Accueil > Financement et politiques publiques > Caroline Jobin (W.INN) : “Il ne s’agit plus aujourd’hui de penser les innovations de manière hospitalo-centrée” Caroline Jobin (W.INN) : “Il ne s’agit plus aujourd’hui de penser les innovations de manière hospitalo-centrée” Né en 2021, le centre d’innovation du CHU de Brest (W.INN) fait partie des 10 premiers lauréats de l’appel à projets Tiers-lieux d’expérimentation en santé. Caroline Jobin y travaille en tant qu’ingénieure designer innovation et évoque pour mind Health les nouveaux visages de l’innovation à l’hôpital, ses prérequis et ses success stories. Par Romain Bonfillon. Publié le 21 mai 2024 à 22h35 - Mis à jour le 21 mai 2024 à 15h34 Ressources Quelles formes revêt aujourd’hui l’innovation au sein de l’hôpital ? Souvent, lorsqu’on évoque l’innovation en santé, on pense plutôt à l’innovation technologique. Nous travaillons au Centre d’innovation en santé du CHU de Brest sur deux versants, complètement imbriqués : l’innovation technologique et organisationnelle. Lorsqu’on développe une nouvelle technologie, il faut obligatoirement penser qu’elle sera accueillie dans une organisation, et inversement : des innovations organisationnelles rendent possibles ou nécessaires des innovations technologiques. C’est le cas au CHU de Brest, qui dispose aujourd’hui d’un EHPAD – le centre René Fortin – qui va être totalement reconstruit. Dans le nouveau projet, l’idée est qu’il y ait plusieurs types d’habitats pour les seniors, notamment de petites maisonnées pour se rapprocher le plus possible de l’habitation individuelle. Ce modèle pose le problème de la surveillance des résidents notamment la nuit, puisqu’il n’est pas possible d’avoir un surveillant présent en permanence par maisonnée. En parallèle est en train d’être développé, et même commercialisé, une solution qui s’appelle “Ari, l’oreille augmentée des soignants”; développée par OSO-AI. Ce boîtier, placé dans la chambre du résident, vient détecter en continu les sons définis comme “inquiétants” (une chute, un cri, un appel à l’aide, un vomissement) et envoyer une alerte aux soignants. Nous pouvons faire travailler l’IA sur les différents signaux que l’on veut détecter. Cette solution est aujourd’hui déployée dans plusieurs centaines de chambres des EHPAD du CHU de Brest. Cette solution qui a été développée pour un EHPAD classique pourrait permettre d’assurer demain la surveillance des résidents qui seront dans les maisonnées. OSO et W.INN, “illustration parfaite” d’un Tiers lieu d’expérimentation Auriez-vous l’exemple d’une solution qui a profondément changé l’organisation de l’hôpital ? Je pense à la société Oxyledger, qui travaille sur l’amélioration de la traçabilité des dispositifs médicaux implantables. L’idée est de numériser le processus qui s’appuie encore beaucoup sur le papier, avec une recopie manuelle des identifiants, un collage d’étiquette sur des feuilles qui vont finir aux archives et être difficilement retrouvables lorsqu’on va vouloir identifier tous les patients à qui l’on a posé une prothèse avec tel numéro de lot. Il s’agit ici d’avoir un carnet de bloc numérique, qui sera archivé numériquement pour l’hôpital et remis en mains propres au patient. Les salariés d’Oxyledger ont passé beaucoup de temps au contact de l’hôpital et notamment des blocs opératoires pour comprendre tout le cheminement des DM et les pratiques existantes. Cela leur a fait identifier un nouveau besoin, celui d’outils de gestion documentaire qui soit collaboratifs. Ce nouvel outil, qui s’appelle OxyWiki, est une success story, les professionnels du bloc opératoire se le sont massivement approprié, notamment pour créer des fiches d’intervention type, pour dire que tel chirurgien préfère tel type de matériel. Et aider derrière à la préparation des chariots. La manière dont sont préparés aujourd’hui les chariots et les opérations au CHU de Brest a été modifiée avec l’arrivée de ce type d’outil. Les outils innovants ne peuvent pas avoir l’hôpital pour seul marché. Comment penser plus largement l’innovation ? Lorsqu’on parle d’organisation hospitalière, il faut aussi penser à la coordination avec les autres acteurs, notamment la ville et le domicile. Nous travaillons en collaboration avec la start-up rennaise Deneo, sur un projet qui s’appelle Deneo Kid et qui a pour but de permettre aux professionnels de santé d’améliorer le lien entre hôpital/ville/domicile dans le cadre de la réadaptation pédiatrique. La prise en charge des enfants est spécifique en soins de réadaptation parce qu’il y a beaucoup de professionnels de santé qui interviennent et qu’il faut coordonner. Le propre de l’enfant est de passer à la phase de l’adolescence et de l’adulte et les services pour les accompagner ne sont pas les mêmes. Cela crée beaucoup de transitions entre une foule d’acteurs et de professionnels. Au fil des consultations, l’information est souvent perdue, la famille doit répéter les mêmes choses. L’enjeu était donc de créer une application qui permette d’avoir tout le parcours de soins d’un patient, où chaque professionnel qui participe à sa réadaptation puisse à la fois consulter les informations des autres professionnels, mais aussi les informations partagées par le patient lui-même ou sa famille. C’est un projet qui est dans l’air du temps. Il ne s’agit plus aujourd’hui de penser la prise en charge de manière hospitalo-centrée mais en relation avec la médecine de ville et de plus en plus avec le domicile. On le voit bien en oncologie, où 80% du soin se fait au domicile des patients. Quel est le critère majeur de réussite d’un partenariat entre l’hôpital et une start-up ? De plus en plus d’hôpitaux disposent d’équipes dédiées à l’innovation. Que l’on parle de cellule, de centre ou de direction de l’innovation, ce qui constitue une force est d’avoir une double casquette, c’est-à-dire d’accompagner, comme nous le faisons à W.INN, à la fois les porteurs de projet internes et les porteurs de projet externes. La connaissance de l’expertise médicale/paramédicale et de l’écosystème local des entreprises sont les critères clés pour réussir à faire du codéveloppement et des expérimentations qui aient un sens à la fois dans les pratiques mais aussi d’un point de vue technique et d’accès au marché. En quoi consiste votre mission au sein du centre d’innovation W.INN ? Ma principale mission est d’accompagner les porteurs de projets internes. J’ai également pour mission de cartographier les problématiques et besoins remontés par les professionnels du CHU de Brest et à trouver de futurs terrains d’expérimentation pour les entreprises. Étant donné que W.INN identifie et accompagne les start-up innovantes en santé, nous savons sur quelles technologies elles travaillent et sur quels cas d’usage elles souhaitent se développer. Nous pouvons donc assez efficacement faire le match entre une entreprise qui cherche un terrain d’expérimentation et un service qui a une problématique que pourrait résoudre ce type de technologie. Inversement, lorsque, par exemple, un paramédical souhaite développer techniquement une solution, il a besoin d’une expertise externe. Tout l’enjeu est d’accorder l’innovation avec les besoins réels de l’hôpital. On voit trop souvent de technologies qui semblent performantes sur le papier, mais lorsqu’il s’agit d’intégrer cette solution dans une organisation, cela ne fonctionne pas. Soit parce qu’il y a un acteur en place qui répond déjà bien au besoin, soit parce que la solution ne colle pas du tout aux problématiques des acteurs et des contraintes de l’environnement. Les porteurs de projets qui viennent vous voir sont-ils majoritairement des médecins ? C’était souvent le cas au début mais nous avons de plus en plus de porteurs paramédicaux et, au travers de notre plateforme d’impression 3D, des projets qui viennent aussi des personnels techniques, par exemple la restauration, la logistique et même aussi l’administration. Ce qui est intéressant est que nous réussissons à répondre à des souhaits d’accompagnement d’une grande diversité de porteurs. La présence des médecins reste cependant nécessaire. Un projet porté par un paramédical qui n’aurait pas l’appui du chef de service aura du mal à se développer. Guillaume Mercy (Fonds FHF) : “L’innovation peut se trouver dans tous les services d’un hôpital” Le centre d’innovation W.INN s’est-il spécialisé sur certaines aires thérapeutiques ? Historiquement nous avons beaucoup de projets en psychiatrie, gérontologie et neurologie interventionnelle. Mais aujourd’hui, il y a une forme de diversification. De manière assez inattendue, nous observons un foisonnement de sujets d’intérêts autour de la (dé)nutrition. Ces projets proviennent aussi bien des services de restauration (avec l’idée d’augmenter le taux de protéine des plats des résidents, notamment au travers de protéines à base d’algues) que des soignants. Nous avons notamment un projet de serious game pour les aider à prévenir les risques gériatriques comme les chutes et la dénutrition. Les deux sont souvent corrélés, plus une personne est dénutrie, plus grand est le risque de chute. Où se trouvent selon vous les plus grandes marges de manœuvre en matière d’innovation à l’hôpital ? L’idée même d’innovation renvoie communément à des projets “futuristes” mais déployés, comme celui que nous menons avec Intradys, une start-up qui développe pour les neuroradiologues un cockpit virtuel, leur permettant au travers de la réalité augmentée, de visualiser en 3D un anévrisme et d’autres données utiles à l’intervention. Mais il existe bien souvent à l’hôpital des problématiques beaucoup plus basiques et terre-à-terre comme la difficulté à mesurer la dénutrition. Celle-ci se mesure au travers de la variation de poids mais pour beaucoup de patients, ce suivi n’est pas fait régulièrement. Comment, dès lors, faire un suivi fiable et régulier pour des patients âgés qui ne peuvent pas se tenir debout, sur leurs 2 jambes, sans s’appuyer. Nous étudions actuellement des objets du quotidien qui pourraient avoir une fonction de balance afin d’éviter une action supplémentaire. Nous avons identifié un tapis de bain connecté et une lunette de toilette connectée en étant évaluateur pour la Coalition NEXT. Vous vous êtes au cours de votre cursus spécialisé en “management de l’innovation”. En quoi consiste cette discipline ? La section 6 du Conseil national des Universités recouvre les “Sciences de gestion et du management”. Le management de l’innovation est une spécialisation de ces champs de recherche, qui ont mis en évidence des particularités pour mener un projet d’innovation vs un projet plus classique. Dans un projet classique, nous savons généralement où nous allons et il est, plus ou moins, facile de définir un cahier des charges et de piloter des éléments comme la qualité, le coût et le délai. Pour les projets d’innovation, le point de départ et le point d’arrivée ne sont pas très clairs, nous avançons dans une forme de brouillard. La définition du projet est bien souvent progressive, à la fois sur la problématique à laquelle on cherche à répondre et sur la solution elle-même. Une stratégie de R&D d’amélioration de produit et une stratégie de R&D innovante sont donc fondamentalement différentes. Il y a une forme de spécialisation des chercheurs sur ces sujets, qui a permis de mettre en évidence des particularités. En parallèle, on peut parler de professionnalisation de l’innovation, puisqu’il y a de plus en plus de métiers liés à l’accompagnement de porteurs de projets innovants. Ce sont souvent des profils qui viennent des métiers de l’ingénierie, pour le versant technique, des designers au niveau de l’innovation organisationnelle. Le management de l’innovation s’est nourri de beaucoup de spécialités et de sciences. Comment faire, par exemple, un bon brainstorming ou une bonne séance d’idéation ? Cela renvoie aux recherches en psychologie de la créativité. Signe de cet intérêt pour cette discipline : il est de plus en plus question de management de l’innovation lors des congrès organisés par Aramos (Association de Recherche Appliquée au Management des Organisations de Santé). W.INN en quelques chiffres Plus de 250 sollicitations de porteurs externes et internes 30 projets actifs 20 entreprises accompagnées 20 expérimentations réalisées Plus de 1000 patients et soignants impliqués 20 partenariats clés 14 ateliers mensuels et 500 participants Caroline Jobin Depuis septembre 2023 : Animatrice du réseau de compétences dédié à l’innovation du GIRCI GO (Groupement interrégional de recherche clinique et d’innovation du Grand Ouest, qui regroupe les établissements de santé de Bretagne, des Pays de la Loire et du Centre-Val de Loire) Depuis juillet 2023 : Ingénieure designer innovation au sein du centre d’innovation du CHU de Brest (W.INN) 2018 -2022 : Doctorat en sciences de gestion (École des Mines de Paris, Université PSL) 2017 – 2018 : Master en management de l’innovation (École Polytechnique, Université Paris-Saclay) 2017 : Diplôme d’ingénieur biomédical (Université de Technologie de Compiègne) Romain Bonfillon AccélérateurchirurgieEHPADHôpitalInnovationParcours de soinsPartenariat Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind À lire Entretien Cyrille Politi (FHF) : "Sans liberté, pas d'innovation" Entretien gratuit Vanina Paoli-Gagin (Sénat) : “Utiliser la commande publique comme un levier de soutien à l’innovation” Medi’Scope 2023, les tendances de l'innovation en santé francilienne