Accueil > Parcours de soins > France : un écosystème RH de plus en plus mature sur la santé mentale France : un écosystème RH de plus en plus mature sur la santé mentale Alors que l’absentéisme augmente et que les entreprises sont obligées, du fait des difficultés de recrutement, de faire la preuve de leur engagement pour le bien-être de leurs salariés, la santé mentale au travail reste au centre de l’attention. Déjà portées par le Covid-19, les solutions RH, proposant l’accès à des psychologues, des ateliers dédiés et des plateformes à destination des managers et RH, ont continué de se développer depuis deux ans. Focus sur les 20 principales solutions numériques. Par Antoine Piel avec Othélie Brion. Publié le 17 octobre 2023 à 22h40 - Mis à jour le 17 octobre 2023 à 15h44 Ressources La santé mentale est devenue un sujet central pour les entreprises, surpassant les TMS comme première cause des arrêts maladie de longue durée. Les salariés, plus exigeants du fait d’un marché du recrutement plus favorable en France, attendent également des politiques permettant un équilibre entre leur vie professionnelle et personnelle, d’autant plus depuis le Covid-19. Le bien-être au travail est en particulier une revendication des jeunes, qui composent la tranche d’âge dont la santé mentale s’est le plus dégradée depuis la pandémie. Les DRH se retrouvent donc sommés d’agir. France : comment la santé mentale est devenue un sujet central pour les DRH Reprenant notre premier comparatif réalisé en 2021, nous avons décidé d’analyser les 20 principales solutions numériques en santé mentale proposées aux entreprises en France (voir nos fiches descriptives en fin d’article). Nous avons notamment comparé leur créneau, analysé si le bien-être constituait le cœur de leur proposition de valeur et vérifié si elles proposaient seulement des offres individuelles aux salariés ou si elles offraient, en plus, des outils d’action au niveau de l’entreprise. Construites sous forme d’application ou de plateforme numérique, ces solutions doivent répondre à un paradoxe alors que l’hyperconnexion est l’une des causes de la dégradation de la santé mentale au travail. “La massification du télétravail a signifié une augmentation de la présence des technologies à domicile, qui étaient déjà bien installées avant, témoigne Édouard Robin, sociologue et chargé de mission pour l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact) et intervenant auprès des entreprises. Les organisations et collectifs n’ont pas pris le temps de reconstruire des règles d’utilisation des outils et de pratiques de déconnexion.” France : comment les intervenants en risques psychosociaux se sont-ils adaptés à la crise et au passage au télétravail massif ? Développement et cristallisation du marché La dynamique autour des solutions en santé mentale, déjà vivace en 2021, ne se dément pas. Les levées de fond, réalisées par plusieurs d’entre elles depuis lors, en témoignent : 2 millions d’euros en février 2022 pour Holivia,10 millions quelques mois plus tard pour moka.care et 10 millions en août 2023 pour teale. “Les RH ont pris conscience de la problématique de la santé mentale, liée notamment à l’hyperconnexion digitale et les start-up sont devenues plus matures et plus structurées, témoigne Alexandre Stourbe, directeur du Lab RH, association rassemblant des start-up et grandes entreprises. Il y a toutefois peu de nouveaux acteurs, la tendance est plus à une stabilisation du marché sur ces sujets”, nuance-t-il. De nouveaux acteurs d’importance sont néanmoins arrivés sur le marché : le groupe de logiciels de gestion Cegid (près de 4 000 salariés) a racheté la start-up Wittyfit, le SIRH Lucca a racheté bloom at work et la scale-up Alan a également investi le champ de la santé mentale, l’ajoutant pour tous ses clients au service d’assurance santé. Cette concentration répond à une problématique de financement, classique dans le monde de la Tech : “Les start-up en phase de croissance, qui ont déjà levé des fonds, doivent trouver de nouvelles solutions de financement alors que les fonds d’investissement dépensent moins de manière générale comme dans les start-up de la HR Tech, relate Alexandre Stourbe. Les gros acteurs achètent donc de plus petits acteurs du fait des opportunités de marché que constituent les structures spécialisées en santé mentale.” Une situation qui répond également à une “tension économique sur le marché”, explique-t-il, face au morcellement des outils RH intégrés dans les entreprises. Car l’intégration d’outils de santé mentale dans d’autres solutions RH leur permet de s’appuyer sur des prestataires qu’elles connaissent déjà et de traiter plusieurs problématiques sur une même plateforme. “Nous prônons tout de même l’interopérabilité et la liberté pour les professionnels RH de pouvoir connecter n’importe quelle solution à son Core HR, son outil central”, ajoute-t-il. Des questionnaires et l’accès à des psychologues… mais pas que Sur les 20 solutions étudiées, seulement neuf sont uniquement dédiées à la santé mentale. Les autres sont des solutions RH plus larges (lucca), des solutions de santé générale (Alan, tricky, Numa Health, Humapro), accompagnent sur des problématiques plus larges (Lily, Ma bonne fée, Ipesland, Zenith, My mental energy pro) ou d’autres secteurs (Prevana Care). Neuf proposent par ailleurs un accès anonymisé à des psychologues pour leurs salariés. C’est le cas de Moodwork, Holivia, lumm, teale, Ma bonne fée, Prevana care, Alan, Ipesland et moka.care. Cette dernière met également à disposition des coachs et des thérapeutes et a lancé, avec Qonto, une “Académie de la santé mentale”, consistant en des ateliers collectifs pour les salariés de la scale-up sur des thèmes larges autour du sujet. Les trois quarts des solutions (15) proposent également, au-delà des formations, ressources pratiques et de l’accès individuel à un psychologue, des solutions collectives s’adressant aux RH et managers. Ainsi, Humapro met par exemple en place des questionnaires permettant d’aiguiller l’entreprise dans la rédaction de son document unique d’évaluation des risques (DUERP). Prevana Care propose, de la même manière, une cartographie des risques basées sur des baromètres et des plans d’actions associés sur le stress au travail, les relations entre collègues, les contraintes sur le travail… La plupart mettent par ailleurs à dispositions des dashboards avec des données anonymisées dont l’accès est réservé aux managers et aux RH. A part Alan (seulement des sessions thématiques de groupe), My mental energy pro (team building et conférences) et tricky (formations), c’est d’ailleurs le cas de l’ensemble de celles que nous avons listées comme proposant des politiques d’entreprise. Construire une démarche globale de prévention en santé mentale Basées sur des applications et des plateformes, ces solutions permettent donc des politiques conduites par les données. Au risque de s’éloigner des situations individuelles ? “Nous sensibilisons les RH à respecter le fondement de leur métier qui reste l’humain et donc ne pas avoir un filtre digital opaque entre les deux, indique le directeur du Lab RH. Nous insistons également sur l’accompagnement à la conduite du changement. Il faut prendre le temps de réfléchir avant de mettre en place une solution digitale. L’hyperconnexion et l’infobésité proviennent également des outils RH. Il peut y avoir un outil qui gère le processus de recrutement, un qui gère l’onboarding, un autre la paie, un autre les compétences, voire encore sur la mobilité et la qualité de vie au travail.” Il serait alors illogique que les outils de prévention des RPS aggravent encore des facteurs de risque pour la santé mentale. D’autant que ceux-ci se multiplient à un moment où les outils collaboratifs (tels que Slack ou Teams) deviennent par ailleurs la norme dans les entreprises. Dans une étude publiée le 14 septembre 2023 par La Fabrique de l’industrie et Mines Paris, des chercheurs mettent en évidence un “chaos informationnel” et une “fragmentation de l’activité” provoqués par le déploiement de ces outils. Ceux-ci renforceraient encore l’hyperconnexion des salariés, notamment en dehors des horaires de travail. “Nous constatons une démultiplication des possibilités de connexion et donc une démultiplication des sollicitations, abonde Édouard Robin, de l’ANACT. Ce que nous préconisons, à partir de l’analyse des situations de travail, est la construction collective des règles d’usage. L’approche organisationnelle vise à éviter l’isolement des salariés et des managers, déjà mis à mal par le télétravail.” L’institution intervient aussi au moment du déploiement d’applicatifs, outils professionnels spécifiques à des tâches ou à des postes : “Nous construisons le dialogue professionnel entre réalisateurs du travail, managers, concepteurs des outils pour que le déploiement de ces derniers et l’impact sur les conditions de travail soit discuté”, résume-t-il. France : Dalkia fait appel à Mailoop pour réduire le volume de mails échangés entre salariés Dans la même logique, une politique d’entreprise en santé mentale ne peut dès lors se résumer au déploiement d’une solution. Jérôme Crest, CEO d’Holivia, qui s’appuie également sur une plateforme numérique, détaille sa méthode pour mettre en place une démarche globale de prévention : “Nous passons beaucoup de temps pour porter la santé mentale de façon positive au sein de la culture des entreprises. Nous consultons chacune des parties prenantes : les partenaires sociaux, la médecine du travail, les collaborateurs pour insister sur la confidentialité et dédramatiser, liste-t-il. Nous réalisons des sessions particulières pour les managers pour les aider à adopter la bonne posture de sorte à ce qu’ils deviennent des ambassadeurs. Afin d’assurer d’assurer l’adhésion des équipes au fil des mois, nous mettons aussi en place des communications et conférences régulières.” Son confrère David Labrosse, PDG de tricky, le rejoint : “Si une démarche n’est pas systématique sur les collaborateurs, ce sont seulement les collaborateurs les plus acculturés qui utiliseront les solutions.” La question de l’efficacité et de sa mesure Holivia vante par ailleurs une “amélioration significative de la santé mentale” constatée par 90 % des personnes accompagnées. Cette satisfaction individuelle est-elle suffisante pour, du point de vue des professionnels RH et acheteurs, être convaincu de l’efficacité d’une solution en santé mentale ? Traditionnellement, dans l’examen pour un éventuel remboursement, la Haute autorité de santé réalise un essai dit randomisé pour valider l’efficacité d’un médicament : celui-ci est testé sur un groupe dont on compare l’évolution par rapport à un groupe de contrôle similaire, qui ne le reçoit pas. Dans un référentiel publié en 2021, l’institution rappelle que c’est la méthode la plus utilisée par les professionnels de santé pour déterminer l’efficacité des applications de santé mobile, dont la santé mentale constitue le domaine le plus fréquent. Avec le collectif Mental Tech, les solutions numériques spécialisées tentent de répondre aux interrogations depuis 2022. “Le prérequis est d’être une technologie qui parle de santé mentale, signale son président David Labrosse, PDG de tricky. Il faut également avoir une démarche probante, ce qui est déjà arbitré par le marché puisqu’une proposition de valeur qui n’en a pas ne dure pas. Nous attendons également l’existence d’un comité scientifique et d’un comité éthique.” Les structures membres (19 au total), dont 7 parmi celles de notre comparatif, entendent également s’affirmer face aux pouvoirs publics; Elles ambitionnent en effet d’avoir accès à certains financements, de se structurer en filière économique et de continuer à acculturer les entreprises et salariés, même si David Labrosse note que les grands groupes ont tous recouru à des solutions dédiées. Les applications de la e-santé mentale peuvent-elles encore prendre une place plus importante dans les entreprises ? L’intelligence artificielle paraît déjà une technologie prometteuse sur laquelle se penchent déjà les professionnels et autorités telles que l’OMS. Au début de l’année, notre publication sœur mind Health révélait qu’un chatbot de santé mentale avait été reconnu comme dispositif médical en parvenant à détecter des troubles. Les Big data peuvent par ailleurs constituer un levier, au niveau de l’entreprise, pour mieux prévenir les RPS et l’absentéisme. C’est ce que proposent plusieurs assureurs avec l’analyse des données sociales nominatives qui permet d’établir ce qui, dans la data RH d’une entreprise, peut être vecteur de RPS ou d’absentéisme. Au niveau individuel, les données recueillies dans les bilans de santé ou par des objets connectés sont déjà à même, grâce à des profils établis grâce aux Big data, de prévenir du risque de troubles de santé mentale. Une définition de plus en plus large pour la santé mentale Parmi les solutions listées par le Lab RH dans son annuaire des start-up (sur lequel notre comparatif se base en partie), d’autres se placent sur le créneau de la santé mentale. Certaines solutions vantent en effet un intérêt dans ce domaine mais proposent uniquement des solutions bien-être : les moments de cohésion et “séminaires fun” d’Upfeel, l’accès aux nutritionnistes et les wellness managers de LiveMore… Nous avons aussi retiré de notre comparatif les solutions dont le but premier affiché est l’engagement des salariés comme Bleexo, Okamii ou Supermood, ce qui montre l’actualité du besoin d’une approche sanitaire du bien-être au travail (20 solutions y étant cette fois uniquement consacrées). Nous n’avons enfin pas non plus sélectionné les solutions se consacrant à des sujets précis ou s’adressant à un public limité : le retour au travail après une longue absence pour Ca ira encore mieux demain, la santé financière pour Eliz, le soutien aux aidants pour Elpyoo et Interface ou encore l’hyperconnexion pour Mailoop… Ces applications témoignent toutefois d’une nouvelle ère du travail avec des problématiques impactant de plus en plus les entreprises, alors que l’absentéisme est à un niveau record, surtout du fait des risques psychosociaux. Les chiffres clés Selon une étude publiée par l’OMS en 2022, la dépression et l’anxiété coûtent chaque année 1 000 milliards d’euros à l’économie mondiale du fait de la perte de productivité. 44 % des travailleurs sont en état de détresse psychologique selon le dernier baromètre Empreinte humaine, un chiffre qui grimpe à 55 % pour les moins de 29 ans et 49 % pour les femmes. Avec 22,2 % des arrêts maladie de longue durée, la santé mentale représente la première cause, devant les TMS (21,2 %). Selon la même étude, l’âge moyen des salariés atteint d’un trouble psychologique 89 % des Français estiment que le travail impacte leur santé mentale selon un sondage commandité par moka.care en octobre 2021. Les derniers travaux de l’ISSP (International social survey program) montraient que les Français étaient ceux, en Europe, qui estimaient leur travail le plus stressant (à 47 %) et ceux à vouloir le plus que le travail prenne “moins de place dans leur vie”, à 65 %. Antoine Piel avec Othélie Brion Application mobileCOVID-19entreprisesPlateformesPréventionRessources humainesSanté mentale Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind