Accueil > Financement et politiques publiques > Brigitte Courtois (CHU de Lille) : “L’accompagnement de l’innovation est un processus long” Brigitte Courtois (CHU de Lille) : “L’accompagnement de l’innovation est un processus long” Le CHU de Lille est, par tradition, le berceau d’un nombre important d’innovations, dans le champ du numérique notamment. Plus de 400 personnes composent les équipes d'appui à la recherche et à l'innovation de l’établissement lillois. Brigitte Courtois, qui dirige ces équipes, revient pour mind Health sur les conditions d’émergence et les freins à l’innovation, en milieu hospitalier. Par Romain Bonfillon. Publié le 28 mai 2024 à 22h34 - Mis à jour le 26 novembre 2024 à 15h39 Ressources Au regard du nombre d’innovations auxquelles vous avez contribué, le CHU de Lille apparaît comme particulièrement dynamique. Comment l’expliquez-vous ? Nous ne sommes pas le seul CHU dans ce cas-là, mais cela fait assez longtemps que nous avons investi dans les sujets de la recherche, comme dans ceux de l’innovation. Historiquement, depuis une quinzaine d’années, nous avons des ambitions fortes dans ce domaine. Nous avons la chance d’avoir sur le même campus le biocluster Eurasanté, dont le CHU de Lille est membre fondateur. Notre force est aussi d’avoir structuré un partenariat très étroit autour de la recherche en santé, que ce soit avec notre université, la délégation régionale de l’Inserm ou d’autres acteurs comme le CNRS et l’Inria. La recherche en santé représente aujourd’hui environ 30% de la production scientifique du campus lillois. Nous avons aussi la chance d’avoir, parmi les structures d’appui à la recherche un CIC-IT (centre d’investigation clinique IT) spécialisé dans les biocapteurs. En quoi consiste le travail de ce CCIT ? Ces équipes, qui comprennent notamment des ergonomes, accompagnent nos chercheurs qui ont une idée d’amélioration de leurs pratiques et les aident à mettre au point des prototypes de dispositifs médicaux. Cela nous a permis de déposer des brevets qui ont fait l’objet de contrats de licence avec des start-up. À titre d’exemple, nous avons mis en place un dispositif qui permet l’évaluation de la douleur, au travers de la variabilité de la fréquence cardiaque. Cet outil fait l’objet de plusieurs applications, notamment dans le suivi de la douleur pendant une intervention chirurgicale. Cette innovation est partie d’un besoin d’un anesthésiste-réanimateur qui souhaitait moduler de manière plus fine ce suivi opératoire. Le CIC-IT a permis de réaliser un premier prototype, de faire un certain nombre de tests et d’études cliniques. La solution fait aujourd’hui l’objet d’un contrat de licence avec la start-up MDoloris. Au fil du temps, une série d’acteurs et d’expertises ont vu le jour au sein de notre établissement pour accompagner nos professionnels et faire émerger de nouvelles start-up à partir de ces innovations. En mars dernier, lors des Trophées de la Healthtech organisés par France Biotech, le CHU de Lille a été mis en avant grâce à ses collaborations avec des start-up. Pouvez-vous nous rappeler lesquelles ? L’une des start-up que nous accompagnons, InBrain Pharma, a en effet reçu le trophée de l’entrepreneuriat healthtech au féminin. Nous travaillons avec elle pour mettre en place un dispositif médical permettant de mieux prendre en charge la maladie de Parkinson grâce à une administration en continu de la dopamine manquante dans le cerveau des patients. A également été mentionné, lors de cette soirée, l’appui de nos radiologues pour un projet, porté par la start-up Chipiron (lauréate du “Trophée de la Medtech”, ndlr) qui conçoit des machines IRM légères et portables fonctionnant à très bas champ magnétique. L’imagerie est l’un de nos axes thématiques forts. Quels sont ces principaux axes thématiques sur lesquels le CHU travaille ? Autour de la thématique des technologies de santé, nous avons plusieurs projets en cours, notamment dans le domaine de l’imagerie. Nous avons un projet, baptisé ARIANES, qui a pour objectif de mettre en réseau l’ensemble des IRM 3D de la région des Hauts-de-France, afin d’améliorer le dépistage, le diagnostic précoce et le suivi des patients atteints de maladies neurologiques et psychiatriques. L’idée est à la fois de pouvoir harmoniser les pratiques, dans le champ du soin, mais aussi d’identifier de nouveaux biomarqueurs permettant de détecter certaines pathologies neurologiques et psychiatriques de manière beaucoup plus précoce, notamment grâce à l’IRM 7 Teslas (un IRM à très haute résolution qui offre des capacités d’exploration accrues, à l’échelle inframillimétrique, ndlr) en appui du maillage des IRM 3 T de la région. Toujours dans le domaine des technologies de santé, l’un de nos pneumologues, le Pr Arnaud Sherpereel, a présenté cette année à SantExpo un projet européen, que nous portons et qui vise à mieux détecter les cancers pulmonaires, grâce à un système inhalé. Ce “nez artificiel” permettrait, en faisant simplement souffler un patient dans un masque, de détecter un cancer du poumon. Aussi, nous allons totalement reconstruire notre pharmacie, donc nous avons beaucoup de projets autour de l’automatisation et de l’introduction de l’IA pour gérer la pharmacie hospitalière du futur. En lien avec tous ces sujets, nous avons aussi structuré notre entrepôt de données de santé. La pharmacie, l’imagerie, les neurosciences, le cancer sont donc les grands domaines dans lesquels on travaille, mais cette liste n’est pas exhaustive. Dans le champ des médicaments et thérapeutiques innovantes (MTI), nous travaillons par exemple sur la production académique de CAR-T cells. Comment appuyer le développement de toutes ces innovations ? La direction recherche et innovation du CHU de Lille représente environ 350 équivalents temps plein et plus de 400 personnes, qui composent les équipes d’appui à la recherche et à l’innovation. Aussi, dans la structuration de cet accompagnement au niveau de notre région, nous avons eu la chance de figurer parmi les 10 premiers lauréats de l’AAP Tiers-lieux d’expérimentation. Notre tiers-lieu est désormais opérationnel et nous permet de porter plusieurs projets dans le champ de l’innovation numérique. OSO et W.INN, “illustration parfaite” d’un Tiers lieu d’expérimentation L’édition 2024 de SantExpo vient de se terminer. Qu’en avez-vous pensé, en termes d’innovation ? J’ai eu le sentiment que l’innovation était plus lisible qu’avant. Globalement, les établissements de santé publics souhaitent s’inscrire plus clairement dans la chaîne de l’innovation et jouer un rôle d’appui, avec la limite financière que l’on connaît. Intégrer dans nos budgets l’achat de nouvelles technologies, n’est pas un sujet simple. Mais on sent une réelle volonté. Les questions environnementales étaient aussi une des lignes fortes de ce salon. Par définition, les hôpitaux portent des installations extrêmement techniques et gourmandes en énergie et en ressources. Il y a encore beaucoup de chemin pour parvenir à avoir des avancées tangibles, mais l’on a pu voir comment l’innovation peut aider les établissements à être plus vertueux dans ce domaine. Aussi, de manière peut-être plus subjective, j’ai été frappée par la présence importante des robots, que l’on croisait dans les couloirs du salon. Cela montre des évolutions notables sur le champ de l’automatisation. Quel rôle joue aujourd’hui la commande publique dans l’émergence des innovations ? Acheter de nouveaux services, de nouvelles prestations, de nouveaux dispositifs pose des questions de choix : est-ce que cela vient s’ajouter ou remplacer l’existant ? Est-ce que cela permet de faire des économies ? Ce sont ces questions que l’on se pose lorsqu’on fait un achat innovant. Nous nous voyons proposer beaucoup de solutions qui permettent de faire économiser un peu de temps à nos équipes. Mais, à un moment donné, il existe des effets de seuil. Avoir un gain de temps n’est pas forcément synonyme d’économies. Le but est parfois de libérer du temps médical. Notre capacité à plus acheter est un vrai sujet. Aussi, s’agissant du numérique, les problématiques sont assez spécifiques. Avec les dispositifs médicaux numériques (DMN) se pose la question du remboursement par l’Assurance maladie. Pour les nouveaux médicaments, il existe un processus qui permet, une fois qu’ils ont montré leur efficacité et que le service médical rendu a été véritablement prouvé, d’être pris en charge par l’Assurance maladie. Pour les DMN, le processus est encore plus compliqué et mérite des adaptations. Qu’est-ce que l’Assurance maladie, et donc la collectivité, est prête à prendre en compte au titre de la santé, comme nouvelle dépense ? Comment, selon vous, faire pour dynamiser plus encore l’innovation provenant des CHU de France ? Les CHU ont encore assez peu de moyens financiers pour pouvoir dynamiser et accompagner l’innovation. Nous avons des financements pour nos directions de recherche mais cela reste insuffisant pour se doter progressivement d’expertises et d’équipes dans le champ de l’innovation. Beaucoup de CHU portent aujourd’hui des Tiers-lieux d’expérimentation parce que cet AAP, qui est venu à bon escient, a répondu à un besoin. L’accompagnement de l’innovation est un processus long. Enfin, la réglementation aujourd’hui est encore complexe et ne nous permet pas toujours d’intégrer le capital des start-up. Ce sont des leviers qui pourraient être utiles. Ils existent, mais dans un cadre réglementaire extrêmement contraint, donc cela ne permet pas toujours de nous engager dans le financement de start-up. Brigitte Courtois Depuis 2019 : Directrice de la recherche et de l’innovation du CHU de Lille Depuis 2019 : Directrice du G4 GCS Nord-Ouest (groupement de coopération sanitaire qui rassemble les 4 CHU de l’inter-région Nord-Ouest (Amiens, Caen, Lille et Rouen) 2013-2017 : Directrice de la qualité et des relations avec les patients au CHU de Caen 1992-1994 : Diplômée de l’EHESP (Ecole de hautes études en santé publique) Romain Bonfillon Dispositif médicalHôpitalImagerie médicaleInnovationPartenariatRechercheSantexpo Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind