Accueil > Industrie > R&D > Wearables : les applications de bien-être peuvent-elles devenir des dispositifs médicaux ? Wearables : les applications de bien-être peuvent-elles devenir des dispositifs médicaux ? Les GAFAM affichent depuis plusieurs années leur volonté de se développer dans le secteur de la santé, avec comme force de frappe leur capacité à collecter et à traiter massivement des données. Notamment celles des millions d’utilisateurs de leurs "wearables" (objets connectés). Mais ces appareils peuvent-ils réellement devenir des dispositifs médicaux ? Jusqu’où peuvent-ils accompagner le parcours du patient ? Par Natacha Gorwitz. Publié le 27 septembre 2022 à 23h00 - Mis à jour le 01 août 2024 à 17h58 Ressources Début juin, Apple a dévoilé les nouvelles fonctionnalités en santé de sa montre connectée, disponibles cet automne sur WatchOS 9 et qui tendent de plus en plus vers de la médecine personnalisée. L’application Sommeil permettra ainsi à ses utilisateurs de détecter s’ils sont en phase de sommeil paradoxal, léger ou profond grâce à des signaux émis par l’accéléromètre et au capteur de fréquence cardiaque. Autre exemple : la nouvelle application Traitements, également sur iPhone, pourra aider les clients d’Apple à gérer leur prise de médicaments. Surtout, l’application ECG va plus loin. Lancée en 2019 sur l’Apple Watch Series 4, elle avait obtenu en vue de sa mise sur le marché l’agrément de la Food and Drug Administration (FDA) et le marquage CE en tant que dispositif médical. Ses notifications d’arythmie cardiaque permettaient alors à ses utilisateurs d’identifier les signes éventuels de fibrillation auriculaire. Dans la nouvelle version, la fonctionnalité “Historique” permettra de suivre leur fréquence sur une période prolongée. Elle a été agréée par la FDA pour les personnes diagnostiquées, âgées de plus de 22 ans. “En développant une application de bien-être ou de santé, l’entreprise non issue du domaine de la santé commence à acculturer ses utilisateurs à ces problématiques”. Loick Menvielle, directeur de la chaire “management in innovative health” à l’Edhec “D’un point de vue stratégique, c’est finement joué”, analyse Loick Menvielle, directeur de la chaire “management in innovative health” à l’Edhec*. “En développant une application de bien-être ou de santé, l’entreprise non issue du domaine de la santé commence à acculturer ses utilisateurs à ces problématiques. Parmi eux, certains sont peut-être atteints d’une pathologie chronique. Lorsque l’entreprise réinvestit ce volume de marché pour développer des dispositifs médicaux, elle dispose déjà de clients éveillés à ses solutions, son système de trackers… ” De la technologie grand public à la santé connectée Selon le Wall Street Journal, l’année dernière, le géant américain réfléchissait à faire de ses AirPods des aides auditives, incluant un thermomètre auriculaire. Début 2021, le laboratoire Biogen a annoncé avoir lancé une étude en ligne pour développer des biomarqueurs digitaux et dépister tout déclin cognitif grâce à l’Iphone et à l’Apple Watch. Au mois de juin, la start-up Rune Labs a déclaré avoir reçu l’autorisation 510 (k) de la FDA d’utiliser l’Apple Watch pour surveiller les tremblements et autres symptômes courants chez les patients atteints de la maladie de Parkinson. Dès cet automne, la montre connectée de Google, la Pixel Watch intégrera également des fonctionnalités de santé venant de Fitbit. Cette marque d’objets connectés spécialisée dans le fitness a été rachetée l’année dernière par Google pour 2,1 milliards de dollars afin de rivaliser avec l’Apple Watch. “Ces applications permettent d’agréger des informations en vie réelle beaucoup plus riches que celles collectées par des dispositifs classiques, liées à la nutrition, la géolocalisation, la mobilité…”, souligne Loick Menvielle. “Ce sont autant d’indices, qui peuvent donner du sens à l’information primaire de santé”, renchérit cet expert. Pour lui, ces évolutions relèvent de “la nouvelle médecine”, c’est-à-dire, “une médecine prédictive, participative, préventive et personnalisée” et “seront portées par le patient qui sera ainsi en mesure de mieux appréhender sa pathologie”. D’après un rapport publié par Apple en juillet, l’app Santé permet de stocker plus de 150 types de données de santé à partir de l’iPhone, d’Apple Watch et des applications et appareils tiers connectés. Les données de vie réelle comme “or noir” “Dans le secteur de la santé, les GAFAM ont un avantage compétitif par rapport à l’industrie pharmaceutique, c’est leur capacité à collecter et à traiter de façon massive des données. Et aujourd’hui, l’information collectée, c’est l’or noir des entreprises qui veulent accélérer dans le digital”, poursuit Loick Menvielle. “Si l’industrie pharmaceutique a toujours prospéré grâce à ses innovations thérapeutiques, son avenir passe aussi désormais par les logiques de data et d’ultra personnalisation”, renchérit l’expert. Selon la société américaine IQVIA, le marché des données de vie réelle est estimé à 4 milliards de dollars. En 2014, Google et le groupe suisse Novartis avaient annoncé travailler sur un projet de lentilles connectées pour les patients diabétiques, abandonné depuis. En 2019, les Américains Bristol-Myers-Squibb et Pfizer faisaient part de leur collaboration avec Fitbit afin de détecter une fibrillation atriale. “L’enjeu de ces alliances, c’est la captation d’une information qui fait sens et la réassurance de l’utilisateur vis-à-vis de la solution dans le but de mieux soigner les patients”, conclut Loick Menvielle. Jean-Marc Aubert (IQVIA) : “Si on n’investit pas dans la donnée, tout un pan de la santé ne se développera pas en France” Le frein réglementaire européen Pour Cécile Vaugelade, directrice affaires technico-réglementaires du Snitem, “l’évolution réglementaire [européenne] durcit plutôt les règles par rapport aux États-Unis” En Europe, la mise sur le marché des dispositifs médicaux est encadrée par le règlement (UE) 2017-745, entré en application en mai 2021 (et assorti d’une période dite de “grâce” de trois ans). “Cette évolution réglementaire durcit plutôt les règles par rapport aux États-Unis, où une grande partie des produits utilisent la procédure 510 (k), dans laquelle le fabricant doit démontrer qu’il est dans l’état de l’art des produits déjà sur le marché”, commente Cécile Vaugelade, directrice affaires technico-réglementaires du syndicat national de l’industrie des technologies médicales (Snitem). “Le cadre européen (c’était déjà le cas avant mais c’est renforcé avec le nouveau règlement) demande une démonstration produit par produit, qui inclut une évaluation clinique et un plan de suivi clinique après commercialisation”, poursuit Cécile Vaugelade. “Plus la classe du produit est élevée, plus la validation et la vérification de l’organisme notifié sera systématique et profonde”, ajoute-t-elle. En outre, les applications mobiles comme les dispositifs médicaux connectés doivent appliquer le règlement général sur la protection des données (RGPD). “Parfois, la frontière entre l’application de santé et le dispositif médical est très fine” Cécile Vaugelade, directrice affaires technico-réglementaires du Snitem “La réglementation intègre la notion de ‘module’ pour permettre la coexistence de briques validées ‘dispositif médical’ avec d’autres”, explique Cécile Vaugelade. “Parfois, la frontière entre l’application de santé et le dispositif médical est très fine”, reconnaît-elle. Une application de suivi des cycles du sommeil, par exemple, n’est pas un dispositif médical, sauf si elle est couplée à un détecteur d’apnées du sommeil, car elle alors apporte une aide au diagnostic. Une application qui rappelle quand prendre un traitement ne tombe pas non plus dans cette catégorie. En revanche, une application contraceptive si. “Pour entrer dans la définition du dispositif médical, l’application doit avoir une finalité médicale et présenter un bénéfice patient par patient, et non pas à des fins épidémiologiques”, résume Cécile Vaugelade. “Dès lors que ses revendications font tomber l’application dans le dispositif médical, le fabricant est obligé d’appliquer la réglementation”, insiste-t-elle. Sinon, ce dernier s’expose à des sanctions. En France, il peut être pénalisé par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes. L’obtention du marquage CE est un processus lourd. “Entre le moment où vous avez terminé votre produit et celui où vous avez le droit de le vendre, il faut compter un à deux ans, voire trois ans, témoigne Erik Huneker, directeur de la société Diabeloop, spécialisée dans le traitement du diabète. Dix mille patients environ dans six pays européens utilisent aujourd’hui sa solution, le DBLG1 system, qui automatise la délivrance de l’insuline en intégrant de l’intelligence artificielle. En France, ce dispositif médical est remboursé depuis septembre 2021 par l’Assurance maladie. “Diabeloop doit se mettre en conformité avec les nouvelles règles d’ici décembre 2023 et ne peut, d’ici là, apporter d’amélioration au produit” Erik Huneker, directeur de la société Diabeloop Eric Huneker, CEO de Diabeloop, souligne que “les exigences en matière de fiabilité et de traçabilité sont de très loin supérieures à celles imposées à un produit grand public” “Sur nos 160 salariés, 10% des effectifs sont là pour assurer le système de qualité réglementaire”, souligne le dirigeant d’entreprise, qui a obtenu le marquage CE pour le DBLG1 system, valable 5 ans à partir de fin 2018. “Dès le départ, DBLG 1 a été conçu comme un dispositif médical”, raconte Erik Huneker. Ce statut impacte l’ensemble du processus de développement du produit, y compris au niveau de l’écriture des lignes de code en raison des étapes de vérification supplémentaires. “Les exigences en matière de fiabilité et de traçabilité sont de très loin supérieures à celles imposées à un produit grand public”, insiste-t-il. En vue du marquage CE, Diabeloop a fait une douzaine d’études cliniques portant sur 30 à plus de 300 patients. “On a fourni un dossier de 40 000 pages à l’organisme notifié, qui a fait une dizaine de journées d’audit en deux ans. Au début de l’été, on a fait l’objet d’un audit inopiné”, poursuit Erik Huneker. Selon la nouvelle réglementation européenne, entrée en vigueur fin mai 2021, le DBLG 1 System est passé de la classe 2 à 3 en Europe, contrairement aux États-Unis.“Diabeloop doit se mettre en conformité avec les nouvelles règles d’ici décembre 2023 et ne peut, d’ici là, apporter d’amélioration au produit”, explique l’entrepreneur. Le défi du remboursement Cet agrément permet éventuellement, en fin de parcours, d’obtenir le remboursement du dispositif médical. “Aujourd’hui, l’Assurance maladie ne propose pas le remboursement d’objets connectés. Des mutuelles pourraient éventuellement le faire”, commente Jérôme Wittwer, professeur d’économie de la santé à l’université de Bordeaux. “Pour qu’un objet connecté soit remboursé par l’Assurance maladie, il faudrait pouvoir faire la démonstration en vie réelle de l’efficacité de l’utilisation d’une application sur la santé des patients, ce qui est très difficile”, poursuit le professeur. De plus, “le remboursement n’est envisageable que s’il y a des partenariats avec des acteurs de la santé, car rien n’est remboursé sans prescription”. À ce titre, dans le domaine de la télésurveillance, le remboursement des dispositifs médicaux numériques proposés par les industriels est encore en phase d’expérimentation. Ces outils, conçus en général comme des plateformes intégrées en partenariat avec un service hospitalier, s’adressent à des patients très spécifiques, atteints de maladies chroniques (insuffisance cardiaque, rénale, respiratoire, diabète…) * Cette nouvelle chaire en santé connectée a ouvert le 1er septembre. Elle est financée par le groupe pharmaceutique Bristol-Myers-Squibb. Natacha Gorwitz Application mobileDiabèteDispositif médicaldonnées de vie réelleGAFAMIntelligence Artificielleobjets connectésParcours de soinsRèglementaire Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind À lire Droit Devant Dispositifs médicaux : que change la nouvelle réglementation européenne ? Biomarqueurs digitaux : une opportunité en cours de développement