Accueil > Industrie > Emmanuel Frenehard (Sanofi) : “Nous utilisons les agents d’IA dans de plus en plus de domaines” Emmanuel Frenehard (Sanofi) : “Nous utilisons les agents d’IA dans de plus en plus de domaines” En novembre 2024, Sanofi annonçait le lancement de Muse, son outil pour optimiser le recrutement de patients dans les essais cliniques, développé avec OpenAI et Formation Bio. Ces dernières années, le laboratoire a signé de nombreux partenariats avec des acteurs de l’intelligence artificielle (IA) en santé tout en développant ses propres outils. Emmanuel Frenehard, vice-président exécutif et directeur digital de Sanofi, retrace cette transformation et précise les opportunités futures. Par Coralie Baumard. Publié le 02 septembre 2025 à 22h30 - Mis à jour le 03 septembre 2025 à 11h08 Ressources Sanofi a pour ambition de devenir la première entreprise pharmaceutique alimentée par l’IA à grande échelle, comment cela s’incarne concrètement ? Aujourd’hui, toutes les entreprises utilisent l’intelligence artificielle (IA), notre spécificité est cette volonté de l’intégrer à grande échelle. Nous pensons que les IA, car il n’en existe pas qu’une, ont un rôle à jouer sur toute la chaîne de valeur de Sanofi, de la recherche académique jusqu’à la mise à disposition de médicaments et d’informations pour les patients. N’oublions pas que dix à douze ans sont nécessaires pour trouver un nouveau traitement. Notre objectif est donc de gagner du temps et de développer de nouveaux traitements dans l’intérêt des patients. Prenons l’exemple des maladies rares, l’errance thérapeutique est en moyenne de dix ans. Dix ans pour trouver le bon diagnostic, c’est extrêmement long. Nous mettons donc un outil d’IA, AccelRare, à disposition des professionnels de santé afin de les aider à mieux diagnostiquer les maladies rares et à orienter les patients vers un dépistage. À nouveau, l’élément d’échelle est central, notre but est que tous les professionnels de santé puissent se servir de l’IA. Le gain de temps est souvent cité comme un bénéfice de l’utilisation de l’IA, arrivez-vous à le quantifier ? Tout n’est pas facilement mesurable, mais nous pouvons apprécier un certain nombre de choses. Je porte toujours ce message aux équipes : et si nous pouvions diminuer de moitié le temps pour trouver un nouveau traitement ? C’est une philosophie, une ambition vers laquelle tendre et non un pur principe mathématique. Intéressons-nous aux différentes étapes du cycle du médicament. Sur la partie recherche fondamentale, le bénéfice existe, mais l’IA nous permet surtout de gagner en qualité. Nous accédons à un plus grand nombre de données grâce à l’analyse de documents et de publications scientifiques permis par l’IA, cela nous permet de faire le tri dans nos hypothèses et de nous concentrer sur les plus valides. Sur l’identification des cibles, l’IA nous aide à créer un jeu de cibles que les chercheurs vont pouvoir étudier, parmi les millions de cibles potentielles. Le gain de temps potentiel pourrait se chiffrer en années, nous ne l’avons pas encore mesuré car nous sommes encore au début de cette utilisation. Une fois la cible déterminée, nous allons identifier des molécules pour l’adresser. Des IA nous permettent aujourd’hui de recommander certaines molécules, nous travaillons avec des start-up comme Aqemia sur cette question. Leur IA définit des molécules potentielles qui sont chimiquement réalistes. Sur cette étape d’identification des molécules, le gain de temps est, lui aussi, encore difficilement mesurable. Sur l’étape de drug discovery, quels bénéfices constatez-vous ? La phase de drug discovery présente un taux d’échec élevé, nous cherchons donc à avancer sur ce point. Nous avons créé avec nos collègues de la recherche une IA, appelée Target ID (Target Identification), pour l’identification de cibles. Cette IA nous a permis d’identifier, sur des milliers de cibles, sept cibles plausibles. Il est encore trop tôt pour considérer qu’il s’agit d’un succès, car il nous reste encore beaucoup de travail. L’impact positif des IA sera clairement identifiable dans quelques années, mais il est inenvisageable de ne pas les utiliser. Elles nous permettent de réaliser des tâches qui étaient impossibles par le passé. Grâce à certaines IA, nous arrivons à visualiser en 3D des molécules, la manière dont elles vont s’attacher à la cible et bénéficier au patient. Observez-vous une rapidité accrue sur d’autres phases du cycle du médicament ? Sur la phase de simulation, nous observons de vrais gains de temps. Nous simulons maintenant les effets d’une molécule sur des jumeaux numériques de souris, ainsi que sur des jumeaux numériques d’organes (foie, cœur). Grâce à cela, nous gagnons plusieurs semaines. L’intention est d’aller vers l’humain en dernier recours et d’éliminer les risques liés à un nouveau traitement, comme la toxicité, grâce à la simulation. Quand un médicament a été validé par un essai clinique, il doit ensuite être fabriqué à grande échelle avec d’autres moyens que ceux utilisés lors de l’essai. Grâce à l’IA et à la digitalisation de certains processus, notre objectif est de diminuer d’un an le temps nécessaire pour passer du médicament créé pour l’essai à celui proposé aux patients. Sur le volet fabrication, des IA améliorent notre rendement, notamment pour les médicaments biologiques qui s’avèrent complexes à fabriquer. Nous arrivons à accroître le volume fabriqué de manière significative dans un laps de temps donné. Enfin, le médicament est ensuite distribué aux professionnels de santé et aux patients, ces derniers ont besoin d’être informés sur les spécificités de ce nouveau traitement. Sur la création de contenus, leur adaptation aux différentes langues et caractéristiques de chaque pays, nous observons un véritable gain de temps. L’IA permet également de nous assurer que nous respectons nos contraintes internes ainsi que celles des régulateurs. Nous arrivons ainsi à gagner des mois de travail. Je pense que le bénéfice se mesurera en années sur l’entièreté du cycle, mais cela prendra encore du temps. Vous avez cité Target ID, quels sont les autres outils que vous utilisez en interne ? Target ID est l’un de nos outils, mais nous utilisons également des outils proposés par nos partenaires. Aqemia nous met à disposition et adapte pour nous ses outils, tout comme Owkin. Nous avons également signé un partenariat avec BioMap afin de créer un modèle d’IA générative dédié au développement de médicaments à grosses molécules (biomédicaments, ndlr). Cet outil a commencé à être déployé il y a près d’un an et demi. Les chercheurs peuvent exprimer en langage naturel leurs besoins et l’outil va générer des molécules visuelles. Ils peuvent ainsi analyser la manière dont elles interagissent et réaliser des simulations avec des cibles. Nous avons beaucoup d’outils, nous en avons également qui nous permettent de voir la donnée sur les essais cliniques en temps quasi-réel. Sur le volet clinique, Sanofi a annoncé en mai 2024 un partenariat avec Formation Bio et OpenAI, le créateur de ChatGPT, qu’a-t-il permis ? Nous avons formé un ChatGPT à la compréhension en profondeur d’une maladie : la sclérose en plaques. Nous avons formé Muse afin qu’il comprenne le ressenti des patients, les étapes de la maladie et les facteurs permettant d’identifier une dégradation de la qualité de vie d’un patient. Cette formation a inclus une perspective scientifique afin qu’il connaisse les impacts de cette maladie sur le cerveau. Le modèle est ainsi devenu un spécialiste de la sclérose en plaques. Cela nous permet d’être beaucoup plus pertinent lorsque nous cherchons à recruter des patients pour un essai clinique, car nous comprenons les patients et le langage des professionnels de santé. De plus, nous pouvons désormais recruter sur un essai à un niveau mondial beaucoup plus rapidement grâce à la traduction de notre message dans quasiment toutes les langues. L’outil est aujourd’hui déployé et utilisé par nos équipes en charge des essais cliniques. Aujourd’hui, Muse permet-il de recruter uniquement des patients pour des essais sur la sclérose en plaques ? Nous avons choisi de le développer sur une maladie spécifique afin de nous assurer que l’outil fonctionnait. Nous commençons à l’alimenter avec des données sur d’autres maladies pour que Muse devienne notre outil interne de création de contenus pour les essais cliniques. Nous allons cibler les maladies inflammatoires de type 2, l’eczéma, le psoriasis, l’asthme, etc. Chez Sanofi, nos atouts sont l’immunologie et les vaccins. Nous sommes riches de données sur ces aires thérapeutiques et cela va permettre que Muse soit plus impactant. En 2023, vous avez communiqué sur le déploiement de plai une application interne s’appuyant sur l’IA pour aider les équipes dans leurs prises de décisions. Comment l’implémentation de l’IA transforme la manière de travailler chez Sanofi ? La transformation digitale n’est pas une digitalisation des systèmes hérités du passé, mais un vrai changement culturel. Pour moi, cela correspond à changer la façon de travailler dans une entreprise de la taille de Sanofi. J’aime beaucoup dire que Sanofi est une start-up de cinquante-trois ans. Nous gardons cette mentalité de start-up. L’initiative plai a été poussée par Paul Hudson, notre CEO. Initialement, c’était un outil numérique assez simple permettant d’accéder aux ventes, aux besoins patients par pays et par types de produits et d’obtenir des prévisions. Sanofi a travaillé avec la start-up Aily Labs pour la développer. Aujourd’hui, plai est utilisé par 23 000 personnes dans l’entreprise. C’est un outil qui vous soumet des recommandations en lien avec votre fonction dans l’entreprise dans tout un nombre de domaines : la finance, la fonction commerciale, la fabrication, la gestion de la chaîne d’approvisionnement mais aussi des achats, etc. Chacun d’entre nous à accès à plai qui comprend également des agents d’IA. Par exemple, mon collègue gérant les essais cliniques, obtient des recommandations quotidiennes dans plai. Il peut recevoir des alertes lui indiquant qu’un essai a pris du retard car un nombre insuffisant de patients a été recruté et lui suggérer des pistes pour y remédier en l’étendant à d’autres centres ou d’autres pays. L’outil pourra également l’informer s’il détecte qu’un essai prendra fin plus tôt que prévu. Cela a des implications pour l’entreprise car, si l’essai est positif, la fabrication devra être lancée précocément. plai permet de connecter toutes les fonctions de l’entreprise. Il établit également des corrélations, par exemple, il enverra une alerte pour nous indiquer que nous allons être à court d’un certain médicament car les ventes sont très élevées et les flux entrants de matières premières pour le fabriquer très bas. Nous avons un autre outil dénommé Concierge qui est une sorte de ChatGPT interne. Il s’agit d’une application mobile que nous avons développée, elle s’appuie sur différentes versions de Claude, le LLM d’Anthropic. Concierge connaît Sanofi, il vous connaît en tant qu’individu faisant partie de Sanofi et maîtrise les politiques et procédures de l’entreprise. Cet assistant permet de gérer notre quotidien professionnel ainsi que le volet RH. Si vous devez rencontrer un professionnel de santé, il vous rappellera les règles éthiques auxquelles vous ne devez pas déroger ou vous informera sur la politique de voyage de Sanofi. Il peut également caler un rendez-vous entre deux personnes travaillant sur des fuseaux horaires différents. Concierge est aujourd’hui utilisé par plus de 60 000 des 85 000 salariés de Sanofi. Notre intention est qu’il devienne un outil simplifiant la vie des salariés. Par exemple, il sera bientôt capable si je pars en congés, de rentrer les dates dans notre outil dédié, d’informer mes collaborateurs et de mettre en place mon message de “out of office”. Dans quels autres domaines sont utilisés les agents d’IA ? Nous utilisons les agents d’IA dans de plus en plus de domaines. Nous avons mis en place une plateforme pour développer rapidement des agents et nous commençons en nous focalisant sur certains domaines. Par exemple, nous développons des solutions avec des agents pour la gestion des achats (flux, approbations, bons de commandes) ainsi que pour le support informatique et le support RH. Nous les utilisons également pour optimiser les parcours de nos visiteurs médicaux (leur fréquence, leur organisation) et pour les informer médicaux des messages à partager aux clients. La création de contenus pour les médecins est aussi réalisée avec des agents. Sur la question des agents, nous avons une gouvernance centralisée.Toutes les fonctions de l’entreprise y sont représentées et elle intègre des membres du Comex. Notre intention est de commencer par développer des agents en interne afin de bien maîtriser les technologies et de garantir qu’elles sont utilisées à bon escient. Mais nous étudions la possibilité de développer un agent pour assister les patients atteints de maladies chroniques comme le diabète. J’aimerais qu’un jour on puisse se dire que nous avons un support agentique fonctionnant par la voix destiné aux patients afin de vérifier qu’ils ont bien pris leur traitement ou les rediriger en cas de problème de disponibilité. Un demi-million de patients ne prennent pas de traitements, organiser un système d’appel quotidien avec des humains serait très compliqué alors qu’avec des agents, cela est possible. Offrir un meilleur soutien aux patients grâce aux agents est une piste que nous testons, mais nous ne l’avons pas encore mise en production. Quel est votre partenaire technologique pour développer ces agents ? Nous n’avons pas un seul partenaire, l’écosystème est assez fragmenté. Nous travaillons avec AWS, Anthropic, mais également avec Snowflake et Dataiku. Dans mes équipes, une responsable mondiale de la data et de l’IA s’assure que ces plateformes s’intègrent bien dans notre écosystème et puissent être mises en commun. Cette année, nous avons annoncé que nous n’utilisons pour nos modèles d’IA uniquement de la donnée “AI ready data”, c’est-à-dire une donnée répondant à des critères spécifiques de qualité, de confiance, de structuration et d’accès. L’objectif est de garantir que nous faisons de l’IA ou de l’IA agentique uniquement sur des données pour lesquelles nous avons des processus de gouvernance solide. Pour nous, il est impératif d’éliminer au mieux les biais et de nous prémunir des biais survenant car la donnée est de mauvaise qualité. Intelligence artificielle : comment les biais influencent les modèles en santé ? De combien de personnes sont composées les équipes Data et IA de Sanofi ? Il est difficile de répondre précisément, les équipes digitales de Sanofi sont composées de 3500 personnes et nous nous appuyons sur des prestataires externes. Tout le monde touche à l’IA aujourd’hui, mais concernant l’équipe en pointe sur ces technologies, cela représente environ 10 à 15% de cet effectif. Nos trois accélérateurs, deux situés à Paris et un à Lyon, sont des instruments pour attirer des talents ne venant pas de l’industrie pharmaceutique. Quelles évolutions prévoyez-vous à court terme avec l’utilisation accrue de l’IA ? Nous constatons déjà des façons de travailler très différentes. J’imagine qu’un jour Concierge pourrait s’approcher de JARVIS, le système d’intelligence artificielle présent dans le film d’Iron Man, et réaliser des tâches impossibles à faire actuellement. Je pense qu’il y a un vrai courant de réinvention des processus avec l’IA, cela est extrêmement enthousiasmant. D’ici la fin de l’année, j’ai des objectifs ambitieux dans ce domaine. Le support 24h/24, 7J/7 dans toutes les langues parlées arrivera prochainement. En interne, cela va être colossal, nous allons redonner du temps aux équipes pour travailler sur des sujets à forte valeur ajoutée. Par exemple, nous avons développé une IA générative capable de compléter à 60% les dossiers d’essais cliniques que nous soumettons à la FDA ou aux autorités de santé européennes ou japonaises. Constituer ces dossiers de 400 pages est très chronophage. Au lieu de consacrer des mois à les élaborer, cela prendra désormais des semaines. Nos experts se concentreront sur le contrôle de la qualité de la donnée, la compréhension de l’essai clinique plutôt que sur la rédaction du document. Pour la création de contenus, nous avons maintenant des IA puissantes. À court terme, tout le monde s’interroge : comment intégrer l’IA à nos processus et notre quotidien tout en gardant un humain au centre de l’équation. L’IA fait de la recommandation, le document de l’essai clinique est partiellement rédigé par l’IA, mais il sera lu et vérifié par un humain. Il faut garder l’humain dans la boucle dans toutes les tâches que nous effectuons. Cela va aller très vite. Je pense que les trois prochaines années, nous nous centrerons vraiment sur notre mot d’ordre : être une biopharma basée sur la science et alimentée par l’IA. L’IA formera le réseau de neurones de l’entreprise afin de la faire fonctionner et de découvrir de nouvelles frontières scientifiques pour les patients. Emmanuel Frenehard Depuis août 2023 : vice-président exécutif et Directeur digital (Chief Digital Officer) et de Sanofi Depuis juillet 2020 : Responsable monde des produits digitaux de Sanofi Janvier 2017- mai 2020 : Chief Technology Officer d’iflix Avril 2010 – janvier 2017 : Vice-président senior et Chief Technology Officer de Walt Disney International Février 2007 – juillet 2010 : Vice-président et Chief Information Officer de Walt Disney International Les chiffres clés de Sanofi en 2024 41,1 Mds € de chiffre d’affaires Une implantation dans 63 pays 160 pays de distribution 52 sites de production et de 13 centres de recherche et développement 14 approbations réglementaires Source : Document d’enregistrement universel 2024 de Sanofi Coralie Baumard biomédicamentsia générativeIntelligence ArtificielleLaboratoiresmédicaments Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind