Accueil > Financement et politiques publiques > Quelles pistes pour accélérer la recherche clinique ? Quelles pistes pour accélérer la recherche clinique ? Le temps consacré à la recherche clinique est un enjeu fondamental qui pèse à la fois sur le coût de développement d’un médicament, l’accès des patients à des molécules innovantes et l’attractivité de la France. Interrogés récemment dans plusieurs tables rondes, les acteurs de la recherche identifient trois freins principaux - les Comités de protection des personnes (CPP), les difficultés de recrutement et la nécessité d’un cadre pour les essais cliniques décentralisés - que les acteurs publics tentent désormais de lever. Par Romain Bonfillon. Publié le 27 février 2024 à 10h12 - Mis à jour le 26 août 2024 à 15h13 Ressources Le 22 janvier dernier, les entreprises du médicament (Leem) publiaient leur enquête annuelle dédiée à l’attractivité de la France pour la recherche clinique. Située derrière l’Espagne en termes de nombre d’essais industriels sur le médicament (636 vs 810 pour l’Espagne, entre le 1er janvier 2022 et le 30 juin 2023), la France pâtit notamment d’une durée d’autorisation beaucoup plus longue que son voisin hispanique (87 vs 53 jours). À titre de comparaison, en 2022, 160 jours étaient nécessaires pour inclure un premier patient en France dans un essai de cancérologie (cf. frise ci-dessous) versus 143 jours en Espagne. “Les délais administratifs et règlementaires sont un sujet sur lequel il y a des efforts à faire en France, explique à mind Health Franck Mouthon, président de France Biotech. Globalement les choses se sont améliorées, sur le plan de l’ANSM notamment, mais il reste encore quelques zones de faiblesse sur les CPP” Lever les freins liés aux CPP Le 20 novembre dernier, lors du congrès CHU Healthtech Connexion Day organisé par France Biotech et la Conférence des directeurs généraux de CHRU, une table ronde destinée à explorer les nouveaux outils et méthodologies en recherche clinique a révélé le malaise d’une grande partie de la profession autour des Comités de Protection des Personnes (CPP). Si les nouvelles méthodologies, comme les bras de contrôle synthétiques suscitent un intérêt croissant, l’urgence pour les acteurs de la recherche semble ailleurs. Le président du CNCR (Comité national de coordination de la recherche) lui-même, Karim Asehnoune, a pointé du doigt les délais de réponse des CPP, ajoutant qu’“il faut que ces comités montent en compétences et se professionnalisent”. Une “roulette russe” Ces CPP (ou comités d’éthique) ont pour principale mission d’émettre un avis motivé pour s’assurer en amont qu’une étude ou une expérience ne portera pas préjudice aux personnes qui y participent. Constitués de personnes bénévoles (des médecins, des pharmaciens, des auxiliaires médicaux, des patients), ces comités qui sont au nombre de 39 en France, ont des délais d’instruction qui peuvent s’allonger en fonction de leur charge de travail, des questions qu’ils vont être amenés à poser sur une étude et du réexamen du dossier. Le choix du CPP, par tirage au sort, fait également polémique. “C’est un peu la roulette russe, note le Dr Jean-Philippe Bertocchio, CEO de SKEZI, qui a été confronté à ces freins. “Nous créons des e-cohortes dans lesquelles c’est le patient lui-même qui va s’inclure et saisir ses données : c’est une façon de faire des études décentralisées qui sont principalement observationnelles ou en tout cas proches du monde réel. Lorsque nous mettons en place ces méthodes innovantes, nous nous confrontons souvent à l’incompréhension des CPP. Ils sont très habitués à la recherche interventionnelle (un médicament donné à un patient par un docteur après signature d’un consentement papier en 20 pages) mais peu ouverts pour certains à l’innovation, aux essais décentralisés, aux études à mi-chemin entre l’interventionnel, l’observationnel et qui font appel à de la donnée de vie réelle. Nous avons d’incessantes discussions techniques et réglementaires avec les CPP et nous devons argumenter à coups d’avocats et de textes de lois sur des choses assez simples. On gagnerait à avoir des comités qui analysent les dossiers en même temps avec l’ANSM comme autorité régulatrice, la CNIL sur la protection des données et les CPP sur le versant éthique, afin d’avoir les bonnes compétences autour de la table et des rôles clairement définis.” Les réponses de l’ANSM et l’AIS Invitée le dernier au Forum de l’innovation en recherche clinique (FIRC) organisé par l’AFCROs, Valérie Denux, directrice Europe et innovation à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), a rappelé que le nouveau règlement européen sur les essais cliniques, mis en place cette année, a changé les choses sur l’aspect méthodologique, qui n’est plus évalué par le CPP mais par l’ANSM. Nous avons donc recruté des méthodo-statisticiens”. À noter que l’évolution majeure de ce nouveau règlement européen est la création du portrait CTIS (Clinical Trial Information System), un point d’entrée unique pour les demandes et les autorisations d’essais cliniques de l’ensemble des pays de l’UE. Les CPP continuent de donner un avis motivé préalablement à toute recherche impliquant la personne humaine. “Mais nous sommes maintenant très liés, ils nous posent des questions lorsqu’ils ont des doutes”, fait remarquer Valérie Denux. À l’instar du CCNE (Comité consultatif national d’éthique) qui s’est depuis longtemps saisi du sujet, l’Agence de l’innovation en santé (AIS) tente aujourd’hui de faire en sorte que les CPP ne soient plus des freins, en concertation avec la CNRIPH (Commission Nationale des Recherches Impliquant la Personne Humaine) et la DGS, a récemment rappelé Lise Alter, affirmant “travailler pour que les enjeux de l’innovation ne soient pas opposés aux enjeux de la sécurité et d’éthique”. Demain, des contrôles moins nombreux et plus ciblés ? Compte tenu du nombre insuffisant d’instances pour analyser tous les dossiers, le Dr Bertocchio suggère de “construire des méthodologies de référence, à l’instar de ce que fait la CNIL” (les acteurs s’engagent à être conformes à un référentiel et la CNIL mène des contrôles a posteriori). Aussi, propose-t-il de “libérer plus de temps aux CPP pour les études vraiment “lourdes”, avec des médicaments, où les questions éthiques sont vraiment importantes (est-il éthique de faire un bras placebo ou de ne pas donner le traitement de référence ?) Pour des études de vie réelle, avec des risques vraiment minimes, on peut peut-être alléger les choses”. Améliorer le recrutement des patients L’accès pour les médecins – et les patients eux-mêmes – à une liste détaillée des essais cliniques en cours est un enjeu majeur pour le recrutement des patients. À cet égard, les Etats-Unis disposent d’un outil précieux, avec le site internet ClinicalTrials.gov, qui est la base de données la plus complète au monde (le site recensait en juin 2022 environ 420 000 essais enregistrés dans 220 pays différents, note l’AFM Téléthon. En France, la Délégation numérique en santé s’est emparé du sujet en lançant en janvier 2023 une version pilote d’une future base nationale pour les essais cliniques menés en France. Baptisée ÉCLAIRE, elle est destinée aux industriels, aux investigateurs et aux patients, “elle devrait aider à fluidifier la recherche dans les domaines où il existe une tension sur le recrutement”, note Franck Mouthon, ajoutant que “des domaines, comme l’oncologie sont embolisés parce qu’il y a beaucoup d’essais cliniques, mais cette situation n’est pas propre à la France”. Faire entrer les essais décentralisés dans la pratique courante À marche forcée, la crise sanitaire du Covid a permis l’émergence d’une forme hybride d’essais cliniques, menés en partie dans les centres investigateurs (qui sont le plus souvent les hôpitaux) et en partie directement auprès du patient. Lors du CHU Healthtech Connexion Day, Ariane Galaup-Paci, directrice recherche clinique du Leem, a rappelé qu’en ce temps, “l’intérêt était vraiment partagé par tous. Nous avons pu partager cet enthousiasme aux autorités, à tous les niveaux : DGS, DGOS, DNS, CNIL, INCA”. Également membre du conseil de surveillance de l’European Institute of Innovation and Technology for Health (EIT Health), Ariane Galaup-Paci explique qu’“un chantier a été lancé avec l’Agence européenne du médicament (EMA) pour encadrer au niveau national les pratiques de décentralisation”. Presque simultanément, et afin d’encourager les États membres de l’UE à construire ce cadre national, la Commission européenne publiait le 14 décembre 2022 les recommandations européennes relatives aux essais cliniques décentralisés (l’AFCROs, diffusait également, deux mois plus tôt, ses propres recommandations, dans un livre blanc). À noter que la FDA a aussi publié, le 2 mai 2023, un document d’orientation, destiné aux chercheurs et aux promoteurs d’études. “Le besoin principal, analyse Ariane Galaup-Paci, est d’améliorer les inclusions et de répondre à des difficultés de recrutement qui engendrent des retards voire des arrêts au niveau des essais cliniques. Ces recommandations sont en cours de rédaction au niveau du Ministère de la santé. Nous les attendons tous et nous avons convenu que pour tester en vie réelle ces recommandations, une phase pilote serait lancée avec la sélection d’une dizaine d’études, qui soient idéalement un échantillon représentatif de la recherche, à la fois des études sur les médicaments et les dispositifs médicaux, avec un accompagnement privilégié côté DGOS, DGS, CNIL’, expliquait Ariane Galaup-Paci le 20 novembre dernier. Cette phase pilote, qui s’étalera de janvier à juin 2024, a finalement été lancée le 8 janvier dernier. Ce sont finalement 20 projets qui seront sélectionnés et bénéficieront d’un soutien ciblé. Romain Bonfillon Essais cliniquesMinistèrePatientsRecherche Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind