvelle version” justifie Thomas Duroyon. À l’origine de la création de Chronolife, le venture studio iBionext n’a pas répondu aux sollicitations de mind Health. L’intégration post-rachat Le nom de marque “Chronolife” sera conservé pour le t-shirt biométrique et TRAAK envisage d’intégrer le dispositif Keesense (un t-shirt connecté associé à une application et une plateforme de télésurveillance partenaire pour suivre l’état des patients à distance) à son produit Cavalry, même si le t-shirt Cavalry, qui se concentre sur la détection d’impact, “n’a pas besoin d’être en contact direct avec le corps contrairement au t-shirt Chronolife”, précise Thomas Duroyon. “Les deux technologies pourraient être combinées pour créer un t-shirt unique intégrant les deux fonctionnalités, à condition qu’un intérêt concret justifie un tel développement” avance le CEO. Le dispositif Keesense, tel qu’il était proposé par Chronolife TRAAK a gardé deux salariés de l’ancienne équipe de Chronolife. “Nous avons choisi de conserver un effectif réduit, car nous préférons investir dans le développement plutôt que de recruter de nouvelles personnes sans injection de capital” souligne Thomas Duroyon. L’avenir de Chronolife n’est pas encore tout tracé, le repreneur réfléchit à trois axes. Le premier domaine d’intérêt concerne la sécurité et la défense industrielle, les secteurs d’activité historiques de TRAAK. Ce cas d’usage est axé sur la protection de l’opérateur, dans le cas où “un opérateur évolue dans un environnement contraignant où sa physiologie ou ses réactions peuvent être affectées”, explique Thomas Duroyon. Sur le volet de la santé, les cas d’usage envisagés par l’acquéreur portent sur l’hospitalisation à domicile (comme la télésurveillance post-chimiothérapie) et la recherche clinique. “La question est de savoir si nous allons gérer cela en interne, utiliser des partenaires en France ou à l’étranger, ou travailler avec un partenaire exclusif et des distributeurs. Je n’ai pas encore de réponse définitive à ce sujet”, indique Thomas Duroyon. Le dernier secteur envisagé est le sport/bien-être. Un partenariat est déjà à l’œuvre entre Chronolife et Garmin, mais TRAAK n’a jamais intégré ce marché. “Je refuse de reproduire la même erreur : développer un produit qui, au final, ne correspond pas exactement à nos attentes, et devoir ensuite en développer un autre. Notre priorité est d’abord de vendre le stock que nous avons déjà acquis. L’investissement futur dépendra du type de produit que nous souhaitons développer. L’essentiel est d’avoir un produit fonctionnel” souligne Thomas Duroyon. Une certification expirée En avril 2020, Keesense a reçu la certification médicale CE classe IIa selon l’ancienne directive européenne des dispositifs médicaux (MDD), remplacée, depuis, par le règlement européen des dispositifs médicaux (MDR). La solution certifiée était destinée à surveiller en continu l’électrocardiogramme (ECG), la respiration thoracique et abdominale, la température cutanée, l’impédance thoracique et l’activité physique. Or, ce marquage CE a expiré en juin 2025, en vertu des règles imposées par la nouvelle réglementation en vigueur. “Cette autorisation était conditionnée à la production d’essais cliniques dans un délai de 3 à 5 ans” explique Thomas Duroyon, qui n’envisage pas de renouveler la certification. “Réaliser des essais cliniques sur un produit peu ou pas commercialisé aujourd’hui représente un risque. Le marché de la santé est donc mis de côté pour le moment.” Sorti de la classification DM, le produit se cantonne à être un outil de mesure. “Notre rôle se limite à fournir des données brutes, sans les interpréter. Nous pouvons indiquer une fréquence cardiaque, mais nous ne détectons pas d’arythmie, d’impédance respiratoire, d’hypothermie ou d’hyperthermie. L’interprétation et le traitement de ces informations incombent au médecin. C’est une distinction cruciale” souligne Thomas Duroyon. Concurrence outre-Atlantique Sur le continent nord-américain, l’entreprise canadienne Hexoskin occupe le terrain. La présence de Chonolife aux États-Unis figure au stade embryonnaire (des brevets américains existent, mais la start-up ne s’est pas rapprochée de la FDA pour un éventuel marquage, confirme Thomas Duroyon). Ce dernier n’écarte pas la possibilité, à l’avenir, “d’évaluer un rapprochement avec Hexoskin sur le volet santé”. Hexoskin a opté pour une approche différente, en choisissant de se concentrer sur la recherche clinique et l’hospitalisation à domicile plutôt que sur le marché hospitalier. “Cette approche s’explique par la nature des produits, qui sont personnalisés et ne peuvent être prêtés ou réutilisés. Le produit est conçu pour un usage individuel et durable, l’utilisateur étant incité à en prendre soin. Cette utilisation peut s’étendre sur plusieurs mois (1, 2, 3 ou 6 mois). Hexoskin cible donc ces marchés spécifiques qui, selon nous, représentent des créneaux importants dans le secteur de la santé” analyse le CEO de TRAAK. Hexoskin compte parmi ses clients l’université McGill, le Boston Children’s Hospital, Yale Health, Columbia University et la NASA. Clarisse Treilles acquisitionDispositif médicalHôpitalstart-upTélésurveillance Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind