Comment le média allemand Express.de utilise l’IA pour automatiser la rédaction de ses articles

Le contexte 

“L’histoire de notre imprimerie prend fin. Après 400 ans d’activité, nous avons décidé d’arrêter nos presses”, a annoncé le directeur général de Kölner Stadt-Anzeiger (KStA)  Medien, Thomas Schultz-Homberg, lors de la conférence Digital Media Asia de la WAN-IFRA en octobre dernier. La production des trois journaux papier du média colonais a depuis été déléguée à un imprimeur tiers et le groupe de médias a entrepris de modifier en profondeur son modèle, comme l’expliquait Thomas Schultz-Homberg à WAN-IFRA : “Nous nous transformons en une entreprise de technologie numérique dotée de contenus journalistiques. Mais le modèle d’entreprise et les salles de rédaction doivent changer fondamentalement. Rien ne sera plus comme aujourd’hui”.

Les différents titres du groupe ont donc entamé leur transformation et commencé à adopter des technologies avancées se basant sur l’IA générative et le traitement automatique du langage naturel. “Avant d’utiliser Klara, nous avions déjà mis en place des systèmes automatisés de recommandation par filtrage collaboratif sur la page d’accueil et les pages thématiques d’Express.de”, précise Robert Zilz, responsable data chez KStA Medien. Au moment de l’essor de l’intelligence artificielle générative en novembre 2022, suite au lancement de ChatGPT, la rédaction s’interroge sur les façons d’utiliser ce nouvel outil. “En tant que journalistes, nous nous sommes demandés comment l’IA générative pouvait améliorer notre façon de travailler. Après quelques semaines de recherche, nous avons décidé de tester une solution de génération de textes produits par une IA”, explique Christian Spolders (photo), rédacteur en chef d’Express.de. C’est ainsi que naît “Klara Indernach” à l’été 2023. Les initiales de son nom, KI, renvoie aux mots allemands “Künstliche Intelligenz”, soit “intelligence artificielle”. Afin d’”humaniser” un peu plus cette collègue virtuelle, l’équipe d’Express.de a utilisé Midjourney, le logiciel IA de génération d’images, pour lui fournir une photo de profil. 

Les objectifs

Si l’utilisation de Klara Indernach est une étape supplémentaire dans la stratégie de digitalisation du média, elle répond surtout à un besoin d’optimisation des tâches éditoriales. “À la rédaction, nous voulions revenir aux sources du journalisme, que nous délaissions par manque de temps, précise Christian Spolders. L’IA est d’une grande aide, car elle nous permet de déléguer une partie de notre travail le plus répétitif.” Pour le rédacteur en chef, cet outil permet donc de libérer du temps aux 24 journalistes d’Express.de afin qu’ils produisent du contenu unique mais surtout local. “Ce dont nous avons le plus besoin c’est de proposer à nos lecteurs du contenu unique sur notre région, et nous sommes sur la bonne voie pour revenir à ce type de journalisme”, insiste-t-il. Il estime que l’outil leur permet d’économiser en moyenne 3 heures de travail sur une journée de 8h.

Le dispositif

A l’été 2023, une équipe interdisciplinaire composée de membres de la rédaction, du département data mais aussi de développeurs, travaillent à l’élaboration d’un outil capable de générer automatiquement du contenu au sein même du CMS. S’appuyant sur les versions payantes 3.5 et 4-Turbo de ChatGPT, elle développe un plugin qui permet d’intégrer directement l’outil dans Living Docs, le système de gestion de contenu qu’utilise le média. L’outil mis à disposition de l’équipe éditoriale dans le CMS comprend des modèles de prompts, qui s’adaptent au style de la publication.

Le système Klara Indernach est programmé pour produire du contenu sur des sujets choisis par la rédaction mais aussi pour identifier les sujets tendance, qui pourraient intéresser les lecteurs de la région de Cologne. En presqu’un an, il a produit plus de 1 500 articles, principalement pour les rubriques “Célébrités” et “Conseils” d’Express.de. Si l’IA génère également certains contenus sportifs, “elle ne fonctionne pas en live”, comme le rappelle Christian Spolders. En effet, si OpenAI a opéré une mise à jour majeure avec ChatGPT-4 Turbo, puisque le modèle a été entraîné sur des données allant jusqu’à décembre 2023 – contre septembre 2021 pour GPT-4, “l’IA n’est toujours pas capable de produire un article sur le match de football de la veille”, observe le rédacteur en chef d’Express.de. 

Tous les articles générés par Klara Indernach sont accompagnés de la mention “ce texte a été créé avec le soutien de l’intelligence artificielle (IA) et édité et vérifié par l’équipe éditoriale”, et citent le nom du journaliste qui a procédé à la relecture et à la vérification du texte. Ils renvoient également vers la charte du titre en matière d’IA. “Il y a toujours un humain dans la boucle. Aucun article de notre site web n’est entièrement automatisé, insiste Christian Spolders. Il y a toujours un humain qui doit dire à la machine ce qu’elle doit faire et comment elle doit le faire.”

Les résultats

Klara Indernach produit 11 % des articles publiés sur Express.de et génère 10,8 % du trafic du site. “Il s’agit des deux KPI principaux que nous prenons en considération pour mesurer le succès de Klara Indernach”, explique Robert Zilz. Par ailleurs, Express.de a enregistré ces dernières semaines une hausse de 35 % de son taux de clic. D’autres indicateurs de performance sont également pris en compte par l’équipe, comme le taux de complétion, qui “est similaire à celui des articles rédigés par nos journalistes”, assure Christian Spolders. 

Cette nouvelle technologie soulève de nombreux défis organisationnels et techniques. “Lorsque nous avons commencé à utiliser Klara, elle avait beaucoup d’hallucinations”, observe le rédacteur en chef. Elle devait donc être secondée par un éditeur qui vérifiait chacun de ses mots avant de pouvoir fonctionner de manière autonome. “Désormais, l’éditeur vérifie simplement que tout est exact, puis publie”, précise-t-il. Pour Robert Zilz, un des éléments centraux de l’intelligence artificielle générative, mais aussi son aspect le plus éprouvant, réside dans ce qu’il appelle “l’ingénierie de prompts”. Il détaille : “les outils de GenIA et leurs différentes versions évoluent presque chaque jour, chaque semaine. Il nous faut donc régulièrement mettre à jour nos prompts et nous assurer que ces requêtes sont toujours valables et bien comprises par l’IA”. 

Et après ? 

Pour Christian Spolders, il est essentiel de “continuer à insuffler ce changement culturel au sein de l’organisation”. De son côté, Robert Zilz appelle à réfléchir à d’autres alternatives que les outils propriétaires développés par quelques grandes entreprises technologiques telles que OpenAI, Google et Microsoft. “A l’avenir, nous souhaiterions nous tourner vers des solutions open source pour construire notre propre infrastructure LLM, en utilisant potentiellement des systèmes comme Llama 3 de Meta ou Mistral”, indique le responsable data et IA, qui redoute la dépendance à une poignée d’acteurs.