Accueil > Marques & Agences > Achat média > Stephan Loerke (WFA) : “L’écosystème digital de la publicité est actuellement inefficace” Stephan Loerke (WFA) : “L’écosystème digital de la publicité est actuellement inefficace” Manque de transparence sur leurs investissements médias et parfois d'efficacité, problèmes de brand safety et de fraude, perte de confiance envers leurs partenaires... les annonceurs se montrent de plus en plus critiques vis-à-vis de la publicité en ligne. Stephan Loerke, CEO de l'association mondiale des annonceurs, met en garde le marché et pointe ses défaillances, sans passer sous silence la responsabilité des marques. Par . Publié le 10 septembre 2018 à 14h20 - Mis à jour le 10 septembre 2018 à 14h20 Ressources Quelles sont les problématiques concernant la publicité en ligne qui préoccupent le plus les annonceurs ? La transparence, la fraude, la protection des données sont autant de sujets cruciaux actuellement pour les annonceurs. Mais il y a un sujet en particulier qui mobilise énormément les annonceurs – et ce jusque dans les conseils d’administration, pas uniquement au niveau des services marketing – c’est la brand safety. Qu’une marque encoure le risque d’être positionnée à côté de contenus djihadistes, pédophiles ou autre, est inacceptable pour une entreprise. La brand safety et tous les autres travers de la publicité en ligne sont liés à la complexité de l’écoysytème actuel et à son manque de transparence. De cette complexité découlent toutes les problématiques du marché : brand safety, visibilité, fraude, coût du média…. En quoi la World Federation of Advertisers est-elle qualifiée pour agir sur ces problématiques ? Quelles sont vos missions ? Il faut ici rappeler notre composition. La World Federation of Advertisers (WFA) est l’association qui réunit les annonceurs au niveau mondial. Ils sont issus à la fois des très grandes entreprises, donc le top 100 mondial avec des groupes comme Procter & Gamble, Coca-Cola ou Danone, mais aussi d’une soixantaine d’associations nationales d’annonceurs présents dans les plus grands marchés publicitaires, à l’instar de l’UDA en France. Elle s’appuie sur trois bureaux, à Bruxelles, Londres et Singapour. La mission de la WFA est double : Il s’agit d’une part de représenter les intérêts des annonceurs au niveau européen et international auprès de structures telles que l’Union Européenne, l’OCDE, l’Unicef et l’Unesco, qui sont amenées à participer à l’évolution du cadre réglementaire de la publicité. Et d’autre part de permettre aux annonceurs d’échanger leurs bonnes pratiques à travers six réseaux mondiaux avec des rencontres entre pairs à différentes fonctions (directeurs du numérique, directeurs médias, etc.). Plus largement, notre objectif, incarné par la devise “better marketing”, consiste à faire évoluer favorablement les pratiques et les stratégies marketing des marques. La publicité en ligne est au coeur de notre travail car c’est un secteur qui a vécu des évolutions fondamentales, via notamment le basculement des dépenses des annonceurs sur le numérique, avec tous les défis que cela pose. Nous publions d’ailleurs régulièrement des chartes pour promouvoir les bonnes pratiques, dont une consacrée à l’achat média en ligne en août dernier (lire sur notre site). Vous parliez de la visibilité des campagnes publicitaires. Le marché doit-il relever ses standards, qui sont assez décriés et pas toujours suivis ? Effectivement, les standards actuels promus par le Media mating council (MRC) – c’est-à-dire 50 % de visibilité durant une seconde sur du display et durant deux secondes pour une vidéo – sont bien trop faibles pour être pertinents. Des discussions sont en cours. Le MRC a lancé un appel à contribution en mars dernier (lire sur notre site), et de notre côté, nous travaillons avec les membres de la WFA pour définir un standard qui répond mieux aux attentes des annonceurs sur ce point qui est important. Ce qui nous importe ce n’est pas forcément que les 100 % de visibilité deviennent la norme du marché. Mais nous voulons en revanche que les standards proposés sur le marché répondent aux attentes des annonceurs, lesquelles peuvent être différentes. Notre souhait est que – comme c’est déjà le cas pour un certain nombre – les annonceurs puis définir leur propre minimum de visibilité et bénéficier de dispositifs de communication qui y correspondent. Y compris en y mettant le prix. “Les annonceurs n’ont que très peu de visibilité sur les différents intervenants de la chaîne de valeur (…) mais ils portent également une responsabilité vis-à-vis de cette ‘black box’ en déléguant toute la responsabilité de la chaîne à leurs agences partenaires” La facturation à la visibilité des campagnes peut-elle également permettre de lutter contre la fraude ? Le sujet de la fraude publicitaire fait l’objet d’un silence assourdissant de l’interprofession alors que c’est un défi majeur, à la fois pour l’écosystème publicitaire et pour la société en général. La WFA estimait déjà dans un rapport publié en juin 2016 que, sans action de la part du marché, le fraude deviendra la deuxième source de revenus des activités criminelles en 2025 (lire sur notre site). Ce document a fait office d’un pavé dans la mare car nous avons aussi attiré l’attention des annonceurs sur le fait qu’ils ont une responsabilité dans cette fraude, puisque leurs investissements sont détournés par des organisations criminelles, parfois pour financer le terrorisme. Cependant, il faut également constater que peu d’intermédiaires se mobilisent sur ce sujet. Et pour cause : même s’ils sont de bonne foi, une impression frauduleuse leur permettra de générer autant si ce n’est plus de revenus. Pourtant, certaines mesures peuvent être prises. Non pas pour éradiquer la fraude publicitaire, car c’est impossible, mais pour la minimiser. Les annonceurs peuvent par exemple recruter dans leurs équipes des experts de la fraude digitale. Ils doivent également rendre responsables les partenaires avec lesquels ils travaillent et exiger le remboursement des revenus générés par des impressions frauduleuses. C’est l’une des solutions que nous recommandons dans notre dernière charte dont je parlais précédemment. La transparence dans l’achat média programmatique doit-t-elle avoir un coût ? Autrement dit, les marques sont-elles vraiment prêtes à payer davantage une meilleure qualité dans l’écosystème publicitaire ? La publicité en ligne fonctionne sur le schéma suivant : sur 100 euros dépensés par l’annonceur, 40 reviennent finalement à l’éditeur. Donc plus de la moitié est ponctionnée par des intermédiaires, ce qu’on appelle l'”adtech tax”. Cela signifie que l’écosystème digital de la publicité est inefficace, d’autant plus car cette équation ne tient pas compte des 10 à 30 % absorbés par la fraude publicitaire. C’est un écosystème qui est pénalisant pour les éditeurs et pour les annonceurs. A long terme, ce fonctionnement n’a pas d’avenir car il ne répond pas aux besoins des annonceurs. Les annonceurs n’ont d’ailleurs que très peu de visibilité sur les différents intervenants de la chaîne de valeur. Nous voulons les alerter et les éduquer sur cette réalité. Car ils portent également une responsabilité vis-à-vis de cette “black box” en déléguant toute la responsabilité de la chaîne à leurs agences partenaires. Certaines entreprises ont choisi d’internaliser l’activité programmatique afin d’y remédier, mais cette alternative ne correspond pas à tous les besoins des entreprises. Des organisations hybrides, plus faciles à mettre en place, permettent aussi d’avoir un rapport direct avec chacun des intermédiaires en contractualisant en direct. La forte pression exercée sur les coûts par les annonceurs a encouragé certaines agences et intermédiaires à adopter des pratiques non transparentes. C’est pourquoi nous avons attiré l’attention, dans notre dernière charte, sur le fait qu’avoir des exigences élevées, en matière de visibilité par exemple, peut logiquement entraîner une hausse de prix de la publicité. “Le fait que Google et Facebook captent une majeure partie des investissements publicitaires ne concerne pas directement les annonceurs” Quelle est la position des annonceurs vis-à-vis du duopole Google – Facebook dans la publicité en ligne ? Le fait que Google et Facebook captent une majeure partie des investissements publicitaires ne concerne pas directement les annonceurs, dont l’objectif est d’optimiser leur stratégie marketing en fonction des opportunités du marché. Ce n’est pas aux annonceurs de favoriser tel ou tel acteur en fonction de ses positions. Les situations d’oligopoles posent problème dans le cas où elles impactent le degré d’innovation du secteur ou font obstacle à certains choix. Le modèle des walled gardens est par exemple problématique : les annonceurs ne peuvent pas rémunérer les plateformes sur la base de performances des dispositifs de communication qu’elles calculent elles-mêmes. Mais compte tenu des montants en jeu, ces plateformes comprennent qu’elles doivent faire certifier leurs campagnes par des tiers pour que leurs offres ne perdent pas en attractivité. Existe-il des différences entre les marchés publicitaires américain et européen sur ces différentes questions ? L’agenda des préoccupations des annonceurs est mondial parce que le marché publicitaire l’est aussi, même si par exemple le scandale de la brand safety sur YouTube a plutôt démarré en Grande-Bretagne (lire sur notre site). Les dysfonctionnements qui ont conduit à ces dérives existent dans tous les pays, même s’il y a des variations dans la maturité de l’écosystème publicitaire et que les cadres réglementaires sont très différents d’un marché à un autre. L’ambition de la WFA est de s’inspirer des bonnes initiatives prises à un niveau national pour faire évoluer les pratiques dans le bon sens au niveau international. C’est le cas de la France avec la Loi Sapin qui a encadré et amélioré les pratiques du marché publicitaire dès les années 1990, puis plus récemment avec son adaptation à la publicité en ligne (lire sur notre site). Nous sommes cependants assez réticents à l’idée de faire appel à un régulateur extérieur pour intervenir dans un marché professionnel : à partir du moment où nous avons une vision claire de ce dont le marché publicitaire a besoin et disposons d’un soutien fort de la part des grandes marques, nous continuerons en ce sens. Au premier semestre, le RGPD a fait peur au marché publicitaire. Comment les annonceurs l’appréhendent-ils quatre mois plus tard ? Même si le RGPD n’est pas une pratique à reproduire dans l’écosystème – car il consiste en une intervention politique – c’est une bonne loi pour le marché car elle est exigeante pour tous les acteurs. Elle fait du consentement des internautes une condition nécessaire à la collecte des données personnelles, ce qui est normal : un marketeur ne peut pas construire sa marque contre le gré du consommateur. Même si cela oblige les acteurs à s’adapter de façon brutale à une nouvelle réglementation, le RGPD sert à améliorer la confiance envers les marques. C’est un vrai atout car la publicité souffre d’un déficit de confiance. Or si les consommateurs n’ont pas confiance ou se sentent menacés, les investissements marketing des marques deviennent inefficaces. La législation européenne en matière de données est la plus exigeante au monde et les annonceurs l’utilisent maintenant comme benchmark au niveau international. Même s’il est encore trop tôt pour constater les effets de son entrée en application, et compte tenu que le travail d’adaptation reste encore important, des pays comme le Brésil ou le Japon suivent le même mouvement. Le RGPD a aussi fait prendre conscience de la nécessité d’impliquer davantage les internautes dans la gestion et la collecte des données personnelles. Les marques n’ont-elles pas également un rôle à jouer sur ce point ? Oui, en parallèle au RGPD et au recueil du consentement au tracking par les éditeurs à des fins publicitaires, nous travaillons avec les annonceurs sur la définition des conditions qui inciteraient les consommateurs à partager leurs données personnelles avec les marques. Pour cela, nous réfléchissons à la construction d’une plateforme numérique qui informerait les internautes sur la collecte de leurs données et leur proposerait des incentives pour qu’ils le fassent. Mais la donnée n’est pas le seul sujet que nous voulons porter vis-à-vis des consommateurs. Les stéréotypes dans la publicité, et plus particulièrement la représentation de la femme, représentent un vrai enjeu. Pour la WFA, le statut quo actuel sur ce sujet n’est pas satisfaisant dans une industrie de la publicité qui se veut innovante et moderne (en France, le CSA a initié il y a quelques mois une charte d’engagement contre le sexisme dans la publicité, signée par l’UDA et l’AACC, ndlr). Stephan Loerke 2003 CEO de la World Federation of Advertisers (WFA) 1994 Directeur général de L’Oréal Belgique 1993 Directeur marketing de L’Oréal Belgique Achat programmatiqueBrand safetyDonnées personnellesRGPDStratégies annonceursTransparenceWFA Besoin d’informations complémentaires ? 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